Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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jeudi 25 juillet 2019
Pourquoi tant de résistances à propos de ces cas cette théorie FAUSSE des 4 saveurs ?
Je comprends pas comment il est possible que, aujourd'hui encore, des personnes continuent de croire qu'ils puisse exister seulement quatre saveurs, alors que les travaux le physiologie sensorielle ont démontré le contraire depuis des décennies !
Là, aujourd'hui même, un collègue s'étonne quand je lui dis que la théorie FAUSSE des quatre saveurs est FAUSSE, donc, et l'explication que je lui donne me conduit à faire ce billet de témoignage.
Commençons donc avec la théorie FAUSSE des quatre saveurs. Elle stipule que l'on ne reconnaîtrait que quatre saveurs : le sucré, le salé, l'amer, l'acide.
D'ailleurs, en général, ceux qui adhèrent à la théorie des fausse des quatre saveurs propagent également la prétendue (et FAUSSE) carte de la langue, selon laquelle la pointe reconnaîtrait le sucré, par exemple. Moi qui suis un être simple, je m'étais empressé, dans les années 1980, de tremper la pointe de la langue dans une solution sucrée et je n'avais rien senti, ce qui m'avait alerté (j'ai répété l'expérience avec une trentaine d'amis, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, avec le même résultat pour la moitié du groupe environ).
Mais les choses sont devenues plus sérieuses quand j'ai eu entre les mains l'excellent article scientifique d'Annick Faurion intitulé
Naissance et obsolescence de la théorie des quatre saveurs.
En réalité, n'importe qui peut savoir que cette théorie est FAUSSE, à condition de bien faire l'expérience de se pincer le nez quand on goûte, et de ne pas confondre la saveur avec les sensations trigéminales, de piquants et de frais (observez le pluriel à "piquants", mais c'est une autre histoire). Par exemple, goûtez ainsi des graines de cardamome, le nez pincé, et vous ne sentirez rien que la consistance. Puis, si vous libérez le nez en cours de mastication, alors une odeur apparaîtra, les molécules odorantes libérées par la mastication atteignant le nez. Là, pas de saveur, mais seulement de l'odeur (rétronasale, donc).
Si vous répétez l'expérience avec du sel blanc, alors vous aurez une saveur, mais rien de plus en libérant le nez. Idem pour du sucre. Mais pour du vinaigre blanc, alors vous aurez les deux sensations d'odeur et de saveur : d'ailleurs on sait bien qu'il y a une odeur, puisqu'il suffit de sentir le vinaigre ! Et il y a sans doute aussi du trigéminal.
Mais passons à autre chose : si vous avez la curiosité de goûter du bicarbonate, avec le même protocole, vous percevrez rapidement qu'il n'est pas exactement salé, ni sucré, ni acide, ni amer ; il y a une sorte de "savonneux". Puis, si vous goûtez un peu de vodka en vous pinçant le nez, afin d'éviter que l'odeur de l'éthanol ne remonte vers le nez par les fosses rétronasales, alors vous percevrez une saveur qui n'est pas salée, pas sucrée, pas acide, pas amère, et pas la même que le bicarbonate. Ce qui fait donc au minimum six saveurs.
Mais si vous goûtez maintenant du monoglutamate de sodium, vous verrez qu'il n'est ni salé, ni sucré ni acide, ni amer, ni comme le bicarbonate, ni comme l'éthanol de la vodka... Et voilà encore une nouvelle saveur.
Et ainsi de suite. Le nombre de saveurs est considérable, et on le sait depuis des décennies ! Pourtant, que de résistance !
Je me souviens par exemple qu'en 1992, lors du premier colloque de gastronomie moléculaire que j'organisais en Sicile, le directeur du Monell Institute de Philadelphie, centre de recherche spécialisé dans les odeurs ou, plus généralement, les "sens chimiques", me soutenait qu'il n'existait que quatre saveurs. Trois ans plus tard, le même homme, me soutenait qu'il y avait cinq saveurs, au nombre desquelles il comptait l'umami. Je n'ai jamais compris comment il résistait ainsi aux faits. Et je suis bien désolé, en outre, de dire à mes amis les plus conservateurs que l'umami est une notion très commerciale, qui n' pas pas sa place dans les discussions sérieuses de physiologie sensorielle. Pourquoi ?
Là, un témoignage bien plus spécifique : tout d'abord, il est consternant de voir que de nombreux articles prétendument scientifiques à propos de l'umami sont signés par du personnel d'une compagnie qui vend du monoglutamate de sodium ou par des universitaires sponsorisé par cette compagnie, ce qui les met en grave conflit d'intérêts.
Et je peux aussi témoigner que, lors de ma première visite au Japon, les directeurs d'une société qui vend du monoglutamate de sodium m'ont dit en moins d'une heure d'intervalle que l'umami était la saveur du mélange d'acide glutamique et d'alanine, puis du monoglutamate de sodium. Je leur ai évidemment fait observer qu'il n'était pas possible que l'umami soit une saveur élémentaire si c'était le mélange de la saveur de l'alanine et de la saveur de l'acide glutamique... mais ces personnes s'en moquaient : seul comptait pour elles le chiffre d'affaires ! Je leur ai également fait observer que la saveur de l'acide glutamique n'était pas exactement la saveur du monoglutamate de sodium. Mais là encore, "cause toujours tu m'intéresse".
De toute façon, la prétendue saveur umami n'est PAS "la" cinquième saveur, puisque il y a sans doute un nombre très grand, voire infini, de saveurs. Car, dans ma trop courte liste précédente, j'ai omis l'acide glycyrrhizique de la réglisse, ou bien encore le fait que l'acide malique n'a rien à voir, du point de vue de la saveur, avec l'acide acétique ou avec l'acide citrique ; ou encore le fait que la saveur du lactose n'est pas celle du saccharose, ni celle de l'aspartame, et ainsi de suite.
Les gens sérieux, ceux qui lisent les bons articles scientifiques, savent bien, de surcroît, que l'on a découvert une perception des acides gras insaturés à longues chaînes, ou encore une perception des ions calcium... Ceux qui vivent encore plus finement savent que les électrophysiologistes qui explorent les réactions des cellules réceptrices des papilles, savent que deux cellules voisines, dans une papille, réagissent à des composés différents.
Bref il est vraiment incroyable que des universitaires en 2019 croient encore à la théorie FAUSSE des quatre saveurs, que des livres d'enseignement propagent ces idées fausses.
Le commerce a fait beaucoup de mal soit avec ses messages délétères, soit en graissant la patte d'universitaires au nombre desquels j'aurais honte d'être compté !
dimanche 6 mai 2018
On ne perçoit jamais les saveurs, la consistance, les odeurs rétronasales...
Régulièrement juré dans des concours de produits alimentaires (cuisine, charcuterie, etc.), je vois régulièrement des grilles d'évaluations très... disons insuffisantes. Je passe sur les confusions entre saveurs et goût, entre odeur et arôme, entre sensations trigéminales et saveurs, sans compter sur l'ignorance des modalités sensorielles récemment découvertes, et je m'interroge ici sur la conception de grilles plus justes : comment les réaliser ?
1. Pour répondre à la question il faut répéter que nous pouvons percevoir l'aspect visuel sans trop de difficultés. Certes, le nom qui est donné à l'objet nous conditionne un peu, mais il reste que du jaune n'est pas bleu, par exemple. On pourra donc questionner les jurés sur la couleur, la texture visuelle, ou diverses caractéristiques spécifiques, telle la fleur d'un saucisson.
2. Puis il y a l'odeur anténasale : celle que l'on a quand on approche le produit du nez. Ce n'est pas un arôme, sauf si le produit que l'on teste est une plante aromatique. Et la grille peut donc porter une case "odeur anténasale", éventuellement subdivisée, afin de tenir compte de particularités de la catégorie de produits évalués. Par exemple, un munster ne devra pas avoir la même odeur qu'un camembert.
3. Le produit vient en bouche, et il est vrai que l'on perçoit assez bien la consistance. Enfin... En réalité, c'est plutôt la texture que l'on perçoit : le même carré de chocolat que l'on croque est croquant, alors qu'il est fondant quand on le mange lentement. De sorte qu'il serait parfois judicieux de donner des indications sur la manière de consommer le produit, afin que les divers jurés soient en accord sur la perception à décrire.
4. Toujours en bouche, on sent le "goût" : c'est une sensation synthétique qu'il est bien difficile de séparer en ses différentes composantes que seraient la saveur, l'odeur rétronasale, la perception trigéminale (frais, piquant...), d'autant que tout s'influence.
On pourrait donc se limiter à interroger les jurés sur le goût, ou bien, s'ils se bouchent le nez avant de commencer à mastiquer, ils pourraient percevoir la saveur, avant d'ajouter la composante d'odeur rétronasale quand ils ouvriront les doigts.
Au delà, c'est du baratin.
1. Pour répondre à la question il faut répéter que nous pouvons percevoir l'aspect visuel sans trop de difficultés. Certes, le nom qui est donné à l'objet nous conditionne un peu, mais il reste que du jaune n'est pas bleu, par exemple. On pourra donc questionner les jurés sur la couleur, la texture visuelle, ou diverses caractéristiques spécifiques, telle la fleur d'un saucisson.
2. Puis il y a l'odeur anténasale : celle que l'on a quand on approche le produit du nez. Ce n'est pas un arôme, sauf si le produit que l'on teste est une plante aromatique. Et la grille peut donc porter une case "odeur anténasale", éventuellement subdivisée, afin de tenir compte de particularités de la catégorie de produits évalués. Par exemple, un munster ne devra pas avoir la même odeur qu'un camembert.
3. Le produit vient en bouche, et il est vrai que l'on perçoit assez bien la consistance. Enfin... En réalité, c'est plutôt la texture que l'on perçoit : le même carré de chocolat que l'on croque est croquant, alors qu'il est fondant quand on le mange lentement. De sorte qu'il serait parfois judicieux de donner des indications sur la manière de consommer le produit, afin que les divers jurés soient en accord sur la perception à décrire.
4. Toujours en bouche, on sent le "goût" : c'est une sensation synthétique qu'il est bien difficile de séparer en ses différentes composantes que seraient la saveur, l'odeur rétronasale, la perception trigéminale (frais, piquant...), d'autant que tout s'influence.
On pourrait donc se limiter à interroger les jurés sur le goût, ou bien, s'ils se bouchent le nez avant de commencer à mastiquer, ils pourraient percevoir la saveur, avant d'ajouter la composante d'odeur rétronasale quand ils ouvriront les doigts.
Au delà, c'est du baratin.
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mardi 10 avril 2018
Quand on mangeons un aliment, nous percevons son « goût »
En
science des aliments, c'est le plus grand désordre terminologique,
et il faut que cela cesse, parce
que cela nuit à la qualité des travaux.
Certains
collègues
parlent
de « goût » pour parler de « saveur » ;
d'autres parlent d'arômes pour évoquer l'odeur rétronasale, alors
que le dictionnaire dit bien qu'un arôme est l'odeur d'une plante
aromatique ;
d'autres encore voient, avec ce
même mot « arôme »,
la somme de la saveur et de l'odeur rétronasale ; d'autres y
ajoutent les sensations trigéminales ; il y a ceux qui
utilisent le mot « flaveur », ceux qui ne l'utilisent
pas…
Comment
imaginer des progrès scientifiques
quand
règne tant d'incohérence ?
Le
père de la chimie moderne, Antoine-Laurent de Lavoisier, a bien mis
en avant une idée importante dans l’introduction de son Traité
élémentaire de chimiei :
«L'impossibilité
d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la
nomenclature, tient à ce que toute science physique est
nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui
constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui
les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées,
et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner
les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le
langage. »
La
« chimie des aliments et du goût » doit donc assainir sa
terminologie pour progresser.
Pour
la langue internationale des échanges scientifiques, la question est
réglée : le mot anglais flavour
désigne la sensation synthétique que l'on a quand on mange un
aliment, et qui inclut toutes les autres. D'autre
part, les Anglo-Saxons parlent maintenant très généralement
d' odorant
pour désigner des composés qui stimulent des récepteurs olfactifs,
que ce soit para la voie orthonasale ou par la voie rétronasale. Ils
parlent de taste
pour la saveur, et de taste
buds
pour les papilles qui détectent ces saveurs. Mieux encore, l'anglais
fait bien la différence entre la flavour, le goût, et les
flavourings, ces préparations de l'industrie des parfums pour donner
du goût aux aliments, ce que la France a très déloyalement nommé
des « arômes », confondant l'acception véritable du mot
classique avec une seconde acception qui n'a rien à voir : rien
que cela est une contradiction avec la loi de 1905 sur le commerce
des denrées alimentaires.
Pour
en revenir aux termes de physiolgie, faut-il
donc parler de « flaveur », comme cela a été
proposéii ?
Une norme ISO définit la
« flaveur » comme
« l’ensemble complexe des sensations olfactives, gustatives
et trigéminales perçues au cours de la dégustation »… mais
on observe donc que cette définition ne correspond pas au mot
flavour
anglais, qui, lui, correspond au mot « goût », incluant
la perception de la consistance, de la température, etc.
Oui,
quand nous mangeons une pomme, nous avons un goût de pomme. Le
goût, c'est ce que nous percevons, la sensation synthétique qui se
fonde sur l'ensemble des perceptions et des sensations.
D'ailleurs,
nous aurions intérêt à ne pas faire une totale confiance aux
normes ISO, car, par exemple, elles définissent la « couleur »
comme « la sensation produite par la stimulation de la rétine
par des ondes lumineuses de longueur d’onde variables » ?
Quoi, des longueurs d’onde variables ? Ce serait une belle
découverte, si la lumière, en se propageant, pouvait changer de
longueur d’onde ! D’ailleurs, les incohérences abondent,
dans cette norme, puisque, par exemple, les « saveurs
élémentaires » seraient des saveurs « reconnues »,
ou que l’on nommerait « renforçateur de flaveur » (ou
de goût) les substances intensifiant la flaveur de certains produits
sans posséder cette flaveur ». Ici, les deux mots « flaveur »
et « goût » sont confondus ! Achevons avec la
définition de « transparent », qui évoque, comme il y a
plusieurs siècles, des « rayons lumineux » !
Faut-il
vraiment supporter ces définitions médiocres ? Et devons-nous
admettre le terme de « flaveur » ? Je crois que non,
et voici les raisons.
D’une
part, le mot flavour
existe en langue anglaise, où, selon le British
Standard Dictionary,
cité d'ailleurs par nos collègues sensorialistes, il désigne… la
sensation synthétique… qu’est le goûtiii.
Pas besoin d’invoquer la flaveur (mot que personne ne comprend,
comme
on l'a déjà observé),
par conséquent, pour désigner ce qui a déjà un nom en langue
française.
Faut-il
réserver le nom de « flaveur » à l’ensemble des
« sensations olfactives, gustatives et trigéminales » ?
Il faut savoir que cet ensemble de sensations n’est d’abord pas
perceptible, puisque l’on ne saurait les séparer des sensations de
consistance ou de chaleur. D’autre part, cette « flaveur »
ne serait pas mesurable, puisqu’elle serait la résultante de
stimulations de récepteurs différents.
Je
propose de penser que quelque chose qui n’est ni mesurable ni
perceptible n’existe pas !
Il faut donc abattre le mot « flaveur », le bannir de
notre vocabulaire technique ou courant.
Évidemment,
en matière sensorielle, ce sont les récepteurs qui doivent imposer
les motsiv,
et c’est la raison pour laquelle beaucoup de science est à faire.
Depuis
longtemps, on sait que le nez comporte des récepteurs olfactifsv,
qui peuvent se lier, directement ou indirectement, à certaines
molécules présentes dans l’air qui
atteint la muqueuse nasale.
Directement, par un mécanisme clé-serrure, ou indirectement,
puisque l’on a découvert des olfactory
binding proteins,
auxquelles des molécules se lient avant de se lier aux récepteursvi.
Ces
composés particuliers qui stimulent les récepteurs olfactifs sont
donc « odorants »… même s'ils ne se résument pas à
ce qualificatif : par exemple, l'éthanol a une odeur, mais
aussi une saveur.
Quel
que soit le détail de la stimulation des récepteurs et
quelles que soient les autres actions,
la
perception
d'une
« odeur » justifie que les composés qui suscitent une
odeur soient dits « odorants ». Pas « aromatiques »,
toutefois, puisque l’arôme est l’odeur d’une plante
aromatique, dite encore aromate. Et,
de surcroît, il y a la confusion avec les « composés
aromatiques », qui, en chimie, sont ceux qui satisfont à la
règle de Hückel.
Ajoutons
que, très logiquement, on aura raison de ne pas parler de « composés
d'arômes », sauf pour évoquer les composés qui se trouvent
dans des arômes, c'est-à-dire des odeurs de plantes aromatiques.
De
ce fait, il faut sans doute corriger nos pratiques… et nos
législations, puisqu’elles nomment très abusivement « arômes »
des choses qui n’en sont pas, que l’on parle des odeurs ou bien
des produits obtenus soit par assemblage de composés (synthétisés
ou extraits de matières végétales ou animales).
Insistons,
d’ailleurs, pour refuser à tous ces produits de l'industrie des
parfums, qu’ils contiennent ou non des composés de synthèse, le
qualificatif de « naturel » : n’est naturel que ce
qui n’a pas fait l’objet de transformation par l’être humain.
Ces « compositions odoriférantes », ou ces « extraits
odoriférants » ne sont certainement pas naturels, et c’est
tromper le consommateur que de le lui laisser croire. Experts,
n’oublions pas que la base d’un commerce sain, ce sont des
produits « loyaux, marchands et francs » !
La
saveur, les sensations trigéminales
La
question de la saveur semble plus simple, à cela près que règne
une grande confusion, à propos du nombre de saveurs. Les études de
neurophysiologie (marquage par fluorescence calcique, notamment)
montrent bien que deux récepteurs voisins sont sensibles à des
composés différents, et il est montré depuis des décennies que le
nombre de molécules « sapides » (mot justement retenu
pour désigner des composés qui stimulent les récepteurs des
papilles) est sans doute infini, avec un nombre de dimensions qui
dépasse certainement les 4 qui datent de plus d'un siècle, voire
des 5 ou des 6. Par exemple, l'acide glycyrrhizique n'est ni salé,
ni sucré, ni acide, ni amer, et le monoglutamate de sodium n'est
aucune des saveurs précédentes ; l'éthanol, également, a une
saveur originale, et ainsi de suite.
Ainsi,
il y a sans doute lieu d'éviter des termes « marketing »
comme umami,
en observant de surcroît que nombre de publications sur ce thème
sont sponsorisées par des sociétés qui vendent du monoglutamate de
sodium !
Le
tableau se complique également, du fait que l'on a découvert,
en plus des récepteurs des papilles, auxquelles se lient des
molécules qui peuvent se dissoudre dans la salive, des récepteurs
qui captent les acides gras insaturés à longue chaînevii.
La découverte est remarquable, parce qu’elle s’accompagne de la
mise en évidence de toute une chaîne physiologique qui pourrait
faire conclure qu’il existe une saveur particulière des acides
gras insaturés à longue chaîne. Cette découverte impose-t-elle
l’introduction d’un terme nouveau, sachant que, contrairement aux
autres molécules sapides que nous reconnaissons plus classiquement,
il n’y a pas de saveur reconnaissable comme les autres ?
Enfin,
comment nommer le sens correspondant à la perception des saveurs ?
On parle encore parfois de « gustation », mais la
gustation devrait être la perception du goût… or nous parlons ici
de saveurs. Doit-on plutôt parler de « sapiction », par
exempleviii ?
Et de papilles sapictives ? C'est ma proposition.
Enfin,
il y des composés dont les
récepteurs ne sont ni olfactifs, ni sapictifs,
mais associés à une voie nerveuse spécifique, le nerf trijumeau.
C’est ainsi que nous percevons le piquantix,
le fraisx…
D’ailleurs, il faut indiquer que les molécules peuvent stimuler
les récepteurs de plusieurs façons. Par exemple, le (-)-menthol
sent la menthe, certes, mais il suscite aussi la sensation de
fraîcheur. L’éthanol a une odeur, mais pas seulement, etc.
D’ailleurs,
nous avons omis d’évoquer l’astringence, qui a fautivement été
considérée comme une saveur, pendant longtemps, et qui correspond à
une sensation d’assèchement de la bouche, notamment quand des
protéines salivaires se lient à des composés phénoliques, tels
ceux qui sont présents dans certains vins et qui sont souvent,
abusivement, nommés taninsxi.
Et
les sensations thermiques, associées aux sensations trigéminales,
la perception des consistances (qui se distinguent de la texture,
laquelle est perçue), etc.
C'est
un sain emploi des mots qui évitera la cacophonie et permettra le
progrès scientifique !
ii
A. Pierson and J. Le Magnen, Etude quantitative du
processus de régulation des réponses alimentaires chez l'homme,
Physiology & Behavior, Volume 4, Issue 1, January 1969, Pages
61-67.
iii
Julie A Mennella, Gary K Beauchamp, Early flavor
experiences : when do they start ? Nutrition Today, vol
29, N°5, Sept/oct 1994, 25-31.
iv
A. Uziel, J. G.
Smadja, A. Faurion, Physiologie
du goût, Encycl.
Med. Chir. (Paris, France), Otorhino-laryngologie, 2-1987, 20490
C10.
v
K. Raming, J. Krieger, J. Strotmann, I. Boekhoff,
S. Kubick, C. Baumstark, H. Breer, Cloning
and expression of odorant receptors,
Nature, 28 janvier 1993, 361, 353-356.
vi
.
Briand, Loiec; Eloit, Corinne;
Nespoulous, Claude; Bezirard, Valerie; Huet, Jean-Claude; Henry,
Celine; Blon, Florence; Trotier, Didier; Pernollet, Jean-Claude ,
Evidence of an odorant binding protein in the human olfactory
mucus : location, structural characterization, and
odorant-binding properties, Biochimie et Structure des Proteines
Unite de Recherches INRA 477, Jouy-en-Josas, Fr. Biochemistry
(2002), 41(23), 7241-7252. CODEN: BICHAW
ISSN: 0006-2960. Journal written in English. CAN 137:105377
AN 2002:360381 CAPLUS
Isabelle
Niot, Jean-Pierre Montmayeur, Philippe Besnard, CD36,
un sérieux jalon
sur la piste du goût du gras, M/S n°
4, vol. 22, avril 2006.
viii
Hervé This, Casseroles et éprouvettes, Pour la Science, Paris,
2003.
ix
Pourquoi le piment brûle, Bernard Calvino, Marie Conrat. Pour la
Science, N0366, avril 2008, pp. 54-61
xi
Binding
of selected phenolic compound to proteins, Harshadari M Rawel,
Karina Meidtner, Jürgen Kroll, J. Agric. Food Chem., 14 april 2005,
DOI 10.1021/jf0480290 5021-8561 (04)08029-X
samedi 3 février 2018
Allons-y pour quelques questions
Les élèves des classes de Première doivent faire des "travaux personnels encadrés", et très nombreux sont ceux qui s'intéressent à la gastronomie moléculaire, ou à la cuisine moléculaire, ou encore à la cuisine note à note (pas assez).
J'ai déjà discuté la différence entre les trois champs, en observant une fois de plus que la gastronomie n'est pas une cuisine d'ordre supérieur, et je déplore que certains élèves s'intéressent encore à la cuisne moléculaire, alors qu'elle est bien dépassée par la cuisine note à note.
Le plus souvent, j'oriente les élèves vers les parties "questions et réponses" et "questions and answers" de mon site https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, puisqu'il y a des milliers de réponses à des questions, mais, parfois, survient une question qui n'a pas sa réponse dans le site, et que je discute ici. Par exemple :
Quelle est l'importance de nos sens dans notre alimentation ?
La question permet de rappeler cette idée de Theodosius Dhobzansky : tout ce qui se rapporte à du vivant doit s'interpréter en termes de biologie de l'évolution.
Et c'est la raison pour laquelle les travaux de Claude Marcel Hladik et de ses collègues du Muséum national d'histoire naturelle sont si passionnants : nos amis et collègues étudient comment mangent les singes... et découvrent notamment que les primates ont coévolué avec les plantes, ces dernières offrant des fruits sucrés (les sucres sont de l'énergie) en échange de la dispersion des graines, noyaux, etc. Mais pour reconnaitre l'énergie, ne faut-il pas des yeux qui voient les couleurs, un nez qui voit, une bouche qui perçoit la saveur, par exemple ?
Sans compter -ce sont des travaux d'autres collègues, nutritionnistes ou physiologistes, cette fois- que la perception des goûts permet d'anticiper la digestion de composés particulièrement importants pour notre organisme (le calcium, les graisses, les acides aminés...), en même temps qu'il signale au cerveau quand il faudra s'arrêter de manger. Mais comment répondre mieux à nos jeunes amis ? En les renvoyant à mon livre "Mon histoire de cuisine" (Editions Belin), sans quoi je serais ici en train de le réécrire.
Qu'est ce que la cuisine moléculaire va changer dans notre perception des aliments ?
Drôle de question, car la cuisine moléculaire est une technique culinaire rénovée. En gros, au lieu de battre au fouet, on utilise un siphon ; au lieu d'utiliser une sorbetière, on utilise de l'azote liquide ; au lieu de perdre son temps à dégraisser les bouillons à la cuiller, on utilise une ampoule à décanter ; au lieu d'avoir des braisages secs et durs, on valorise des viandes par de la cuisson à basse température...
Les recettes sont les mêmes que par le passé, avec la cuisine moléculaire... et rien de nos aliments ne change profondément... contrairement à la cuisine note à note... mais je ne discute pas ici cette dernière, puisque nos amis ne posent pas la question.
La société actuelle est-elle prête à ce type de changement ?
Non seulement elle est prête... mais les siphons sont en vente dans les supermarchés, les fours ont maintenant des fonctions basse température... et les cuisiniers confondent tant la gélatine avec les gélifiants que j'avais introduits (agar-agar, alginate, etc.) qu'ils en viennent à parler de "gélatine végétale"... ce qui n'est pas possible, puisque la gélatine est extraite des animaux. Ils veulent dire "gélifiant".
Bref, la révolution de la cuisine moléculaire est faite, et il faut absolument passer à la suite : la cuisine note à note.
J'ai déjà discuté la différence entre les trois champs, en observant une fois de plus que la gastronomie n'est pas une cuisine d'ordre supérieur, et je déplore que certains élèves s'intéressent encore à la cuisne moléculaire, alors qu'elle est bien dépassée par la cuisine note à note.
Le plus souvent, j'oriente les élèves vers les parties "questions et réponses" et "questions and answers" de mon site https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, puisqu'il y a des milliers de réponses à des questions, mais, parfois, survient une question qui n'a pas sa réponse dans le site, et que je discute ici. Par exemple :
Quelle est l'importance de nos sens dans notre alimentation ?
La question permet de rappeler cette idée de Theodosius Dhobzansky : tout ce qui se rapporte à du vivant doit s'interpréter en termes de biologie de l'évolution.
Et c'est la raison pour laquelle les travaux de Claude Marcel Hladik et de ses collègues du Muséum national d'histoire naturelle sont si passionnants : nos amis et collègues étudient comment mangent les singes... et découvrent notamment que les primates ont coévolué avec les plantes, ces dernières offrant des fruits sucrés (les sucres sont de l'énergie) en échange de la dispersion des graines, noyaux, etc. Mais pour reconnaitre l'énergie, ne faut-il pas des yeux qui voient les couleurs, un nez qui voit, une bouche qui perçoit la saveur, par exemple ?
Sans compter -ce sont des travaux d'autres collègues, nutritionnistes ou physiologistes, cette fois- que la perception des goûts permet d'anticiper la digestion de composés particulièrement importants pour notre organisme (le calcium, les graisses, les acides aminés...), en même temps qu'il signale au cerveau quand il faudra s'arrêter de manger. Mais comment répondre mieux à nos jeunes amis ? En les renvoyant à mon livre "Mon histoire de cuisine" (Editions Belin), sans quoi je serais ici en train de le réécrire.
Qu'est ce que la cuisine moléculaire va changer dans notre perception des aliments ?
Drôle de question, car la cuisine moléculaire est une technique culinaire rénovée. En gros, au lieu de battre au fouet, on utilise un siphon ; au lieu d'utiliser une sorbetière, on utilise de l'azote liquide ; au lieu de perdre son temps à dégraisser les bouillons à la cuiller, on utilise une ampoule à décanter ; au lieu d'avoir des braisages secs et durs, on valorise des viandes par de la cuisson à basse température...
Les recettes sont les mêmes que par le passé, avec la cuisine moléculaire... et rien de nos aliments ne change profondément... contrairement à la cuisine note à note... mais je ne discute pas ici cette dernière, puisque nos amis ne posent pas la question.
La société actuelle est-elle prête à ce type de changement ?
Non seulement elle est prête... mais les siphons sont en vente dans les supermarchés, les fours ont maintenant des fonctions basse température... et les cuisiniers confondent tant la gélatine avec les gélifiants que j'avais introduits (agar-agar, alginate, etc.) qu'ils en viennent à parler de "gélatine végétale"... ce qui n'est pas possible, puisque la gélatine est extraite des animaux. Ils veulent dire "gélifiant".
Bref, la révolution de la cuisine moléculaire est faite, et il faut absolument passer à la suite : la cuisine note à note.
dimanche 24 décembre 2017
On me demande des éclaircissements, une fois de plus, à propos du mot "goût"
Pardonnez-moi, donc, d'y revenir, et soyez assurés, quand même (pour ceux qui ne me connaissent pas), que j'ai fait une recherche bibliographique solide, mais pas seulement dans les publications scientifiques, également dans les dictionnaires, et surtout les dictionnaires étymologiques.
En français (langue sur laquelle les scientifiques français doivent s'aligner), il y a depuis longtemps le mot "goût", pour désigner ce que l'on sent quand on mange ou quand on boit.
On mange du poulet rôti ? Il y a le goût de poulet rôti. On mange du chocolat ? Il y a le goût du chocolat. On boit du vin ? Il y a le goût du vin.
Bref, le goût est une sensation synthétique, et non pas divisée en ses différentes composantes.
Les travaux de physiologie sensorielle ont progressivement bien établi que cette sensation synthétique est donc fondées sur divers perceptions élémentaires, en interaction.
Ainsi, le goût a une composante de saveur : on perçoit des saveurs sucrées, salées, acides, amères, les saveurs des acides aminés (20 différentes), les saveurs de l'éthanol, de l'acide glycirrhizique (de la réglisse), du bicarbonate, etc. Il n'y a pas quatre saveurs plus élémentaires que les autres, mais une infinité, et elles sont perçues par des cellules "réceptrices" situées notamment dans les papilles. On dit parfois papilles gustatives, mais il faut insister : ces papilles, que l'on pourrait utilement et plus précisément dire "sapictives", détectent les saveur.
Puis le goût a une composante d'odeur : quand on mâche un aliment, des molécules volatiles plutôt hydrophobes passent dans l'air de la bouche avant de monter vers le nez, en empruntant les fosses rétronasales de l'arrière de la bouche. C'est la raison pour laquelle on dit que ces molécules sont odorantes, et, d'ailleurs, ce sont les mêmes que celles que l'on perçoit quand l'aliment passe sous le nez avant d'être introduit en bouche.
Il faut insister sur le fait ce que l'odeur rétronasale est l'odeur rétronasale, et ce n'est pas de l'arôme, puisque, en français, le mot arôme désigne l'odeur des aromates.
Quand on mange, on perçoit aussi des composés piquants et frais, qui stimulent les terminaisons du nerf "trigéminal.
Et l'on perçoit le chaud et le froid.
Et l'on perçoit le dur et le mou.
Et l'on perçoit bien d'autres choses : les ions calcium, les acides gras insaturés à longue chaîne.
Toutes les informations recueillies par divers récepteurs sont mêlées et envoyées au cerveau, lequel a plusieurs "missions" :
- reconnaître ce que l'on mange, afin d'éviter les dangerrs
- préparer la digestion spécifique des aliments ingérés
- tenir un compte de ce que l'on mange en vue d'établir l'état de rassasiement
- etc.
Voilà, tout simple, non ?
NB : ici, j'avais prévu de discuter toutes les erreurs qui traînent à propos du goût, les prétendues flaveurs et autres... mais pourquoi compliqué inutilement. Restons à quelque chose d'aussi simple que juste !
En français (langue sur laquelle les scientifiques français doivent s'aligner), il y a depuis longtemps le mot "goût", pour désigner ce que l'on sent quand on mange ou quand on boit.
On mange du poulet rôti ? Il y a le goût de poulet rôti. On mange du chocolat ? Il y a le goût du chocolat. On boit du vin ? Il y a le goût du vin.
Bref, le goût est une sensation synthétique, et non pas divisée en ses différentes composantes.
Les travaux de physiologie sensorielle ont progressivement bien établi que cette sensation synthétique est donc fondées sur divers perceptions élémentaires, en interaction.
Ainsi, le goût a une composante de saveur : on perçoit des saveurs sucrées, salées, acides, amères, les saveurs des acides aminés (20 différentes), les saveurs de l'éthanol, de l'acide glycirrhizique (de la réglisse), du bicarbonate, etc. Il n'y a pas quatre saveurs plus élémentaires que les autres, mais une infinité, et elles sont perçues par des cellules "réceptrices" situées notamment dans les papilles. On dit parfois papilles gustatives, mais il faut insister : ces papilles, que l'on pourrait utilement et plus précisément dire "sapictives", détectent les saveur.
Puis le goût a une composante d'odeur : quand on mâche un aliment, des molécules volatiles plutôt hydrophobes passent dans l'air de la bouche avant de monter vers le nez, en empruntant les fosses rétronasales de l'arrière de la bouche. C'est la raison pour laquelle on dit que ces molécules sont odorantes, et, d'ailleurs, ce sont les mêmes que celles que l'on perçoit quand l'aliment passe sous le nez avant d'être introduit en bouche.
Il faut insister sur le fait ce que l'odeur rétronasale est l'odeur rétronasale, et ce n'est pas de l'arôme, puisque, en français, le mot arôme désigne l'odeur des aromates.
Quand on mange, on perçoit aussi des composés piquants et frais, qui stimulent les terminaisons du nerf "trigéminal.
Et l'on perçoit le chaud et le froid.
Et l'on perçoit le dur et le mou.
Et l'on perçoit bien d'autres choses : les ions calcium, les acides gras insaturés à longue chaîne.
Toutes les informations recueillies par divers récepteurs sont mêlées et envoyées au cerveau, lequel a plusieurs "missions" :
- reconnaître ce que l'on mange, afin d'éviter les dangerrs
- préparer la digestion spécifique des aliments ingérés
- tenir un compte de ce que l'on mange en vue d'établir l'état de rassasiement
- etc.
Voilà, tout simple, non ?
NB : ici, j'avais prévu de discuter toutes les erreurs qui traînent à propos du goût, les prétendues flaveurs et autres... mais pourquoi compliqué inutilement. Restons à quelque chose d'aussi simple que juste !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
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