Affichage des articles dont le libellé est objectifs. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est objectifs. Afficher tous les articles

samedi 16 décembre 2023

Entre spéculatif et opératif


J'hésite d'abord à utiliser ces deux mots, spéculatif et opératif, parce qu'ils sont largement utilisés dans des cercles philosophiques. 

En outre, les utiliser d'emblée risquerait de tourner au cliché. 

Partons donc de quelque chose de simple, de concret : la cuisine. Et, mieux encore, d'un mets populaire, à savoir un poulet rôti. 

Il est vrai que l'on peut discuter ce poulet rôti du point de vue de sa production. Il y a des gestes à effectuer pour l'obtenir : prendre un poulet, le tuer, le plumer, le vider, le rôtir. On effectue des opérations, et la description est donc opérative. Malgré nos cercles philosophiques, conservons le mot, puisqu'il s'impose dans notre langue. 

Cela dit, il y a aussi un "commentaire" du poulet rôti qui discuterait les conditions de sa production. Par exemple, on peut essayer de comprendre ce qui se passe quand on rôtit un poulet. Cette fois, il y a de l'analyse, laquelle peut déboucher sur de l'opératif, des modifications des recettes. 

Par exemple, si l'on analyse la question de savoir si l'ajout de matière grasse ou de jus sur les suprêmes en cours de cuisson fait ces derniers plus tendres, alors on peut arriver à des modifications de la "recette" : si l'ajout contribue à la tendreté, et dans l'hypothèse où cette dernière est souhaitable, alors on fera l'ajout ; sinon on ne le fera pas (pourquoi faire quelque chose d'inutile). 

Dans cette seconde démarche, est-on "spéculatif" ? En latin, la vitre et le miroir sont respectivement  specularia et  speculum. Le speculator est l'observateur. On ne participe pas à l'opération, mais on la considère. Est-ce le rôle de celui qui explore des mécanismes de phénomènes ? Est-il simplement un observateur ? Admettons-le temporairement : cela nous conduit à conserver le terme "spéculatif" pour désigner le second type de commentaires. 

 

Le sol sur lequel nous voulions avancer étant affermi, nous voyons que la cuisine peut être abordée d'un point de vue opératif, ou d'un point de vue spéculatif. Et il apparaît - c'est une donnée d'expérience, pas une donnée absolue, mais une donnée à valeur statistique - que nombre de nos "amis" (j'entends par "ami" ceux à qui nous parlons, puisque je propose de ne pas perdre de temps à parler à nos ennemis, conformément à la sentence alsacienne qui dit que, pour manger avec le diable, même une longue fourchette ne suffit pas) sont peu intéressés par les commentaires spéculatifs, ou, inversement, peu intéressés par les commentaires opératifs. 

Cela dit, leur intérêt initial importe peu : si la synthèse, la réunion des deux commentaires, se révélait plus "utile" que les points de vue séparés, n'aurions-nous pas intérêt à (1) chercher un moyen de réunir ces points de vue et (2) chercher à montrer à nos amis que cette synthèse est une voie vers laquelle ils gagneraient à aller ?

 Pour le (1), c'est ce que j'avais cherché à faire, il y a longtemps, avec mon livre "Révélations gastronomiques" (Belin, Paris, 1997)... mais depuis sa parution, et malgré les encouragements de quelques amis, je reste dans l'idée que la fusion n'a pas été comme on pourrait le souhaiter : le livre est difficile à utilise du point de vue opératif (même si, je le répète, certains amis l'ont largement utilisé), et la "spéculation" est un peu désincarnée, séparée, isolée ; elle apparaît comme gênante, dans la marche opérative. 

Une autre tentative remarquable est celle de Madame Saint Ange, avec sa Bonne Cuisine, publiée en 1925 aux éditions Larousse. C'est un livre étonnant, qui sépare bien les parties opératives et spéculatives... mais les sépare. 

 

La fusion n'est pas faite. Il faut donc nous lancer dans une entreprise nouvelle, où nous mettrons en œuvre une méthode nouvelle, conformément à celle que je réclamais déjà de mes voeux dans mon livre Les précisions culinaires (Quae/Belin, Paris, 2012). 

Raisonnons. D'abord, il y a un objectif que nous devons identifier clairement : le poulet rôti, par exemple.

 Cet objectif étant défini, on peut chercher les moyens de l'atteindre, en passant (pardon pour les termes militaires) par stratégie, d'abord, puis tactique ensuite. Puisque la cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique, il faudra que les trois aspects soient discutés à chaque étape. 

Et, pour couronner la chose, pourquoi ne pas proposer une évaluation, laquelle sera la possibilité de progresser, selon la bonne idée du chimiste Michel Eugène Chevreul "Il faut tendre à la perfection avec efforts sans y prétendre" ?

 

 Essayons, avec une recette simple, de sablés.

 Objectif : produire de petits gâteaux sablés. 

Analyse de l'objectif : des gâteaux sont des préparations faites de farine, de sucre, au minimum, comme chacun sait. Cela dit, le sucre et la farine ne peuvent, une fois cuits, que faire une poudre, qui n'aura pas de liant. Pourquoi ne pas ajouter de l’œuf ? Ce serait mieux, mais la préparation resterait dure : avec un peu de matière grasse, cela ira bien mieux. Avec ces première analyse, on obtient un résultat qui a du sens, car le sucre est de l'énergie immédiatement disponible, la farine de l'énergie disponible durablement, l’œuf apporte des protéines qui nous constituent, et la matière grasse s'impose pour constituer notre organisme. Les sablés sont donc des friandises nutritionnellement intéressantes. Cela étant, les sablés doivent être sablés. Or l'eau apportée par l’œuf (un blanc d’œuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines ; un jaune, c'est 50 pour cent d'eau, 15 pour cent de protéines et 35 pour cent de lipides) risque de cimenter excessivement la farine, l'eau participant à la formation d'un réseau de protéines nommé "gluten". Pour conserver le caractère sablé, friable, il faut mettre la farine dans la matière grasse, frotter pour obtenir un sable, ajouter le sucre, qui captera l'eau au détriment du gluten, puis ajouter enfin l'oeuf, qui fera la "soudure" par capillarité, avant cuisson, et coagulation des protéines après cuisson. Nous avons donc la stratégie. La tactique ? Cela pourrait être le détail des proportions... et là, tout est possible ou presque. Avec des raffinements : par exemple, si l'on grille par avance la farine, ses protéines ne pourront plus faire le réseau de gluten, et le sablé sera friablissime, si l'on peut dire. Une pincée de sel, d'autre part, rehaussera le sucré, affaiblissant l'amer qui pourrait résulter du grillage. Le beurre ? A volonté. De la vanille ? Pourquoi pas. De la cannelle ? Pourquoi pas. 

Et ainsi de suite... pour arriver à une proposition : 200 grammes de beurre, 75 grammes de sucre glace, 1 gramme de sel, 1 oeuf entier, 250 grammes de farine. Ou plus opérativement : 

Commencer par griller sous le gril du four 250 grammes de farine jusqu'à ce qu'elle soit blonde.
La laisser ensuite refroidir.
Puis, dans une terrine, mettre 200 grammes de beurre.
Ajouter 75 grammes de sucre glace.
Et les 250 grammes de farine grillée refroidie.
Ajouter 1 gramme de sel.
Puis quand toute ces poudres ont été bien amalgamées au beurre, ajouter un œuf, et l'incorporer sans trop travailler.
Abaisser et cuire pendant une dizaine de minutes, de sorte que l’œuf coagule (la durée de cuisson dépend de l'épaisseur des sablés. 

A ce stade, la discussion n'a été presque que technique, à l'exception de l'observation nutritionnelle, mais on a manqué toute la partie artistique (par exemple, la pincée de cannelle), et toute la partie de lien social (par exemple, le découpage de la pâte en forme de coeur, avant la cuisson). Mais c'est sans doute quelque chose qui dépasse ma compétence... et je vous invite à contribuer à l'amélioration de nos sablés en mettant vos commentaires... qui contribueront à l'évaluation envisagée initialement !

samedi 4 mars 2023

À propos de "motivation"

Ce matin, un jeune ami dont je discute le travail  (pour l'aider à faire mieux) me parle de "motivation" qu'il aurait ou qu'il n'aurait pas.

Je ne suis pas certain de bien comprendre ce mot, qui a d'ailleurs plus des trois syllabes des mots honnêtes, alors que je comprends mieux le mot "objectif". Et c'est ici le message : je ne crois guère à des  motivations extrinsèques, et je propose de penser plutôt à l'objectif que nous avons (ou que nous n'avons pas). 

Car, dans la discussion, en creusant un peu, je comprends qu'il y a souvent des objectifs... qui n'en sont pas : ils sont seulement affichés "pour la galerie", parce qu'il y aurait une pression sociale à avoir un objectif.

Or dire un objectif que l'on n'a pas, c'est  du mensonge, de la mauvaise foi : on dit qu'on a cet objectif mais cela n'est pas vrai et, en réalité, on dit cela pour se débarrasser de la question... pour les autres et pour soi-même.

Inversement, quand on a vraiment un objectif, on est tendu vers cet objectif et l'on a hâte de se mettre en chemin... ce qui signifie qu'il faut plutôt s'empêcher de partir immédiatement pour se donner le temps d'analyser le chemin avant de le parcourir, sous peine de ne jamais atteindre l'objectif. Qu'importe la prétendue "motivation" !

Le malheur, manifestement, c'est que nombre de nos jeunes amis n'ont pas d'objectif réel, et que, en cherchant un peu, ils trouvent et un vague sujet d'intérêt, qu'ils érigent en objectif affiché.

D'ailleurs, ma discussion de ce matin m'apprend pire : j'ai finis par comprendre certains étudiants en master ne travaillent pas au-delà des cours : ni avant d'y venir, ni après, ni pendant le week-end.
Sachant qu'ils ne comprennent pas tout ce qui est expliqué lors des cours, il y a lieu de s'interroger sur l'utilité de leurs études...  qu'ils n'aiment d'ailleurs pas : un  de ces étudiants vient de m'avouer qu'il "sacrifiait son temps" pour venir en master, en vue seulement d'avoir un diplôme, et d'avoir un travail plus tard.

En corollaire, je comprends qu'il y a lieu de changer mes enseignements. Le "spectacle" que je croyais devoir faire, pour "intéresser" les étudiants, est inutile. Il faut désigner les travaux que les étudiants doivent faire (voir mes billets sur les "cartes" des études, il faut les aider -quand ils le demandent- en leur indiquant des documents utiles, qui les aideront à comprendre, on peut les aider à dépister des incompréhensions spécifiques, on peut les aider à tester leurs connaissances, mais on ne pourra pas avoir leur objectif à leur place. 

 Ce qui me ramène à une conclusion précédente : les institutions doivent sans relâche aider les étudiants à identifier des objectifs, car ce sont ces derniers qui seront la garantie de leurs études. 


mardi 1 septembre 2020

De quoi s'agit il ?

De quoi s'agit-il ?
(science/études/cuisine/politique)

1. Une amie de notre groupe de recherche quitte celui-ci pour repartir dans son université &, dans son bilan, elle signale que la chose la plus importante qu'elle retiendra de son séjour qu'il faut toujours chercher l'objectif avant de se lancer dans un travail.

2. Oui cela est important &; j'ai de nombreux exemples de personnalités du passé qui ont insisté pour ne pas se lancer à l'aveuglette. Le maréchal Foch, demandait toujours " de quoi s'agit-il ?". Cette expression a été reprise par le photographe Henri Cartier-Bresson qui, avant de prendre une photo, disait tant "de quoi s'agit-il  ?" qu'il en a fait le titre d'un de ses livres.





3. Moi qui aime bien les métaphores spatiales, qui aime bien représenter les choses par des paysages (la Carte de Tendre... & je vous renvoie notamment sur mes carte des études) je dis souvent : "Où voulons nous aller ?", tant qu'il est vrai que si nous n'avons pas de destination prévue, alors un chemin où nous nous lancerions nous amènerait n'importe où.



4. Oui, il faut savoir où nous voulons aller avant de nous mettre en chemin à moins évidemment que l'objectif ne soit de flâner, de nous promener... mais alors, l'objectif est clair : il s'agit de se promener. La métaphore se double d'une autre métaphore.

5. D'ailleurs, se promener, pourquoi ? Derrière l'objectif,  il doit y avoir des raisons de celui-ci, &, peut-être aussi, des valeurs qui sous-tendent ces raisons.

6. Bref,  cela ne fait pas de mal de réfléchir un peu  à ce que nous faisons, pourquoi nous voulons le faire, comment nous le faisons, etc. Plus généralement, on pourrait dire que cela ne fait pas de mal de réfléchir un peu, n'est-ce pas ?

jeudi 1 novembre 2018

Il faut le dire à tous les étudiants !

Il faut absolument dire à tous les étudiants que

(1) l'objectif des sciences de la nature est de chercher les mécanismes des phénomènes,

et que

(2) la méthode de ces sciences est donnée sur l'image, à savoir





(1) l'identification d'un phénomène ;
(2) la caractérisation quantitative de ce phénomène (on en mesure des caractéristiques judicieusement choisies)
(3) le regroupement des résultats de mesure en "lois" synthétiques, c'est-à-dire essentiellement en équations ;
(4) la recherche -par induction, c'est là un point central- de concepts, notions, théories, mécanismes quantitativement compatibles avec les équations dégagées ;
(5) la recherche de conséquences des théories ainsi "induites" ;
(6) les tests expérimentaux de ces conséquences, en vue de réfutations qui permettent de boucler, afin d'améliorer des théories toujours insuffisantes.

jeudi 24 décembre 2009

Un champ largement en friche

La forme "blog" conduit parfois à d'étranges choses. Je m'aperçois que, ayant voulu expliquer une partie du projet de la gastronomie moléculaire, lors d'un précédent billet, la construction de l'affaire m'a détourné d'une idée que je crois utile d'afficher.

A savoir que la cuisine est, pour la science, un champ très largement inexploré... ce qui la rend particulièrement intéressante (en plus de ses "vertus gourmandes").

Oui, l'ambition de la science, c'est (classiquement, mais on pourra y revenir) de lever un coin du grand voile, de faire des "découvertes", de comprendre les mécanismes des phénomènes.

De ce fait, il y a une méthode qui consiste à reprendre inlassablement les théories, toujours insuffisantes, pour les affiner, les réfuter, les préciser...

Cependant, il y a aussi la possibilité d'aller examiner des phénomènes qui ont été négligés... comme la transformation culinaire. Evidemment, il serait naïf ou ignorant de croire que la science ne s'est jamais intéressée aux transformations culinaires, mais il faut aussi rappeler que, si nous avons créé la gastronomie moléculaire, dès les années 1980, c'est précisément parce que les sciences des aliments avaient dérivé vers la connaissance fine des ingrédients, d'une part, et l'exploration des procédés industriels d'autre part. La cuisine n'était pas étudiée.

Une preuve? Le livre classique (et excellent) intitulé Food Chemistry, dans sa version de 1999, contient très peu de choses sur la cuisson des viandes, et rien sur les transformations des vins quand on les cuit. Or on sait que les viandes sont faites pour être cuites, et que les vins sont indispensables en cuisine, pas seulement sur la table, dans les verres!

Bref, la gastronomie moléculaire considère la cuisine surtout par le nombre considérable de phénomènes qu'elle fait apparaître, lors des transformations.

Ce sont des phénomènes inédits que la gastronomie moléculaire peut espérer découvrir, et des mécanismes inconnus, de ces phénomènes inédits.

Tout cela, c'est de la science, et pas de la cuisine, mais il n'est pas interdit que les deux champs collaborent!