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dimanche 3 août 2025

A propos de soles Dugléré

Je sors étonné de mes recherches terminologiques, notamment après que j'ai voulu savoir ce qui était vraiment une sole Dugléré.  
Sous la plume de Jacques Divellec (en réalité, quelqu'un qui  a écrit pour lui), je trouve une recette où le nom de Dugléré est associé à une préparation à base de tomates, d'oignons, d'échalotes, de thym, de laurier : tout cela a un goût très précis. 
Mais comme le livre ne donne (évidemment !) pas de références,  je suis allé chercher ailleurs et j'ai trouvé une recette selon Jean-François Piège où il n'y avait cette fois que des échalotes et des tomates. Mais toujours pas de référence, et, surtout, un goût très différent de celui de la première recette. 
 
Qui croire ? Quelle est vraiment la sole à la Dugléré ? 
 
Comme Adolphe Dugléré était un élève de Carême qui avait vécu à l'époque d'Alexandre Dumas et d'Auguste Escoffier,  je suis allé consulter le Guide culinaire, qui, lui, devait savoir de quoi l'on parlait... et je n'y ai vue  que de l'oignon et de la tomate, pas de thym, pas de romarin pas d'échalote, etc. 
 
Je n'ai pas trouvé  la recette chez Joseph Favre, mais, pour une fois, je crois, comme dit précédemment, que l'on doit accepter la recette du Guide culinaire, car on imagine difficilement qu'il ait détourné la recette du vivant de celui qui l'a introduite et nommée. 
 
En conséquence, toute recette ayant des ingrédients différents n'est pas une sole à la Dugléré. Ce dernier, bel artiste culinaire, a certainement choisi, décidé, des goûts. De même qu'un peintre ne met pas du bleu quand il veut du rouge, de même qu'un musicien qui joue un do ne joue pas un sol, Dugléré a choisi l'oignon et la tomate, et il a choisi de ne pas utiliser de thym, de laurier, etc. 
 
Tout cela a des conséquences. Et la première, c'est qu'une sole différemment préparée n'est pas "à la Dugléré". D'autre part, il y a la question de l'honnêteté : de même que servir une sauce Périgueux sans la truffe serait trompeur, servir une sole Dugléré transformée serait déloyal, malhonnête, disons charitablement "négligent". 
 
Et comme le phénomène est général, il y a lieu d'y penser bien. Faut-il, pour cela, comparer les cuisiniers au peintres ou aux musiciens ? En peinture, il y a peu d'interprétation mais il y a surtout l'expression personnelle, éventuellement fondée sur des modèles. On pourrait peindre le Guernica de Picasso à sa propre façon  en voulant exprimer soi-même une idée personnelle,  comme on l'a fait pour la Vierge à l'enfant pendant des siècles. Et l'on pourrait nommer cela Guernica, mais ce serait le Guernica d'Untel. 
 
En réalité, comparer la cuisine à musique serait plus juste :  il y a une partition, composée par un compositeur, il y a ensuite des interprétations. C'est ainsi que les interprétations des variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach ne sont pas identiques quand elles sont faites par David Barenboim ou par David Fray. Aujourd'hui, les musiciens cherchent à ne pas trahir les oeuvres : il se réfèrent aux partitions originales, et pas aux partitions modifiées par des "petits marquis" hâtifs, négligents... Ils cherchent les indications de tempo, les ornements originaux, et ils ont raison, car une oeuvre est tout entière faite pour exprimer une idée, et chaque note a été choisie précisément à l'appui de l'idée que le compositeur voulait donner. Ce serait idiot, ou insensé au sens littéral du terme, de mettre un ornement là où le compositeur n'en a pas voulu, parce que l'idée artistique qui préside à toute la construction serait changée. L'oeuvre n'aurait plus de sens, elle perdrait son "intelligence artistique". 

En cuisine, je crois qu'il en va de même et j'avais été très choqué dans un restaurant étoilé tenu par une dynastie de cuisiniers de voir que le chef actuel servait un plat de son père en remplaçant le beurre par la crème : ce n'était plus là le plat son père, et il n'y avait d'ailleurs pas l'intelligence du plat initial ;  si son père avait décidé de la crème plutôt que du beurre ou du beurre plutôt que de la crème, c'est qu'il avait des raisons, et des raisons  en selon une idée, de tout bien harmoniser selon une idée artistique. 

Faire la cuisine, jouer de la musique, faire de la peinture, ce n'est pas accumuler des ingrédients, jeter des couleurs sur une toile au hasard, empiler les notes... Non, il s'agit au contraire de tout bien harmoniser selon une idée, une idée artistique. 

Pour revenir à notre sole Dugléré, comment nommer une recette qui, modifiée par un artiste culinaire selon une vrai idée artistique, différerait de la sole Dugléré ?  Pourrait-on trouver une dénomination pour indiquer que l'on n'a pas respecté la recette initiale ? On pourrait parler de sole "d'après Dugléré" :  cela aurait l'avantage de dire qu'il ne s'agit pas de la sole Dugléré, et que l'on vient après lui. Ou bien on pourrait parler de "sole Dugléré selon Untel",  ce qui aurait l'honnêteté de dire que Untel s'est inspiré de Dugléré. 

 

Bref, l'art culinaire mérite mieux que de laisser croire un peu déloyalement un peu trop paresseusement que l'on exécute les grands classiques  :  on les exécute, mais trop souvent avec le sens de l'exécution par un bourreau. 

 

Au fond, dans toute cette  question, il ne s'agit pas d'abord de faire, mais de réfléchir ! Et l'art culinaire le vaut bien

vendredi 8 novembre 2019

Surimis et diracs fibrés

Comme dit dans d'autres billets, il y a lieu d'être particulièrement prudent à propos de dénomination de produits alimentaires, car leur commercialisation ne doit jamais conduire à de la déloyauté.

Ici, la question est de nommer des produits qui auraient la texture de surimis sans en être. 

Mais avant d'en décider, il faut que je présente les deux protagonistes de l'alternative terminologique dont il est question maintenant.
D'une part, les surimis sont des produits traditionnels dans certaines parties de l'Asie, qui sont fait à partir de poisson broyé, d'amidon (pensons à de la sauce blanche) et de matière grasse, la pâte ainsi constituée est striée par passage sous un peigne, et les feuillets striés sont cuits, puis roulés sur eux-mêmes en bâtonnets, colorés avec du paprika et reçoivent une dispersion d'un aromatisant qui rappelle le goût du crabe, par exemple.
Qu'en dit la réglementation ? Les surimis font l'objet d'une norme d’application volontaire, numérotée NF V45-068, qui encadre les conditions d’usage du mot « surimi » et la composition de ces petits bâtonnets et de leurs dérivés. Ce document a été élaboré par des représentants des industriels, des distributeurs, des autorités réglementaires (dont la DGCCRF et le Service commun des laboratoires, SCL), des centres techniques, des laboratoires d’analyses et des organismes de certifications. Ils font partie de la commission de normalisation AFNOR / V45C « Produits transformés issus de la pêche et de l’aquaculture ».
La norme volontaire indique que le produit surimi doit contenir au minimum 30 % de chair de poisson ou de céphalopode. Elle autorise aussi l’ajout d’ingrédients pour aromatiser ou valoriser le surimi. Si l’ingrédient d’origine aquatique (poissons, crustacés, mollusques, algues, etc.) représente plus de 5 % – en poids – du produit fini, la norme autorise le fabricant à le mentionner sur l’emballage, avec une phrase-type telle que « surimi à xxx », ou « surimi de chair de poisson à xxx ». Pour les autres ingrédients, qu’ils soient d’origine terrestre (chorizo, lard fumé, etc.), végétale (fruits, légumes, épices, aromates, etc.) ou comportant de l’alcool (mirin, vin, etc.), la norme volontaire ne fixe pas de pourcentage minimal ou maximal. Concernant les aromatisants, additifs et colorants, la norme rappelle la nécessité de respecter les réglementations concernées, mais proscrit les additifs à usage de blanchiment. Elle autorise l’usage de liants (lait, dérivés de lait, farines), d’huiles et graisses végétales (hormis certaines, comme l’huile de palme), d’huiles d’animaux aquatiques, des fibres végétales, de l’eau, du sucre et du sel.

D'autre part, il y a très longtemps, j'ai nommé diracs ces préparations qui reproduisent des tissus musculaires (viandes, poissons), pour ce qui concerne la composition chimique, à savoir environ 70 % d'eau, 20 % de protéines et 10 % de matière grasse. Et c'est ainsi que l'on obtient une sorte de steak quand on mélange 7 cuillerées d'eau, 2 cuillerées de protéines coagulables (par opposition à la gélatine qui coagule pas  à la chaleur) et une cuillerée d'huile. Un tel dirac est très élémentaire, mais on peut en produire de nombreuses versions  : on peut émulsionner plus d'huile pour obtenir un dirac émulsionné, on peut foisonner afin d'obtenir un dirac mousseux, foisonné. On peut aussi l'étaler en couches très minces superposées pour faire des dirac feuilletés... et l'on peut enfin le strier, un fois en couche mince,  pour obtenir un diras  fibré.
Et puis, on peut aussi mélanger lla pâte faite de protéines, d'eau et de lipides, avec une sauce blanche, et l'on  retrouve alors une composition analogue à celle du surimi, avec la même consistance. Pour le goût et la couleur, on met ce que l'on veut et l'on obtient tout aussi bien des diracs striés bleus, ou rouges,  ou jaunes,  ou verts, avec des  goûts de poire, de rhum, de poisson, le citron...

D'où la question : un dirac fibré serait-il un surimi ? Vu la norme volontaire actuelle, ce serait abusif, car le surimi est aujourd'hui connu pour être un produit délimité tel que je l'ai expliqué plus haut, même si la norme volontaire peut évoluer.

Bref, finalement, je crois qu'un dirac fibré doit être nommé dirac  fibré.

Un dirac strié replié sur lui-même, réalisé à l'Institut technique d'hôtellerie du Québec en 2012.

mercredi 7 février 2018

Métiers de bouche ? Non, métiers du goût

Mes amis cuisiniers sont dans leur monde, mais je crois que nous ne perdons rien (litote) à connaître celui-ci.

Par exemple, dans les cercles culinaires, il est de la dernière grossièreté de mettre le pain à l'envers... parce que, disent-nos amis, ce n'est pas respecter le travail du boulanger. Pourquoi pas : cela ne coûte guère de mettre le main debout, comme il a été cuit.
# Par exemple, pour beaucoup de cuisiniers, le mot "cuistot" est du dernier péjoratif. Qu'à cela ne tienne : nous éviterons de l'utiliser, et nous gagnerons en beauté de langue, même si nous ne voyons pas l'offense.

 Cette introduction pour arriver à l'expression "métiers de bouche", qui est bien utilisée officiellement : on le trouve notamment sur le portail de l'Économie, des Finances, de l'Action et des Comptes publics. C'est dire.
Eh bien, malgré cela, des amis cuisiniers trouvent que la dénomination est scandaleuse, et ils auraient voulu "métiers de la gastronomie"... ignorant que la gastronomie n'est pas de la cuisine élevée, mais la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit. Désolé, mais ce n'est donc pas une proposition recevable.

Que faire pour les consoler ? J'ai proposé d'utiliser plutôt "métiers du goût", qu'il s'agisse d'ailleurs de technique, de technologie ou d'art. Apparemment, mes amis y trouvent leur compte... et je vais donc rester à cette dénomination.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)