Lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire, il a été fait état du message que j'avais émis
urbi et orbi,
à propos de la confusion entre mousses et émulsions. Les participants
du séminaire semblaient contents de ce billet parce qu'il semblait
dclair, donnait des indications simples, utiles, efficaces.
Toutefois
la discussion a été plus loin, et les participants m'ont conduit à
faire état d'une liste de confusions courantes, à savoir la confusion
entre arôme et odeur, la vieille croyance des cuissons par concentration
ou par expansion (théorie fausse, il faut le redire !), la théorie
fausse des quatre saveurs, la théorie fausse des cartes de la langue,
l'umami, le "food pairing", l'omniprésence des réactions de Maillard.
N'en jetons plus !
Ici je propose de donner des explications à ces divers propos.
Commençons
par la différence entre arôme et odeur. Un aliment qui a une odeur
a... une odeur : cela signifie qu'il émet dans l'air des molécules
odorantes. Nous percevons ces molécules de deux façons : par le nez,
quand nous humons l'aliment avant qu'il soit dans la bouche, puis une
deuxième fois par les fosses rétronasales, qui relient la bouche au nez à
l'arrière de la bouche, celles qui nous font ces sensations
désagréables quand nous "buvons la tasse".
Les
molécules odorantes sont les mêmes par les deux voies, mais les
circonstances d'évaporation étant différentes, les odeurs perçues sont
différentes dans les deux cas (pour des raisons qu'il serait trop long
d'expliquer).
Cela étant, ce sont les mêmes
molécules, et elles ne sont pas toujours aromatiques, puisque, en
français, le mot "arôme" désigne l'odeur d'une plante aromatique, d'un
aromate. Oui, ces odeurs particulières que sont les arômes sont dues à
des molécules odorantes, bien sûr, mais les viandes n'ont pas d'arôme
puisque ce ne sont pas des plantes aromatiques. Les viandes ont... une
odeur. Idem pour le vin, dont l'odeur n'est pas l'arôme, mais ce que
l'on nomme le "bouquet". Idem pour les légumes, telles les carottes,
etc.
Cessons donc d'utiliser le mot "arôme" à tout
bout de champ et, quand nous aurons fait le ménage devant notre porte,
nous pourrons aller combattre l'emploi du mot "arôme" pour désigner des
préparations de l'industrie que l'on devriat nommer des compositions ou
des extraits odoriférants. Je n'ai rien contre ces préparations qui sont
parfois merveilleuses... sauf que je critique leur nom, qui est fautif
et que je condamne absolument, parce qu'il crée de la confusion, et
qu'il est en réalité déloyal : une composition ou un extrait contenant
des molécules odorantes, ce n'est pas l'odeur d'une plante aromatique,
et ce n'est donc pas un arôme. Combattons la réglementation actuelle !
A
propos des prétendues quatre saveurs, maintenant. Cette théorie date
d'un autre siècle, et elle est complètement fausse : la réglisse n'est
si salée, ni sucrée, ni acide, ni amère ; sa saveur due à l'acide
glycirrhizique est... réglisse. Le bicarbonate de sodium a une saveur
douceâtre et savonneuse. L'éthanol a une saveur originale, en plus
d'être brûlant et odorant. Et ainsi de suite.
Les
physiologistes, qui savent ce dont ils parlent, répètent depuis des
décennies la vérité, à savoir qu'il n'y a pas quatre saveurs, mais sans
doute une infinité. Da'illeurs, il n'y a pas un amer, mais plusieurs, ce
que démontrent les études d'électrophysiologie sensorielle, où l'on
suit la libération d'ions calcium par des cellules réceptrices que l'on
stimule : deux composés dits "amers" ne stimulent pas les mêmes
cellules. Idem pour les acides, les sucrés, etc. Il faut parler des
amers, des acides, des sucrés...
Tout cela est parfataitement
connu de la physiologie et c'est donc être très ignorant que de répéter
la théorie des quatre saveurs. Evidemment, c'est encore plus grave de
l'enseigner, mais je me réjouis que la réforme des CAP de l'hôtellerie
restauration ait mis bon ordre à tout cela. Je déplore cependant que
des paresseux publient encore des manuels où la théorie fausse des
quatre saveur subsiste.
Aidez-moi à les combattre : il en va de la formation des jeunes !
Ah,
j'y pense : puisque la théorie des quatre saveur est fausse, la carte
de la langue où l'on percevrait les quatre saveurs par des zones
particulières de la langue est donc également fausse. Il suffit de faire
l'expérience pour s'en apercevoir, mais l'erreur est en outre de
principe !
La saveur umami ? Ce
serait celle de l'acide glutamique, du glutamate de sodium, des
inositides, et de bien d'autres composés utilisés par l'industrie pour
donner de la saveur aux mets... mais ce qui alerte, c'est que les
publications y voient la saveur de la plupart des mets agréables :
tomates, parmesan, viandes... Bref, une panacée gustative.
Il
y aurait lieu de s'en méfier par le simple fait d'avoir énoncé le mot
"panacée", qui signifie en français "qui guérit tout". Rien ne guérit
tout, et il est bon de ne pas céder aux sirènes... commerciales, car
c'est un fait que c'est surtout qu'une société qui vend du monoglutamate
de sodium, qui promeut la saveur umami.
D'ailleurs, je m'arrête
aussitôt, en écrivant l'expression "saveur umami", parce que...
existe-t-elle ? On peut dire "carré rond", mais à quoi bon ? Ce qui et
vrai, c'est que l'acide glutamique à une saveur, tout comme un autre
acide aminé nommé alanine (la saveur de l'alanine est différente de
celle de l'acide glutamique), tout comme le monoglutamate de sodium,
tout comme les autres acides aminés.
Toutefois, si les dashi,
bouillons japonais obtenus par infusion d'algues, ont une saveur qui
serait umami, cette saveur ne serait pas élémentaire, puisque ces
bouillons contiennent à la fois l'alanine et l'acide glutamique. Une
somme ne peut être égale à l'un de ses termes que si elle est nulle !
Et
n'est-il pas troublant que celui qui vend un produit soit celui qui
promeut ses vertus ? Bref, même si nous sommes fascinés par la culture
japonaise (pourquoi, au fait ?), gardons notre raison, et refusons la
saveur umami, puisqu'elle n'existe pas !
Le
"food pairing", maintenant. Là encore, c'est une théorie fausse...
promue par une société qui y a intérêt. Initialement, cette théorie
stipulait que le cuisinier pouvait associer deux ingrédients si ces deux
ingrédients avaient une molécule en commun. L'idée est séduisante parce
qu'elle est simple... mais elle est simpliste, et fausse : les
ingrédients culinaires contiennent toujours au des composés odorants en
commun !
Face à cette critique, la société qui
promouvait la théorie fausse (elle vend des "arômes alimentaires") a
modifié la théorie, et stipulé que l'on pouvait associer deux
ingrédients s'ils avaient des molécules odorantes "essentielles" en
commun. Un peu trop facile d'adapter l'idée à ses contradictions ! Et
puis, la nouvelle théorie reste fautive... parce que l'on est bien en
peine de savoir quels sont les composés odorants, sauf dans quelques cas
particuliers (la vanilline de la vanille, l'eugénol pour le clou de
girofle, l'octénol pour les champignons...).
Enfin,
et surtout, on ne doit pas oublier que la cuisine est une activité
artistique, et que le bon artiste a tous les droits. En musique, il peut
mettre un fa dièse avec un do s'il a envie (et s'il est compétent). En
peinture, il peut juxtaposer les couleurs à son gré, faire les
perspectives qu'il désire : pensons à Picasso ! En littérature, il
peut commencer une histoire par le début comme il peut la commencer par
la fin. Et, en cuisine, il peut faire ce qu'il veut, sans "food
pairing" qui tienne !
Cuissons par
concentration et cuisson par expansion : je croyais avoir tant combattu
ces idées fausses que je croyais que c'était fini, mais on vient de me
signaler un manuel où les auteurs -je les trouve irresponsables-
continuent de propager cette théorie fausse. Pour ceux qui ignorent le
débat, voici.
Depuis un siècle environ, pour des
raisons historiques que je n' ai pas encore comprises, s'est introduite
l'idée selon laquelle les viandes rôties aurait été cuites par
concentration et les viande bouillies par expansion. Dans le cas du
rôti, le jus, qui aurait eu peur de la chaleur (sic !), se serait
réfugié à coeur des viandes. Dans le cas des viandes bouillies, les
viandes se seraient "expandues" dans le liquide. Le problème, c'est que,
dans les deux cas, la viande se contracte et du jus en sort ! Le
résidu brun, sur le plat à rôtir, est dû au jus qui est sorti et a séché
quand la viande s'est contractée... car c'est quelque chose de facile à
voir que les viandes se contractent à la chaleur : il suffit de les
peser ! Dans un bouillon, de même, une viande qui pesait initialement un
kilogramme ne pèse plus que 750 grammes environ, quand le bouillon
atteint l'ébullition, que l'on ait d'ailleurs plongé la viande dans de
l'eau chaude ou dans de l'eau froide. Bref, il n'y a pas de
concentration dans la cuisson fautivement dite par concentration, et la
viande ne s'expand pas dans la cuisson fautivement dite par expansion.
Raison pour laquelle le référentiel des CAP de cuisine a supprimé ces
notions, et raison pour laquelle les élèves auraient le droit d'attaquer
en justice des professeurs qui enseigneraient encore ces notions
fausses !
Maillard, enfin. Là,
je suis un peu fautif, malgré moi, parce que, avec mon livre Les secrets
de la casserole, qui fut un best-seller, j'ai popularisé ces réactions
chimiques importantes. Oui, les réactions de Maillard (plutôt,
d'ailleurs que "la" réaction de Maillard) est historiquement importante,
et il est également vrai qu'on la rencontre, en cuisine... mais ce qui
devient cocasse, c'est quand j'en viens à m'entendre expliquer ce que
c'est, par des personnes qui ne comprennent pas ce que c'est, et qui
m'en donnent une description fausse.
Les réactions de
Maillard : ce sont des réactions entre des sucres "réducteurs" (pas
tous les sucres, donc, et notamment pas le saccharose, ou sucre de
table) et des acides aminés. Il faut dire "les" réactions de Maillard,
parce qu'il y a des sucres différents : cétoses ou aldoses. Et il est
vrai que, ces réactions initiales étant faites, les produits de Maillard
se réarrangent, ce qui conduit à du brunissement, de l'odeur, de la
saveur, du goût quoi.
Cela étant, il n'est pas vrai
que les réactions de Maillard ne se font qu'à haute température : si le
cristallin des personnes souffrant de diabète s'opacifie, c'est à cause
des réactions de Maillard, par exemple. Le brunissement rapide des
viandes, lui, provient d'innombrables réactions, de pyrolyse, oxydation,
hydrolyse... Au lieu d'invoquer Maillard... à toutes les sauces, il
faut faire preuve de discernement, et ne pas verser dans l'erreur par
ignorance.
Je m'arrête là, non
pas qu'il n'y ait plus de confusion qui courent, mais parce que ce
billet est hélas très négatif, ce qui n'est pas mon habitude. L'objectif
est d'être utile. Merci aussi à mes amis que je heurte bien
involontairement en leur faisant prendre conscience d'erreurs où ils
sont que mon objectif n'est pas de leur nuire, mais, au contraire, de
les aider à penser mieux, plus justement, sur des bases plus saines.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes
de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la
cuisine)