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mercredi 5 février 2020
Ne pas tout confondre par ignorance ou par idéologie
Alors que le restaurant de Paul Bocuse vient de perdre sa troisième étoile, je vois un journaliste prendre la défense de ce restaurant et dire que là, enfin, on a de la vraie cuisine française et pas ces viandes standardisées cuites à basse température.
Je ne cherche pas ici à prendre parti pour ou contre la troisième étoile du restaurant où Paul Bocuse n'est plus, mais simplement de discuter cette idée selon laquelle le rôtissage ou d'autres cuissons de ce type (lesquelles ?) vaudraient mieux que la cuisson à basse température.
Et je tiens à signaler immédiatement que la critique faite aux cuissons basses température s'apparente en tous points au critiques que faisaient certains, au début du 20e siècle, quand le gaz est arrivé à tous les étages et que l'on a cuit autrement que par du bois ou du charbon. D'ailleurs, ces critiques sont du même type que celles qui sont apparues quand on a introduit les mixers, avec lesquels on a fait des farces bien plus fines que par le passé, au tamis, en y passant des heures. Ou quand on a commencé à utiliser les feuilles de gélatine plutôt que le pied de veau. Ou encore quand on a produit des mousses au siphon, au lieu de passer de longs moments au fouet. Et ainsi de suite...
Dans tous ces cas, on ne peut s'empêcher de penser à la crise des canuts à Lyon, ou aux Luddites, c'est-à-dire quand des techniques modernes ont mis des gens au chômage. Oui, dans chaque cas, il y a l'avènement de systèmes techniques modernes qui facilitent le travail, mais qui sont refusés pour des raisons en réalité idéologiques, politiques. Mon point de vue : si c'est le cas, disons le franchement, sans incriminer la technique pour ce qu'elle produit, mais pour ses conséquences.
Mais revenons à cette question de la basse température pour observer que les grands auteurs de cuisine du passé, en France, n'avaient pas de mots assez élogieux pour le braisage, cette grande opération culinaire française classique, qui fait des viandes parfaitement tendres.
Le braisage se faisait dans une braisière, cendres dessus et dessous, et c'était en réalité de la cuisson à basse température, sauf que l'on avait le plus grand mal à contrôler la cuisson et que l'on savait bien que le moindre coup de feu ruinait tout. Un coup de feu, cela signifie passer à plus haute température, et effectivement, c'est pour les éviter que la cuisson basse température a été introduite.
La cuisson à basse température, il faut le répéter, c'est du braisage, et du braisage parfait en quelque sorte.
De sorte que le journaliste dont il était question au début de ce billet n'a rien compris techniquement, à moins qu'il ait tout mélangé volontairement, pour des raisons politiques ?
Dans toutes ces affaires, il y a la question du mélange entre l'appréciation technique et l'idéologie. On comprend bien que certains individus puissent avoir peur de perdre une compétence unique, un savoir-faire, voire leur emploi. Cela est légitime, mais c'est une autre affaire que la question technique elle-même.
Bref, il y a soit un peu d'incompétence technique, sois un peu de malhonnêteté idéologique à faire la critique qui a été faite contre la cuisson à basse température.
D'autant que « la » cuisson à basse température n'existe pas : il y a mille cuissons à basse température, et les résultats sont tous différents. De même, la fraise n'existe pas : il y a mille fraises différentes, aux goûts tous différents.
À propos de la cuisson basse température, on est donc dans une généralisation hâtive et déplacée, et je retrouve une fois de plus, pour des raisons qu'il faut bien élucider, la vraie la grande querelle entre Aristote et Platon. Le Beau n'existe pas : il y a des beaux. Le Bon, idem. La Fraise, la Bonne Cuisson... Tout cela, c'est du fantasme, et le monde est bien plus beau que s'il y avait une voie unique.
Il y a mille belles cuissons, et c'est en le reconnaissant que nous ferons grandir l'Art culinaire.
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Bonjour
RépondreSupprimerJe partage vos propos. Confere le scepticisme de mes proches lorsque je me suis lancé en tant qu'amateur ( tentant d'apprendre sans cesse notamment grâce à vos blogs) dans la cuisson à basse température jusqu'au jour où.....ils ont dégusté !
Quelques explications en sus et le constat que certains résultats ne peuvent être obtenus différemment et les voici convaincus, et certains séduits !
Une suggestion ( qui semble fonctionner autour de moi ) : parler de cuisson à juste température plutôt qu'à basse température ? Evidemment le terme n'est pas forcément exact puisqu'il dépendra de l'objectif et non pas du produit dans l'absolu. Mais cela permet de s'émanciper de cette "cuisson à basse température" qui devient assez galvaudée, surtout lorsqu'elle est utilisée à tout crin sur des cartes à titre plus exhibitionniste que pour son utilité réelle.
Le mot "juste" interpelle sans doute davantage que "basse". Ou alors employer " exacte" ? qui serait alors plus "juste" ?!!
Rappeler des fondamentaux permet également de montrer qu'il ne s'agit pas d'une mode. La cuisson de foie gras en terrine est-elle traditionnelle ou non ? Et pourtant il ne me semble pas qu'elle s'exerce à de fortes températures, et que la sonde est plus que bienvenue...
La cuisson au Roemertopf donne d'excellents résultats à des températures plus basses et pourtant n'effraie personne. Sans doute car la cocotte en terre cuite rassure et permet de méler tradition et "modernité". Sont-ce les ustensiles nécessaires à la basse température qui déroutent ?
Un problème demeure en revanche.... on m'a rétorqué qu'une cuisson longue au thermoplongeur était couteuse en énergie.
J'ai trouvé un début de réponse dans un article mais des études sérieuses ont-elles été conduites ? J'évoque ici davantage la cuisson au thermoplongeur et non pas au four dédié, en situant donc la problématique chez le particulier et non pas chez le professionnel.
Merci pour vos publications toujours éclairantes et dont le recul est souvent salvateur !
Cordialement
LH