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mercredi 4 décembre 2024

Préparer un projet ? Soyons clairs

Hier j'expertisais un projet pour une agence nationale de recherche et d'enseignement supérieur, et les défauts étaient clairs : je les indique ici afin d'aider mes amis à mieux préparer leurs propres projets pour l'avenir. 

 

Pour financer une recherche pour un enseignement scientifique, on a besoin de soutien financier ou d'accréditation, ce qui s'accompagne de la préparation d'un document formel, structuré, qui est ensuite évalué par les agences nationales. 

Dans ces "moules" fournis par les institutions, il y a évidemment une partie administrative facile à remplir,  mais c'est la partie de description et d'analyse qui est plus intéressante. 

Je dis "plus intéressante", et je veux dire "plus intéressante à préparer", car il y a lieu de poursuivre le travail scientifique jusque dans cette préparation, la probabilité qu'elle soit acceptée fut-elle faible. Au pire, si le cadre nous a permis de faire un peu de travail scientifique, alors ce n'est pas grave que le projet ne soit pas retenu, car au moins nous aurons progressé intellectuellement.

Hier, dans l'évaluation que j'ai faite, le défaut était manifeste, et son identification peut, je le répète,  nous aider à mieux faire nous-même. 

Tout d'abord, les auteurs maniaient la langue de bois, avec des phrases confuses, vagues, encombrées, pas claires, ce qui doit nous conduire à nous interroger sur la manière donc elles ont été rédigées : les auteurs ont-ils été négligents  ? ou bien pensaient-ils mal ? ont-ils voulu brouiller les pistes ? 

En tout cas, pour l'évaluation que j'ai faite hier, le résultat ne s'est pas fait attendre : chaque fois qu'une phrase était incompréhensible ou vague, je le disais, et j'essayais d'expliquer très clairement comment j'avais vu que la phrase était vague ou incompréhensible, voir "insensée" (ce qui signifie littéralement n'avoir pas de sens) 

Je vois qu'une préparation de projet mal faite fait perdre son temps  à tout le monde : aux évaluateurs... mais aussi aux soumetteur, dont le projet sera rejeté, et qui devront tout refaire. 

Pourquoi ne pas avoir bien fait du premier coup ? Comment nos collègues ont-ils pu imaginer que leur proposition aurait des chances de succès  ? Il y a une erreur d'appréciation que je ne comprends pas, mais, en tout cas, je vois clairement que, dans une évaluation le projet doit être bien clair, bien expliqué : il s'agit d'expliquer à son interlocuteur et non pas de brouiller les pistes. 

Au fond, je vois dans le projet médiocre d'hier le même mauvais travail que dans les mauvais devoirs de certains mauvais étudiants, mais j'y vois surtout, a contrario, l'indication que nous avons intérêt à toujours faire bien. 


 
Vive la chimie (cette science merveilleuse qui ne se confond pas avec ses applications), bien plus qu'hier et bien moins que demain !
 
Les actualités :
▪ A venir le 12 février 2025 : Grand colloque "Chimie et alimentation" à la Maison de la chimie
▪ Hervé This : Video courses on "Dispersed systems formalism (DSF), a tool for describing physical systems", https://www.youtube.com/watch?v=AFcZlNvyMik
▪ This vo Kientza H. 2024. How many significant figures should be used for means and standard deviations?, International Journal of Molecular and Physical Gastronomy, 10(1), 8, 1-15. doi: 10.17180/ijmpg-2024-art08
 

Hervé This
INRAE-AgroParisTech International Centre for Molecular and Physical Gastronomy :
https://icmpg.hub.inrae.fr
 
Informations, contact:
Groupe de gastronomie moléculaire, Equipe GePro, UMR 0782 SayFood, AgroParisTech-Inrae
22 place de l’agronomie, 91120 Palaiseau
Tel : 01 89 10 11 79 ou 01 89 10 00 00 (standard)
Site, avec un liste d'activités à venir : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
Blog : https://hervethis.blogspot.com/

lundi 2 décembre 2024

Comment préparer et mener un travail ?



Faire un projet ?
Planifier un travail ? Il y a lieu de bien le préparer, de façon structurée, et de corriger nos prévisions au fur et à mesure du déroulement des travaux. Ne nous empêtrons pas dans mille considérations accessoires, et restons-en d'abord au plus important.

Surtout, comme un travail est un cheminement abstrait, représentons-le graphiquement. Et simplement.

Commençons par observer que si nous voulons aller d'un point à l'autre, il faut partir du point de départ et nous diriger vers la destination, le point d'arrivée.
On représentera cela graphiquement en mettant à gauche un point, le départ, et à droite l'arrivée.
Le départ :  nous savons bien où nous sommes, ici et maintenant, mais il ne s'agit pas d'un point "physique : bien plutôt d'un point "intellectuel". Et cela fait toujours du bien de nous situer dans le contexte particulier du travail. Par exemple, si nous étudions les mousses, alors nous pourrons déposer au point de départ les connaissances que nous avons à leur propos (on écrit cela sous le point, par exemple, ou bien plus bas que la représentation graphique, avec un renvoi par un numéro, si l'on ne veut pas surcharger le graphique du chemin).

Pour la destination, le point d'arrivée, c'est un "objectif". Et avant chaque mise en route, nous avons toujours intérêt à nous demander où nous voulons aller : quel est l'objectif ?
J'insiste un peu, parce que cette question de l'objectif est la source d'erreurs fréquentes : sans cesse, entre le moment où nous planifions un travail et le moment où nous le terminons, il y a lieu d'être bien clair, de bien garder l'objectif en tête, sans quoi nous nous égarerons.

Puis entre les deux points de départ et d'arrivée, il y a un grand nombre de chemins possibles, mais c'est évidemment la ligne droite qui est le plus rapide. Souvent, dans les travaux professionnels, c'est celui que nous devons chercher lors de la planification.  

Comme pour un véritable chemin, physique, dans un pays, le "chemin du travail" se parcourt pas à pas, mais généralement par étapes.
Lors de la planification, il n'est pas  inutile de représenter une structuration du chemin, divisé par des étapes, et sans rentrer dans le détail des pas individuels :  on verra ainsi mieux les sous-objectifs successifs.
Bien sûr, il y a des cas où plusieurs chemins devront être parcourus en parallèle et cela correspondra à des bifurcation du chemin principal sur des lignes différentes. Pour chacune, il pourra y avoir des structurations, des étapes encore.

Lors du travail, nous aurons généralement des informations nouvelles, et elle conduiront peut-être à des modifications du chemin, ce qui pourra être représenté.

De la sorte, on obtiendra un grand arbre couché, que nous parcourons de la gauche vers la droite (soyons simple !), et l'on pourra utiliser des couleurs pour distinguer ce qui a été fait, et ce qui est à faire.
Bien évidemment, on fera apparaître dans la première ligne ce qui est le plus urgent, et dans les lignes suivantes par ordre descendant ce qui l'est de moins en moins.
Parfois, il y aura des rameaux, que l'on ne parcourra pas, sauf en cas de besoin : ce sont des questions peut-être passionnantes, mais qui risquent de nous détourner de notre objectif.

Et ainsi, avec différentes indications de date, de temps de parcours, des annotations, et cetera, on aura fait cet "arbre et rameaux" que je propose à tous ceux qui mènent un projet.

On observera que ce n'est pas exactement un diagramme de Gantt, lequel a d'autres intérêts.

Quel outil utiliser pour représenter tout cela ? Un certain monde professionnel recourt à Excel, ou  Calc, mais les chemins n'apparaissent alors pas et pour cette raison, je dois conclure que ce n'est pas la meilleure des solutions.
Alors... soyons simple : pourquoi pas un simple logiciel de dessin ? 



lundi 1 mai 2023

Un projet ? C'est quelque chose que l'on envisage de faire, et non pas quelque chose que l'on fait !

Nous sommes bien d'accord : si j'annonce, le lundi, le programme de la semaine, ce n'est pas parce que je "reprends" le travail ce jour-là. De mon côté, rien ne s'est arrêté, et c'est seulement le "monde" qui refait son apparition au laboratoire après deux jours d'absence. 

 

Cela étant, pourquoi ne pas, effectivement, se demander le lundi ce qui fera l'objet des travaux dans les prochains jours ? La périodicité de la journée est intéressante, puis celle de la semaine (un ordre de grandeur au-dessus), puis le mois, puis le trimestre, puis l'année. 

Evidemment, comme nous en discutons avec les étudiants actuellement au laboratoire, ces rendez vous sont l'occasion d'évaluations... car on ne dira pas assez qu'une évaluation ne doit pas être une sanction, mais plutôt l'occasion de se mettre un pas en arrière de soi-même, et d'évaluer, donc, les actions entreprises. Autrement dit, il faudrait, le lundi, ne pas se contenter de voir ce que l'on va faire, mais surtout de voir ce qui a été fait, et quels ont été les résultats. 

La semaine passé, nous avons discuté de "projets". Ah, les projets... Sur "toutes les ondes", il y a eu "effectivement » à toutes les sauces, puis il y « voilà », et il y a aussi, partout, les mots  « excellence » et « projet ». Il suffit d'écouter  la radio : il y a quelques années le mot « effectivement» apparaissait presque à toutes les phrases dans les bouches qui s'ouvraient, hélas, de façon excessive ou inutile, sur les ondes radio. Aujourd'hui, c'est le mot « voilà », ou "du coup". Il est partout, il n'ont guère de sens, et une fois qu'on les repérés, ils deviennent extrêmement pénibles. 

Ces temps-ci, les étudiants en sciences quantitatives arrivent avec un tic du  même tabac : il y a ce mot « projet » qui sort à jet continu. 

Un projet ? C'est quelque chose que l'on envisage de faire, et non pas quelque chose que l'on fait ! 

De la part d'un étudiant, je suis heureux de recevoir un projet avant que le travail se fasse, mais je préfère de beaucoup qu'il me parle ensuite d'un travail, d'un programme qu'il met en  oeuvre, des tâches qu'il planifie... 

Ah,  le mot travail ! Au risque de paraître pétainiste, il nous faut quand même reconnaître que,  par ces temps de plomb où le mot « loisir » est partout, ce mot « travail » n'est plus aussi bien considéré qu'il le devrait. Pourtant, quel bonheur que  de faire un travail que l'on aime ! 

Les  systèmes d'enseignement doivent le dire, le redire.  Il pourront assortir leur monitions de  cette phrase merveilleuse : nous sommes ce que nous faisons.

dimanche 8 septembre 2019

Un projet professionnel est un projet personnel ; comment se déterminer ?


J'ai l'impression que nous aurions tout intérêt à aider les étudiants à se déterminer quand leur projet professionnel n'est pas fixé. D'ailleurs, je dis "projet professionnel", mais je ferais mieux de dire "projet personnel", car je ne vois pas les possibilités durables de mener une vie professionnelle si elle n'est pas intimement et harmonieusement intégrée à la vie personnelle.
En conséquence, nous aurions intérêt à bien suivre cette question au cours des études : au début, au milieu, plusieurs fois, en fin de parcours. Comment aider nos amis ?  Je crois que nous aurions intérêt à rappeler l'exemple de Francis Crick, qui, physicien, s'aperçut un jour qu'il parlait de biologie à ses amis. Il décida donc de changer de discipline... et c'est ainsi qu'il reçu le prix Nobel quelques années plus tard pour la découverte de la  structure en double hélice de l'ADN. Chercher de quoi l'on parle avec le plus d'intérêt (à ses amis) : c'est ce qu'il a nommé le test du bavardage.
On aura aussi intérêt à donner des outils pour comparer les différentes activités, et notamment les critères d'intérêt intrinsèque, à savoir combien le métier nous intéresse, d'intérêt extrinsèque, à savoir combien on gagne, et d' intérêt concomitant, qui regroupe des tas d'intérêts, comme celui de la place dans la société, par exemple. Pour chaque activité, chaque personne en particulier peut faire une estimation particulière, ce qui conduit à un bilan, surtout si l'on assortit c'est évaluation d'un tableau où il l'on fait apparaître les avantages et les inconvénients que l'on pressent : c'est un tel tableau que l'on peut alors discuter de façon plus raisonnée.
Tout cela étant dit, et sans que mon exemple ne soit exemplaire, je propose de raconter ici que, quand je me suis retrouvée inscrit en faculté de lettres, j'avais des tas de matière qui ne m'intéressaient pas a priori.  C'était là un état d'esprit d'enfant, car les études de ces matières, notamment avec des professeurs aussi merveilleux que Danielle Régnier-Bohler et Claude Gaignebet, m'ont montré que mes a priori étaient complètement idiots. Puis, quand j'ai été embauché par la revue Pour la science, je l'ai été, faute de place,  pour le secteur de la médecine, que, pour des raisons familiales, j'avais toujours voulu éviter. Je ne sais pas comment cela s'est  fait (si, je le sais, comme on le verra plus tard), mais ce secteur est vite devenu passionnant,  au point car qu'un collègue que nous avions embauché peu après a voulu me le reprendre. Il en a été de même pour la rubrique de Critique de livres, que personne ne voulait : je l'ai reprise et transformée, au point que c'est devenu une des rubriques les plus lues du journal.
Ces deux derniers exemples montrent que c'est nous qui éventuellement créons la poussière du monde où, au contraire, qui rendons les choses passionnantes. Dire "j'aime" ou "je n'aime pas" est sans doute une attitude d'enfant, et nos jeunes amis doivent savoir tout cela en tête quand ils discuteront de façon intime ou explicite des possibilités qui s'ouvre à eux.

Et je terminerais en conseillant de rechercher ce qui nous passionnait quand nous étions enfants ou adolescents, car le passé nous rattrape souvent, et nous aurions intérêt à ne pas perdre de temps dans des secteurs qui ne sont pas ceux que nous aimons vraiment. Pour moi, sans que je regrette rien, je dois quand même avouer que mon bonheur est parfait depuis que je suis dans mon laboratoire de recherche scientifique, après ce passage pendant 20 ans dans l'édition scientifique, activité qui me forçait à faire ma recherche scientifique dans mon laboratoire personnel et seulement pendant les vacances.
Aujourd'hui, le poulain est lâché dans le pré... et l'herbe est plus verte dans mon propre pré que dans celui du voisin. C'est ce que je souhaite à tous !


jeudi 24 décembre 2009

Un champ largement en friche

La forme "blog" conduit parfois à d'étranges choses. Je m'aperçois que, ayant voulu expliquer une partie du projet de la gastronomie moléculaire, lors d'un précédent billet, la construction de l'affaire m'a détourné d'une idée que je crois utile d'afficher.

A savoir que la cuisine est, pour la science, un champ très largement inexploré... ce qui la rend particulièrement intéressante (en plus de ses "vertus gourmandes").

Oui, l'ambition de la science, c'est (classiquement, mais on pourra y revenir) de lever un coin du grand voile, de faire des "découvertes", de comprendre les mécanismes des phénomènes.

De ce fait, il y a une méthode qui consiste à reprendre inlassablement les théories, toujours insuffisantes, pour les affiner, les réfuter, les préciser...

Cependant, il y a aussi la possibilité d'aller examiner des phénomènes qui ont été négligés... comme la transformation culinaire. Evidemment, il serait naïf ou ignorant de croire que la science ne s'est jamais intéressée aux transformations culinaires, mais il faut aussi rappeler que, si nous avons créé la gastronomie moléculaire, dès les années 1980, c'est précisément parce que les sciences des aliments avaient dérivé vers la connaissance fine des ingrédients, d'une part, et l'exploration des procédés industriels d'autre part. La cuisine n'était pas étudiée.

Une preuve? Le livre classique (et excellent) intitulé Food Chemistry, dans sa version de 1999, contient très peu de choses sur la cuisson des viandes, et rien sur les transformations des vins quand on les cuit. Or on sait que les viandes sont faites pour être cuites, et que les vins sont indispensables en cuisine, pas seulement sur la table, dans les verres!

Bref, la gastronomie moléculaire considère la cuisine surtout par le nombre considérable de phénomènes qu'elle fait apparaître, lors des transformations.

Ce sont des phénomènes inédits que la gastronomie moléculaire peut espérer découvrir, et des mécanismes inconnus, de ces phénomènes inédits.

Tout cela, c'est de la science, et pas de la cuisine, mais il n'est pas interdit que les deux champs collaborent!