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mercredi 28 août 2024

Au naturel : pardon je suis taquin

 
Je passe devant une pharmacie qui se dit "au naturel" et je ne peux m'empêcher de rigoler de cette malhonnêteté. 

Je rappelle que, en français, est  naturel ce qui ne fait pas l'objet d'une transformation par l'être humain, et est artificiel là où l'humain intervient. 

Soigner ? Cela ne se fait pas spontanément et il faut au contraire beaucoup de connaissances pour arriver à faire mieux que nos ancêtres des siècles passés. 

Arracher une dent au naturel  :  je vais écrire au pharmacien pour le  lui proposer personnellement.

dimanche 27 août 2023

Les fruits sont-ils naturels ?

 
 Dans la grande discussion des aliments prétendument naturels, il y a la question des fruits : sont-ils naturels ? 

Je signale à  mes amis l'excellent http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-les-peregrinations-du-pommier-domestique-32854.php, article qui vient de paraître, dans le numéro de mai de Pour la Science : l'évolution du pommier, depuis qu'il est rapporté d'Asie. 

Manifestement les pommes, en tout cas, ne sont pas naturelles !

mercredi 23 août 2023

Jean Jaurès et le naturel


 Un texte de Jean Jaurès, pour ceux qui ne l'ont pas eu en mains  : 

 

Le Blé

N’est-ce pas l’homme aussi qui a créé le blé ?

Les productions que l’on appelle naturelles ne sont pas pour la plupart – celles du moins qui servent aux besoins de l’homme – l’œuvre spontanée de la nature. Ni le blé, ni la vigne n’existaient avant que quelques hommes, les plus grands des génies inconnus, aient sélectionné et éduqué lentement quelque graminée ou quelque cep sauvage.

C’est l’homme qui a deviné, dans je ne sais quelle pauvre graine tremblant au vent des prairies, le trésor futur du froment. C’est l’homme qui a obligé la sève de la terre à condenser sa fine et savoureuse substance dans le grain de blé ou à gonfler le grain de raisin. Les hommes oublieux opposent aujourd’hui ce qu’ils appellent le vin naturel au vin artificiel, les créations de la nature aux combinaisons de la chimie. Il n’y a pas de vin naturel.Le pain et le vin sont un produit du génie de l’homme…………….

mercredi 16 août 2023

Quelques expressions à corriger, en vue de mieux comprendre

 
 Pendant longtemps, j'ai propagé cette idée de Lavoisier : pour faire de la bonne science, il faut de bons mots, parce que, disait-il en suivant Condillac, nous avons les phénomènes par la pensée, et nous manions les pensées à l'aide des mots. 

La relecture de Poincaré et de quelques autres semble montrer que, au moins consciemment, certains ne pensent pas avec des mots. Poincaré, par exemple, disait que sa plus grande difficulté était de mettre des mots sur les idées qui naissaient en lui. Je suis donc troublé, hésitant... de ce point de vue. 

En revanche, du point de vue de la communication, j'ai moins d'hésitation. Par exemple, je maintiens, à la suite de Louis Pasteur, qu'il existe pas de sciences appliquées, si les sciences considérées sont des sciences de la nature. 

Evidemment, si l'on prend le mot "science" dans l'acception de "savoir", comme dans "la science du cordonnier", alors c'est bien une science appliquée. Mais pour les sciences de la nature, impossible : il y a les sciences de la nature, d'un côté, et leurs applications, de l'autre, d'où le terme de technologie, dont je me suis déjà largement expliqué. 

 

Ces temps-ci, je tombe sur d'autres expressions idiotes. 

 

Par exemple "dépassement d'honoraires" : impossible, puisque si un médecin fixe des honoraires, il ne peut pas les dépasser, du moment que ces honoraires sont fixés. Et s'il augmente ses honoraires, il ne dépasse rien, puisque les honoraires fixés sont les honoraires. Je pose donc la question : quand on entend "dépassement d'honoraires", de quoi s'agit-il ? 

"Aliment naturel" : encore une imbécilité, car la nature, bien que le terme ait évolué, reste ce qui n'a pas fait l'objet de transformations par l'être humain. Autrement dit, tous les aliments sont artificiels, ce qui est le produit de l'"art". J'en profite, d'ailleurs, pour répéter que la cuisine a trois composantes, que je redonne dans un ordre qui n'est pas le bon : technique (il faut que le soufflé gonfle), social (faire à manger, c'est dire "je t'aime")... et artistique, tant il est vrai que le  "bon", c'est le beau à manger. 

Et j'insiste : je ne parle pas des "arts de la table", du service, etc. mais seulement du contenu de l'assiette. 

Enfin, pour cette fois, il y a "conflit d'intérêt", qui m'insupporte, parce que seuls les humains ont des conflits. De quoi veut-on parler ? D'intérêts cachés. C'est cela, qui est malhonnête, pour un expert. Bref, très positivement, je propose : - de ne jamais accepter de prendre des experts qui n'ont pas d'intérêts (avoués, bien sûr) : ceux qui ne travaillent pas avec l'industrie ne connaissent pas le monde, et sont bien incapables d'en juger - de cesser d'utiliser cette expression idiote, et d'utiliser l'expression "intérêts cachés". Il est juste de demander aux experts de faire des déclaration d'intérêts (expression qui me semble également juste, dans sa littéralité)... et c'est ainsi que nous aurons une société plus éclairée. 

 

Bref, même si Lavoisier n'avait pas entièrement raison, pour ce qui est du processus de création scientifique, il n'avait pas tort du point de vue de la pensée : de la clarté dans le langage ne fait pas de mal !

vendredi 21 juillet 2023

Réjouissons-nous : une partie de l'humanité est éclairée !

 
Au Salon de l'agriculture, deux événements, qui donnent des raisons d'espérer :

1. Juré au Concours général agricole, je suis à la même table qu'un charcutier de la Sarthe. Pour lui, le sel nitrité qui est utilisé dans les charcuteries ne pose par l'once d'un problème. Le nitrite est-il un produit chimique ? Peu importe, m'est-il répondu : on en a besoin en charcuterie professionnelle ; pas dans l'industrie, mais chez les artisans. Alors on l'utilise, un point c'est tout. Ses dangers ? Qu'importe : les couteaux aussi sont dangereux, m'est-il répondu. Il suffit de savoir l'utiliser . 

2. L'après-midi, après ma conférence sur la cuisine note à note, un petit homme reste, intéressé, pour des questions. C'est un boucher d'un petit village du Béarn. Il est intéressé par les composés qui ont été montrés (octénol, menthol, pipérine, etc.) : sont-ils "chimiques" ? 

Par ce terme, l'entretien montre qu'il voulait dire "de synthèse". Et la suite de l'entretien conduit à montrer qu'il ne sait pas ce qu'est un composé, de synthèse ou pas, et que cela l'intéresse beaucoup de comprendre. Pour figurer les choses, je prends l'exemple de la synthèse de l'eau, par électrolyse, puis sa recomposition. "Quoi, vous pouvez fabriquer de l'eau ?" Stupéfaction, oui, on peut fabriquer de l'eau, et décomposer l'eau. Tout cela expliqué en termes simples conduit notre homme a conclure  "Vous avez un merveilleux métier". Je lui réponds que lui aussi, a un très beau métier. Que tous les métiers sont beaux quand ils sont pratiqués avec passion par des gens honnêtes. N'est-ce pas ? 

 

Pour conclure, au delà de quelques individus qui troublent le public avec une idéologie douteuse (le gout du pouvoir ? de l'argent ? la peur animale des ignorants ? une névrose), je crois que nous devons nous réjouir  : nos concitoyens sont heureux de comprendre le monde où ils vivent. D'où un devoir d'explication ! 

 

Vive la chimie physique.

mardi 30 mai 2023

Ma position à propos des "arômes" ?

On m'interroge sur ma position à propos des arômes ? Et ma première réponse, c'est que ce mot est employé par l'industrie alimentaire française de façon confuse, donc possiblement déloyale. 

En effet, en bon français, un arôme, c'est l'odeur d'une plante aromatique, et c'est ensuite, seulement, que la réglementation a accepté (on n'aurait jamais du laisser faire cela, et il faut changer) de nommer "arômes" des préparations utilisées par l'industrie alimentaire pour donner du goût aux préparations alimentaires. 

 

Il faut changer sans tarder, pour ne pas tromper le public ! 

 

Plus en détail, a position est très simple :


0. les denrées qui font l'objet d'une consommation, ou d'un commerce doivent être saines, loyales et marchandes
 
En découlent des considérations terminologiques

1. un arôme, c'est l'odeur d'une plante aromatique, sans quoi on gauchit la langue, et on trompe les citoyens (je parle de citoyens, et pas de "consommateurs")

2. un "aromatisant" (mot choisi pour éviter une confusion avec la langue française), c'est une composition de composés odorants (je me refuse absolument à parler de "composés d'arômes", parce que certains ne sont pas dans les plantes aromatiques, cf pyrazine des viandes grillées)

3. un "extrait", c'est... un extrait ; j'ajoute cela parce que je crois que le monde des parfums et aromatisants devraient parler de "compositions et extraits", compositions quand c'est une composition, et extrait quand c'est un extrait ; simple et loyal, non ?

4. un composé odorant, c'est... un composé odorant, à savoir un composé qui est capable d'atteindre les fosses nasales et de stimuler des récepteurs olfactifs

5. je ne connais pas la "flaveur", mais le goût, à savoir la sensation synthétique faite de la saveur, de l'odeur (rétronasale), du trigéminal, etc. (modalité du calcium, modalité des acides gras à longue chaîne insaturés)

6. pour les compositions, il doit y avoir les bons principes de la loi de 1905, à savoir qu'elles doivent être saines, loyales et marchandes

7. pour les extraits, il doivent être sains, loyaux et marchands

8. la question analytique des "impuretés" semble essentielle pour les deux cas

9. et évidemment la question toxicologique est présente à toutes les étapes, et la présence d'un composés toxiques dans un extrait doit être évitée

10. le mot "naturel" est malhonnête, pour toutes les productions humaines (et notamment les extraits) .
Car je rappelle que, en français, est "naturel" ce qui n'a pas fait l'objet d'une transformation par un être humain (sinon, c'est "artificiel", mot qui vient de "art")

Simple, non ?


 

jeudi 9 avril 2020

Cessons de parler des "laits végétaux" et de proposer qu'ils soient "naturels"


Je ne cesse de m'étonner du conservatisme de mon entourage. Quand je dis "entourage",  cela signifie jusqu'à mes collègues scientifiques,  et j'en vois encore un exemple ce matin alors que je suis en train éditer un texte pour le prochain Handbook of molecular gastronomy.

Le manuscrit de mon collègue discute la question des systèmes émulsionnés (qu'il confond avec des émulsions, preuve qu'il est imprécis), et il en cite des exemples : la mayonnaise, qui est bien une dispersion d'huile dans l'eau du jaune d' œuf et du vinaigre, ou encore le lait, qui contient effectivement des gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l'eau.

Puis mon collègue évoque ces liquides blancs, qui ressemblent à du lait et sont extraits des végétaux et qui, comme le lait, contiennent des matières grasses émulsionnées. Il les nomme des "laits végétaux", mais je lui fais remarquer que cette dénomination est contestable, car le lait est le lait ;  ces émulsions  ne sont pas du lait, et je lui fais valoir que nous aurions intérêt, collectivement, à leur refuser le nom de lait, car des végétariens le confondent avec du lait au point de mettre de jeunes enfants en danger de mort. Ne pourrait-on pas parler d'émulsions végétales ?

De surcroît, je critique énergiquement son emploi du mot "naturel", à propos de ces produits :  ces produits ne sont pas naturels, puisque ils ont  été extraits ; or la définition du naturel, c'est ce qui n'a pas fait l'objet d'interventions par un être humain.
Mon collègue répond que la d'élimination lait végétal est acceptée,  et que, comme ces produits se trouvent les graines, ils sont bien naturels.

Soit il n'a rien compris à mon argumentation,  soit il s'enferme dans une erreur nuisible, car susceptible de créer des confusions. Le mot "naturel" tout d'abord, est à l'origine de nombre d'interminables débats publics, et ces débats naissent de l'utilisation du mot dans une acception gauchie, donc erronée, parfois fautive.
D'autre part, des accidents, dans les familles végétariennes, seraient évités si l'expression "lait végétal était interdite (ma proposition).

Mais, surtout, je ne vois pas ce que mon collègue perdrait en changeant ses habitudes de langage. Pourquoi reste-t-il collé à des idées anciennes : la paresse, des intérêts idéologiques ou commerciaux, de l'incompréhension ?

Pourrez-vous m'aider à comprendre sa position et les avantages qu'elle aurait ?
Pour moi, je termine en rappelant cette utile citation d'Antoine Laurent de Lavoisier :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage ».





Et celle de Condillac :

« Nous ne pensons qu'avec le secours des mots. L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite »

samedi 9 février 2019

"Naturellement chimique" : un bon combat avec de mauvais mots


Nous sommes bien d'accord : il faut absolument combattre les peurs irrationnelles, car elles conduisent à des décisions absurdes, et, dans la communauté nationale (ou internationale), cela peut être grave, ou gênant. 
Ces temps-ci, le public a parfois peur de son alimentation, au point que des journalistes (qui ne sont en réalité que des ambassadeurs du public, sans plus de connaissance) en rajoutent, tandis que quelques malhonnêtes manipulent la communauté, idéologiquement ou commercialement.
Et puis, la Raison veut que l'on combatte pour plus de Lumières, n'est-ce pas ? Diderot et ses amis parlaient de "tyrannie", et c'est bien de cela dont il est question : d'obscurantisme. On évoquant des fées ou des sorcières pour les phénomènes que l'on ne comprenait pas, mais la science moderne a mis de l'ordre dans tout cela, et elle n'a pas fini. Plus généralement, le combat des Lumières est loin d'être terminé !

La "chimie", notamment, fait l'objet de discussions idiotes, au "café du commerce" moderne que sont les réseaux sociaux. Il faut pourtant dire que la  chimie est une science de la nature, qui produit de la connaissance. 
Bien sûr, son application peut faire des poisons (ou des médicaments), mais ce n'est pas la chimie qui est responsable de ces produits : l'arbre n'est pas le fruit, comme le disait bien Louis Pasteur !
Dans ce contexte, la Société française de chimie (qui ne sais pas parler français puisqu'elle se nomme "Société chimique de France") veut mener une action qu'elle intitule "naturellement chimique". Le combat est bon : il faut, comme dit plus haut, expliquer au public ce qu'est cette chimie qu'il contribue à développer par ses impôts. Pour autant, le dictionnaire, qui fait loi en matière de définition, indique que le naturel est ce qui ne fait pas l'objet d'une intervention humaine. Autrement dit, l'eau de pluie est naturelle, mais pas l'eau en bouteille -même si elle avait  la même composition-, puisqu'il a bien fallu que quelqu'un capte l'eau, et la mette en bouteille.
Alors... naturellement chimique ? Puisque la chimie est une science, donc toute humaine, il n'y a pas de produits "naturellement chimiques". Et il ne reste qu'une possibilité, pour comprendre sans faute le "naturellement chimique" : l'interpréter comme un "évidemment chimique" (avec donc un usage très rhétorique du mot "naturellement", qui est en l'occurrence très mal venu).
Reste qu'il ne faudra pas confondre la chimie, science, et ses applications. Je répète que l'industrie qui fait usage de la chimie, des connaissances produites par les scientifiques que sont les chimistes, n'est pas une "industrie chimique", puisqu'elle ne fait de la science, mais de la technologie !

mercredi 16 janvier 2019

La cuisine moléculaire est-elle chimique ou naturelle ?

J'aime beaucoup les "questions qui fâchent", parce que, essayant d'être honnête, je n'ai jamais peur d'y répondre !
 Je recois un message d'un groupe d'élèves engagés dans un travail personnel encadré qui et libellé ainsi :

De nos jours, une cuisine dite moléculaire, le grand public sous entends "chimique" ;  "mauvaise pour notre santé", à éviter, ou encore occasionnelle. Pourtant, les techniques employées ainsi que les ingrédients n'ont rien de plus mauvais que la cuisine traditionnelle.
Alors, selon vous la cuisine moléculaire est -elle : "chimique" ou "naturelle" ?


Voilà pour le message. Examinons la réponse.


Tout d'abord, la première phrase doit être un peu corrigée, ainsi que la dernière, qui propose de comparer les ingrédients de la cuisine moléculaire à la cuisne traditionnelle (au lieu de « ceux de la cuisine traditionnelle »), mais ne chipotons pas.

D'autre part, je vois immédiatement que la « cuisine note à note » ne fait pas partie de la question, et je le déplore, car la cuisine moléculaire est quelque chose d'ancien, que je veux absolument remplacer par la cuisine note à note, pour laquelle des questions merveilleuses se posent. Mais passons.


Je veux commencer par discuter la question du « grand public », que mes jeunes amis évoquent, parce que je ne suis pas certain qu'il existe. C'est comme le Français moyen: si j'aime le vin rouge, et qu'un ami aime le vin blanc, il n'y pas de personne « moyenne » qui aime le rosé. Avec les années, j'ai appris à me méfier de ce prétendu grand public. Je crois plutôt qu'il y a des publics variés, très différents. Par exemple, je croyais naguère que les Français n'aimaient pas la science, mais ce n'est pas vrai : il y en a qui aiment, d'autres qui n'aiment pas, d'autres qui n'ont pas d'opinion, d'autres qui sont indifférents, d'autres qui ne savent pas ce que c'est, d'autres qui… De même, il y a quelques années, je voulais « réconcilier le public avec la science », mais pourquoi réconcilier des personnes qui n'ont pas à être réconciliées. Tout se rencontre, dans ce fameux « public », qu'il soit ou non « grand », et bien malin serait celui qui pourrait dire ce que pense ce grand public, voire identifier ce dit grand public.

Et, de ce fait, je me méfie des idées qui sont attribuées au public. Et puis, prononcer l'expression « grand public, au fond, c'est agiter une notion qui n'existe pas pour faire penser qu'il s'agit de 60 millions de Français, ce qui n'est pas le cas


Pour autant, il est vrai qu'une certaine proportion de nos concitoyens a des idées variées sur la cuisine moléculaire. Et souvent, comme le public ignore parfaitement ce dont il s'agit, c'est le questionnement de ce public qui fait apparaître des idées qui étaient jusque-là inexistantes, et que les personnes interrogées inventent pour la circonstance.

Mais revenons à cette cuisine moléculaire : puisqu'une bonne partie du public ignore ce dont il s'agit, je crois nécessaire de commerncer par la définir ici. Je peux le faire, puisque c'est moi qui l'ai introduite en France dès 1980, avec mon vieil ami Nicholas Kurti (qui faisait cela en Angleterre), c'est moi qu'il l'ai définie, et, surtout, c'est moi qui l'ai nommée (en 1999, soit 19 ans après nos premiers travaux) : la cuisine moléculaire, c'est une cuisine qui fait usage d'ustensiles modernes, venus des laboratoires de chimie. Par exmeple, j'ai proposé d'utiliser l'azote liquide des laboratoires pour faire des glaces ou des sorbets. Par exemple, j'ai proposé d'utiliser des thermocirculateurs pour cuire viande, poissons, œufs à des températures précises, ce qui a notamment engendré, par exemple, cet œuf cuit à basse température et que j'avais naïvement nommé « œuf parfait » (je préfère aujourd'hui l'appeler œuf à 64 degrés quand il est cuit à 64 , œuf à 67 degrés quand il est cuit à 67 degrés, etc.).

Bref la cuisine moléculaire, c'est surtout une affaire d'ustensiles, de matériels, pas d'ingrédients.

Il est vrai quand même que, dans la foulée de l'introduction des nouveaux matériels, j'avais proposé d'utiliser quelques nouveaux gélifiants : agar-agar, carraghénanes, alginates, etc., parce que je voyais naguère que les cuisiniers étaient limités à l'usage de gélatine ou bien de protéines animales pour des gels respectivement physiques ou chimiques, alors que bien d'autres polysaccharides permettent de faire des gels biens différents : cassants, qui résistent à la chaleur, souples, opaques, transparents, etc.

Donc effectivement il y a eu quelques ingrédients en plus des matériels, et tout cela a fait la cuisine moléculaire.


Est-ce « chimique » ?

Là s'impose une discussion sur la nature de la chimie : la chimie est une science, et une science ne produit que de la connaissance, pas des ingrédients, pas des matériels. Autrement dit, l'agar-agar ou les alginates ne sont pas chimiques, puisque ce ne sont pas des résultats de la science ; ce sont des produits. On pourrait dire que ce sont des applications de cette science que j'ai nommée gastronomie moléculaire (attention à la différence entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire!). On pourrait se demander si les nouveaux gélifiants sont des produits « de synthèse », ce qui est différent de produits « chimiques ». Par produits de synthèse, on entend des produits qui ont été synthétisés. En l'occurrence, pour ces gélifiants, il n'y a pas eu de synthèse, mais seulement une « extraction », par le même type de procédés que pour l'extraction du sucre de table (saccharose) à partir de la bettrevave, ou de la gélatine des os des animaux. Dit-on que le sucre est chimique ? Non : le sucre est extrait de produits végétaux, la betterave ou la canne à sucre.

De mêmes, ces gélifiants sont des extraits de ces produits naturels que sont les algues, par exemple. Il peut aussi y avoir des exsudations d'arbres, pour certaines gommes. Donc il n'y a pas de chimie, mais seulement de l'extraction, tout comme pour la fécule de pomme de terre ou de riz, ou encore que la farine, qui est extraite du blé.

Bref il y a lieu de réfléchir au mot « chimique », que beaucoup emploient de façon plus que vague, et il faut surtout reconnaître qu'une grande partie des Français ignore ce dont il s'agit et ne fait pas la diférence entre ce qui est naturel, artificiel ou de synthèse.


Et c'est là qu'il faut revenir aux définitions du dictionnaire, puisque ce dernier est la base de nos communications humaines : « est naturel ce qui n'a pas fait l'objet de l'intervention d'un être humain ». Là il y a lieu de s'arrêter un peu, car la cuisine traditionnelle n'est donc pas naturelle, mais parfaitement artificielle. Tous les aliments sont artificiels. Pas synthétiques, mais artificiels : il faut bien un cuisinier pour cuire un poulet, non ? Enfin, j'ajoute que dans le mot « artificiel », il y a le mot « art », comme dans « artiste ».

Voilà pour l'artificiel. Mais il est vrai qu'il y a des artificiels de différents types. Il y a des artificiels extraits (la farine est extraite du blé), et il y a des artificiels qui sont synthétisés. Pas beaucoup quand même, car il est bien plus économique de les extraire. Il y a aussi des cas plus intéressants intellectuellement, comme cette vanilline qui est produite soit par extraction, soit par fermentation d'aiguilles de pin, soit par transformation moléculaire de pâte à papier.

La vanilline est un composé qui est présent dans la vanille, après la fermentation des gousses. Elle a une merveilleuse odeur de vanille, de sorte que, si l'on n'a pas de gousses, on peut très bien utiliser de la vanilline. Ce n'est pas identique, mais très semblable. D'autre part, pour le procédé à partir des aiguilles de pin : ces dernières sont parfaitement naturelles, ainsi que les micro-organismes qui assurent la fermentation. Cette dernière est un procédé tout à fait analogue à celui qui est mis en œuvre pour la fabrication du vin ou de la bière, de sorte que, si l'on finassait, on pourrait dire que la vanilline produite après purification du milieu de fermentation est « naturelle ». En réalité, elle ne l'est pas, puisque quelqu'un a orchestré les opérations. Et pour la production de cette même vanilline à partir de pâte à papier, il suffit presque d'un chauffage sous pression, pas bien différent d'une cuisson dans une cocotte minute ; il y a bien une transformation moléculaire, mais pas différence de la confection d'un caramel en cuisine ! Alors ? Alors terminons en observant que j'ai pris soin de ne pas nommer « industrie chimique » l'industrie qui effectue cette transformation, parce que je crois que l'expression serait indue : au mieux, on peut parler d'une industrie qui met en œuvre des connaissances de chimie. C'est plus long à dire, mais c'est plus juste.


Je reviens maintenant à la cuisine moléculaire : est-elle mauvaise pour la santé ? C'est un peu la même question que si l'on s'interrogeait sur le danger des marteaux. Sont-ils dangereux ? Avec un marteau je peux taper sur la tête de quelqu'un et le tuer, ce qui serait évidemment mauvais pour sa santé, mais je peux aussi faire attention et me contenter d'enfoncer des clous, ce qui sera bon pour la fabrication des meubles.

La question n'a donc pas de sens. Bien sûr, ceux qui ne réfléchissent pas assez peuvent tout confondre et dire que la cuisine moléculaire est mauvaise pour la santé, mais l'est-elle vraiment ? La réponse est : cela dépend de l'usage que l'on en fait. Ce n'est donc pas la cuisine moléculaire qui serait bonne ou mauvaise, mais l'usage qu'on en fait qui détermine son utilité ou son danger. D'ailleurs, à propos d'usage, il faut absolument arriver à la personne qui fait usage de la cuisine moléculaire. Cette personne peut très bien utiliser la qu'une moléculaire pour empoisonner quelqu'un ou, au contraire, pour le nourrir mieux qu'il ne se nourrissait par la cuisine traditionnelle. N'évitons jamais de désigner les vrais responsables !

En tout cas, il faut absolument que je signale ici que la cuisine moléculaire avait pour objectif de faciliter le travail culinaire. C'est-à-dire qu'au lieu d'utiliser des ustensiles très anciens, mal adaptés, etc. j'avais proposé d'utiliser des ustensiles appropriés, plus propres à leurs fonctions.

De même si je veux aller à New York, je peux bien sûr essayer d'y aller à la nage, mais j'irai plus vite en avion. Dans ce débat, il y a lieu de se souvenir qu'aucun d'entre nous n'écrit plus avec une plume et de l'encre : nous avons des ordinateurs, et d'ailleurs je réponds ici par ordinateur à des questions qui me sont posées par ordinateur.

Les transports ont évolué, les communications ont évolué, tout a évolué, et je ne suis pas à dos d'âne à Paris, pas plus que mes jeunes amis qui m'interroge ne sont à dos de mulet à Nantes. D'ailleurs j'ajoute que je ne voudrais pas avoir vécu il y a un siècle, et que je suis très friand de tous les progrès techniques qui me rendent la vie plus simple. Imagine-t-on d'écrire des journaux à la main comme les copistes du Moyen-Âge ? Enfin, sur ce chapitre, je veux quand même rappeler que nous sommes, grâce aux progrès technique, la première génération de l'histoire de l'humanité à ne pas avoir connu de famine, et encore, pas dans tous les pays. Je rappelle aussi qu'à l'époque où on a introduit les tracteurs, c'est-à-dire des machines qui voulaient faciliter le travail épuisant des agriculteurs, il y a eu des utilisateurs de faucille qui venaient détruire les tracteurs chez ceux qui en possédaient. Ils faisaient suite aux Luddites, en Angleterre… Il y a toujours eu, il y a et il y aura encore tout ce public qui a peur de ce qu'il ne comprend pas.


Arriverons maintenant à la question : la cuisine moléculaire a-t-elle occasionnelle ? Jadis oui, aujourd'hui non. J'ai dit oui, puisqu'il a fallu une vingtaine d'années pour arriver à ce résultat qui est que l'on trouve aujourd'hui des siphons dans les supermarchés les plus populaires, que des fonctions basse température sont sur tous les fours électriques, que les supermarchés vendent aujourd'hui l'agar-agar, les carraguénanes, etc., à côté des feuilles de gélatine.

Donc l'usage de la cuisine moléculaire est devenu très populaire. Par ailleurs, oui on peut aller manger occasionnellement chez un cuisinier qui fait de la cuisine moléculaire au sens du style, et qui va faire des plats tout à fait nouveaux et remarquables grâce à ces nouveaux outils de la cuisine moléculaire, mais la cuisine moléculaire est très démocratisée et c'était la mon objectif : rendre service à celles et ceux qui cuisinent tous les jours, à la maison.

La cuisine moléculaire n'est pas une cuisine pour les riches. C'est une cuisine pour tous, au contraire. C'est l'utilisation de connaissances pour faire mieux avec ce que l'on a.


Les ingrédients sont-ils plus dangereux que ceux de la cuisine traditionnelle ? Certainement pas ! D'ailleurs, si l'on se limite à une définition de la cuisine moléculaire comme une cuisine qui utilise des ustensiles moderne, il y a pas de raison de penser que la cuisine moléculaire puisse produire des aliments plus mauvais que la cuisine traditionnelle. Mais de toute façon j'y reviens : la cuisine traditionnelle n'est pas saine, comme le prouve la pandémie d'obésité… et il faut que notre cuisine évolue pour que nous ayons une alimentation mieux adaptée à notre vie dans les villes, plutôt qu'à la campagne ! Sans compter que des procédés comme le fumage sont certainement assez malsains, quand ils sont pratiqués comme à l'ancienne.


Enfin, selon moi, la cuisine moléculaire est-elle chimique ou naturelle ? J'ai expliqué au début que toute la cuisine est artificielle, qu'aucune cuisine n'est chimique, de sorte que je crois avoir répondu à toutes les questions !




mercredi 5 août 2015

Le naturel ?

Une certaine industrie alimentaire vend de façon contestable des produits "naturels", et une certaine réglementation démagogique accepte cette entorse à la pensée.

Contestable ? Entorse ? Oui, car est "naturel", en français, ce qui n'a pas fait l'objet d'une transformation par l'être humain. Nos aliments ne sont pas naturels, car ils ont été cuisinés. Et très peu de nos ingrédients alimentaires sont naturels, car même le sel, tiré de la mer ou des mines, a été extrait, purifié, raffiné. On ignore souvent que le sel est amendé avec de l'iode, par exemple, ou que nos fruits et légumes, qui semblent pousser tout seuls, ont en réalité été sélectionnés depuis des générations. Les arbres ont été greffés, la sélection a opéré, et nos pommes modernes n'ont plus rien des pommes sauvages, ni les carottes des carottes sauvages.
Bref, nous ne mangeons pas de produits naturels, et c'est une étrange idée que de le croire. Mais c'est un fait que même des individus qui savent lire, écrire et compter, parlent de produits naturels.
Récemment, lors de l'enregistrement d'une émission de télévision, il m'est venu qu'il est facile de montrer à nos interlocuteurs leurs contradictions. Cela s'est passé alors que je discutais avec une journaliste qui avait prononcé le mot "naturel". Naturel ? Je lui demandai d'abord si le sucre était naturel, et elle tomba dans le piège, puisqu'elle répondit que oui. Les protéines du lait ? Oui, l'acide tartrique, lequel est au fond des bouteilles de vin blanc ? Oui. L'huile ? Oui... Alors le "faux fromage" qu'elle voulait "dénoncer" était naturel, puisqu'il était fait de ces matières (j'abrège la liste et la démonstration).
Par la même technique, à peu près tous nos aliments sont naturels, sauf quand certains ingrédients ont été synthétisés, telle la vanilline des "vanilles artificielles".

Mais nous sommes bien d'accord : ce n'est pas charitable d'agir comme je le fais ! Et il n'est pas juste de dire que nos aliments sont naturels : en réalité, ils sont tous parfaitement artificiels, parce qu'ils ont été préparés. Et des cuisiniers qui parleraient d'une cuisine naturelle seraient dans l'erreur, même si le Michelin leur a donné  des étoiles !

vendredi 15 août 2014

Naturel ? Du commerce !

Dans le Washington Post, un artible de Roberto A. Ferdman (24 juin 2014) :

The word “natural” helps sell $40 billion worth of food in the U.S. every year—and the label means nothing


 Je traduis : rien ne fait autant vendre aux Américains que le mot fabuleusement ambigu "naturel". Parmi les 35 propositions santé ou alimentation, il y a des mots tels que "naturel", "bio", "sans graisse", "écologiquement responsable"... Ces indications permettent de vendre pour plus 377 milliards de dollars d'articles aux Etats-Unis, pour la seule dernière année (source Nielsen).

L'industrie alimentaire américaine vend pour 41 milliards de dollars, chaque année, d'aliments dont l'étiquetage porte ce mot, et le mot n'a pas de définition par la Food and Drug Administration. Cette dernière indique sur son site : "D'un point de vue scientifique, il est difficile de définir un produit "naturel", parce que l'aliment a certainement été transformé, et qu'il n'est plus le produit de la terre.

Bref, tous les pays reconnaissent que l'industrie alimentaire ne fait pas bien, de ce point de vue.

Il faut le dire  : aucun aliment n'est naturel !

samedi 20 juillet 2013

Vive la loyauté !


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Je viens de finir la lecture des inscriptions qui figuraient sur un conditionnement de produit alimentaire et je suis bien désolé de vous dire que c'était un immense baratin, encore pire que ce que j'aurais pu attendre. Un énorme mensonge : on y parle de nature, de produits naturels, alors que ce produit a été fabriqué, et que le naturel est ce qui n'a pas fait l'objet d'intervention par l'être humain... Bien peu d'ingrédients alimentaires sont naturels, et aucun aliment n'est naturel. 
 
Oui, aucun aliment n'est naturel, parce que tous les aliments ont été fabriqués. Tous ont fait l'objet de transformations par l'être humain, dans les cuisines domestiques, dans les «laboratoires » des artisans, dans les usines des industriels !
Allons plus loin : j'invite tous mes amis honnêtes à militer très activement contre l'utilisation abusive, déloyale du mot «  naturel » par les industriels ou les artisans de l'alimentaire.
Certes, bien souvent, l'emploi est simplement négligent ou ignorant, mais qui me fera croire que les cabinets de publicité ou de marketing de l'industrie alimentaire ignorent l'usage du mot « naturel » ? D'ailleurs, s'ils utilisaient le mot « naturel » fautivement par ignorance, ce serait encore plus grave ! 
Nous ne devons pas tolérer le mercantilisme déloyal. Luttons, luttons en écrivant aux services consommateurs des sociétés qui produisent ou vendent des aliments, luttons en écrivant aux services de l'État, afin qu'ils sanctionnent les fautifs. Luttons contre la déloyauté, la malhonnêteté !

Sur ce conditionnement, il y avait également une confusion entre goût, saveur, arômes. Cette confusion résultait à vrai dire d'un usage très métaphorique des mots, que leurs auteurs auraient justifié, sans doute, en invoquant le droit à un langage « poétique »... Et il est vrai qu'un marchand disant « Ah mes belles oranges » a le droit pour lui, car le « beau » est personnel. De même, il justifierait son discours « mon produit donne de l'énergie », car tout aliment ou ingrédient alimentaire, stricto sensu, apporte de l'énergie.
Mais on aura compris que, au delà des chicaneries, au delà de la mauvaise foi, je revendique de la loyauté, plus de loyauté qu'il n'est supporté de déloyauté aujourd'hui. 
J'invite tous mes amis honnêtes et loyaux à écrire au législateur pour réclamer plus de sévérité. J'invite tous mes amis des associations de consommateur, tous mes amis des ministères, en charge des produits alimentaires, tous mes amis engagés dans l'action politique, tous mes amis engagés dans l'éducation, à revendiquer, sinon pour nous-mêmes au moins pour nos enfants, à réclamer qu'un grand ménage soit fait. 
 
Même pour les mots qui désignent le goût ? Oui, même pour ces mots ! Il n'est pas nécessaire d'avoir fait de longues études pour être en mesure de dire que le goût est ce que l'on ressent quand on mange un aliment. Par exemple, quand on mange une banane, on a un goût de banane : on ne me fera pas croire que les publicitaires qui travaillent pour l'industrie alimentaire et qui, souvent, sortent des grandes écoles de formation des ingénieurs de commerce, ne sont pas capables de comprendre cela ?
Bref, le goût est une sensation synthétique, qui englobe la perception de la consistance, la perception des saveurs, des odeurs, du piquant et du frais.

Les saveurs ? Elles nous sont données par les cellules réceptrices des papilles, réparties sur la langue. 
C'est un autre combat de lutter contre la théorie fausse des quatre saveurs ; passons aux arômes. Là encore, il y a déloyauté à nommer arôme tout autre chose que ce qu'est un arôme : l'odeur d'une plante aromatique ! Une viande n'a donc pas d'arôme, pas plus qu'un fromage, un vin... Tout simplement, il y a l'odeur de la viande, il y a l'odeur des fromages, mais il y a l'arôme de la ciboulette ou du thym citron... 
Là encore, j'invite le législateur à refuser absolument l'emploi du mot arôme pour toute autre utilisation que l'utilisation juste. 

Il faut faire un grand ménage. Amis, luttons !

mercredi 1 septembre 2010

Le bon naturel rebondit très haut!

Le livre de cuisine de Jacques Médecin, La bonne cuisine du Comté de Nice, aux éditions Solar, comporte une préface où l'auteur ne fait pas preuve de modestie... mais ce n'est pas le point important ici.

Ce qui est "merveilleux", de naïveté, c'est la recette de purée de poisson salés (lou pissala) qui est donnée page 236. Les ingrédients en sont :
 

2 kg de palaïa (blanchaille de sardines et d'anchois)
500 g de sel mélangé à 15 g de cinabre (facultatif)
Clous de girofle
Laurier
Thym
Poivre en grains
Huile d'olive.


Oui, vous avez bien lu : 15 g de cinabre !
Les chimistes, à cette évocation, ont crié à l'empoisonnement, mais les autres, bercés par la bonne tradition niçoise, sont prêts à s'exécuter, à mêler le cinabre au sel.

Le cinabre ? C'est un sulfure de mercure. Or le mercure est un élément d'une grande toxicité. De fait, la présence de mercure libre dans le minerai de cinabre lui confère une toxicité indéniable. 

Pline l’Ancien considère que cette substance est un poison et déclare aventureux tout ce que l’on rapporte sur son emploi en médecine, il précise que l’on doit éviter qu’il pénètre dans les viscères ou touche une plaie (PLINE, HN, XXXIII; 42) : « ...De plus, le cinnabaris est excellent comme contre-poison et comme remède. Qu'arrive-t-il ? nos médecins y substituent le minium qui est un véritable poison, comme nous le démontrerons plus tard... »
 

Certes, le minium est, lui, un oxyde de plomb, lequel provoque la maladie nommée saturnisme.

Certes, le cinabre est "naturel", puisqu'il est un minerai... et c'est, à ce titre, un "don de dieu" (je réponds ainsi indirectement à une catholique fervente qui voyait l'artificiel comme mauvais, mais le naturel bon). Mais il s'accumule dans le rein, et le mercure est si toxique qu'un cuisinier qui en recommanderait l'usage pourrait sans doute être poursuivi pour empoisonnement !

Le "bon" naturel, disent-ils ? La "bonne" cuisine traditionnelle ?

 

Référence : 

Liu J, Shi JZ, Yu LM, Goyer RA,  Waalkes MP. 2008. Mercury in traditional medicines: Is cinnabar toxicologically similar to common mercurials?, Exp Biol Med (Maywood),  233(7), 810–817. doi:10.3181/0712-MR-336.