Qu'est-ce qu'un composé ?
Voilà une question
lancinante... qui montre la faillite de l'enseignement de chimie au
collège. En effet, je me souviens bien que nos cours commençaient par
bien distinguer un corps pur, un mélange, une molécule, et je me
souviens bien, aussi, d'ailleurs, que certains de mes condisciples
avaient le plus grand mal à comprendre la notion de mole, de molécule,
et les différences entre les divers objets.
Je me souviens aussi
de ma déception à recevoir de tels cours, alors que je m'attendais
presque à accéder immédiatement à des explosions, des transformations
merveilleuses, la Pierre philosophale, en quelque sorte.
Pour
la difficulté de certains à penser la notion de mole, je suis un peu
démuni, mais pour le reste, je suis bien certain que oui, ces
introductions étaient ennuyeuses. Commencer par une série de définitions
? Ce n'est pas amusant.
Et beaucoup ont dû fermer les écoutilles
à ce moment, jugeant que la matière n'avait pas grand intérêt (je
passe, d'ailleurs, sur la confusion entre la technique chimique, la
chimie proprement dite donc, et la science de la chimie, qui est en
réalité la physique).
Ce qui est apparent, d'après
les innombrables échanges que j'ai aujourd'hui avec le monde, le public,
mes interlocuteurs, mes amis que je rencontre lors de conférences ou
par email, c'est que toutes les notions introductives de la chimie ne
sont pas acquises, et que les efforts de nos professeurs sont donc en
pure perte.
Il faut d'ailleurs observer que nombre d'entre eux
"suivent les manuels", et que les manuels ne sont pas toujours
merveilleusement faits. Pour avoir travaillé dans l'édition scolaire, je
peux attester que le temps de rédaction, après la publication des
programmes, est court : quelques mois... alors que je mets dix ans avant
de faire un livre ? Certes, les manuels sont parfois rédigés par des
équipes, mais je peux attester que le temps manque cruellement pour
arriver à quelque chose de bien différent de ce que l'on avait.
Et
puis, ne suffit-il pas de lire ces manuels ? Certes, ils ont fait
beaucoup de progrès, avec des photographies en couleur, des encadrés...
Les éditeurs et les auteurs se sont donné beaucoup de mal, ont dépensé
beaucoup d'énergie... mais la question n'est pas là : il reste que ces
définitions, données dans un cadre rigoureux, ne correspondent pas au
besoin, ne font pas rêver. Et si le socle est vermoulu, rien ne peut
s'ériger.
En vulgarisation, au contraire, on
éviterait absolument de commencer par donner des définitions, et l'on
prendrait sans doute un exemple, un exemple marquant, frappant,
excitant.
On commencerait par montrer l'intérêt de la chose, sans formaliser immédiatement.
Existe-t-il
une bonne raison pour laquelle l'enseignement pourrait faire
différemment ? Le cadre scolaire est-il une justification suffisante ?
Je ne le crois pas, car seul l'objectif compte : que les élèves
acquièrent la notion enseignée. Et les enfilades de définitions
ennuyeuses sont contre productives. Il faut donc les abandonner.
Et répondre à la question de mon interlocuteur : qu'est-ce qu'un composé ?
Mais
avant de répondre à sa question de fond, je propose de considérer sa
question de détail : cette personne me dit que je lui dis qu'un composé,
c'est un ensemble de molécules identiques. Pourquoi ne comprend-elle
pas cela ? Parce que c'est abstrait, et que je propose toujours d'être
d'abord concret.
Un composé ? On perle aussi d'espèce chimique,
pour simplifier. Une espèce, c'est une catégorie, un groupe d'objects
identiques.
Une espèce animale, par exemple le chat, c'est une catégorie d'animaux qui sont tous des chats.
En
chimie ? Prenons l'eau, qui est donc un composé. L'eau est une matière,
et, surtout pour un élève qui étudie les lettres, les mots sont
importants. Il y a des noms d'objets particuliers (ce crayon), des noms
de catégories (les marteaux). Parmi les catégories, il y a des
catégories abstraites ou concrètes.
Bref, tout cela est bien difficile, et je propose d'être encore plus concret.i Parfaitement concret.
Prenons un verre, et mettons-y de l'eau.
Dans
le verre, il y a de l'eau, et cette eau est une matière : nous pouvons
la toucher, la voir, la sentir (elle ne sent probablement rien), la
boire, la sentir couler dans la bouche. La matière de notre corps
interagit avec elle. Si nous prenons une loupe, nous continuons à voir
la même chose : de l'eau. Mais si nous prenions un super-microscope,
nous verrions un grouillement de petits objets tous identiques. Ces
objets doivent avoir un nom : ce sont des molécules. De même pour du
sucre : un cristal de sucre serait vu, au super-microscope, comme un
ensemble de petits objets tous identiques : des molécules. Mais les
molécules dans l'eau et les molécules dans le sucre apparaîtraient
différemment, au super-microscope, et cela nous oblige à dire que l'eau
est faite de molécules d'eau, et le sucre de molécules de sucre.
Si
nous regardons maintenant ces molécules avec non plus des
super-microscopes, mais des super-super-microscopes, nous voyons que
chaque molécule d'eau est faite d'objets de diverses sortes, et que les
molécules de sucre sont faites d'objets de diverses sortes. Ces objets
ont un nom : atome.
Le fer ? Ou plus exactement, ce
clou en fer ? Lui n'est pas fait de molécules, mais d'atomes, et,
mieux, d'atomes tous de la même sorte : des atomes de fer. Le fer est le
nom d'un élément, une matière dont tous les atomes sont identiques.
La
vodka ? Cette fois, on verrait deux sortes de molécules : des
molécules d'eau et des molécules d'une autre sorte, que l'on nomme
éthanol. La vodka est un mélange, donc.
Et les
composés, dans cette affaire ? L'eau, matière, est un composé,
puisqu'elle est faite de molécules qui sont faites, "composées" de
plusieurs sortes d'atomes. Le fer n'est pas un composé, et la vodka
n'est pas un composé, puisque ce n'est pas un corps pur.
Le
sel ? Celui de cuisine, le "chlorure de sodium", n'est pas composé de
molécules, mais d'ions, d'atomes qui ont échangé de petites parties, les
"électrons"... mais faut-il d'emblée aller dans les complications ? Je
propose que nos réponses aux questions soient progressives... sans quoi
nous retomberons dans la litanie des définitions, et ne répondront pas
bien aux questions de nos amis.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes
de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la
cuisine)