Je lis à propos d'aromates :
La mélisse citronnelle s'harmonise bien avec les plats de poisson, les volailles, les légumes grillés, et les sauces légères à base de citron. Sauces et marinades : Les feuilles de mélisse peuvent être utilisées pour aromatiser des sauces et des marinades, apportant une note de fraîcheur citronnée.
La menthe est utilisée dans différents cocktails, dans les infusions et dans certains plats. (Taboulé, rouleaux de printemps, tzatzíkis, jus de rôti d’agneau, etc.)
Romarin : il est utilisé dans les bouquets garnis, dans les plats à base de lapins, le poisson, etc.
Origan : cette herbe aromatique phare de la cuisine méditerranéenne, en particulier italienne, accompagne tous les plats à base de tomate : pâtes, pizzas, salades de tomates… L'origan séché rajoute un réel plus sur vos grillades, sur des légumes ou des pommes de terre au four, dans une salade ou dans une marinade.
Monarde : sert à parfumer les infusions ou le thé, mais on peut aussi ajouter les feuilles avec parcimonie dans les salades. Ses belles fleurs rouges accompagnent les salades de fruits, les glaces ou différents desserts.
L'hysope a une saveur intense ce qui en fait un ingrédient prisé dans la cuisine méditerranéenne depuis des siècles. Elle ajoute une saveur herbacée et légèrement mentholée aux soupes, aux sauces, aux ragoûts et aux plats de viande.
L'oseille est utilisée notamment : oseille braisée à la crème ; bouillon, jus d’oseille ; œufs, omelette, veau à l'oseille et avec le poisson.
Verveine : elle se déguste notamment dans le taboulé, dans un gaspacho, en tisane.
Laurier : On l’utilise dans les fricassées, dans les plats en sauces, les bouquets garnis, les marinades.
Et je trouve tout cela à la fois arbitraire, conventionnel, non sourcé (donc pas fiable), limité en un mot.
Commençons avec la citronnelle, qui s'harmoniserait avec du poisson. Pourquoi pas, mais pourquoi ? Parce que des populations asiatiques (thai, par exemple) font du poisson citronnelle ? Ne prennent-ils pas ce qu'ils trouvent chez eux ? Et pourquoi, puisqu'il y a une fraîcheur citronnée, ne pourrions-nous l'utiliser avec des crustacés, mais, aussi, avec du veau (on met bien du citron dans l'osso bucco, si l'on veut rester dans la tradition) ? Mais, au fait, la tradition ne vaut rien... que la tradition. Pourquoi ne pas utiliser la citronelle avec des tomates, des radis, des courgettes, du boeuf, de l'agneau ? Rien ne l'interdit, et c'est à nous de composer quelque chose qui nous convienne.
La menthe dans différents cocktails ? Mais, passé une certaine anglophobie qui confond l'usage des ingrédients et des modes de cuisson pas toujours maîtrisé, pourquoi pas de l'agneau avec de la menthe, du poisson avec de la menthe, de la menthe dans les salades, avec des carottes, et, plus généralement, avec ce que l'on veut ? Là encore, la convention et la tradition ne sont que convention et tradition. Au fait, oui, les Grecs utilisent la menthe dans les tzatzikis... mais alors ?
Le romarin dans les bouquets garnis ? Oui, certes, mais pourquoi l'y mettre ? Qui a commencé et pourquoi ? Avec du lapin : pourquoi pas, puisque la Provence le fait, mais pourquoi pas avec de la volaille ?
Et ainsi de suite : on comprend que les usages avérés dans le temps ou dans l'espace n'ont pas de légitimité particulière : pas plus que le fa dièse ne s'imposerait dans une sicilienne ou dans une symphonie. La question, la vraie question est : que voulons-nous faire sentir et pourquoi ? J'ai bien peur que l'art culinaire n'ait jamais posé cette question !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 28 octobre 2024
A propos d'aromates et de leurs usages
mercredi 19 juin 2024
Assez, avec les discussions idéologiques de l'alimentation !
Alors que le week-end se termine, que j'ai senti des odeurs de barbecue dans tout le quartier, on m'interroge sur la toxicité des aliments que l'on me dit "ultra transformés".
Je réponds évidemment en envoyant un article que j'avais publié à ce sujet et qui analysait une publication récente, scientifique, bien évaluée, montrant que les aliments "ultra transformés" n'existent pas, que ce sont des chimères au même titre que des "carrés ronds" ou les "Père Noël".
Or, avant de caractériser un objet, il s'agit d'en démontrer l'existence et oui, on peut parler de "carré rond" (la preuve : nous en parlons ici), mais cela ne prouve pas leur existence et on aura beau en parler pendant des années, les "carrés ronds" continueront de ne pas exister.
Le mot "ultra transformé" est un mot plein de pathos, ce qui n'a rien à voir avec la rigueur scientifique ou technologique. Il a été introduit par des chercheurs brésiliens que je n'aimerait pas avoir comme collègues (je veux de l'intelligence, de la bonté, de la droiture), qui, manifestement, avaient des comptes à rendre avec ce que certains nomment l'industrie alimentaire, mettant dans le même sac les coopératives qui produisent du lait ou de la farine et les fabricants d'aliments transformés que sont ces jambon, pizza, et cetera présents dans les supermarchés.
Une certaine idéologie veut s'opposer une cuisine plus domestique ou artisanale à l'industrie alimentaire, et cette idéologie utilise des arguments déplorables à ce propos, confondant industrie et additif, confondant également les différentes sortes d'additifs... car on n'oubliera pas que des gélifiants sont des produits de natures bien différentes des conservateurs, par exemple.
Mais surtout, s'il y a des questions de toxicité qui doivent être considérés, alors il y a lieu de les regarder honnêtement et par exemple, j'y reviens à propos du barbecue, il est utile de bien savoir que des viandes grillées au barbecue contiennent environ 2000 fois plus de benzopyrènes cancérogènes qu'il n'en est admis par la loi dans du saumon fumé vendu en supermarché.
D'ailleurs, dans le supermarché qui est près de mon domicile, le saumon fumé est produit par le poissonnier du supermarché, comme je le fais chez moi : avec les saumons qu'il ne vend pas, il fait du saumon fumé. Je ne suis pas certain que cet homme, qui utilise des techniques bien loin des techniques industrielles mise en œuvre pour faire le saumon fumé, soit garant de moins de toxicité que l'industrie : dans son fumoir local, il n'a aucun moyen de doser les benzopyrènes de ses saumons, ni d'en limiter la quantité, contrairement à l'industrie qui elle, à l'obligation de le faire et de noter sur le paquet les quantités correspondantes,.
Plus généralement, en matière de toxicité alimentaire, il faut redire que la question est bien mal traitée, notamment par ce qui croient pouvoir dire que la tradition (laquelle) ou la "nature" serait des garants d'innocuité. Car les viandes cuites à la braise sont chargées de base de benzopyrènes cancérogènes. Et la ciguë est parfaitement naturelle et parfaitement toxique.
Bref, la question est généralement très mal traitée, et elle fait l'objet de nauséabondes discussions idéologiques, ce qui est pire, car on cache quelque chose dans le débat, on ment en réalité sur la base d'idées que l'on veut promouvoir.
vendredi 1 décembre 2023
Tradition, innovation, patrimonial... Méfions-nous de nos acceptions exagérément mélioratives
Alors que nous lançons un programme européen nommé Tradinnovation, je vois que les mots tradition et innovation, qui forment la base du nom, sont très discutables.
Les traditions, en effet ne sont pas toutes bonnes : l'esclavage a été traditionnel !
De même, ce qui est "patrimonial" n'est pas nécessairement bon : certains gènes de prédisposition au cancer nous viennent de nos parents, certaines maladies génétiques, et un héritage est parfois une dette, comme le savent bien les notaires.
Et l'on a intérêt, également, à ne pas gober trop vite l'innovation.
En réalité, nos travaux ne doivent avoir qu'un objectif : faire un futur meilleur que le passé.
L'histoire montre que, progressivement, l'humanité s'est débarrasée de comportements intolérables. Nous avons évoqué l'esclavage, mais souvenons-nous aussi de la féodalité : chaque printemps, les chevaliers partaient en guerre pour aller conquérir les terres avoisinantes.
La guerre n'a hélas pas disparu, mais au moins n'est-elle plus systématique !
Il y a aussi l'école, qui est une innovation merveilleuse. Je ne dis pas qu'elle va parfaitement, mais, quand même, nos efforts portent certains fruits, notamment en matière de combat contre la pensée magique, cette pensée enfantine, irréfléchie, irrationnelle, qui fait le lit des tyrannies.
Chercher à comprendre c'est déjà désobéir mais surtout c'est commencer la lutte contre les tyrannies, refuser ce qu'elles veulent nous imposer. On se souviendra de René Descartes qui proposait de "N'accepter comme principe du raisonnement que ce dont il est impossible de douter", et "Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenteroit si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute".
Bref, il faut une pensée rationnelle, claire, loyale.
L'innovation, d'autre part, a une courte vue , quelle que soit l'acception qu'on lui donne, quand elle propose seulement de considérer comme merveilleuse des méthodes, des techniques qui sont seulement nouvelles, dont on a pas évalué l'intérêt moral. Cela doit se faire à titre individuel, mais aussi en termes collectifs, et, là encore, on ne tombera pas dans le piège d'une connotation méliorative du mot.
Et c'est l'occasion d'observer que les connotations sont très idiosyncratiques : pour certains, le mot tradition est un repoussoir, alors que c'est un sésame pour d'autres ; idem pour innovation (avec souvent une interversion des groupes).
Bref, finalement, au cours de nos travaux, nous aurons intérêt à passer tout ce que l'on nous proposera au filtre d'une analyse rationnelle, intelligente.
vendredi 1 mai 2020
Questions de toxicité
Cette fois-ci, il faut que je vous parle de quelque chose qui sort de mon domaine. Cela ne signifie pas que je n’y connaisse rien, puisqu’il sera question de chimie, mais les matières évoquées ne font pas l’objet de mes travaux personnels. Je lis les « bons auteurs », dans des « revues sérieuses », afin de bien comprendre les faits, et d’en tenir compte dans mes études, mais mon intérêt est ailleurs.
Cette précaution prise, permettez-moi de commencer en évoquant le cas extraordinaire de la controverse entre deux cuisiniers espagnols : Santi Santamaria (décédé) et Ferran Adria.
Les faits d’abord, avant les interprétations : Santamaria, qui se disait fils de paysan et attaché au « terroir » (qu’entendait-il par ce terme ?), avait attaqué la cuisine moléculaire par voie de presse, en accusant Ferran Adria de servir à ses clients plusieurs grammes de méthylcellulose et d’autres additifs néfastes pour la santé. L’attaque était grave : en gros, Adria et les cuisiniers moléculaires auraient été des empoisonneurs. On a fait des procès retentissants pour moins que cela.
Les interprétations, maintenant, avant que je ne fournisse les données pour savoir si, oui ou non, il y a des dangers à utiliser des additifs, comme cela est périodiquement dit par des factions variées. Mon interprétation principale est la suivante : je trouve troublant que Santamaria ait fait cette attaque au moment même où il publiait un livre. N’est-ce pas le meilleur moyen de se faire une extraordinaire publicité (et ça a marché : la preuve, nous en sommes à en parler) et de vendre son livre ?
Effaçons vite de notre esprit la pensée de personnages que je n’estime pas en raison de leurs actes que je condamne, pour examiner la question passionnante de la toxicité, en cuisine. Oui ou non les additifs sont-ils mauvais pour la santé ? Et, inversement, y a-t-il des aliments « bons pour la santé », comme une certaine industrie ne cesse de nous le dire ?
La question des additifs
Commençons par la méthylcellulose : c’est un additif alimentaire autorisé par l’Union européenne, sous le numéro E 461. C’est une poudre blanche, qui forme un liquide visqueux et qui gélifie à chaud. D’où sort-elle ? L’industrie qui la fabrique part de cellulose, matière qui se trouve dans toutes les plantes et qui, à l’état pur, forme le coton hydrophile. C’est une matière qui n’est pas assimilables par les êtres humains, parce que ceux-ci ne sont pas des ruminants, dont les micro-organismes intestinaux fermentent le produit. On dit que c'est une "fibre".
Toutefois, la cellulose n’est pas soluble dans l’eau. Aussi, l’industrie a-t-elle appris à rendre la cellulose soluble (mais toujours non assimilable) en la modifiant moléculairement. Oui, moléculairement : est-ce grave ? Nous y reviendrons.
La méthylcellulose est sans danger, au point que l’industrie pharmaceutique la préfère aujourd’hui à la gélatine, pour faire ses enrobages. En outre, les quantités nécessaires pour faire des gels sont infimes, parce que c’est un très bon agent gélifiant. Les gels obtenus sont amusants, culinairement parlant : à l’inverse de la gélatine, ils prennent à chaud, et se défont à froid.
Et si l’Union européenne considère la méthylcellulose comme utilisable par l’industrie alimentaire, c’est que la méthylcellulose a passé un grand nombre de tests de toxicologie, et qu’elle les a passés avec succès… comme les autres additifs.
Additifs ? J’ai déjà évoqué le code E 461 de la méthylcellulose ; c’est un cas particulier d’une liste qui comprend tout aussi bien des gélifiants que des colorants, des agents antioxygène, des conservateurs… Bref, de ces produits que les « gens du terroir » (à nouveau, de quoi s’agit-il ?) détestent, parfois par méfiance, par prudence dirons-nous en étant charitable, parfois par idéologie (ces produits sont souvent utilisés par l’industrie alimentaire, laquelle, pour certains, est un démon capitaliste à abattre, avec des multinationales tentaculaires), parfois par conviction, parfois…
Sans prendre parti, pour l’instant, explorons la liste. Elle est très hétérogène, puisqu’elle comprend par exemple le caramel (E 150), ou le rocou (E 160b), colorant alimentaire largement utilisé en Amérique du sud, le lycopène (E 160d), qui est le colorant des tomates, le dioxyde de titane (E 171), colorant blanc utilisé par les pâtissiers… De même, dans la catégorie des conservateurs et agents antioxygène, on trouve l’acide benzoïque (E 210) à côté du métabisulfite de sodium (E 223), de l’acide lactique (E 270), de l’acide ascorbique (E 300), qui n’est autre que la vitamine C… Les agents de texture ? L’amidon fluide (E 1400) est dans cette catégorie, à côté du tartrate de calcium (E 354, les cristaux au fond des bouteilles de vin), de l’agar-agar (E 406), de la gomme adragante (E 413), qui était préconisée dans les livres de cuisine du 19e siècle comme fixateur de la crème chantilly…
Au total, ce qu’il faut remarquer, c’est que les composés sont très divers. Certains sont d’usage classique et courant, en restauration ou en cuisine domestique. D’autres sont inhabituels et pourraient le devenir. D’autres encore n’ont pas de raison de figurer.
Ne jamais chercher à convaincre
Au total, ces produits sont-ils dangereux ? Ne comptez pas sur moi pour le dire, ni pour dire l’inverse, car je ferais alors quelque chose d’inutile. L’expérience m’a montré qu’il est complètement inutile, inefficace, idiot même, de vouloir convaincre ceux qui ne veulent pas l’être. Par exemple, cela fait des années que, questionné à propos d’OGM, je réponds la chose suivante : soit mon interlocuteur et moi-même les jugeons sans danger, ou les jugeons dangereux, et cela ne sert à rien d’en parler ; soit l’un de nous les trouve dangereux et l’autre les trouve admissibles, et une réponse de ma part ne convainc pas, mais me fait perdre un ami. Alors, à quoi bon ?
Pour la question des additifs, il en va de même. Si j’en prenais le parti, je perdrais des amis sans convaincre personne. D’ailleurs, pourquoi en prendrais-je le parti ? Parmi ces produits, certains sont intéressants et d’autres sont inutiles ! Par exemple, il est connu que le métabisulfite de sodium, pourtant utilisé par nombre de vignerons, n’est pas aussi anodin que l’agar-agar. Je n’ai aucune raison de préconiser son usage en cuisine… mais les vignerons me diront souvent que les vins blancs sont fragiles, microbiologiquement, et que l’emploi du produit s’impose. D’ailleurs, il est amusant de voir certains partisans de la biodynamie refuser à tout prix ce produit… et mécher les tonneaux avec du soufre ! Le soufre qui brûle engendre le dioxyde de soufre, qui a la même toxicité que le métabisulfite de sodium, mais il est bien plus difficile à doser.
Donc je ne prendrais pas inutilement le parti de tous les additifs, car cela me vaudrait une fois de plus d’être considéré comme un suppôt de l’industrie chimique, ce que je ne suis pas. Je ne cherche pas à convaincre : je cherche seulement à distribuer des connaissances pour que chacun se détermine personnellement, pour que chacun fasse des choix éclairés.
La nature n’est pas une garantie
Par exemple, je trouve insensé que certains cuisiniers utilisent des huiles essentielles avec si peu de discernement. Par exemple, autant l’estragon est utilisable en cuisine, autant l’usage d’une huile essentielle d’estragon serait critiquable, parce que l’estragole que contient l’estragon, tératogène (il engendre des malformations des fœtus) et cancérogène, concentré dans l’huile essentielle, est alors dangereux. De même pour des huiles essentielles de noix muscade, de laurier, mais aussi de bien d’autres plantes.
La concentration est-elle la caractéristique qu’il faut redouter ? Non : j’ai récemment rencontré un cuisinier qui faisait des infusions de grappes de tomate. Oui, l’odeur est plaisante, fraîche, mais je préfère ne jamais manger dans le restaurant de ce professionnel. Ce serait la même chose pour quelqu’un qui abuserait des peaux de pomme de terre, des haricots verts crus, des haricots blancs crus…
L’origine « naturelle » des produits n’est pas une sécurité : pensons à la cigüe, à l’amanite phalloïde. Renseignons-nous bien avant de faire manger des produits nouveaux, dont nous ignorons la toxicité.
Et je répète que les additifs ont été testés et retestés : l'Académie d'agriculture de France a organisé une séance publique, l'an passé, pour discuter cette question, présenter publiquement les méthodes et les résultats.
La tradition n’est pas une garantie
Si l'on craignait ou si l'on craint les additifs, faut-il alors se réfugier dans la tradition ? Hélas, ce refuge n’est pas sûr ! N’oublions pas que nos ancêtres ne savaient rien des effets à un peu long terme des produits. Ils voyaient bien si quelqu’un était aussitôt malade en consommant des produits, mais ils n’avaient aucun moyen épidémiologique pour estimer l’influence à long terme des consommations alimentaires.
Par exemple, il a fallu de nombreuses études pour montrer que le fumé est dangereux… au point que les populations nordiques, qui mangent plus d’aliments fumés que les autres Européens, ont plus de cancers digestifs. Là, il n’y a pas de doute : les benzopyrènes qui viennent se déposer sur les viandes ou poissons fumés sont cancérogènes de façon certaine ! Le danger est, pardonnez-moi d’y revenir, considérablement plus grand que celui de la méthylcellulose. Il est avéré, certain, mesuré, étudié…et nous continuons de consommer des viandes grillées au barbecue. Et le risque est réel. Au fond, nous sommes bien hypocrites : quand cela nous arrange, nous refusons la consommation de produits, mais nous n’hésitons pas à manger du sucre, du saumon fumé, des grillades au feu de bois…
Que manger ? Que cuisiner ? Je crois que la profession a besoin d’informations qu’elle n’a pas suffisamment. C’est un des objectifs de la Fondation Science & Culture Alimentaire que de mettre en ligne, pour le monde culinaire, des informations fiables, sur ces questions. Il ne s’agit pas de convaincre, mais d’informer.
mercredi 5 février 2020
Ne pas tout confondre par ignorance ou par idéologie
Alors que le restaurant de Paul Bocuse vient de perdre sa troisième étoile, je vois un journaliste prendre la défense de ce restaurant et dire que là, enfin, on a de la vraie cuisine française et pas ces viandes standardisées cuites à basse température.
Je ne cherche pas ici à prendre parti pour ou contre la troisième étoile du restaurant où Paul Bocuse n'est plus, mais simplement de discuter cette idée selon laquelle le rôtissage ou d'autres cuissons de ce type (lesquelles ?) vaudraient mieux que la cuisson à basse température.
Et je tiens à signaler immédiatement que la critique faite aux cuissons basses température s'apparente en tous points au critiques que faisaient certains, au début du 20e siècle, quand le gaz est arrivé à tous les étages et que l'on a cuit autrement que par du bois ou du charbon. D'ailleurs, ces critiques sont du même type que celles qui sont apparues quand on a introduit les mixers, avec lesquels on a fait des farces bien plus fines que par le passé, au tamis, en y passant des heures. Ou quand on a commencé à utiliser les feuilles de gélatine plutôt que le pied de veau. Ou encore quand on a produit des mousses au siphon, au lieu de passer de longs moments au fouet. Et ainsi de suite...
Dans tous ces cas, on ne peut s'empêcher de penser à la crise des canuts à Lyon, ou aux Luddites, c'est-à-dire quand des techniques modernes ont mis des gens au chômage. Oui, dans chaque cas, il y a l'avènement de systèmes techniques modernes qui facilitent le travail, mais qui sont refusés pour des raisons en réalité idéologiques, politiques. Mon point de vue : si c'est le cas, disons le franchement, sans incriminer la technique pour ce qu'elle produit, mais pour ses conséquences.
Mais revenons à cette question de la basse température pour observer que les grands auteurs de cuisine du passé, en France, n'avaient pas de mots assez élogieux pour le braisage, cette grande opération culinaire française classique, qui fait des viandes parfaitement tendres.
Le braisage se faisait dans une braisière, cendres dessus et dessous, et c'était en réalité de la cuisson à basse température, sauf que l'on avait le plus grand mal à contrôler la cuisson et que l'on savait bien que le moindre coup de feu ruinait tout. Un coup de feu, cela signifie passer à plus haute température, et effectivement, c'est pour les éviter que la cuisson basse température a été introduite.
La cuisson à basse température, il faut le répéter, c'est du braisage, et du braisage parfait en quelque sorte.
De sorte que le journaliste dont il était question au début de ce billet n'a rien compris techniquement, à moins qu'il ait tout mélangé volontairement, pour des raisons politiques ?
Dans toutes ces affaires, il y a la question du mélange entre l'appréciation technique et l'idéologie. On comprend bien que certains individus puissent avoir peur de perdre une compétence unique, un savoir-faire, voire leur emploi. Cela est légitime, mais c'est une autre affaire que la question technique elle-même.
Bref, il y a soit un peu d'incompétence technique, sois un peu de malhonnêteté idéologique à faire la critique qui a été faite contre la cuisson à basse température.
D'autant que « la » cuisson à basse température n'existe pas : il y a mille cuissons à basse température, et les résultats sont tous différents. De même, la fraise n'existe pas : il y a mille fraises différentes, aux goûts tous différents.
À propos de la cuisson basse température, on est donc dans une généralisation hâtive et déplacée, et je retrouve une fois de plus, pour des raisons qu'il faut bien élucider, la vraie la grande querelle entre Aristote et Platon. Le Beau n'existe pas : il y a des beaux. Le Bon, idem. La Fraise, la Bonne Cuisson... Tout cela, c'est du fantasme, et le monde est bien plus beau que s'il y avait une voie unique.
Il y a mille belles cuissons, et c'est en le reconnaissant que nous ferons grandir l'Art culinaire.
mercredi 29 janvier 2020
Modernisons la tradition pour l'améliorer
Il existe un plat alsacien célèbre nommé Baeckahofa, qu'il est très difficile de trouver bon, car c'est un de ces plats où il faut à la fois de remarquables ingrédients et beaucoup d'intelligence culinaire.
Le plat est fait dans une espèce de terrine vernissée, et il comprend un mélange de plusieurs viandes : porc, agneau, veau ou bœuf, avec un pied de veau ou de porc, des pommes de terre, des oignons, du vin blanc et des aromates. On couvre et l'on cuit longuement, jadis dans le four du boulanger.
Souvent, c'est l'analyse des défauts qui nous met sur la voie des améliorations. En l'occurrence, les défauts courants sont :
- trop de liquide au lieu d'une sauce nappante,
- des pommes de terre qui se défont,
- de la viande qui reste dure.
Pour autant, qui nous dit que la technique traditionnelle de préparation de ce plat est bonne ?
Car si on veut attendrir de la viande, par exemple, autant le faire spécifiquement. Ou si l'on veut éviter que les pommes de terre se défassent, choisissons les pommes de terre qui ne se défont pas, et évitons de les cuire trop longtemps. Si l'on veut éviter d'avoir trop de liquide, réduisons-le.
Et c'est ainsi que je propose une recette modernisée, qui consiste à faire d'abord cuire le pied dans le vin, afin de faire passer de la gélatine en solution tandis que la chair s'amollit.
En fin de cuisson (deux jours à tout petit feu), on désosse les pieds, et on coupe la chair en petits morceaux, que l'on met tans la terrine avec le liquide de cuisson, la viande et les aromates.
Une longue cuisson à basse température (un jour, par exemple) permet alors d'attendrir les viandes, de les avoir fondantes.
Enfin, on ajoute les rondelles de pommes de terre, et l'on cuit une heure ou deux au four, terrine couverte, pour que les pommes de terre soient fondantes sans se défaire.
Finalement, si le liquide est trop abondant, on le réduira à part, dans une casserole.
Vous m'en direz des nouvelles !
samedi 19 octobre 2019
Les aliments traditionnels sont-ils sûr ?
Les aliments traditionnels sont-ils sûr ? Hier encore, j'entendais un collègue dire (de façon erronée, disons-le immédiatement) que les aliments traditionnels étaient sûrs : il en prenait pour preuve que ces aliments avaient été consommés depuis très longtemps.
Ne peut-on dire, au contraire, que cette ancienneté est signe de péremption ? Expliquons-le à partir d'une observation : je propose que nous croisions le traité d'Hildegarde de Bingen, qui propose l'usage de plantes variées pour des applications alimentaires, thérapeutiques ou cosmétiques, avec le Compendium des plantes toxiques publiés par l'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments (Efsa). Il est tout à fait extraordinaire de voir que les plantes recommandées par Hildegarde de Bingen sont très souvent à l'origine d'intoxications qui conduisent les consommateurs dans les centres anti-poison, mais il y a pire : certaines plantes qui sont utilisées en infusion pour soigner divers petits désagréments (vertiges, nausées, maux de tête, etc.) provoquent des cancers dix ans plus tard. En réalité, les ingrédients alimentaires traditionnels n'ont jamais été testés toxicologiquement, et l'on peut supposer que beaucoup serait retoqués aujourd'hui s'ils étaient évaluées par les test que l'on fait passer aux "novel food". Autoriserait-on la noix muscade ? Je ne crois pas. La cannelle ? Les choux, même ? Ou encore les pommes de terre ?
Pour ce qui concerne la médecine, je dis souvent que les médecines, traditionnelles, anciennes, sont surtout périmées, mais je propose que nous soyons, avec les aliments, plus prudents que mon collègue évoqué en début de billet !
lundi 26 mars 2018
La cuisine "traditionnelle" : un art populaire
- il y a certainement une question technique : tailler des légumes en brunoise, faire gonfler un soufflé, mouler des quenelles, parer un poisson...
- mais il y a la question de faire "bon", c'est-à-dire "beau à manger" : c'est là une question artistique
- et l'on cuisine pour autrui : à défaut d' "amour", qui est une volonté personnelle, il y a en tout cas du lien social, car ce n'est pas rien d'accepter de mettre dans notre corps une préparation d'autrui.
Tout cela étant dit, je reviens au deuxième terme, à savoir la question de l'"art" culinaire, et de ses relations avec l'artisanat. Cette question me taraude depuis longtemps, car si certains cuisiniers sont certainement des artistes, avec cette volonté de produire du nouveau, bien souvent les cuisinières et les cuisiniers, domestiques ou de restaurant, restent étonnamment collés à des préparations anciennes, de sorte que l'on pourrait penser à de l'artisanat. Et là, la limite est floue, car bien des artisans veulent faire "beau", tout comme des artistes.
Où se met la limite ? Pour l'artisanat, souvent le beau se limite à du "bien fait", mais dans certains artisanats, il y a plus : ce tour de main personnel qui fait échapper à la reproduction selon des canons strictement professionnels. Notamment, en cuisine, on voit bien le cuisinier ou la cuisinière ajouter sa "patte" : une écorce d'orange ou de pamplemousse dans une blanquette, un croûton grillé dans une daube, quelques raisins secs dans un ragoût...
De quelle nature est cette activité, alors ? Comment se situe-t-elle par rapport à l'art ? Si le bon est le beau à manger, alors c'est bien de beau qu'il est question en cuisine. Mais le beau relève-t-il seulement de l'art ? Je crois qu'une piste est l'idée d'art populaire.
Une petite recherche montre que ce que l'on qualifie d'art populaire s'applique aux objets de la vie quotidienne soit fabriqués artisanalement, soit fabriqués par le public, le "peuple".
Dans un texte, j'ai vu que les fondateurs du Musée National des Arts et Traditions populaires de Paris (1937) avaient initalement voulu le nommer « Musée du Folklore » ; ils oeuvraient dans la continuité des éditeurs et des auteurs de l'Encyclopédie, dont la véritable innovation fut de mêler des sujets parfaitement scientifiques à des sujets plus techniques, ce que Denis Diderot nommait les « arts mécaniques », dont il voulait une description ethnographique : avec d'Alembert, Diderot insista pour que des dessinateurs représentent en détail les machines et les gestes des ouvriers, interrogent les maîtres artisans.
Dans le même esprit, André Thouin (1747-1824), qui fut jardinier du roi et professeur d'agriculture, fit fabriquer des modèles réduits d'outillages et de machines agricoles. Puis, à la Révolution, l'abbé Grégoire (Henri Grégoire, 1750-1831) explora les patois et mœurs des gens de la campagne », afin d'accélérer les échanges entre la ville et la province.
A la Révolution française, la fin de l'Académie royale marque la fin des premières études folkloriques institutionnelles en France, tandis que la vogue des voyages conduit à des accumulations de souvenirs, observations et témoignages. Le baron Isidore Taylor (1789-1879) publie, de 1820 à 1863, vingt-quatre volumes de Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France, où il décrit les monuments, les mœurs des populations et les costumes régionaux. La vie paysanne est également attestée par des peintres et par des écrivains (Millet, Balzac, George Sand...).
D'autres pays ne souffrent pas du coup d'arrêt de la Révolution française. Par exemple, l'Allemagne élabore le concept de Volk (« peuple »), accompagné du Volkstum, « pensée et sentiment populaires », et du Volkskunde, « culture populaire ». Ici, le terme « populaire » évoque le peuple non pas comme la partie de la population exclue de la culture dominante, mais dans une acception historique.
En Angleterre, on parle de « folklore » (de folk, « peuple », et de lore, « savoir ») : ici, le mot « peuple » désigne les classes populaires de la société. Le terme « folklore » ne sera adopté par la France qu'un demi siècle plus tard.
Et, à la fin du 19e siècle, les études folkloriques fleurissent, portées par les nationalismes : littérature orale, musique, artefacts… En France, Paul Sébillot, Pierre Saintyves et Charles de Sivry, niment la Revue des traditions populaires, publiant un Folklore de France.
Enfin la culture populaire est vraiment reconnue en 1937, avec la création à Paris du Musée National des Arts et Traditions populaires. Les objets considérés comme œuvres de la culture populaire appartiennent à tous les domaines, et l'on distingue que les productions populaires ont deux sources : la fabrication domestique et le savoir-faire des artisans. Après plus de 70 ans d'existence, il a fermé en 2005, et ses collections ont été transférées au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM), qui a ouvert le 7 juin 2013 à Marseille.
Tout cela est éclairant : je propose de distinguer de l'art culinaire savant, et de l'art culinaire populaire, dont relèvent l'artisanat et le beau que nous produisons dans nos cuisines, à la maison. Et j'en reviens à des définitions que je donnait naguère : dans un cas, il y a l'oeuvre unique, alors que, dans l'autre cas, il y a la répétition avec des variations, mais selon des canons pas remis en cause (une blanquette, c'est du veau revenu, avec lait, crème, champignons de Paris ; du coq au vin, c'est du coq avec du vin, garniture aromatique...).
mercredi 27 décembre 2017
Il y a deux difficultés, dans cette question.
D'abord, le traditionnel des uns n'est pas le traditionnel des autres.
Le traditionnel des Alsaciens n'est pas celui des Provençaux, et, même, le traditionnel des Haut-Rhinois n'est pas celui des Bas-Rhinois. Mieux encore, dans mon village, il y a une tradition des crécelles (Ratscha) d'avant Pâques, qui n'existe pas dans les villages voisins, mitoyens. Bref, "le" traditionnel n'existe pas. De sorte qu'il ne peut être bon (les carrés ne sont pas ronds, de sorte que leurs "angles" ne sont pas de 90 degrés, par exemple).
Supposons, pour simplifier que le traditionnel soit notre traditionnel à nous, individu. Qu'il soit bon ou non, peu importe, car il est traditionnel, et cela fait des millénaires que l'on sait qu'il est inutile de discuter des goûts, car chacun a les siens, qui n'ont aucune valeur universelle. A quoi... bon en discuter ?
Cela étant, dans la question, il y a aussi la difficulté du mot "bon".
Dans le bon, il y a le sain, le non toxique, mais il y a aussi le « ce que j'aime ». Or nous aimons souvent ce que nous avons appris à manger quand nous étions plus jeunes, que cela soit sain ou non. Pour l'Alsacien, le munster est bon, mais il ne l'est pas pour certains de nos amis asiatiques. Pour certaines populations, les scorpions grillés sont un régal, mais l'expérience m'a montré que mes collègues parisiens n'étaient pas prêts à en manger. D
'un point de vue toxicologique, le munster ne présente pas de risque quand il a été « « bien fait », pas plus que les scorpions grillés quand ils ont été bien grillés.
Reste alors la question toxicologique : manger sain. Là, encore, difficile de généraliser. Il est vrai que certains groupes humains ont appris à rendre comestible des ingrédients qui ne l'étaient pas. Par exemple, les haricots blancs contiennent des composés toxiques que la cuisson détruit. Le manioc, également, est toxique, quand il n'est pas préparé, et les êtres humains ont trouvé une façon traditionnelle d'assainir le tissu végétal. En revanche, il est de nombreux cas où l'humanité croit manger sainement parce qu'elle mange traditionnellement, mais s'intoxique sans le savoir. Dans nombre de remèdes dits fautivement "naturels", il est proposé des ingrédients dangereux.
Mais cela, personne ne veut le savoir. Et il y a aussi les cas où l'on mange du malsain en ne voulant pas le savoir (barbecue, par exemple).
Bref, bien des difficultés pour une simple question !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
jeudi 2 mars 2017
A propos de laquage
Surtout, il me fait état de pratiques "classiques", qui sont donc empiriques, alors que je propose toujours de partir de l'objectif, pour trouver le chemin qui y mène.
C'est ce que je discute sur le blog "gastronomie moléculaire" : http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/03/la-question-du-laquage.html
samedi 7 janvier 2017
Otto Hahn ? Disons plutôt Diderot ou Parmentier.... toutes proportions gardées
En somme vous seriez un Otto Hahn tendance margarine ?
La margarine, je vois ce que c'est, bien sûr : elle fut mise au point en France en 1869, à la suite d’un concours lancé par Napoléon III pour la recherche d’un « corps gras semblable au beurre, mais de prix inférieur, apte à se conserver longtemps sans s'altérer en gardant sa valeur nutritive ». En effet, il fallait suppléer au beurre qui, à cette époque, était cher, rare et se conservait mal. Le pharmacien français Mège-Mouriès réalisa une émulsion blanche résultant de graisse de bœuf fractionnée, de lait et d’eau, baptisée « margarine » (à partir du grec μάργαρον, márgaron, blanc de perle et du mot polyalcool-glycérine).
Puis les progrès de la science, au début du XXe siècle, et notamment la découverte des procédés d’hydrogénation des huiles, permirent de remplacer la graisse de boeuf par des huiles et graisses végétales dans la fabrication des margarines.
Pour Otto Hahn, d'autre part, il y a beaucoup à dire, parce que ce physicien allemand, né le 8 mars 1879 à Francfort-sur-le-Main, et mort le 28 juillet 1968 à Göttingen, découvrit des éléments chimiques, l'isomérie nucléaire, etc. Il fut lauréat du prix Nobel de chimie, en 1944, pour la découverte de la fission nucléaire, et il est considéré comme le « père de la chimie nucléaire ».
Pourquoi serais-je un Hahn de la margarine ?
Soit mon interlocuteur est bienveillant, soit il ne l'est pas entièrement (disons qu'il est "inquiet").
S'il est inquiet, il voit derrière Hahn le nucléaire de la bombe (en oubliant peut-être le nucléaire civil, qui va de l'hôpital à l'ampoule électrique). Et il voit dans la margarine un succédané de basse qualité, ou, disons, un produit moins bon que le beurre. Là, je vois mal la comparaison, car l'application de la gastronomie moléculaire (qui serait le pendant de la chimie nucléaire, pour mon correspondant) serait la cuisine note à note. Or celle-ci veut nourrir, au lieu de tuer. Pourrait-elle empoisonner à grande échelle ? Pas plus que la cuisine classique... dont on doit observer aujourd'hui qu'elle est à l'origine de la pandémie d'obésité actuelle. Et la cuisine note à note menace-t-elle les "traditions" ou les "cultures" ? Je fais observer que les traditions ne sont pas toutes bonnes : pensons à l'esclavage. La "culture" ? La cuisine note à note sera derrière de l'art culinaire moderne, nouveau, qui viendra s'ajouter à l'art ancien, comme la musique de Debussy s'est ajoutée à celles de Bach ou de Mozart.
Si mon interlocuteur est bienveillant, alors il me souhaite un prix Nobel... et c'est aimable de sa part, même si je ne vois guère ce prix pointer : d'ailleurs, depuis quelques années, alors que je travaille paradoxalement bien plus que par le passé, je ne sais pas pourquoi je ne reçois plus guère de prix. Mais ce n'est pas grave : la vertu est sa propre récompense, non ?
Finalement, je me vois mal dans Otto Hahn ou dans la margarine. Toutes proportions gardées, je me vois plutôt dans un Diderot, pour mes efforts de réflexions et d'éclairement, ou dans un Parmentier, pour la cuisine note à note, et son importance dans l'alimentation du monde, dans les décennies qui viennent.
Mais tout cela nous fait voler à des altitudes bien excessives. Travaillons, avec précision, soin, concentration, au lieu de briguer des honneurs bien inutiles. Oui, inutiles : aucune décoration et aucun prix ne nous donneront la prochaine grande idée scientifique après laquelle nous nous languissons.
mardi 2 avril 2013
E 413
mercredi 1 septembre 2010
Le bon naturel rebondit très haut!
Le livre de cuisine de Jacques Médecin, La bonne cuisine du Comté de Nice, aux éditions Solar, comporte une préface où l'auteur ne fait pas preuve de modestie... mais ce n'est pas le point important ici.
Ce qui est "merveilleux", de naïveté, c'est la recette de purée de poisson salés (lou pissala) qui est donnée page 236. Les ingrédients en sont :
2 kg de palaïa (blanchaille de sardines et d'anchois)
500 g de sel mélangé à 15 g de cinabre (facultatif)
Clous de girofle
Laurier
Thym
Poivre en grains
Huile d'olive.
Oui, vous avez bien lu : 15 g de cinabre !
Les chimistes, à cette évocation, ont crié à l'empoisonnement, mais les autres, bercés par la bonne tradition niçoise, sont prêts à s'exécuter, à mêler le cinabre au sel.
Le cinabre ? C'est un sulfure de mercure. Or le mercure est un élément d'une grande toxicité. De fait, la présence de mercure libre dans le minerai de cinabre lui confère une toxicité indéniable.
Pline l’Ancien considère que cette substance est un poison et déclare aventureux tout ce que l’on rapporte sur son emploi en médecine, il précise que l’on doit éviter qu’il pénètre dans les viscères ou touche une plaie (PLINE, HN, XXXIII; 42) : « ...De plus, le cinnabaris est excellent comme contre-poison et comme remède. Qu'arrive-t-il ? nos médecins y substituent le minium qui est un véritable poison, comme nous le démontrerons plus tard... »
Certes, le minium est, lui, un oxyde de plomb, lequel provoque la maladie nommée saturnisme.
Certes, le cinabre est "naturel", puisqu'il est un minerai... et c'est, à ce titre, un "don de dieu" (je réponds ainsi indirectement à une catholique fervente qui voyait l'artificiel comme mauvais, mais le naturel bon). Mais il s'accumule dans le rein, et le mercure est si toxique qu'un cuisinier qui en recommanderait l'usage pourrait sans doute être poursuivi pour empoisonnement !
Le "bon" naturel, disent-ils ? La "bonne" cuisine traditionnelle ?
Référence :
Liu J, Shi JZ, Yu LM, Goyer RA, Waalkes MP. 2008. Mercury in traditional medicines: Is cinnabar toxicologically similar to common mercurials?, Exp Biol Med (Maywood), 233(7), 810–817. doi:10.3181/0712-MR-336.
samedi 27 mars 2010
La maison du grand père
Soyons clairs : mes divers textes sont une émanation de mon travail de « gastronomie moléculaire », laquelle est une étude scientifique de la cuisine. Discipline iconoclaste ? Certes, elle montre parfois que la cuisine est un mélange d’observations remarquables, d’interprétations souvent fautives et des gestes pas toujours utiles, mais elle cherche surtout la vérité. Si de grands cuisiniers du passé ont fait des erreurs, il peut sembler iconoclaste de le souligner, mais doit-on transmettre des erreurs ou la vérité ? Doit-on cacher les drames familiaux ou, au contraire, les reconnaître avec sincérité ?
Cette question s’accompagne d’autres interrogations que je vous propose d’examiner ici : avons-nous le droit de mettre en cause la tradition culinaire ? devons-nous respecter la tradition culinaire française ? pouvons-nous endosser la responsabilité de conduire la cuisine à évoluer ?
Des faits, tout d’abord : la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique, c’est-à-dire une recherche ; ce n’est ni une méthode d’enseignement, ni une technique. La différence ? La technique, premièrement, c’est l’exécution de gestes ; l’enseignement, deuxièmement, est une transmission des connaissances ; la science, enfin, est une exploration du monde.
C’est ainsi que la cosmologie explore l’Univers (comment s’est-il formé ? comment évolue-t-il ?), que la géologie veut comprendre le Globe terrestre (a-t-il un noyau solide au coeur du plasma liquide qu’il a en son centre ?), que la botanique veut comprendre les plantes, la zoologie les animaux, la chimie les réactions chimiques, la physique les phénomènes physiques… A chaque science son objet d’étude, lequel est une partie du monde où nous vivons. Pour la gastronomie moléculaire, cette partie du monde est la cuisine (et, un peu, la dégustation). Partie importante, si l’on songe que chaque foyer, si petit qu’il soit, a toujours une cuisine ! Il fallait bien une science pour en explorer les mystères.
Science, ai-je dit : qu’est-ce que la science ?
La science est cette activité qui observe les phénomènes et qui cherche à les comprendre. Pour la gastronomie moléculaire, il s’agit de chercher les mécanismes des transformations culinaires, lesquelles sont essentiellement de nature chimique, physique ou biologique.
La méthode d’étude que pratiquent les chercheurs est ce que l’on nomme la méthode expérimentale, qui procède de la façon suivante : partant d’un phénomène (les soufflés gonflent), on effectue des mesures pour caractériser le phénomène ; puis, sur la base de ces mesures, on cherche une théorie (on se demande si les soufflés gonflent parce que les bulles d’air des blancs en neige se dilatent) ; puis on cherche à réfuter la théorie, soit par le calcul, soit par des expériences (on calcule très facilement que, si les soufflés gonflaient en raison de la dilatation des bulles, le gonflement ne serait au maximum que de 20 pour cent) ; sur la base des réfutations effectuées, on change la théorie ou on l’affine (les soufflés gonflent surtout en raison de l’évaporation de l’eau), et on continue à chercher des réfutations.
On le voit, la science n’est jamais satisfaite d’elle-même, parce qu’elle sait que toute théorie est fausse, ou, du moins, que toute théorie ne décrit qu’imparfaitement les phénomènes. Et c’est parce qu’elle « tient le probable pour faux jusqu’à preuve du contraire » que la science évite le dogmatisme, le contentement de soi, l’aplomb de la certitude.
A bas les idoles
La cuisine, au moins pour sa composante technique (j’ai suffisamment crié que la cuisine, c’est de l’amour, de l’art et de la technique), est étudiée par la gastronomie moléculaire de deux façons, parce que les recettes, transmises par écrit ou oralement, ont deux aspects : la recette donne une définition (un pot-au-feu, dans le principe, s’obtient par chauffage de viande dans l’eau), d’une part, et des « précisions », d’autre part (ce que je nommais naguère des dictons, tours de main, pratiques, on dit…). Du coup, la gastronomie moléculaire doit comprendre les définitions, et tester les précisions.
Ces études conduisent évidemment à réfuter les grands auteurs du passé : Marin, Carême, Escoffier, Nignon, Gouffé… La science serait-elle alors iconoclaste ? Oui, d’une certaines façon : les faits sont les faits, et les erreurs, même proférées par les plus grands des cuisiniers du passé, sont des erreurs. Est-ce pour autant que nous cesserons d’admirer les grands du passé ? Certainement pas ! L’illustre chimiste Antoine-Laurent de Lavoisier, le père de la chimie moderne, a cru que tous les acides contenaient de l’oxygène, et l’on sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai (l’acide chlorhydrique, par exemple, ne contient que de l’hydrogène et du chlore) ; pour autant, les chimistes ne cesseront pas d’admirer Lavoisier, individu à la pensée remarquablement lucide, claire, intelligente, qui ne s’est trompé (dans quelques cas), que parce qu’il défrichait un pays broussailleux. N’importe qui, sans la carte du pays chimique que nous a légué Lavoisier, se serait sans doute trompé bien plus que lui, et bien d’autres, à son époque, n’ont pas obtenu les résultats qui lui sont dus.
J’en reviens à la gastronomie moléculaire : ce n’est pas parce qu’elle remet en question des idées du passé, qu’elle montre des erreurs, qu’elle est une entreprise de « déconstruction ». Au contraire : c’est une entreprise de rénovation, telle qu’il y aurait dû en avoir depuis longtemps !
Rénovation d’un héritage
Du coup, la question est posée : si nous apprenons à faire des soufflés plus gonflés que par le passé, des mayonnaises avec des goûts différents, des mousses plus légères, des gnocchis mieux cuits, des mousses au chocolat sans œuf, et ainsi de suite, nous risquons de modifier la cuisine française. Est-ce bien raisonnable ?
Je vous propose de considérer que la cuisine française, la grande cuisine française que nous envient tant d’autres états, est comme la maison de nos aïeux. C’est une superbe bâtisse… dépourvue du confort moderne. Pas de salle de bain, des toilettes au fond du jardin, un antique poêle à bois... Devons-nous conserver la maison en l’état, même si les autres nous l’envient ?
Il serait irresponsable de vendre la maison : nous la regretterions tout le reste de notre vie. La démolir, aussi, serait une façon de perdre toute l’intelligence qui s’y trouve : par exemple, ces murs épais, en pierre, nous protègent mieux du froid en hiver et de la chaleur en été que des parpaings doublés d’amiante. Nous devons conserver la maison, mais nous devons l’aménager, pour y vivre mieux que n’y vivaient nos aïeux (en raison du manque d’hygiène et de mille autres raisons, leur espérance de vie était bien inférieure à la nôtre, leur vin plus souvent piqué, leurs fruits fréquemment tavelés, leurs œufs moins frais…).
J’arrive donc à la grande question : que pouvons-nous transformer sans le regretter plus tard ? La question s’impose avec urgence, car, si nous ne la considérons pas, nous risquons de faire des modifications regrettables. En revanche, nous ne devons pas remettre à un futur trop éloigné les travaux, sans quoi elle s’effondrera.
Retour en cuisine
Chacun a compris où je voulais en venir. Les cuisiniers créateurs (les « cuisiniers artistes ») ne m’ont pas attendu pour changer la cuisine française, et même les « cuisiniers artisans » y sont allés de leurs changements : personne ne pratique plus les crèmes anglaises comme Auguste Escoffier, parce que le nombre de jaunes d’œufs au litre leur semble excessif. Bref, nous avons tous «bidouillé » la maison des aïeux sans cherché à en avoir une idée d’ensemble.
N’est-il pas temps de poser la question : que pouvons-nous transformer ? que devons-nous conserver ?
Poser ces questions systématiquement, institutionnellement, c’est la seule façon de transformer en connaissance de cause. Connaissance de cause : c’est ainsi que la cuisine est belle !
La maison du grand père
Soyons clairs : mes divers textes sont une émanation de mon travail de « gastronomie moléculaire », laquelle est une étude scientifique de la cuisine. Discipline iconoclaste ? Certes, elle montre parfois que la cuisine est un mélange d’observations remarquables, d’interprétations souvent fautives et des gestes pas toujours utiles, mais elle cherche surtout la vérité. Si de grands cuisiniers du passé ont fait des erreurs, il peut sembler iconoclaste de le souligner, mais doit-on transmettre des erreurs ou la vérité ? Doit-on cacher les drames familiaux ou, au contraire, les reconnaître avec sincérité ?
Cette question s’accompagne d’autres interrogations que je vous propose d’examiner ici : avons-nous le droit de mettre en cause la tradition culinaire ? devons-nous respecter la tradition culinaire française ? pouvons-nous endosser la responsabilité de conduire la cuisine à évoluer ?
Des faits, tout d’abord : la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique, c’est-à-dire une recherche ; ce n’est ni une méthode d’enseignement, ni une technique. La différence ? La technique, premièrement, c’ est l’exécution de gestes ; l’enseignement, deuxièmement, est une transmission des connaissances ; la science, enfin, est une exploration du monde.
C’est ainsi que la cosmologie explore l’Univers (comment s’est-il formé ? comment évolue-t-il ?), que la géologie veut comprendre le Globe terrestre (a-t-il un noyau solide au coeur du plasma liquide qu’il a en son centre ?) , que la botanique veut comprendre les plantes, la zoologie les animaux, la chimie les réactions chimiques, la physique les phénomènes physiques… A chaque science son objet d’étude, lequel est une partie du monde où nous vivons. Pour la gastronomie moléculaire, cette partie du monde est la cuisine (et, un peu, la dégustation). Partie importante, si l’on songe que chaque foyer, si petit qu’il soit, a toujours une cuisine ! Il fallait bien une science pour en explorer les mystères.
Science, ai-je dit : qu’est-ce que la science ? La science est cette activité qui observe les phénomènes et qui cherche à les comprendre. Pour la gastronomie moléculaire, il s’agit de chercher les mécanismes des transformations culinaires, lesquelles sont essentiellement de nature chimique, physique ou biologique. La méthode d’étude que pratiquent les chercheurs est ce que l’on nomme la méthode expérimentale, qui procède de la façon suivante : partant d’un phénomène (les soufflés gonflent), on effectue des mesures pour caractériser le phénomène ; puis, sur la base de ces mesures, on cherche une théorie (on se demande si les soufflés gonflent parce que les bulles d’air des blancs en neige se dilatent) ; puis on cherche à réfuter la théorie, soit par le calcul, soit par des expériences (on calcule très facilement que, si les soufflés gonflaient en raison de la dilatation des bulles, le gonflement ne serait au maximum que de 20 pour cent) ; sur la base des réfutations effectuées, on change la théorie ou on l’affine (les soufflés gonflent surtout en raison de l’évaporation de l’eau), et on continue à chercher des réfutations.
On le voit, la science n’est jamais satisfaite d’elle-même, parce qu’elle sait que toute théorie est fausse, ou, du moins, que toute théorie ne décrit qu’imparfaitement les phénomènes. Et c’est parce qu’elle « tient le probable pour faux jusqu’à preuve du contraire » que la science évite le dogmatisme, le contentement de soi, l’aplomb de la certitude.
A bas les idoles
La cuisine, au moins pour sa composante technique (j’ai suffisamment crié que la cuisine, c’est de l’amour, de l’art et de la technique), est étudiée par la gastronomie moléculaire de deux façons, parce que les recettes, transmises par écrit ou oralement, ont deux aspects : la recette donne une définition (un pot-au-feu, dans le principe, s’obtient par chauffage de viande dans l’eau), d’une part, et des « précisions », d’autre part (ce que je nommais naguère des dictons, tours de main, pratiques, on dit…). Du coup, la gastronomie moléculaire doit comprendre les définitions, et tester les précisions.
Ces études conduisent évidemment à réfuter les grands auteurs du passé : Marin, Carême, Escoffier, Nignon, Gouffé… La science serait-elle alors iconoclaste ? Oui, d’une certaines façon : les faits sont les faits, et les erreurs, même proférées par les plus grands des cuisiniers du passé, sont des erreurs. Est-ce pour autant que nous cesserons d’admirer les grands du passé ? Certainement pas ! L’illustre chimiste Antoine-Laurent de Lavoisier, le père de la chimie moderne, a cru que tous les acides contenaient de l’oxygène, et l’on sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai (l’acide chlorhydrique, par exemple, ne contient que de l’hydrogène et du chlore) ; pour autant, les chimistes ne cesseront pas d’admirer Lavoisier, individu à la pensée remarquablement lucide, claire, intelligente, qui ne s’est trompé (dans quelques cas), que parce qu’il défrichait un pays broussailleux. N’importe qui, sans la carte du pays chimique que nous a légué Lavoisier, se serait sans doute trompé bien plus que lui, et bien d’autres, à son époque, n’ont pas obtenu les résultats qui lui sont dus.
J’en reviens à la gastronomie moléculaire : ce n’est pas parce qu’elle remet en question des idées du passé, qu’elle montre des erreurs, qu’elle est une entreprise de « déconstruction ». Au contraire : c’est une entreprise de rénovation, telle qu’il y aurait dû en avoir depuis longtemps !
Rénovation d’un héritage
Du coup, la question est posée : si nous apprenons à faire des soufflés plus gonflés que par le passé, des mayonnaises avec des goûts différents, des mousses plus légères, des gnocchis mieux cuits, des mousses au chocolat sans œuf, et ainsi de suite, nous risquons de modifier la cuisine française. Est-ce bien raisonnable ?
Je vous propose de considérer que la cuisine française, la grande cuisine française que nous envient tant d’autres états, est comme la maison de nos aïeux. C’est une superbe bâtisse… dépourvue du confort moderne. Pas de salle de bain, des toilettes au fond du jardin, un antique poêle à bois... Devons-nous conserver la maison en l’état, même si les autres nous l’envient ?
Il serait irresponsable de vendre la maison : nous la regretterions tout le reste de notre vie. La démolir, aussi, serait une façon de perdre toute l’intelligence qui s’y trouve : par exemple, ces murs épais, en pierre, nous protègent mieux du froid en hiver et de la chaleur en été que des parpaings doublés d’amiante. Nous devons conserver la maison, mais nous devons l’aménager, pour y vivre mieux que n’y vivaient nos aïeux (en raison du manque d’hygiène et de mille autres raisons, leur espérance de vie était bien inférieure à la nôtre, leur vin plus souvent piqué, leurs fruits fréquemment tavelés, leurs œufs moins frais…).
J’arrive donc à la grande question : que pouvons-nous transformer sans le regretter plus tard ? La question s’impose avec urgence, car, si nous ne la considérons pas, nous risquons de faire des modifications regrettables. En revanche, nous ne devons pas remettre à un futur trop éloigné les travaux, sans quoi elle s’effondrera.
Retour en cuisine
Chacun a compris où je voulais en venir. Les cuisiniers créateurs (les « cuisiniers artistes ») ne m’ont pas attendu pour changer la cuisine française, et même les « cuisiniers artisans » y sont allés de leurs changements : personne ne pratique plus les crèmes anglaises comme Auguste Escoffier, parce que le nombre de jaunes d’œufs au litre leur semble excessif. Bref, nous avons tous «bidouillé » la maison des aïeux sans cherché à en avoir une idée d’ensemble.
N’est-il pas temps de poser la question : que pouvons-nous transformer ? que devons-nous conserver ?
Poser ces questions systématiquement, institutionnellement, c’est la seule façon de transformer en connaissance de cause. Connaissance de cause : c’est ainsi que la cuisine est belle !
jeudi 7 janvier 2010
La maison du grand-père
Vive la connaissance