Alors que l'on m'avait interrogé à propos de levures, de levain, de poudres levantes, j'avais demandé à mes interlocuteurs de se procurer de la levure fraîche de boulanger, de la levure lyophilisée, et une poudre levante.
Mes interlocuteurs sont venus avec un cube de levure fraîche, un solide mou et blanc crème, et avec des sachets de "levure desséchée" et de "levure lyophilisée". Dans les deux cas, il s'agissait d'une poudre plus ou moins grossière, de petites billes de 1 à 2 mm de diamètre, de couleur blonde ou brune. Enfin, il y avait des sachets de "poudre à lever", de "poudre levante", ou bien de "levure chimique", et dans ces trois cas, c'était une poudre blanche.
Ces divers produits sont bien différents. Pour les cubes de levure fraîche, tout d'abord, il s'agit d'agglomérats de micro-organismes, des organismes vivants réduits à une seule cellule : des "levures". Mis dans l'eau, les fragments du cube se sont désagrégés et les cellules se sont dispersées dans l'eau, produisant ensuite, lentement, des bulles d'un gaz qui est le dioxyde de carbone.
Cette matière nommée "levure de boulangerie" est composée de cellules de levure ; c'est elle que les boulangers utilisent pour faire leurs pains. En effet, mises dans une pâte faite de farine et d'eau, à douce température, les cellules de levures grossissent, puis se divisent, et chacune des cellules filles grossit encore, se divise, et ainsi de suite, si bien qu'à partir de très peu de cellules, on peut en obtenir beaucoup, tandis que l'on obtient aussi beaucoup de gaz qui fait gonfler le pain, tout en donnant beaucoup de goût.
Pour les levures qui étaient marquées lyophilisées ou desséchées, c'est au fond la même chose sauf que cette matière est privée de son eau et que la réactivation est un peu plus longue : il faut la réhydratation.
Le résultat final s'apparente à celui que l'on obtient à partir des levures fraîches.
Pour les derniers produits, en poudre, il ne s'agit pas de "levure", et je propose de combattre la dénomination fautive et trompeuse de levure chimique. Ce sont des mélanges de poudre minérale qui se mettent à réagir en présence d'eau et à former du dioxyde de carbone : quand on met ses poudres dans l'eau, il y a une vive effervescence immédiate, une production de gaz abondante mais rapide. Les poudres levantes sont utilisées pour faire gonfler des gâteaux, et il n'y a pas besoin de fermentation... mais il y a aussi des différence en termes de tailles de bulles, d'alvéolage de la pâte, mais, surtout, en termes de goût !
J'insiste un peu pour dénoncer absolument l'expression de "levure chimique" parce qu'en réalité il ne s'agit pas de levures ; c'est seulement une poudre et cette poudre est levante. La dénomination poudre levante est juste ; la dénomination levure chimique est imbécile et trompeuse et elle devrait être interdite depuis longtemps.
Finalement, quel produit utiliser et dans quelles circonstances ? J'ai dit que la fermentation par des levures est bien différente de l'effervescence par des poudres levantes, et j'ai dit que les levures sont des organismes vivants qui fabriquent de nombreux composés : il suffit de mettre son nez au dessus de trois verres emplis d'eau et de levure ou de levure lyophilisée pour les deux premiers, de poudre levante pour le troisième, pour s'apercevoir de la différence.
Mais il faut que j'insiste un peu parce qu'il y a levure et levure, tout comme il y a des champignons de Paris et champignons des bois. Les levures sauvages qui forment les levains donnent aux pains des goûts très différents des levures domestiques, même si les sociétés qui fabriquent ces dernières savent aujourd'hui en produire de très nombreuses, très différentes.
Il y a beaucoup de diversité dans les levures domestiques, et, d'ailleurs, les levures d'une marque ne sont pas les levures d'une autre marque, alors que pour les poudres levantes, c'est plus homogène car on a pas un choix infini pour fabriquer des mélanges de poudres minérales non toxiques et qui produisent une effervescence dans les aliments.
Pour en revenir aux questions d'usage, on utilisera des poudres levantes si on veut un gonflement rapide, sans ajout de goût, mais on utilisera des levures si on veut un gonflement plus lent, avec des bulles d'ailleurs plus petites, et surtout une multiplication à l'infini : alors que la poudre levante libère du gaz une fois pour toutes, les levures qui fermentent se multiplient, de sorte que si l'on consomme la moitié de la préparation, pour faire du pain, il reste l'autre moitié, qui peut se multiplier, pour faire encore du pain, et ainsi de suite à l'infini.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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vendredi 19 septembre 2025
Levures et poudres levantes
lundi 21 mars 2016
3. Êtes-vous cru ou cuit ?
Je suis certainement cuit, parce que le cru est dangereux. On doit rappeler que l'humanité a inventé la fermentation et le feu pour se prémunir des micro-organismes pathogènes. Il y en a partout autour de nous, et la cuisine permet d'abord de tuer les micro-organismes qui nous intoxiqueraient. Les "cuissons douces" ou autres crus, dont certains tentent de faire des modes, sont dangereux. La cuisson basse température est merveilleuse... quand elle est bien conduite : il faut éviter les séjours prolongés des aliments à des températures où les micro-organismes prolifèrent, et ne pas oublier que la toxine botulique, par exemple, est mortelle. La cuisson, c'est comme un couteau : indispensable... mais il faut apprendre à s'en servir pour éviter les risques de cet objet qui est dangereux. Idem pour la fermentation, qui peut faire le meilleur (fromages, saucissons, vins, etc.) et le pire.
Cela dit, la cuisson a d'autres avantages, et notamment qu'elle change la consistance. Quand nos ancêtres n'avaient plus de dents (on doit se souvenir que, sans dentiste ni dentifrice, nos aïeux avaient des dents dans un état déplorable), il leur fallait des aliments suffisamment mous pour subsister. Quand on n'a plus de dents, une carotte crue n'est pas mangeable. D'où le fait de râper ou de cuire. Il y a d'ailleurs une parenté, entre les procédés : quand on râpe une carotte, le couteau déclenche des réactions enzymatiques qui s'apparentent à celles de la cuisson.
A noter que la cuisson fut sans doute, aussi, un facteur de développement de l'espèce humaine, parce qu'elle augmente la biodisponibilité des nutriments. Avec moins de temps à mâcher, on a plus de temps pour le reste !
Et puis, il y a le fait que la cuisson fait apparaître des goûts nouveaux ! Et cela est essentiel, pour l'espèce humaine comme pour des espèces animales. Les chats, chiens, singes... préfèrent les aliments cuits aux aliments crus. Ah, l'odeur envoûtante d'une belle cuisson, d'un beau rôtissage, d'un fromage grillé... Décidément, je me vois mal condamné aux crudités, même si, parfois, cela est agréable. Une salade, d'accord, mais... en plus !
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