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mardi 5 septembre 2023

On m'interroge à propos d'une "émulsion vanille"

 

On m'interroge à propos d'une émulsion vanille  : de quoi s'agirait-il ?

Je suis bien en peine de répondre... parce que je peux confectionner des milliards d'émulsions différentes, à la vanille.

Commençons simplement... pour lever une ambiguïté, ou, plus exactement, une confusion qui traîne dans beaucoup trop de cuisine : une émulsion, c'est une émulsion, et pas une mousse !
Oui, car une mousse, c'est la dispersion de bulles de gaz dans un liquide, tandis qu'une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans une solution aqueuse également liquide ; ou l'inverse, à savoir une dispersion de gouttelettes d'une solution aqueuse dans une matière grasse liquide.

Pour faire cette dispersion, dans tous les  cas, il faut des composer dits tensioactifs, qui vont entourer les gouttelettes dispersées.

Un exemple ? Partons de blanc d'oeuf, qui est fait de molécules d'eau parmi lesquels sont dispersées des protéines du blanc d'oeuf. Ces protéines sont comme des pelotes et, quand les fouettes, elles se déroulent et elles font des fils.
Si l'on ajoute de l'huile tandis que l'on fouette du blanc d'oeuf, alors il y a certainement des bulles d'air qui s'introduisent dans le liquide, lequel mousse, foisonne,  mais l'huile est simultanément émulsionnée, dispersée sous forme de gouttelettes dans le blanc d'oeuf, de sorte que l'on obtient un double système émulsion et mousse.
Si l'on ajoute beaucoup d'huile, la mousse va disparaître et il ne restera que l'émulsion, comme une crème, comme une mayonnaise, avec des gouttelettes de matière grasse dispersées dans l'eau. La préparation est très lisse, elle est blanche, elle n'a aucun goût... et c'est donc la possibilité de lui en donner !

Par exemple, si vous partez d'huile neutre, sans goût, que vous dans du blanc d'oeuf en fouettant, que vous obtenez donc cette émulsion que j'ai nommé un "geoffroy", vous pourrez ensuite ajouter du sucre, qui ira se dissoudre dans l'eau du blanc d'oeuf, et de la vanille qui ira parfumer le résultat :  on aura donc fait ici un Geoffroy sucré à la vanille.

J'en profite pour dire que si vous passez ce produit au four à micro-ondes, les protéines du blanc d'oeuf vont assurer la coagulation et vous récupérez une sorte de flan sucré, avec un goût de vanille : c'est ce que j'ai nommé un gibbs, quand je l'ai inventé il y a fort longtemps.

On peut donc faire des geoffroy, on peut faire des gibbs, on peut faire ce que l'on veut à condition de comprendre ce que l'on fait.

samedi 25 janvier 2020

Quelques unes de mes inventions

Quelques recettes que j'ai inventées, et dont la démonstration pratique est démontrée lors de la masterclass filmée au Cordon bleu :



Les geoffroys


En salé :
1. Un blanc d'oeuf
2. On fouette de l'huile comme pour une mayonnaise
3. on ajoute des champignons cuits avec persil et ail, broyés
4. rectifier l'assaisonnement

En sucré :
1. Commençons par faire macérer des gousses de vanille fendue en deux dans la longueur dans une belle huile d'olive.
2. Puis mettons un blanc d'oeuf dans un cul de poule, une pincée de sel, et trois cuillerées de sucre.
3.  Ajoutons l'huile vanillée en fouettant, comme pour une mayonnaise.

L'émulsion obtenue pourra être servie avec des tranches d'ananas rôties au beurre et des financiers (ces gâteaux qui, comme les meringues, permettent d'utiliser les blancs d'oeufs dont le jaune a été employé pour lier des sauces).

Les liebigs
Pour les liebigs, l'idée est d'obtenir une émulsion gélifiée.
Dans la mayonnaise, c'est le jaune d'oeuf qui apporte des protéines et des phospholipides qui permettent l'émulsion (ce sont les protéines qui sont le plus actives, pour enrober les gouttes d'huile). Avec les liebig, c'est la gélatine.

1. partir de 100 g d'un liquide qui a du goût
2. ajouter 10 g de gélatine préalablement trempée
3. chauffer pour dissoudre la gélatine
4. ajouter une huile parfumée en fouettant comme pour une sauce mayonnaise
5. couler dans une plaque couverte d'un film huilé sur 5 à 10 mm d'épaisseur, et laisser prendre au froid

On peut aussi faire une émulsion (celle que vous voulez, de la mayonnaise par exemple) et y dissoudre de l'agar-agar : en chauffant, l'émulsion sera emprisonnée dans un gel physique, et l'on obtiendra un liebig.


Les gibbs
Pour un gibbs vanille (dessert) :
1. Dans un saladier, mettre un blanc d'oeuf
2.  Ajouter de l'huile d'olive goutte à goutte, en fouettant.
3. Quand on a obtenu une préparation crémeuse, un peu ferme, ajouter du sucre et de l'extrait de vanille, une pincée de sel, un peu de piment.
4. Répartir dans des tasse, et cuire au four à micro-ondes  à pleine puissance, jusqu'à ce que l'on obtienne un gonflement de 1/4 environ.
5. Servir chaud.

Pour un gibbs au beurre noisette :
1. Dans une casserole, mettre 200 g de beurre.
2. Chauffer doucement :  le beurre fond, puis se met à crépiter.
3. Avant qu'il soit noir, quand une belle odeur apparaît, en même temps qu'un léger brunissement, cesser de chauffer, et laisser refroidir dans la casserole. C'est ce que l'on nomme un beurre noisette.
4. Quand le beurre noisette obtenu est chaud mais pas solidifié, l'utiliser ainsi :
5. Dans un saladier, mettre deux cuillerées à soupe de poudre de blanc d'oeuf.
6. Ajouter 3 cuillerées d'eau, un quart de cuillerée à café d'acide citrique, sel, poivre.
7. Ajouter le beurre noisette en fouettant comme pour une mayonnaise.
8. Quand tout le beurre noisette a été ajouté, bien battre afin d'obtenir une préparation ferme.
9. Mettre dans des bols, et cuire au four à micro-ondes comme pour le gibbs vanille.


Les debyes
1. donner du goût à 100 g d'huile en macérant un produit broyé (carottes, basilic, café, poireaux...)
2. coller un liquide à raison de 24 g d'agar-agar au litre ; faire durcir au froid
3. broyer le gel au mixer dans l'huile




Les chaptals et vauquelins
Pour les chaptals :
1. Partir d'un blanc d'oeuf, dans un saladier.
2. Le fouetter
3. Quand il est en neige ferme, ajouter une cuiller à soupe de sucre
4. Battre
5. Quand la  préparation est bien lisse, ajouter une cuillerée à café de jus de pomme verte
6. Battre jusqu'à ce que la mousse soit de nouveau bien ferme.
7. Ajouter alors une cuillerée à soupe de sucre.
8. Battre
9. Ajouter une cuillerée à café de jus de pomme verte.
10. Battre
11. Continuer ainsi à alterner sucre, battage, liquide, battage.
Quand le saladier est plein, répartir son contenu entre deux saladiers que l'on travaille en parallèle, puis entre quatre saladiers, et ainsi de suite.


Les vauquelins s'obtiennent de la façon suivante :
1. prendre du chaptal précédent, et le mettre dans un bol
2. passer au fours à micro-ondes  (pleine puissance) jusqu'à ce que  l'on observe un net gonflement (1/4 environ) ; servir.


Les würtz
1. Dans une casserole, mettre  200 g de jus d'orange avec 50 g de sucre
2. Incorporer 5 g de gélatine préalablement ramollie à l'eau froide.
3. Foisonner
4. Mettre la mousse formée au réfrigérateur.




lundi 8 octobre 2018

Ce que je montre sur TéléMatin, pendant la fête de la science

Nous venons de terminer un tournage, pour une séquence télévisée qui sera diffusée cette semaine. Je présente ma vieille invention que j'avais nommée "geoffroy".

De quoi s'agit-il ?

Jadis (sans doute il y a plus de 30 ans !), j'avais découvert les "ollis", qui sont des émulsions qui généralisent l'aïolli : on broie n'importe quel tissu végétal et l'on émulsionne de l'huile pour obtenir une "émulsion", analogue donc à une mayonnaise.
Dans le temps, j'avais nommé cela une "mayonnaise sans oeufs", mais le nom était fautif, parce qu'une mayonnaise contient nécessairement des oeufs ! D'où la nécessité d'un nom nouveau : j'ai choisi "geoffroy", du nom du chimiste et pharmacien Claude Etienne Geoffroy, qui vivait au 18e siècle.
En réalité, le nom ne s'applique pas seulement aux ollis, mais à toute émulsion analogue à une émulsion mais qui se prépare à partir de blanc d'oeuf, et non de jaune. 
Par exemple, préparons un expresso, laissons le refroidir, et ajoutons un blanc d'oeuf, puis fouettons pendant que l'on ajoute goutte à goutte de l'huile où l'on a macéré du café moulu : on obtient un délicieux geoffroy au café, qu'on n'aura plus que le loisir d'assaisonner.
Ou encore avec des fraises : broyons les dans de l'huile, puis utilisons cette dernière pour former une émulsion, en l'ajoutant à du jus de fraises additionné de blanc d'oeuf.

A güeter, comme on dit en Alsace


mardi 6 février 2018

Une émulsion sucrée

Ce matin, une question :


"Je vous écris au sujet d’une question concernant une émulsion H/E  (huile dans l’eau) dont la phase continue est partiellement sucrée.

Dans le cas d’une préparation contenant 70% d’huile, 30% d’eau, 10% de saccharose, et d’un tensioactif  est-ce que le l’huile va s’émulsionner avec les 30% d’eau ou  avec 20% à 25% d’eau  puisque le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l’eau (retenir je ne sais pas si c’est le meilleur terme pour traduire le côté hygroscopique du saccharose)".

Ma réponse n'est au fond qu'une sorte de légende du schéma suivant :



Ce que j'ai d'abord représenté, c'est une émulsion de type huile (en jaune) dans eau (en bleu). En  pratique, faisons un "geoffroy", en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, par exemple : les protéines et les autres molécules sont  trop petites pour être représentées à cette échelle, où la taille des gouttes d'huile est entre 0,001 et 0,1 millimètres. 
Le schéma inférieur représente un fort grossissement du petit cercle : 
- le fond est noir, parce que, entre les molécules, il n'y a rien, du vide
- à gauche, les peignes à trois dents sont les molécules de triglycérides ; pour mieux faire, j'aurais dû les orienter dans toutes les directions, mais c'est un détail
- à droite, on voit les molécules de saccharose (en bleu) dispersées au milieu des molécules d'eau (une boule rouge avec deux boules blanches)
- je n'ai pas réprésenté les molécules de tensioactifs, mais elles seraient sur le trait jaune, sous la forme de "cheveux" (pour les protéines).

Reste à commenter  le : "le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l'eau".  Cette phrase est à la fois discutable et peu claire.
Le "est reconnu" invite à demander  : par qui ? Et à rappeler que, en sciences, l'argument d'autorité ne joue pas. Les faits expérimentaux ont toujours raison.
D'autre part, le saccharose "retient" l'eau : que cela signifie-t-il ?
Ce qui est un fait, c'est que les molécules de saccharose sont "hérissées" (ce n'est pas représenté sur mon schéma) de groupes "hydroxyle", avec les atomes carbone du squelette liés à un atome d'oxygène lui-même lié à un atome d'hydrogène. Cela  donne au  saccharose une structure chimique très semblable à celle des molécules d'eau, au moins pour ce qui concerne les interactions avec les molécules voisines.
De ce fait, quand le sucre est dans l'air humide, il s'entoure de molécules d'eau de l'atmosphère, parce que les forces sont donc notables entre les molécules de saccharose et les molécules d'eau.
Dans de l'eau  liquide, les forces (nommées "liaisons hydrogène") permettent la solubilisation du sucre dans l'eau, à des concentrations considérables.
Finalement, on pourrait tout aussi bien dire que l'eau "retient" le sucre, ou que le sucre "retient" l'eau, mais je crois que le  mot "retient" est mal choisi. Il suffit de dire qu'il y a des liaisons entre les molécules de sucre et les molécules d'eau.

Et, finalement, je reviens à l'expérience : si vous faites un geoffroy, en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, vous pouvez ajouter autant de sucre que vous voulez jusqu'à atteindre la limite de solubilité dans la petite quantité d'eau (30 grammes pour un blanc environ) du blanc. Si l'on compte un litre de sucre par kilogramme d'eau, on voit qu'on peut facilement mettre 30 grammes de sucre pour un blanc émulsionné (soit un volume d'huile maximal de 600 grammes d'huile environ). Si l'on ajoute plus  de sucre, ce dernier restera sous la forme de cristaux non dissous. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)