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samedi 7 janvier 2017

Otto Hahn ? Disons plutôt Diderot ou Parmentier.... toutes proportions gardées

Amusant : ce matin, je reçois d'un correspondant un message sibyllin :

 En somme vous seriez  un Otto Hahn tendance margarine ?

La margarine, je vois ce que c'est, bien sûr : elle fut mise au point en France en 1869, à la suite d’un concours lancé par Napoléon III pour la recherche d’un « corps gras semblable au beurre, mais de prix inférieur, apte à se conserver longtemps sans s'altérer en gardant sa valeur nutritive ». En effet, il fallait suppléer au beurre qui, à cette époque, était cher, rare et se conservait mal. Le pharmacien français Mège-Mouriès réalisa une émulsion blanche résultant de graisse de bœuf fractionnée, de lait et d’eau, baptisée « margarine » (à partir du grec μάργαρον, márgaron, blanc de perle et du mot polyalcool-glycérine).
Puis les progrès de la science, au début du XXe siècle, et notamment la découverte des procédés d’hydrogénation des huiles, permirent de remplacer la graisse de boeuf par des huiles et graisses végétales dans la fabrication des margarines.
Pour Otto Hahn, d'autre part, il y a beaucoup à dire, parce que ce physicien allemand, né le 8 mars 1879 à Francfort-sur-le-Main, et mort le 28 juillet 1968 à Göttingen,  découvrit des éléments chimiques, l'isomérie nucléaire, etc. Il fut lauréat du prix Nobel de chimie, en 1944, pour la découverte de la fission nucléaire, et il est considéré comme le « père de la chimie nucléaire ».


Pourquoi serais-je un Hahn de la margarine ?
Soit mon interlocuteur est bienveillant, soit il ne l'est pas entièrement (disons qu'il est "inquiet").

S'il est inquiet, il voit derrière Hahn le nucléaire de la bombe (en oubliant peut-être le nucléaire civil, qui va de l'hôpital à l'ampoule électrique). Et il voit dans la margarine un succédané de basse qualité, ou, disons, un produit moins bon que le beurre. Là, je vois mal la comparaison, car l'application de la gastronomie moléculaire (qui serait le pendant de la chimie nucléaire, pour mon correspondant) serait la cuisine note à note. Or celle-ci veut nourrir, au lieu de tuer. Pourrait-elle empoisonner à grande échelle ? Pas plus que la cuisine classique... dont on doit observer aujourd'hui qu'elle est à l'origine de la pandémie d'obésité actuelle. Et la cuisine note à note menace-t-elle les "traditions" ou les "cultures" ? Je fais observer que les traditions ne sont pas toutes bonnes : pensons à l'esclavage. La "culture" ? La cuisine note à note sera derrière de l'art culinaire moderne, nouveau, qui viendra s'ajouter à l'art ancien, comme la musique de Debussy s'est ajoutée à celles de Bach ou de Mozart.

Si mon interlocuteur est bienveillant, alors il me souhaite un prix Nobel... et c'est aimable de sa part, même si je ne vois guère ce prix pointer : d'ailleurs, depuis quelques années, alors que je travaille paradoxalement bien plus que par le passé, je ne sais pas pourquoi je ne reçois plus guère de prix. Mais ce n'est pas grave : la vertu est sa propre récompense, non ?

Finalement, je me vois mal dans Otto Hahn ou dans la margarine. Toutes proportions gardées, je me vois plutôt dans un Diderot, pour mes efforts de réflexions et d'éclairement, ou dans  un Parmentier, pour la cuisine note à note, et son importance dans l'alimentation du monde, dans les décennies qui viennent.


Mais tout cela nous fait voler à des altitudes bien excessives. Travaillons, avec précision, soin, concentration, au lieu de briguer des honneurs bien inutiles. Oui, inutiles : aucune décoration et aucun prix ne nous donneront la prochaine grande idée scientifique après laquelle nous nous languissons.

mercredi 24 août 2016

L'art troublerait et la science rassurerait ?


On a dit que l'art trouble, mais que la science rassure. Plus exactement, c'est le peintre Georges Braque qui a dit cela. « L'art trouble, mais la science rassure ». Je me méfie toujours des formules, parce qu'elles sont souvent des affirmations qui nous tombent dessus, des façons de nous obliger à gober les idées sans y penser. Pensez : un Artiste comme Georges Braque !

L'art trouble ? Pourquoi pas, puisque l'art, au moins dans une certaine conception de l'art, consiste à susciter des sentiments, des émotions. De ce point de vue, un art qui ne troublerait pas ne serait pas de l'art. Et puis, « troubler » ne signifie pas nécessairement troubler de façon négative. On peut aussi dire : émouvoir. Si l'on suppose que Braque a correctement utilisé les mots, alors troubler est une métaphore qui décrit une modification d'un grand calme. Et ces modifications peuvent être de mille sortes. Il y a les friselis sur l'eau ou les tempêtes ; il y a le trouble du pastis, cette apparition d'un nuage laiteux, blanc ; il y a l'eau et sa boue. Bref, que l'art trouble est évident. Sans quoi il n'y a pas d'art.

La science rassure ? Cette fois, la question est plus difficile. Après tout, certains n'ont-il pas peur de technique, de la technologie et de la science ? La science qui a découvert la structure de l'atome n'a-t-elle pas, au contraire, suscité l'effroi en ouvrant la porte au nucléaire ? Reprenons de plus loin.
Au début des sciences, par exemple dans l'Antiquité grecque, on a cherché des explications du monde, face à des phénomènes qui étaient mystérieux en ce qu'ils échappaient à des causes identifiées. Pourquoi la formation des ombres, le bleu du ciel, la pluie, la périodicité de la Lune ? Les scientifiques ont été des explorateurs de ces mystères, et ils ont effectivement produits des théories qui visaient à prendre une position intellectuelle face à ce que l'on ne comprenait pas. De ce point de vue, on pourrait dire que la science rassurait, puisqu'elle ne laissait plus l'être humain démuni face aux phénomènes naturels.
En revanche, au début des sciences modernes, à partir de la Renaissance environ, il y eut cette position de scientifiques croyants qui considéraient que Dieu avait donné deux livres : la Bible et la nature. Chercher à comprendre ces deux livres, c'était chercher à comprendre le message de Dieu, et l'activité scientifique était ainsi une façon de célébrer le créateur. Rien de troublant non plus.
Plus tard, et notamment parce que la science arrivait à des conclusions différentes des textes sacrés, il y eut un immense trouble, et l’Église dut adopter une autre position, qui fut finalement entérinée par le pape, à savoir que la science ne dit rien de la foi, et vice versa. Deux mondes séparés, deux règnes séparés, en quelque sorte, mais la crise avait été grande. Elle avait commencé avec Galilée, et avait environ fini avec l'abbé Lemaître, ce physicien belge qui étudia la relativité générale et la cosmologie. A cette époque, la science troublait.
D'ailleurs, dans les dernières décennies du vingtième siècle, il y eut pire avec la relativité et la mécanique quantique. La relativité fit apparaître des paradoxes, tels celui des jumeaux qui naissent ensemble mais ont un âge différent quand l'un des deux voyage. En mécanique quantique, on ne savait plus si les objets étaient des ondes ou des particules. En réalité, il n'est pas difficile de comprendre que les objets puissent apparaître parfois comme des ondes, telles les rides à la surface de l'eau, les vagues, la houle, ou comme des particules, des billes, en quelque sorte, car les objets du monde nous sont perceptibles par des expériences. Dans certaines expériences, les objets (surtout quand ce sont des particules subatomiques) se comportent comme  des ondes, mais dans d'autres expériences, ils se comportent comme de petites billes, et l'on parle de comportement corpusculaire. Pour autant, ces objets ne sont ni billes ni ondes, mais des objets, qui ont leurs caractéristiques propres. Un verre cylindrique vu selon son axe de révolution apparaît comme un disque, mais il semble un rectangle si on le regarde de profil.
Bref la mécanique quantique fut à l'origine d'un grand trouble, et les esprits scientifiques les plus brillants du vingtième siècle avaient du mal à comprendre la nouvelle position qu'imposait leur propre travail scientifique ! Décidément, la science ne rassurait pas !
Et puis, au vingtième siècle, aussi, il y eut ces rapports étroits entre la science et la technique, par le moyen de la technologie, et toutes ces applications des sciences qui, quand elles étaient nuisibles à l'homme, conduisaient à considérer que la science était fautive. A la Première Guerre mondiale, il y eut des gaz de combat, et l'on accusa injustement les sciences chimiques, alors qu'il fallait  accuser les techniciens qui utilisaient les sciences pour faire ces gaz, ou encore les militaires  qui les employaient. Puis, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y eut la bombe atomique, et l'on accusa cette fois la physique, alors qu'on aurait dû accuser les ingénieurs qui faisaient les bombes, et, à nouveau, les militaires qui les utilisaient. Aujourd'hui, c'est la biologie qui est en cause, qui trouble, avec le génome, et la possibilité de cloner l'être humain.

En réalité, la science ou l'art ne sont pas en cause, mais l'individu est tout. Il y a ceux qui ont peur, et qui auront toujours peur, de la science ou de l'art, et ceux qui s'émerveillent des beautés du monde, parce qu'ils sont prêts à émerveiller. Pour ceux là, il n'y a pas de peur ; il y a de l'émerveillement ; il peut y avoir du trouble, mais cela n'est pas grave, car certains troubles ne sont pas des angoisses. Ces individus n'ont pas à être rassurés, parce qu'ils n'ont pas peur.