mercredi 3 juillet 2024

Nous devons comprendre !


Dans beaucoup de mes enseignements, je recommande aux étudiants de ne pas supporter de ne pas comprendre mais cette injonction est en réalité épineuse, parce que personne ne comprend tout bien sûr. Quand nous conduisons une voiture, comprenons-nous vraiment ce qui se passe sous le capot ? Savons-nous le détail de tout ce que nous faisons ? De même, quand nous utilisons un ordinateur, comprenons-nous bien tout ce qu'il fait ?
Derrière cette question, il y a la différence que je fais entre le conducteur et le mécanicien.
De fait, si nous supportons de ne pas comprendre comment fonctionne notre ordinateur, pourquoi devrions-nous nous comporter différemment au laboratoire ?
D'abord, parce que, pour le travail de laboratoire, c'est nous le mécanicien ! Mais, surtout, parce que, au delà de nos expérimentations, il y les "questions que nous posons à la nature" : nous devons lui parler dans sa langue, et sa langue est subtile. En outre, au-delà de la compréhension elle-même, il y a la compréhension que nous avons, la théorie que nous nous faisons des gestes que nous faisons, des phénomènes que nous observons.

Par exemple, quand nous préparons une solution, nous avons besoin d'un modèle pour nous demander si les molécules du soluté vont se disperser dans le solvant, ou bien s'agréger en microscopiques agrégats, ou bien se coller aux parois du récipient.

À tout moment, nous devons voir plus que le macroscopique : nous devons interpréter ce dernier en termes microscopiques, puis interpréter le microscopique en termes physiques, et interpréter le physique en termes moléculaires, chimiques.

Mais comprendre, cela signifie aussi avoir une idée quantitative des phénomènes, ce qui revient à calculer autant que nous ne pouvons à propos des divers paramètres pertinents des expérimentations.
Pour reprendre l'exemple de la concentration  d'un soluté dans une solution, combien y a-t-il de molécules de solvant pour une molécule de soluté ?

J'évoque ces questions, parce que je viens d'assister une soutenance où les étudiants n'ont pas fait très fort  : alors que nous avions commencé le semestre par de longs cours pendant  lesquels nous explorions les mécanismes des phénomènes, les travaux de laboratoire (en stage) qu'ils ont fait sont souvent des travaux techniques, sans référence aux phénomènes, aux mécanismes. Ils ont manifestement "conduit une voiture" :  ils ont montré des expérimentations en restant à l'apparence des phénomènes, sans chercher à comprendre. Ce qui est pire, n'ayant pas considéré les mécanismes des phénomènes, ils ont accumulé des expériences insensées, effectué d'innombrables tests sans intérêt, perdant temps, argent, énergie...  alors qu'une réflexion théorique très simple leur aurait permis de guider leurs expérimentations dans la bonne direction et, notamment de les conduire à des hypothèses qu'ils auraient pu tester.

La faute est partagée :  elle doit être attribuée aux étudiants, d'une part, mais aussi aux  enseignants, d'autre part,  puisqu'il n'a pas été clair aux étudiants qu'il s'agissait, dans ces deux cours, d'aller apprendre à chercher les mécanismes des phénomènes.

Comptez sur moi pour que, l'an prochain, cela soit indiqué en très grosses lettres !

Pour terminer, signalons que, après avoir accueilli des centaines d'étudiants au laboratoire, je peux certifier que les meilleurs d'entre eux étaient ceux qui s'interrogaient sur les mécanismes des phénomènes. Bien sûr, il y a une question de culture : ces étudiants là avaient connaissance des possibilités théoriques :  pour la capillarité, le transfert d'électrons, la pression de la place, le log P, et cetera. Mieux encore, certains étaient capables de mettre en œuvre ces connaissances pour en faire des compétences, comme le revendique le référentiel des stages à l'échelon national.

Pour être plus bref et mieux entendu, disons que les meilleurs étudiants sont comme des pitbulls de la connaissance : ils plantent les dents dans un objet intellectuel et ne le relâchent qu'après avoir parfaitement compris l'ensemble de la question.
 

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