On me demande si "le processus de brunissement au four permet d'obtenir une saveur plus prononcée" ?
La réponse est que il ne faut pas confondre la saveur et le goût.
Le goût, c'est la sensation synthétique que nous avons quand nous mettons des aliments en bouche. La saveur, c'est seulement la composante sapide, ce qui est perçu par les papilles.
Et quand on fait cuire une pâte, qui brunit, donne-t-on de la saveur ou du goût ?
Pour le savoir, je vous invite à faire l'expérience de cuire une pâte à tarte, de telle sorte qu'elle soit bien brune, et de la mettre en bouche après vous être pincé le nez : pendant que le nez est pincé, vous mastiquez, et vous sentirez les saveurs.
Puis, après quelques secondes, vous relâcherez les narines et la sensation qui viendra sera l'odeur. .
Cest la totalité qui fait le goût .
Avec cette expérience vous pourrez répondre vous-même à la question posée.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 15 septembre 2023
Brunissement et goût
dimanche 11 juin 2023
Le "goût"
J'y reviens, parce que l'on m'a offert un livre sur les épices. J'en tairai le titre et les auteurs, parce que je ne veux pas faire la promotion d'un livre que je vais critiquer, et que je ne veux pas attrister les auteurs du livre, qui sont des personnes amicales.
Le livre contient des recettes, mais il est fondé sur une idée très fausse, à savoir une confusion entre goût et saveur.
En soi, ce n'est pas grave, mais n'est-ce pas une obligation de personnes qui veulent rayonner que de proposer de la bonne « qualité » ? En réalité, il faut quand même considérer que les auteurs sont marchands d'épices, et que leur livre est, d'une façon ou d'une autre, une propagande commerciale.
Mais passons. La question est surtout que ces auteurs confondent goût, odeur, saveur, arôme... Et leur livre est une voix de plus dans la cacophonie. J'y vois plus positivement une possibilité de redire des choses simples et justes.
Observons tout d'abord que Brillat-Savarin confondait goût et saveur, mais que cet homme était un avocat, qui ne connaissait donc pas la science. Ne lui attribuons donc pas des connaissances qu'il n'avait pas !
Vers 1282, on nommait « goût » le « sens par lequel on discerne les saveurs » (Gouvernement des rois, 30, 32).
A l'époque régnait donc la confusion. Et ce n'est donc pas dans l'histoire que l'on peut trouver sans effort supplémentaire une justification des définitions à retenir. Ce qui est clair, toutefois, c'est que l'on ne dira pas que l'on a de la saveur pour quelque chose, mais du goût pour cette chose.
Le goût est donc quelque chose de plus général que la saveur, et voilà pourquoi les spécialistes de physiologie, depuis déjà longtemps, ont décidé de considérer le goût comme la sensation synthétique que l'on a en mangeant un aliment.
Pour résumer ce premier point : le goût est la sensation synthétique que l'on a quand on met un aliment en bouche.
Poursuivons, maintenant : le goût, sensation synthétique, est fondé sur des perceptions différentes, à savoir :
-la saveur : par les récepteurs des papilles, qui devraient donc plutôt être nommées papilles sapictives
- l'odeur, anténasale (quand l'aliment arrive à la bouche, passant devant le nez, où il libère des molécules qui sont « odorantes », puisqu'elles ont la capacité de se lier à des récepteurs olfactifs, directement ou non
- l'odeur rétronasale, quand des molécules odorantes remontent vers le nez par les fosses rétronasales, à l'arrière de la bouche
- des sensations trigéminales (piquants, frais...), quand des molécules se lient à des récepteurs spécifiques du nerf trijumeau
- des sensations thermiques
- des sensations tactiles (la consistance des aliments est perçue lors de la mastication, et donne lieu à la sensation de texture)K
Pourquoi « etc. » ? Parce que l'inventaire ne semble pas être complet : on a découvert il y a moins de vingt ans que des acides gras insaturés à longue chaîne avaient des récepteurs spécifiques, dans les papilles, et que la sensation donnée par cette interaction n'était pas une saveur, mais de nature différente.
Enfin, terminons ce billet en signalant que la théorie des 4 saveurs (salé, sucré, acide, amer) est connue fausse depuis des décennies par les physiologistes et tous ceux qui se renseignent un peu, au lieu de répéter paresseusement des choses fausses : la réglisse n'est ni salée, ni acide, ni amère, ni sucrée, mais réglisse ; l'éthanol a une saveur particulière, tout comme le bicarbonate, tout comme... mille composés. Et l' « umami » est un vaste baratin, mais je vous renvoie à un billet antérieur, sur ce point particulier.
Je reviens donc au livre... qui inverse les mots pour « saveur » et « goût » ! N
on, la saveur N'EST PAS la sensation donnée par les odeurs !
Non, le goût N'EST PAS la sensation ressentie par les papilles ! Non, notre langue ne reconnaît pas six goûts, donc le piquant serait l'un d'entre eux (à quoi sert que les physiologistes travaillent, pour que des ignorants publient des erreurs réfutées il y a plus de 50 ans?). Non, la flaveur n'existe pas.
Finalement, faut-il instaurer un « permis d'écrire des livres » ? Je ne le crois pas, pour mille raisons qu'il serait trop long de discuter ici, mais quel dommage que la données des références de ce livre risque d'en faire une publicité imméritée !
PS. J'ai évidemment des références vers des articles scientifiques de qualité pour justifier ce que j'avance ici !
jeudi 30 septembre 2021
Analyser une formule
Je reçois aujourd'hui un message amical, assorti d'une question :
Je m'interrogeais sur la problématique suivante : comment fait-on pour analyser la contenance d'arômes dans un produit ? Imaginons une entreprise qui souhaite copier le goût du soda phare de son concurrent, quelles techniques utilise-t-elle pour lister tous les produits présents dedans ? Existe-t-il des techniques plus rigoureuses qu'un nez bien aiguisé ?
Comment fait-on pour analyser la "contenance d'arômes" dans un produit ? Je crois que la première chose est de bien comprendre la question... et je dis cela d'emblée parce que le mot "arôme" est piégé.
Un arôme, en bon français, c'est l'odeur d'un aromate ou d'une plante aromatique. Pas d'une boisson, pas d'un soda, pas d'une viande... Je vais donc répondre plutôt à la question : comment connaître la composition chimique d'un aliment, et, notamment, sa composition en composés odorants.
Dans tous les aliments, mais aussi dans les boissons et dans les sodas, il y a des composés variés, le principal étant l'eau, mais il y a aussi des protéines, des lipides, des glucides... Connaître la composition d'un produit, cela signifie déterminer ces compositions qui sont principales.
Puis il y a de nombreux composés qui ont des effets sensoriels. Et, là, il est bon de distinguer les composés qui agissent sur des récepteurs visuels (couleur), ceux qui agissent sur les récepteurs olfactifs, sur les récepteurs de la saveur, sur les récepteurs du nerf trijumeau (piquants et frais), etc. D'ailleurs, il faut observer que les molécules ne sont pas spécifiques de voies sensoriellescertains composés sont à la fois odorants et sapides, d'autres odorants et frais, etc.
Un exemple ? L'éthanol, ou alcool des vins, bières, spiritueux, est un composé à la fois brûlant, odorant, sapide. Le (-)-menthol, présent dans la menthe, est à la fois odorant (odeur de menthe) et frais.
Tout cela étant dit, il y a donc des composés qui sont suffisamment volatils pour arriver jusqu'aux récepteurs olfactifs du nez, soit qu'ils arrivent quand on hume, soit qu'ils passent par les fosses rétronasales, où la bouche communique avec le nez (voie dite "rétronasale"). Ce sont les mêmes composés "odorants", dans les deux cas. Et les "arômes" sont les odeurs particulières des aromates, dus à des composés odorants.
Les déterminer ? C'est aujourd'hui une analyse classique (je n'ai pas dit que ce soit rapide), qui consiste - par exemple- à enfermer un produit dans un récipient fermé, en présence d'une fibre : les composés odorants libérés par le produit passent dans l'air du récipient, et s'adsorbent (se collent, en quelque sorte) sur la fibre.
Puis on "désorbe" ces composés odorants dans un appareil de "chromatographie en phase gazeuse couplé à de la spectrométrie de masse", ce qui signifie que la fibre est placée à l'entrée d'un tube très long (plusieurs dizaines de mètres) et très fin (comme un cheveu) ; à l'aide d'un gaz (par exemple de l'hélium ou de l'hydrogène), on pousse les molécules désorbées dans le tube, de sorte que, en raison de leurs interactions différentes avec des particules qui emplissent le tube, on fait avancer les molécules des divers composés odorants à des vitesses différentes : elles arrivent séparées à la sortie de cette "colonne de chromatographie".
A la sortie de la colonne de chromatographie, ces molécules séparées sont envoyées dans le "spectromètre de masse", qui les charge électriquement et les sépare en fonction de leur masse et de leur charge électrique : des séparations, on déduit la nature chimique des composés séparés. Bref, on détermine la composition de l'odeur d'un produit en composés odorants.
Reste que le goût d'un produit, c'est bien plus que son odeur, anténasale (quand on hume) ou rétronasale (quand on mastique, et que les composés odorants remontent vers le nez, en passant par les canaux qui font communiquer le nez et la bouche).
Il y a notamment les composés sapides, qui se lient aux récepteurs des papilles. Ces papilles que l'on dit "gustatives", et que l'on ferait mieux de dire "sapictives".
Là, ces composés sont principalement en solution, et ils pJe reçois aujourd'hui un message amical, assorti d'une question :
Je m'interrogeais sur la problématique suivante : comment fait-on pour analyser la contenance d'arômes dans un produit ? Imaginons une entreprise qui souhaite copier le goût du soda phare de son concurrent, quelles techniques utilise-t-elle pour lister tous les produits présents dedans ? Existe-t-il des techniques plus rigoureuses qu'un nez bien aiguisé ?
Comment fait-on pour analyser la "contenance d'arômes" dans un produit ? Je crois que la première chose est de bien comprendre la question... et je dis cela d'emblée parce que le mot "arôme" est piégé.
Un arôme, en bon français, c'est l'odeur d'un aromate ou d'une plante aromatique. Pas d'une boisson, pas d'un soda, pas d'une viande... Je vais donc répondre plutôt à la question : comment connaître la composition chimique d'un aliment, et, notamment, sa composition en composés odorants.
Dans tous les aliments, mais aussi dans les boissons et dans les sodas, il y a des composés variés, le principal étant l'eau, mais il y a aussi des protéines, des lipides, des glucides... Connaître la composition d'un produit, cela signifie déterminer ces compositions qui sont principales.
Puis il y a de nombreux composés qui ont des effets sensoriels. Et, là, il est bon de distinguer les composés qui agissent sur des récepteurs visuels (couleur), ceux qui agissent sur les récepteurs olfactifs, sur les récepteurs de la saveur, sur les récepteurs du nerf trijumeau (piquants et frais), etc. D'ailleurs, il faut observer que les molécules ne sont pas spécifiques de voies sensoriellescertains composés sont à la fois odorants et sapides, d'autres odorants et frais, etc.
Un exemple ? L'éthanol, ou alcool des vins, bières, spiritueux, est un composé à la fois brûlant, odorant, sapide. Le (-)-menthol, présent dans la menthe, est à la fois odorant (odeur de menthe) et frais.
Tout cela étant dit, il y a donc des composés qui sont suffisamment volatils pour arriver jusqu'aux récepteurs olfactifs du nez, soit qu'ils arrivent quand on hume, soit qu'ils passent par les fosses rétronasales, où la bouche communique avec le nez (voie dite "rétronasale"). Ce sont les mêmes composés "odorants", dans les deux cas. Et les "arômes" sont les odeurs particulières des aromates, dus à des composés odorants.
Les déterminer ? C'est aujourd'hui une analyse classique (je n'ai pas dit que ce soit rapide), qui consiste - par exemple- à enfermer un produit dans un récipient fermé, en présence d'une fibre : les composés odorants libérés par le produit passent dans l'air du récipient, et s'adsorbent (se collent, en quelque sorte) sur la fibre.
Puis on "désorbe" ces composés odorants dans un appareil de "chromatographie en phase gazeuse couplé à de la spectrométrie de masse", ce qui signifie que la fibre est placée à l'entrée d'un tube très long (plusieurs dizaines de mètres) et très fin (comme un cheveu) ; à l'aide d'un gaz (par exemple de l'hélium ou de l'hydrogène), on pousse les molécules désorbées dans le tube, de sorte que, en raison de leurs interactions différentes avec des particules qui emplissent le tube, on fait avancer les molécules des divers composés odorants à des vitesses différentes : elles arrivent séparées à la sortie de cette "colonne de chromatographie".
A la sortie de la colonne de chromatographie, ces molécules séparées sont envoyées dans le "spectromètre de masse", qui les charge électriquement et les sépare en fonction de leur masse et de leur charge électrique : des séparations, on déduit la nature chimique des composés séparés. Bref, on détermine la composition de l'odeur d'un produit en composés odorants.
Reste que le goût d'un produit, c'est bien plus que son odeur, anténasale (quand on hume) ou rétronasale (quand on mastique, et que les composés odorants remontent vers le nez, en passant par les canaux qui font communiquer le nez et la bouche).
Il y a notamment les composés sapides, qui se lient aux récepteurs des papilles. Ces papilles que l'on dit "gustatives", et que l'on ferait mieux de dire "sapictives".
Là, ces composés sont principalement en solution, et ils passent de l'eau de l'aliment vers la salive, avant d'atteindre les récepteurs des papilles.
Les analyser ? Des techniques analogues à la première sont utilisables, mais d'autres, aussi.
Et puis, il y a les composés qui se lient aux récepteurs du nerf trijumeau, suscitant des fraîcheurs et des piquants. On les trouve soit dans la fraction liquide, soit dans la fraction odorante.
D'ailleurs, j'ai omis de dire que, pour comprendre l'effet de chaque composé séparé lors de l'analyse, on peut le faire sentir, à mesure qu'il sort, par un juré, qui attribue un "descripteur".
Tout est-il réglé ? Non, parce que, malgré les extraordinaires performances des appareils d'analyse, il existe des "composés traces", c'est-à-dire des composés présents en très petite quantité, mais qui ont une grande influence sensorielle.
Pour ceux là, il faut des étapes préliminaires de concentration, notamment.
Et c'est ainsi que, récupérant des tables de compositions, les bons parfumeurs savent reproduire presque n'importe quelle odeur, non pas en utilisant les centaines de composés identifiés, mais en assemblant une dizaine des principaux.
C'est ainsi que j'ai reçu d'un merveilleux professionnel, Roman Kayser, qui travaille pour la Société Givaudan, des reproductions de Haut-Brion 1985, de Gewurtztraminer vendanges tardives, etc.
Mais, pour des applications industrielles, un nombre de composés entre 1 et 10 suffit.
J'insiste un peu sur l'état actuel des questions analytiques : sortent, semaine après semaine, dans des revues de sciences et technologies des aliments, des articles qui établissent l'odeur de différents aliments : tout récemment le durian, le riesling stocké pendant 10 ans, des thés, etc. Le flot est interrompu, parce que la technique est maintenant bien maîtrisée.
Pour autant, c'est un vrai savoir faire que de "formuler" les composés odorants, parce qu'il y a des "effets de matrice".
Pour les expliquer, prenons l'exemple des molécules d'amylose (présentes dans les féculents) : elles se mettent en hélice autour des composés odorants, de sorte que la libération de composés que l'on aurait formulés ne se fait alors pas librement.
Or le décours temporel de la libération des composés odorants est essentielle, comme on le comprend en imaginant un mélange fait de deux composés, la vanilline, qui a une odeur de vanille, et le benzaldéhyde, qui a une odeur d'amande amère. Si on libère les deux composés ensemble, on a une odeur particulière, mais si on libère d'abord la vanilline et plus tard le benzaldéhyde, alors on sent d'abord la vanille puis l'amande amère, mais pas l'odeur du mélange qui était visée.
On doit donc combien les effets de matrice sont essentiels, et c'est bien un savoir faire des formulateurs de compositions odorantes que de parvenir à donner une odeur sur mesure à une préparation particulière.
assent de l'eau de l'aliment vers la salive, avant d'atteindre les récepteurs des papilles.
Les analyser ? Des techniques analogues à la première sont utilisables, mais d'autres, aussi.
Et puis, il y a les composés qui se lient aux récepteurs du nerf trijumeau, suscitant des fraîcheurs et des piquants. On les trouve soit dans la fraction liquide, soit dans la fraction odorante.
D'ailleurs, j'ai omis de dire que, pour comprendre l'effet de chaque composé séparé lors de l'analyse, on peut le faire sentir, à mesure qu'il sort, par un juré, qui attribue un "descripteur".
Tout est-il réglé ? Non, parce que, malgré les extraordinaires performances des appareils d'analyse, il existe des "composés traces", c'est-à-dire des composés présents en très petite quantité, mais qui ont une grande influence sensorielle.
Pour ceux là, il faut des étapes préliminaires de concentration, notamment.
Et c'est ainsi que, récupérant des tables de compositions, les bons parfumeurs savent reproduire presque n'importe quelle odeur, non pas en utilisant les centaines de composés identifiés, mais en assemblant une dizaine des principaux.
C'est ainsi que j'ai reçu d'un merveilleux professionnel, Roman Kayser, qui travaille pour la Société Givaudan, des reproductions de Haut-Brion 1985, de Gewurtztraminer vendanges tardives, etc.
Mais, pour des applications industrielles, un nombre de composés entre 1 et 10 suffit.
J'insiste un peu sur l'état actuel des questions analytiques : sortent, semaine après semaine, dans des revues de sciences et technologies des aliments, des articles qui établissent l'odeur de différents aliments : tout récemment le durian, le riesling stocké pendant 10 ans, des thés, etc. Le flot est interrompu, parce que la technique est maintenant bien maîtrisée.
Pour autant, c'est un vrai savoir faire que de "formuler" les composés odorants, parce qu'il y a des "effets de matrice".
Pour les expliquer, prenons l'exemple des molécules d'amylose (présentes dans les féculents) : elles se mettent en hélice autour des composés odorants, de sorte que la libération de composés que l'on aurait formulés ne se fait alors pas librement.
Or le décours temporel de la libération des composés odorants est essentielle, comme on le comprend en imaginant un mélange fait de deux composés, la vanilline, qui a une odeur de vanille, et le benzaldéhyde, qui a une odeur d'amande amère. Si on libère les deux composés ensemble, on a une odeur particulière, mais si on libère d'abord la vanilline et plus tard le benzaldéhyde, alors on sent d'abord la vanille puis l'amande amère, mais pas l'odeur du mélange qui était visée.
On doit donc combien les effets de matrice sont essentiels, et c'est bien un savoir faire des formulateurs de compositions odorantes que de parvenir à donner une odeur sur mesure à une préparation particulière.
mardi 9 juin 2020
Plus de cohérence pour des dégustations
Allons-y voir de plus près à propos de dégustation.
Je sais que les jurés, dans les comités de dégustation, ont des idiosyncrasies qui engendrent l'incohérence : ils confondent le goût, la saveur, l'odeur, l'arôme, parfois la flaveur, et ainsi de suite. Et, surtout, ils ne s'entendent pas sur les sensations qu'ils ont quand ils dégustent. Je propose donc, quand il y a un jury de dégustation, de toujours commencer par quelques petites expériences qui mettront tout le monde d'accord.
Il s'agit tout d'abord de prendre au fond de la main une ou deux pincées d'herbes de Provence.
Sentons-les : il y a une légère odeur, qui vient de l'avant du nez, de sorte que l'on a donc l'odeur anténasale.
De l'autre main, on se bouche le nez et, le nez restant pincé, on met les herbes de Provence en bouche. On mastique et l'on sent alors comme du foin, c'est-à-dire une consistance, mais rien d'autre, pas de goût en quelques sorte. C'est que les herbes de Provence n'ont pas de saveur. Continuons à mastiquer un peu, puis, d'un coup, libérons le nez... et tout d'un coup, le goût apparaît car des molécules odorantes des herbes de Provence, libérées par la mastication, sont remontées vers le nez par les fosses retronasales, ce canal de communication entre le nez et la bouche, à l'arrière de la bouche. Quand on libère le nez, on sent donc l'odeur retronasale, qui ne se confond pas avec l'odeur anténasale qui est pourtant due aux mêmes molécules, mais dans des proportions différentes.
Finalement, les herbes de Provence ont une odeur mais pas de saveur, et le goût des herbes de Provence, la sensation synthétique que l'on a quand on mange, se résume donc à cette odeur rétronasale.
Observons pour terminer ici que l'odeur (anténasale) des herbes de Provence est leur "arôme".
Faisons maintenant la même expérience avec du sucre. En approchant le creux de la main de la bouche, on ne sent aucune odeur : le sucre n'a pas d'odeur anténasale. Puis, le nez pincé, nous mettons le sucre en bouche et nous percevons parfaitement du sucré : il y a donc une saveur sucrée au sucre.
Si nous libérons maintenant le nez, aucun changement ne se produit, car le sucre n'a pas non plus d'odeur retronasale.
Finalement le goût du sucre se réduit à sa saveur sucrée. Il en serait de même pour le sel et pour quelques autres composés.
Mais passons maintenant à du jus d'orange. Cette fois, nous percevons une odeur anténasale, mais, quand nous buvons le nez pincé, nous sentons plusieurs saveurs : de l'acide, du sucré... Si nous libérons le nez, nous percevons des odeurs rétronasales, et la totalité fait le goût du jus d'orange.
Passons au vinaigre. Cette fois nous sentons clairement une odeur, mais de surcroît, nous avons une espèce d'irritation du nez, car à l'odeur se superpose une sensation dite trigéminale, ce qui recouvre les piquants et les frais.
Si nous mettons une cuillère de vinaigre dans la bouche avec le nez pincé, nous sentons une sensation acide, une saveur acide, mais si nous libérons le nez, alors une odeur retronasale s'ajoute et finalement, le goût du vinaigre tient à tout cela : de la saveur, de l'odeur et du trigéminal.
J'oublie volontairement les autres sensations : de consistance, de température, visuelles, auditives (important pour le croustillant), et ainsi de suite.
dimanche 19 avril 2020
Pourquoi on ne sent pas le goût du vin en apnée ?
Une question de dégustation, ce matin : pourquoi ne sent-on pas le goût du vin en apnée ?
Pour répondre, il faut d'abord expliquer ce qu'est le "goût".
1. Le goût d'un met, c'est ce que l'on perçoit quand on déguste ce met. Par exemple, quand on mange (ordinairement) une banane, on a le goût de la banane.
2. Ce goût est la résultante de plusieurs perceptions, par des récepteurs différents, situés en des endroits différents de la bouche et du nez : des récepteurs de la saveur des récepteurs de l'odeur, des récepteurs "trigéminaux", des capteurs de pression, des récepteurs pour certains lipides particuliers, des capteurs de température, des récepteurs de lumière...Et c'est la somme de toutes ces strimulations qui fait le goût, après un traitement dans le cerveau.
3. Mais tout cela est bien compliqué, et rien ne vaut quelques expériences.
4. Pour commencer, il n'est pas difficile de voir que les aliments ont une apparence visuelle, avec texture, couleurs, brillance...
5. Puis, approchons l'aliment de la bouche : il passe sous le nez, et l'on perçoit alors parfois une odeur : c'est l'odeur anténasale, due à des composés qui s'évaporent de l'aliment, passent dans l'air environnant, et montent dans le nez, où elles sont détectées. Et une bonne indication, c'est que l'on ne sent rien si l'on pince le nez.
6. Puis, une expérience qui consiste à se pincer le nez, puis à mâcher des herbes aromatiques (par exemple, du thym séché) pendant quelques secondes. On ne sent alors rien que la consistance, une sorte d'impression de mâcher du foin.
On conclut que les herbes aromatiques séchées n'ont quasiment pas de saveur.
7. Après plusieurs secondes (disons 10), de mastication des herbes aromatiques séchées, on relâche le nez : et soudain il y a une vague de sensation, à savoir que, cette fois, on perçoit le "goût" ses herbes aromatiques. Ici, c'est simplement que les molécules odorantes libérées par la mastication ont réussi à atteindre les récepteurs du nez. Et l'on est conduit à conclure que le "goût" des herbes aromatiques tient essentiellement dans leur odeur. Une odeur rétronasale, puisque, cette fois, elle résulte de la montée des molécules odorantes par un canal qui relie la bouche au nez, à l'arrière de la bouche. C'est l'odeur "rétronasale".
Conclusion supplémentaire : les herbes aromatiques séchées ont une odeur, mais quasiment pas de saveur
8. On répète maintenant l'expérience de goûter le nez pincé, puis de libération du nez avec du sucre.
Cette fois, on perçoit bien la saveur sucrée, quand le nez est pincé. Mais rien ne vient s'ajouter quand on libère le nez, de sorte que l'on doit conclure que le sucre a une saveur, mais pas d'odeur (rétronasale).
9. Répétons avec du vinaigre : là, on sent bien l'acidité, quand le nez et bouché, mais une odeur rétronasale s'ajoute : le vinaigre a de la saveur et de l'odeur.
C'est d'ailleurs de cas de nombreux autres aliments.
10. Je fais l'impasse sur d'autres modalités sensorielles : le trigéminal (piquant, frais...), etc., parce que mon objectif, ici, était de répondre à la question de mon correspondant : en apnée, quand on ne permet pas aux molécules odorantes de venir stimuler les récepteurs olfactifs du nez, on ne perçoit pas la composante odorante du goût, et, pour des produits qui ont essentiellement de l'odeur (rétronasale), le goût n'est pas perçu.
jeudi 25 juillet 2019
Pourquoi tant de résistances à propos de ces cas cette théorie FAUSSE des 4 saveurs ?
Je comprends pas comment il est possible que, aujourd'hui encore, des personnes continuent de croire qu'ils puisse exister seulement quatre saveurs, alors que les travaux le physiologie sensorielle ont démontré le contraire depuis des décennies !
Là, aujourd'hui même, un collègue s'étonne quand je lui dis que la théorie FAUSSE des quatre saveurs est FAUSSE, donc, et l'explication que je lui donne me conduit à faire ce billet de témoignage.
Commençons donc avec la théorie FAUSSE des quatre saveurs. Elle stipule que l'on ne reconnaîtrait que quatre saveurs : le sucré, le salé, l'amer, l'acide.
D'ailleurs, en général, ceux qui adhèrent à la théorie des fausse des quatre saveurs propagent également la prétendue (et FAUSSE) carte de la langue, selon laquelle la pointe reconnaîtrait le sucré, par exemple. Moi qui suis un être simple, je m'étais empressé, dans les années 1980, de tremper la pointe de la langue dans une solution sucrée et je n'avais rien senti, ce qui m'avait alerté (j'ai répété l'expérience avec une trentaine d'amis, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, avec le même résultat pour la moitié du groupe environ).
Mais les choses sont devenues plus sérieuses quand j'ai eu entre les mains l'excellent article scientifique d'Annick Faurion intitulé
Naissance et obsolescence de la théorie des quatre saveurs.
En réalité, n'importe qui peut savoir que cette théorie est FAUSSE, à condition de bien faire l'expérience de se pincer le nez quand on goûte, et de ne pas confondre la saveur avec les sensations trigéminales, de piquants et de frais (observez le pluriel à "piquants", mais c'est une autre histoire). Par exemple, goûtez ainsi des graines de cardamome, le nez pincé, et vous ne sentirez rien que la consistance. Puis, si vous libérez le nez en cours de mastication, alors une odeur apparaîtra, les molécules odorantes libérées par la mastication atteignant le nez. Là, pas de saveur, mais seulement de l'odeur (rétronasale, donc).
Si vous répétez l'expérience avec du sel blanc, alors vous aurez une saveur, mais rien de plus en libérant le nez. Idem pour du sucre. Mais pour du vinaigre blanc, alors vous aurez les deux sensations d'odeur et de saveur : d'ailleurs on sait bien qu'il y a une odeur, puisqu'il suffit de sentir le vinaigre ! Et il y a sans doute aussi du trigéminal.
Mais passons à autre chose : si vous avez la curiosité de goûter du bicarbonate, avec le même protocole, vous percevrez rapidement qu'il n'est pas exactement salé, ni sucré, ni acide, ni amer ; il y a une sorte de "savonneux". Puis, si vous goûtez un peu de vodka en vous pinçant le nez, afin d'éviter que l'odeur de l'éthanol ne remonte vers le nez par les fosses rétronasales, alors vous percevrez une saveur qui n'est pas salée, pas sucrée, pas acide, pas amère, et pas la même que le bicarbonate. Ce qui fait donc au minimum six saveurs.
Mais si vous goûtez maintenant du monoglutamate de sodium, vous verrez qu'il n'est ni salé, ni sucré ni acide, ni amer, ni comme le bicarbonate, ni comme l'éthanol de la vodka... Et voilà encore une nouvelle saveur.
Et ainsi de suite. Le nombre de saveurs est considérable, et on le sait depuis des décennies ! Pourtant, que de résistance !
Je me souviens par exemple qu'en 1992, lors du premier colloque de gastronomie moléculaire que j'organisais en Sicile, le directeur du Monell Institute de Philadelphie, centre de recherche spécialisé dans les odeurs ou, plus généralement, les "sens chimiques", me soutenait qu'il n'existait que quatre saveurs. Trois ans plus tard, le même homme, me soutenait qu'il y avait cinq saveurs, au nombre desquelles il comptait l'umami. Je n'ai jamais compris comment il résistait ainsi aux faits. Et je suis bien désolé, en outre, de dire à mes amis les plus conservateurs que l'umami est une notion très commerciale, qui n' pas pas sa place dans les discussions sérieuses de physiologie sensorielle. Pourquoi ?
Là, un témoignage bien plus spécifique : tout d'abord, il est consternant de voir que de nombreux articles prétendument scientifiques à propos de l'umami sont signés par du personnel d'une compagnie qui vend du monoglutamate de sodium ou par des universitaires sponsorisé par cette compagnie, ce qui les met en grave conflit d'intérêts.
Et je peux aussi témoigner que, lors de ma première visite au Japon, les directeurs d'une société qui vend du monoglutamate de sodium m'ont dit en moins d'une heure d'intervalle que l'umami était la saveur du mélange d'acide glutamique et d'alanine, puis du monoglutamate de sodium. Je leur ai évidemment fait observer qu'il n'était pas possible que l'umami soit une saveur élémentaire si c'était le mélange de la saveur de l'alanine et de la saveur de l'acide glutamique... mais ces personnes s'en moquaient : seul comptait pour elles le chiffre d'affaires ! Je leur ai également fait observer que la saveur de l'acide glutamique n'était pas exactement la saveur du monoglutamate de sodium. Mais là encore, "cause toujours tu m'intéresse".
De toute façon, la prétendue saveur umami n'est PAS "la" cinquième saveur, puisque il y a sans doute un nombre très grand, voire infini, de saveurs. Car, dans ma trop courte liste précédente, j'ai omis l'acide glycyrrhizique de la réglisse, ou bien encore le fait que l'acide malique n'a rien à voir, du point de vue de la saveur, avec l'acide acétique ou avec l'acide citrique ; ou encore le fait que la saveur du lactose n'est pas celle du saccharose, ni celle de l'aspartame, et ainsi de suite.
Les gens sérieux, ceux qui lisent les bons articles scientifiques, savent bien, de surcroît, que l'on a découvert une perception des acides gras insaturés à longues chaînes, ou encore une perception des ions calcium... Ceux qui vivent encore plus finement savent que les électrophysiologistes qui explorent les réactions des cellules réceptrices des papilles, savent que deux cellules voisines, dans une papille, réagissent à des composés différents.
Bref il est vraiment incroyable que des universitaires en 2019 croient encore à la théorie FAUSSE des quatre saveurs, que des livres d'enseignement propagent ces idées fausses.
Le commerce a fait beaucoup de mal soit avec ses messages délétères, soit en graissant la patte d'universitaires au nombre desquels j'aurais honte d'être compté !
vendredi 8 février 2019
Des arrêts contestables
Je veux discuter deux points :
1. les termes du document qui m'a été transmis... et qui sont très contestables, contradictoires, et formant une base sur laquelle les avocats ou la cour ne pouvaient pas prendre vraiment parti : je propose donc que cet arrêt soit invalidé
2. la question du droit d'auteur pour les aliments.
A propos de terminologie
On peut bien sûr imaginer que la traduction de l'arrêt soit mauvaise, mais je propose d'observer qu'il y a le plus grand désordre dans les textes que je cite (des extraits, pour ne pas alourdir ce billet). Par exemple, il est question de "saveur"... mais je pressens qu'il était question de goût... mot utilisé ailleurs à propos d'"organes sensoriels" ! Finalement, de quoi parle-t-on ? Et pourquoi spécifier que la bouche perçoit des sensations tactiles (consistance) ?
Cette cacophonie n'est pas neuve, comme si un dieu jaloux avait voulu mettre la discorde entre les constructeurs de la tour de Babel. Mais ma comparaison est tendancieuse, car si les constructeurs de ladite tour étaient fous (vouloir toucher le ciel!), la volonté de s'entendre sur les mots du goût est la condition d'avancées scientifiques, en même temps -on le voit- que la possibilité de réglementer et de juger de façon raisonnable (les gens de loi le veulent-ils vraiment, ou bien préfèrent-ils avoir de quoi exercer leurs talents pendant longtemps ?).
Je rappelle ma proposition :
1. quand nous approchons un aliment de la bouche, nous percevons ses couleurs, ses "textures visuelles" (brillant, mat, etc.), son odeur "anténasale" (quand les composés odorants qui vont de l'aliment à l'air arrivent dans nos narines), et jusqu'à son nom qui nous influence (le mot "citron" fait saliver).
2. puis, en bouche, nous sentons le "goût". Plus analytiquement :
- l'aliment est mastiqué, avec les dents qui perçoivent la consistance (et non la texture, mais c'est là un détail) ;
- cette mastication libère des composés qui se dissolvent dans la salive, et peuvent atteindre les récepteurs des papilles, ou bourgeons du goût, et c'est la perception des saveurs;
- simultanément, la mastication, qui chauffe l'aliment (s'il est froid) libère des composés odorants, qui montent vers le nez, ce qui correspond à une odeur "rétronasale"
- et il y a toutes les autres sensations : température, trigéminal (piquants, frais...), calcium, acides gras insaturés à longue chaîne
Tout cela, c'est le goût, dont les saveurs ne sont qu'une composante pas isolable du reste. On comprend que le libellé de l'arrêt est d'une médiocrité indécente !
A propos de droit d'auteur
Je sens les gens de loi (certains) assez retors pour faire valoir que le droit d'auteur pourrait ne pas s'appliquer à des oeuvres d'art culinaire... puisque j'ai même rencontré des individus assez bornés pour penser que les productions culinaires ne soient pas de l'art. C'était un parti pris irréfléchi, voire idiot, car qu'est-ce que le "bon" sinon le "beau à manger" ? Je renvoie à mon livre, où je fais une "esthétique" du goût, le mot "esthétique" désignant une branche de la philosophie, et non le beau à regarder.
Cela dit, je dois aussi témoigner (c'est du vrai, je peux produire des preuves) que j'ai été expert dans une affaire telle que celle-ci... et que c'était une mascarade où j'ai perdu mon temps : il y avait, certes, la société X qui accusait la société Y de contrefaçon... mais, en vrai, ils se moquaient du fond de l'affaire et des arguments réels, car c'était seulement un retour du berger à la bergère, la société Y ayant fait plus tôt un procès à la société X... Et tout cela s'est terminé à l'amiable.
Alors qu'il y aurait eu lieu de trancher ! Je maintiens qu'il y a des contrefaçons, et même si l'on ne peut pas breveter une préparation culinaire, on peut parfaitement reconnaître une copie.
mardi 10 avril 2018
Quand on mangeons un aliment, nous percevons son « goût »
vendredi 15 décembre 2017
Du bon usage de la crème
La pratique a de quoi choquer : quel belle odeur, au dessus de la casserole ! Pour le physico-chimiste, qui voit le monde microscopique avec les yeux de l’esprit, c’est du gâchis : pensons à toutes ces belles molécules odorantes qui sont perdues, et finissent dans les hottes aspirantes, au mieux dans les cuisines. Ne vaudrait-il pas mieux qu’elles finissent dans les assiettes ?
La crème est une de ses meilleures armes, pour y parvenir. Oui, la crème, car elle contient de la matière grasse et de l’eau. L’eau dissout les molécules sapides, et la matière grasse dissout les molécules odorantes. Autrement dit, tout ce qui accompagne la crème, lors d’une cuisson où elle est présente, a des chances de rester piégé, à condition qu’il y ait un couvercle.
Considérons le cas des champignons, par exemple. La cuisson classique, dite en cassolette, est d’une remarquable intelligence empirique, car, quand on chauffe à couvert des champignons, du champagne, de la crème, sel et poivre, alors les champignons libèrent des molécules odorantes qui vont se dissoudre dans la matière grasse de la crème ; ils libèrent aussi des molécules sapides, qui, elles, vont se dissoudre dans la « phase aqueuse » faite par le mélange du champagne et de l’eau de la crème. Bref, tout ce qui sort des champignons est retenu… à condition que l’on n’ait pas chauffé et que l’on ait ajouté un couvercle !
Oui, un couvercle, contre lequel les vapeurs viennent se refroidir, et, se recondensant, remettre dans le liquide les molécules qui auraient été éliminées par l’évaporation.
D’où la règle très importante à ajouter pour ce type de cuisson : il faut cuire dans la crème, sous un couvercle.
Le hic, c’est la réduction ! Oui, parce que, alors, l’eau de la préparation est évaporée. Or l’évaporation de l’eau entraîne avec la vapeur les molécules odorantes. C’est même un procédé ancien de la parfumerie que l’extraction des huiles essentielles à la vapeur d’eau. Si on veut faire chic, on peut dire « hydrodistillation », mais c’est la même chose (évidemment, on recondense les vapeurs, pour récupérer une huile essentielle qui flotte sur l’eau recondensée).
Alors, comment faire pour avoir une sauce liée, quand on veut crémer ?
Cela paraît tout à fait évident : puisque la réduction fait partir les molécules odorantes, une première solution consiste à distiller, disons simplement à récupérer les vapeurs de la réduction, puis à remettre dans la casserole la partie « huile » qui a été récupérée : ce sont des odeurs à l’état pur !
Pas pratique pour les petites quantités. Alors je propose l’analyse suivante : la réduction permet d’éviter qu’il y ait trop d’eau dans la préparation, ce qui force à réduire. Or la crème apporte de l’eau au jus ou au produit initial, ce qui force à réduire.
Pourquoi ne pas réduire la crème par avance, doucement, en grande quantité, comme on fait pour le beurre clarifié, afin d’obtenir un produit concentré en matière grasse de la crème, que l’on ajouterait au produit ou au jus. Un couvercle, un petit chauffage qui n’élimine pas l’eau, et le tour serait alors joué !
Enfin, pourquoi ne pas imaginer que les cuisiniers réclament aux fabricants des crèmes déjà réduites, qu’il suffirait d’ajouter aux préparations, afin d’éviter les réductions ?
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
vendredi 28 février 2014
Incohérences !
On voit un premier groupe de sensations (visuelles), qui distingue l'aspect et la couleur. Jusque là, ça va encore.
Puis on voit une ligne consacrée à l'odeur : c'est donc qu'il faut approcher le produit du nez, et le sentir. On voit bien comment faire.
La ligne "tactile" ? On nous dit que c'est la texture, et pourquoi pas, puisque les dents ou la langue permettent d'apprécier la dureté du produit, et aussi sa granularité : on aurait pu être plus analytique, mais, en pratique, pas de problème.
Puis vient la ligne intitulée "gustatif" : on comprend qu'il faut enfin goûter le produit. Qu'en dire ? On parle de saveur (et l'on précise que l'amertume, l'acidité, le salé excessif, le sucré sont des défauts, tandis que le fait de ne tendre vers aucune saveur particulière serait une qualité. On parle aussi d'arôme, ce qui est fautif, puisque l'arôme est, par définition, l'odeur des aromates, et que le produit jugé était une charcuterie ! Une charcuterie n'étant pas un aromate, elle n'a pas d'odeur.
Surtout, en bouche, il est impossible de connaître la saveur sans l'odeur qui est perçue par le nez, quand les composés odorants remontent par les fosses rétronasales, et il est d'ailleurs impossible de connaître cette odeur. Sans compter que les sensations trigéminales (les piquants, les frais...) sont dans le groupe de sensations, sans que l'on puisse les en séparer non plus.
Bref, deux conclusions s'imposent :
1. cette feuille est fautive
2. il est urgent de proposer mieux !
mardi 30 mars 2010
Les goûts sucrés
Oui, ces composés ont des saveurs sucrées... mais pas les mêmes. D'ailleurs, les saveurs de ces composés ont des profils temporels, et on peut leur associer des descripteurs métaphoriques.
La question est surtout que nous manquons de mots. Comment décrire le bleu à celui ou celle qui ne l'a jamais vu? Comment décrire un goût à celui ou celle qui ne l'a pas goûté? Comment enfin décrire un goût... autrement que par rapport à quelque chose de connu, la chose elle-même ou quelque chose qui approche (et qui n'est pas alors ce que l'on veut décrire)?
Mon visiteur a eu raison de critiquer la phrase, qui était insuffisante. Merci à lui ou elle : le commentaire n'était pas signé.
Vive la gourmandise éclairée!