Affichage des articles dont le libellé est abstraction. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est abstraction. Afficher tous les articles

samedi 3 février 2018

Catégorie, espèce chimique

Qu'est-ce qu'un composé ?

Voilà une question lancinante... qui montre la faillite de l'enseignement de chimie au collège. En effet, je me souviens bien que nos cours commençaient par bien distinguer un corps pur, un mélange, une molécule, et je me souviens bien, aussi, d'ailleurs, que certains de mes condisciples  avaient le plus grand  mal à comprendre la notion de mole, de molécule, et les différences entre les divers objets.
Je me souviens aussi de ma déception à recevoir de tels cours, alors que je m'attendais presque à accéder immédiatement à des explosions, des transformations merveilleuses, la Pierre philosophale, en quelque sorte. 

Pour la difficulté de certains à penser la notion de mole, je suis un peu démuni, mais pour le reste, je suis bien certain que oui, ces introductions étaient ennuyeuses. Commencer par une série de définitions ? Ce n'est pas amusant.
Et beaucoup ont dû fermer les écoutilles à ce moment, jugeant que la matière n'avait pas grand intérêt (je passe, d'ailleurs, sur la confusion entre la technique chimique, la chimie proprement dite donc, et la science de la chimie, qui est en réalité la physique). 

Ce qui est apparent, d'après les innombrables échanges que j'ai aujourd'hui avec le monde, le public, mes interlocuteurs, mes amis que je rencontre lors de conférences ou par email, c'est que toutes les notions introductives de la chimie ne sont pas acquises, et que les efforts de nos professeurs sont donc en pure perte.
Il faut d'ailleurs observer que nombre d'entre eux "suivent les manuels", et que les manuels ne sont pas toujours merveilleusement faits. Pour avoir travaillé dans l'édition scolaire, je peux attester que le temps de rédaction, après  la publication des programmes, est court : quelques mois... alors que je mets dix ans avant de faire un livre ? Certes, les manuels sont parfois rédigés par des équipes, mais je peux attester que le temps manque cruellement pour arriver à quelque chose de bien différent de ce que l'on avait.
Et puis, ne suffit-il pas de lire ces manuels ? Certes, ils ont fait beaucoup de progrès, avec des photographies en couleur, des encadrés... Les éditeurs et les auteurs se sont donné beaucoup de mal, ont dépensé beaucoup d'énergie... mais la question n'est pas là : il reste que ces définitions, données dans un cadre rigoureux, ne correspondent pas au besoin, ne font pas rêver. Et si le socle est vermoulu, rien ne peut s'ériger. 

En vulgarisation, au contraire, on éviterait absolument de commencer par donner des définitions, et l'on prendrait sans doute un exemple, un exemple marquant, frappant, excitant.
On commencerait par montrer l'intérêt de la chose, sans formaliser immédiatement.
Existe-t-il une bonne raison pour laquelle l'enseignement pourrait faire différemment ? Le cadre scolaire est-il une justification suffisante ? Je ne le crois pas, car seul l'objectif compte : que les élèves acquièrent la notion enseignée. Et les enfilades de définitions ennuyeuses sont contre productives. Il faut donc les abandonner. 



Et répondre à la question de mon interlocuteur : qu'est-ce qu'un composé ? 

Mais avant de  répondre à sa question de fond, je propose de considérer sa question de détail : cette personne me dit que je lui dis qu'un composé, c'est un ensemble de molécules identiques. Pourquoi ne comprend-elle pas cela ? Parce que c'est abstrait, et que je propose toujours d'être d'abord concret.
Un composé ? On perle aussi d'espèce chimique, pour simplifier. Une espèce, c'est une catégorie, un groupe d'objects identiques.
Une espèce animale, par exemple le chat, c'est une catégorie d'animaux qui sont tous des chats.
En chimie ? Prenons l'eau, qui est donc un composé. L'eau est une matière, et, surtout pour un élève qui étudie les lettres, les mots sont importants. Il y a des noms d'objets particuliers (ce crayon), des noms de catégories (les marteaux). Parmi les catégories, il y a des catégories abstraites ou concrètes.


Bref, tout cela est bien difficile, et je propose d'être encore plus concret.i Parfaitement concret.

Prenons un verre, et mettons-y de l'eau.
Dans le verre, il y a de l'eau, et cette eau est une matière : nous pouvons  la toucher, la voir, la sentir (elle ne sent probablement rien), la boire, la sentir couler dans la bouche. La matière de notre corps interagit avec elle. Si nous prenons une loupe, nous continuons à voir la même chose : de l'eau. Mais si nous prenions un super-microscope, nous verrions un grouillement de petits objets tous identiques. Ces objets doivent avoir un nom : ce sont des molécules. De même pour  du sucre : un cristal de sucre serait vu, au super-microscope, comme un ensemble de petits objets tous identiques : des molécules. Mais les molécules dans l'eau  et les molécules dans le sucre apparaîtraient différemment, au super-microscope, et cela nous oblige à dire que l'eau est faite de molécules d'eau, et le sucre de molécules de sucre. 

Si nous regardons maintenant ces molécules avec non plus des super-microscopes, mais des super-super-microscopes, nous voyons que chaque molécule d'eau est faite d'objets de diverses sortes, et que les molécules de sucre sont faites d'objets de diverses sortes. Ces objets ont un nom : atome. 

Le fer ? Ou plus exactement, ce clou en fer ? Lui n'est pas fait  de molécules, mais d'atomes, et, mieux, d'atomes tous de la même sorte : des atomes de fer. Le fer est le nom d'un élément, une matière dont tous les atomes sont identiques. 

La vodka ? Cette fois, on verrait deux sortes de molécules  : des molécules d'eau et des molécules d'une autre sorte, que l'on nomme éthanol. La vodka est un mélange, donc. 

Et les composés, dans cette affaire ? L'eau, matière, est un composé, puisqu'elle est faite de molécules qui sont faites, "composées" de plusieurs sortes d'atomes. Le fer n'est pas un composé, et la vodka n'est pas un composé, puisque ce n'est pas un corps  pur. 

Le sel ? Celui de cuisine, le "chlorure de sodium",  n'est pas composé de molécules, mais d'ions, d'atomes qui ont échangé de petites parties, les "électrons"... mais faut-il d'emblée aller dans les complications ? Je propose que nos réponses aux questions soient progressives... sans quoi nous retomberons dans la litanie des définitions, et ne répondront pas bien aux questions de nos amis. 






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 3 avril 2010

Nous faisons fausse route avec le formalisme

Le "calcul" est l'objet d'un paradoxe

1. les élèves ou étudiants, de l'école à l'université, ont des difficultés avec le formalisme
2. les formalismes ont été "inventés" par des individus qui voulaient penser plus facilement


D'où la question : comment en est-on arrivé à ce point où un outil fait pour aider est devenu gênant?




Revenons sur les deux prémices.
Oui, les élèves et étudiants ont du mal, avec le calcul, lequel est d'ailleurs souvent confondu avec les mathématiques. Et c'est ainsi que ces dernières sont utilisées comme outil de sélection... ce qui agrave la situation : la sélection faisant son office, elle laisse pour compte des individus, plus nombreux que les heureux élus, qui n'ont, légitimement, aucune raison d'aimer la règle avec laquelle on leur a tapé sur les doigts.

Pourtant, c'est un fait que le formalisme a été inventé pour "aider" à penser. C'est très net dans les écrits d'Antoine Laurent de Lavoisier, mais tout aussi évident dans les textes de Descartes, par exemple.
Lisons Lavoisier, qui introduisit le formalisme de la chimie :

« Pour mieux faire sentir […] l’état de la question, et pour présenter aux yeux, sous un même coup d’œil, le résultat de ce qui se passe dans les dissolutions métalliques, j’ai construit des espèces de formules, qu’on pourrait prendre d’abord pour des formules algébriques, mais qui ne dérivent point des mêmes principes ; nous sommes encore bien loin de pouvoir porter dans la chimie la précision mathématique, et je prie en conséquence, de ne considérer les formules que je vais donner que comme de simples annotations, dont l’objet est de soulager les opérations de l’esprit ».

On voit que l'objet est d'embrasser d'un coup d'oeil, d'avoir une idée synthétique, rapide, des réactions, au lieu de se perdre dans des mots trop longs.

De même pour le "formalisme CDS/NPOS" introduit en 2002 : l'idée, c'est de remplacer des expressions si longues qu'on ne les comprend plus (par exemple : suspension dans un gel dispersé dans un gel) par des formules qui tiennent en quelques symboles ([S/(E/W)]/W).

En mathématiques, idem : essayez donc de dire "df(x)/dx=sin(x)/exp(x^2)" avec des mots!

Bref, le formalisme est là pour nous aider, et c'est donc une faillite terrible de l'enseignement actuel des sciences que des individus craignent ou ne puisse le manipuler.

Et si l'on commençait par montrer qu'il s'agit de nous aider, et pas de nous barrer le chemin?

D'ailleurs, la lecture des publications scientifiques montre qu'il y a également quelque chose à améliorer : les premières pages sont le plus souvent de longs textes denses, en langage naturel. Pourquoi n'aurions-nous pas, là aussi, un moyen plus efficace de communiquer?