La physique fait usage de l'algèbre pour exprimer ses régularités de la nature : ce que l'on a nommé des "lois".
Et, initialement, les lois identifiées étaient essentiellement des proportions. Par exemple, le poids est proportionnel à la masse, et la constante de proportionnalité est l'accélération de la pesanteur. Par exemple, la "loi d'Ohm" exprime une proportionnalité entre la différence de potentiel électrique et l'intensité du courant électrique.
Pour certaines "lois", il peut y avoir des proportionalités inverses, et avec des termes exponentiés. Par exemple, pour la "loi de la gravitation universelle", ou loi de Newton, la force d'attraction gravitationnelle entre deux corps massique est proportionnelle aux deux masses, et inversement proportionnelle au carré de la distance qui sépare leur centre de masse.
Au fond, les équations expriment des relations qui pourraient se dire avec des mots, mais de façon plus concise. Ce fut l'apport de l'algèbre.
Pour la chimie, le "formalisme" n'est pas de cette nature, et les équations sont des représentations des objets.
Bien sûr, là encore, on pourrait décrire les objets en mots, mais ces descriptions sont interminables, parce que des mots ne suffisent pas à dire les choses. Par exemple, comment dire un "éléphant" en mots ? Il faudrait commencer par dire que c'est un animal, qu'il est mammifère, quadrupède, qu'il a une certaine taille, couleur, une trompe, et ainsi de suite à l'infini.
Pour une molécule, il en va de même. Pour décrire la molécule d'acide acétique, il faudrait commencer par dire qu'elle est faite deux deux atomes de carbone liés par une liaison, que le premier est également lié à trois atomes d'hydrogène, tandis que le second est lié à un atome d'oxygène par une double liaison et à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène ; mais il faudrait ajouter qu'il y a une mésomérie, à savoir que le dernier atome d'hydrogène dont nous avons parlé se "répartit" entre les deux atomes d'oxygène, et cela imposerait de parler des électrons, et ainsi de suite à l'infini.
Dans cette description infinie, il faudrait tenir compte du fait qu'il y a rotation entre les deux atomes de carbone, selon l'axe de leur liaison, qu'il y a des angles entre les liaisons, mais avec des possibilités de vibration, de rotation, etc. Et, pour les électrons, il faudrait surtout décrire leur répartition "moyenne".
La forme et la taille de ces objets ? Si l'on utilise des lettres pour représenter la molécule, comme dans la formule H3C-COOH, alors la question ne se pose pas... mais les idées ne sont guère fixées Veut-on donner une idée de la chose ? Il faut surtout considérer l'influence électrique, les "champs" engendrés par les électrons.
Et on pourrait ainsi discuter à l'infini : le formalisme de la chimie, notre CH3COOH, ou la formule développée, sont des abrégés qui recouvent une description dont la "profondeur" maximale ne dépend que de la connaissance de la chimie. Et cette profondeur augmentera avec le développement de la chimie.
La difficulté du maniement de ce formalisme est donc d'un ordre très différent de la difficulté du maniement du formalisme de la physique, le maniement algébrique.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 11 novembre 2024
Les deux formalismes
lundi 18 septembre 2023
A propos du formalisme des systèmes dispersés, DSF
Discutant avec un collègue, nous considérons les systèmes dispersés faits d'amidon et de protéines, dans l'eau.
Mon collègue me montre des images, et je lui réponds en termes de formules qui décrivent ces systèmes, par le formalisme DSF.
Deux écoles : des images, contre des calculs. Laquelle préférer ?
Je me connais assez pour être capable de répondre qu'il n'y a pas lieu de choisir, et que les deux systèmes conviennent et, peut-être même, augmentent leur intérêt mutuel. Toutefois, force est de reconnaître que des images compliquées, telles celles qu'il me présente, méritent une interprétation, c'est-à-dire une schématisation : de l'image, on produit une représentation simplifiée, qui conserve les caractéristiques essentielles, et évite les détails inutiles au premier ordre. Toutefois, comment communiquer un schéma ? Les formules ont sur les schémas, l'avantage de la portabilité et de la concision. Certes il faut apprendre à les utiliser, mas une fois l'effort fait, l'utilisation est simple.
Mieux encore, la formule conduit alors à la représentation quasi immédiate dans l'esprit, permet d'engendrer le schéma. Finalement, je conclus qu'il faut les deux systèmes, mais que les formules ont une généralité bien supérieure, une puissance plus grande, d'autant que, même si, comme les formules de chimie introduites par Lavoisier, elles ne ressemblent qu'à une algèbre sans en être vraiment, elles donnent la possibilité de calculer. Les images, c'est bon pour les enfants. Le calcul, l'élaboration, est bien supérieur.
samedi 3 avril 2010
Nous faisons fausse route avec le formalisme
1. les élèves ou étudiants, de l'école à l'université, ont des difficultés avec le formalisme
2. les formalismes ont été "inventés" par des individus qui voulaient penser plus facilement
D'où la question : comment en est-on arrivé à ce point où un outil fait pour aider est devenu gênant?
Revenons sur les deux prémices.
Oui, les élèves et étudiants ont du mal, avec le calcul, lequel est d'ailleurs souvent confondu avec les mathématiques. Et c'est ainsi que ces dernières sont utilisées comme outil de sélection... ce qui agrave la situation : la sélection faisant son office, elle laisse pour compte des individus, plus nombreux que les heureux élus, qui n'ont, légitimement, aucune raison d'aimer la règle avec laquelle on leur a tapé sur les doigts.
Pourtant, c'est un fait que le formalisme a été inventé pour "aider" à penser. C'est très net dans les écrits d'Antoine Laurent de Lavoisier, mais tout aussi évident dans les textes de Descartes, par exemple.
Lisons Lavoisier, qui introduisit le formalisme de la chimie :
« Pour mieux faire sentir […] l’état de la question, et pour présenter aux yeux, sous un même coup d’œil, le résultat de ce qui se passe dans les dissolutions métalliques, j’ai construit des espèces de formules, qu’on pourrait prendre d’abord pour des formules algébriques, mais qui ne dérivent point des mêmes principes ; nous sommes encore bien loin de pouvoir porter dans la chimie la précision mathématique, et je prie en conséquence, de ne considérer les formules que je vais donner que comme de simples annotations, dont l’objet est de soulager les opérations de l’esprit ».
On voit que l'objet est d'embrasser d'un coup d'oeil, d'avoir une idée synthétique, rapide, des réactions, au lieu de se perdre dans des mots trop longs.
De même pour le "formalisme CDS/NPOS" introduit en 2002 : l'idée, c'est de remplacer des expressions si longues qu'on ne les comprend plus (par exemple : suspension dans un gel dispersé dans un gel) par des formules qui tiennent en quelques symboles ([S/(E/W)]/W).
En mathématiques, idem : essayez donc de dire "df(x)/dx=sin(x)/exp(x^2)" avec des mots!
Bref, le formalisme est là pour nous aider, et c'est donc une faillite terrible de l'enseignement actuel des sciences que des individus craignent ou ne puisse le manipuler.
Et si l'on commençait par montrer qu'il s'agit de nous aider, et pas de nous barrer le chemin?
D'ailleurs, la lecture des publications scientifiques montre qu'il y a également quelque chose à améliorer : les premières pages sont le plus souvent de longs textes denses, en langage naturel. Pourquoi n'aurions-nous pas, là aussi, un moyen plus efficace de communiquer?