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lundi 9 décembre 2024

La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public

Je combats la confusion entre "acides gras" et "résidu d'acide gras" : dans de l'huile, les molécules constitutives sont majoritairement des triglycérides, c'est-à-dire des assemblages d'atomes où l'on trouve un "résidu de glycérol" et trois "résidus d'acides gras".

 Car stricto sensu, dans une molécule de triglycérides, il n'y a pas de glycérol et il n'y a pas d'acide gras : il y a seulement une partie de la molécule qui ressemble à du glycérol, à quelques atomes près, tout comme on trouve des groupes d'atomes qui ressemblent à des acides gras. 

Pour avoir du glycérol ou des acides gras, il faudrait des atomes en plus, il faudrait surtout que ces molécules soient séparées, car une molécule de triglycéride n'est pas un assemblage de glycérol et d'acides gras, mais une molécule particulière. 

D'ailleurs, on peut synthétiser des triglycérides avec autre chose que du glycérol et des acides gras, et la décomposition d'un triglycérides peut produire autre chose que du glycérol et acides gras. 

Evidemment, quand des spécialistes se parlent, ils peuvent juger plus rapide de parler d'acide gras que de résidu d'acide gras, et le risque, là, est seulement qu'il y ait une confusion, qui peut-être levé par le contexte. 

En revanche, pour de l'enseignement ou pour le public, je trouve très contestable de parler d'acides gras pour désigner les résidus d'acides gras des triglycérides, car on voit, derrière, les confusions que cela engendre : en licence et même en master, je rencontre des étudiants qui ne comprennent pas la différence, et je vois même des collègues qui croient qu'il y a des acides gras dans l'huile ! 

Le public, lui, est persuadé que l'huile est faite d'acide gras. 

J'ai rencontré des collègues qui n'utilisent pas l'expression résidu d'acides gras sous prétexte qu'il y aurait le mot résidu, qui pourrait être confondu avec les résidus de pesticides. En réalité, je crois qu'ils sous-estiment l'enjeu de la clarté du discours chimique en public. 

Nous ne devons pas être démagogue, nous devons expliquer sans supériorité, mais avec autant de clarté que possible : les citoyens le méritent !
 

mardi 5 mars 2024

Des enjeux, dites-vous ? Mais savez-vous bien ce que vous dites ?

Hier, dans des discussions de stratégie scientifique, mes interlocuteurs utilisaient le mot "enjeu" à toutes les sauces, et quand il ne s'agissait pas d'enjeux, il y avait des "défis" et des "challenges". 

J'ai eu la curiosité -malsaine, asociale, tout ce que vous voudrez- d'aller regarder dans un dictionnaire pour comprendre ce que mes amis disaient... et que je ne comprenais ... pas moins que les autres. 


Et voici :  

"Enjeu

Ce que l'on risque dans un jeu et qui doit, à la fin de la partie, revenir au gagnant.  

Ce que l'on peut gagner ou perdre dans n'importe quelle entreprise."

 Manifestement, la transition alimentaire qui semble s'imposer aujourd'hui ne relève pas de la première définition. Et la seconde définition non plus ne s'applique pas... puisque ce serait précisément la transition alimentaire qui serait l'entreprisse, et pas ce que l'on peut gagner ou perdre à cette transition. 

Donc mes amis disaient n'importe quoi ! 


Défi, maintenant ? 

"Action de provoquer quelqu’un à une lutte, à une compétition, à un jeu.

 Le fait de tenir tête à quelqu’un, de s’opposer à son pouvoir, de le braver. "

 Là encore, la transition alimentaire n'est pas l'action de provoquer quelqu'un, ni de tenir tête à quelqu'un. 

 

 

Je passe sur "challenge", qui est un anglicisme pour "défi", et je dois hélas conclure que mes amis disaient n'importe quoi. J'espère quand même qu'ils se comprenaient eux-mêmes ! 

jeudi 20 décembre 2018

Je suis partagé

Récemment, lors d'une rencontre scientifique, j'ai entendu des enchaînements de mots de plus de trois syllabes où les termes d'excellence, de multi-échelles ou de champs thématiques se tiraient la bourre avec des communautés de travail, des impactages environnementaux, bien sûr des durabilités et des forts potentiels, sans compter les positionnements, des plus-values de regroupement ou des intégration des données assorties de couplages... Quel jargon !

Pour autant, que l'on me comprenne bien : je milite pour une terminologie scientifique précise, et c'est de ce point de vue que je propose de parler plutôt de "traitement thermique en phase aqueuse" que de cuisson de bouillons, de parler de tissus végétaux ou animaux que de légumes, fruits, viandes ou poissons... En science, chaque terme utilisé doit s'adresser à l'ensemble de la communauté, sans ambiguïté. Oui, on peut parler de torréfaction, mais à condition d'avoir dit ce dont il s'agissait. Oui, on peut utiliser des acronymes, mais à condition de les avoir définis.

Mais alors, le jargon que j'avais entendu lors de la rencontre était-il justifié ? Je ne crois pas, car, en réalité, la communauté ne s'entend pas sur des terminologies telles qu'"effet de matrice", ou de "multi-échelles" : il y a autant d'acception que de chercheurs, et cela ajoute à la confusion. Ce qui me fait penser à la terminologie du goût, avec cette "flaveur" que j'ai souvent dénoncée, pour ne désigner que le goût, ces confusions -jusque chez les "spécialistes" !- entre la saveur, le goût, l'odeur, l'arôme et les autres... sensations ou perceptions ? Je pose exprès la question... parce que le travail scientifique doit être si précis que l'un des deux termes seulement peut être légitimement utilisé !


lundi 13 novembre 2017

La question du jargon


Je reçois aujourd'hui un mél (amical) d'un interlocuteur complètement
incompréhensible.

Par exemple : "Je commence des travaux avec une question au sein de ces grilles de lectures qui pose aussi celle de l’histoire des techniques dans l’évolution des pratiques et de la transmission des savoirs." Une question au sein de grilles de lectures ? Quelle question ? Quelles grilles de lecture ? Et le
deuxième "qui", non séparé par une virgule de "lectures" : comment faut-il
l'entendre ?
Plus loin, on me parle de "récit d'ego histoire" : kezaco ?
Puis je lis "L’histoire des pratiques alimentaires souffre souvent d’un cloisonnement. Soit on s’attelle par exemple à la question de la chimie : pourquoi une meringue tient ? Soit on s’attelle à une question d’ordre économique". Ce qui ne finit pas de me troubler. Commençons par l'usage des
pratiques alimentaires : de quoi s'agit-il ? De cuisine ? De comportements
alimentaires ? De choix alimentaires ? D'ailleurs, dans ces deux dernières
expressions, je ne suis pas fier de moi, parce que, au fond, un comportement
est-il vraiment "alimentaire" ? Que veut-on désigner ainsi ? Un choix
"alimentaire" est-il un choix d'aliments, ce qui, là, est bien clair, ou bien
autre chose ?
Plus loin, mon interlocuteur me parle d'historiographie, et, quand je consulte
le dictionnaire, j'y vois qu'il s'agit de la pratique des historiens... ce qui
est naturel, puisque mon interlocuteur est historien, mais ce dernier, consulté,
m'explique qu'il a en vue tout autre chose que ce travail général : comment
puis-je deviner ce qu'il a en tête ?
Un peu plus loin, on me parle d'histoire moderne et d'histoire contemporaine...
et j'apprends que l'histoire moderne va de la Renaissance à la Révolution
française, et l'histoire contemporaine ensuite. Pour moi, qui appelle un chat un
chat, ce qui est contemporain est ce qui est... contemporain, au sens du
dictionnaire.


Bref, j'abrège, en signalant seulement que notre interlocuteur nomme "ego
histoire" ce que l'on nommait naguère des "notices", ou des "titres et travaux".
Mais surtout, plus généralement, le message qui m'était adressé m'était
incompréhensible. C'était donc une faute, du point de vue de cette merveilleuse
phrase due à François Arago : "La clarté est la politesse de ceux qui
s'expriment en public", mais c'était en outre une erreur, parce que mon
interlocuteur me faisait penser à des marteaux alors qu'il me parlait de
tournevis (je transpose pour les besoins de l'explication, bien sûr).
Oui, les disciplines du savoir ont le droit d'avoir leurs propres termes. Par
exemple, la physique parle de "lignes de champ", ou les mathématiques de "corps"
et "d'anneaux", ou la chimie de "particules" et de "forces"... mais elles
n'utilisent ces termes qu' "en famille". Pour parler à des non spécialistes,
nous expliquons. Pourquoi les sciences de l'humain et de la société en
useraient-elles différemment ? Par exemple, pourquoi les psychanalystes
utiliseraient-ils en public le mot "corps" dans une autre acception que cet
ensemble de viande et d'os dont nous sommes constitué ? Soit ces gens se parlent entre eux, et alors je les laisse décider de la clarté de leur discours, soit
ils "nous" parlent, et alors ils ont le devoir d'être clair. Idem pour les
physiciens, ou pour les sociologues, ou pour les historiens, ou les philosophes.
Bien sûr, il y a moins d'ambiguité quand on utilise des termes qui ne sont pas
du langage courant : drisse, hauban, pommeau, troussequin... Ou bien quand on donne des précisions : couplage de Würtz, ciseau à bois, écoute de grand
voile...

Mais, alors, devons-nous utiliser (à bon escient, bien sûr) ces mots en public ?
Je crains toujours un peu cette espèce de supériorité technique, disons de
snobisme, qui consiste à dire des mots incompréhensibles histoire d'épater la
galerie : contre ces personnes prétentieuses, je propose toujours de ne pas les
laisser accumuler les termes incompréhensibles, et de les arrêter en leur
demander de s'expliquer. Oui, décidément, la clarté est une politesse !