Affichage des articles dont le libellé est Berthelot. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Berthelot. Afficher tous les articles

mercredi 12 juillet 2023

Attention aux formules... littéraires

 Je crains les formules. 

Par exemple : “La chimie crée son objet”. Cette formule est due à Marcellin Berthelot, un chimiste que je suis certain de ne pas aimer. Il était en effet trop arriviste pour être complètement honnête, comme l'a bien montré mon vieil ami Jean Jacques dans son livre Marcellin Berthelot, autopsie d'un mythe. Certes, Berthelot fut du “bon coté” : celui des athées contre une religion catholique qui faiblissait. Il s'empara de la chimie comme d'un étendard, à des fins personnelles. Il se comportait en tant que chimiste plutôt qu'en chimiste. 

 

La chimie crée son objet ? Que cela signifie-t-il ? 

La chimie : c'est une activité scientifique, qui explore le monde, et qui n'est pas une production de composés. 

La chimie crée : oui, la chimie crée des composés, nouveaux ou anciens, mais afin d'explorer des mécanismes, de découvrir de nouveaux objets du monde. 

La chimie crée son objet ? Quel est l'objet de la chimie ? Ce n'est pas de la création, mais de la découverte !. Autrement dit, la formule énonce que la chimie crée le fait de créer des composés : quelle confusion ! 

 

Je propose de considérer que nous n'avons pas assez interrogé cette formule, et que, ébloui par les gloires (prétendues) du passé, nous n'avons pas assez cherché à la réfuter. 

Moralité : ne cédons pas à l'argument d'autorité, souvent assorti de formules, et révisons notre jugement à propos de Marcellin Berthelot, considérant qu'un homme qui propage de telles erreurs ne mérite peut-être pas notre admiration. Mais je vous laisse enquêter à ce propos. 

 

Un tel billet étant très négatif, je dois aussitôt l'assortir de beaucoup d'enthousiasme. Vive l'esprit analytique, qui discute les formules au lieu de les gober, par exemple ! Vive l'histoire des sciences, qui discute les faits au lieu de les admettre ! Vive une analyse du passé qui ne soit pas une hagiographie, qui conduit à grandir, à donner plus clairement à nos successeurs une belle vision des faits ! Vive la possibilité de faire évoluer les idées, évidement par la réfutation des erreurs du passé. 

Mieux encore, j'ai proposé dans ce blog de nous focaliser sur les “symptômes”, c'est-à-dire les idées ou les faits qui “coincent”. Et si même les faits justes conduisaient à une analyse des faits encore plus juste ? Voilà une idée très positive, comme je les aime.

vendredi 21 avril 2023

Merveilleux Pierre Duhem !

Traversant le Quartier latin, je passe devant le Collège de France, et, notamment, devant la place Marcellin Berthelot.  

Berthelot ? Ce savant eut tous les honneurs, au point que son décès fut une journée de deuil national qui le conduisit au Panthéon, accompagné de son épouse décédée quelques heures avant lui. 

 

Au fait, qu'a fait Berthelot ? 

 

Enfant, quand j'allais à ce merveilleux Palais de la découverte, on y voyait en fonctionnement l'expérience de ce qui était nommée "oeuf de Berthelot", où l'envoi d'hydrogène entre deux morceaux de graphite reliés par une étincelle électrique, un arc électrique, conduisait à la synthèse de l'acétylène. 

C'était là une expérience éblouissante qui laissait imaginer combien Berthelot avait été un grand savant. 

Toutefois on ne devient pas plus bête si on lit ou si on relit à ce propos  le merveilleux livre de Jean Jacques, qui fut chimiste au Collège de France. Le livre est une biographie de Marcellin Berthelot  sous-titrée « Autopsie d'un mythe » : Jean Jacques, qui était féru d'histoire de la chimie, et compétent puisqu'il avait les pièces originales, "de l'intérieur",  montre très bien combien Berthelot usurpa sa réputation. L'oeuf de Berthelot, en particulier, n'est pas de lui, et beaucoup des travaux dont il s'est vanté avaient des antécédents dont il n'a guère reconnu la paternité. 

Le personnage était prétentieux, et, d'ailleurs, il a fini ministre ! Pensez-vous qu'un Einstein aurait accepté d'être ministre ?  Un Poincaré ? Un Faraday  ? Un Gauss ? Non, mais Berthelot avaient les dents qui rayaient le parquet, et il sut parfaitement construire son mythe. 

Mythe d'ailleurs repris allègrement par la famille,  qui s'enorgueillit d'avoir un ancêtre célèbre. 

 

Ce qui est extraordinaire, c'est que, quand des collègues étrangers viennent à Paris, ils passent  devant cette place Marcellin Berthelot, ils ignorent tout de  Berthelot   dont l'écho  des travaux n'est absolument pas parvenu jusqu'à eux. C'est troublant, n'est-ce pas ? 

En revanche, tous les physico-chimistes du monde connaissent Pierre Duhem, qui, vivant à la même époque que Berthelot, fit des travaux extraordinaires de physico-chimie. 

Pourquoi Duhem est-il si mal connu des Français et Berthelot si encensé ? La réalité est que Marcellin Berthelot fut le chimiste du parti laïc, extraordinairement puissant à son  époque, qui est celle des Jules Ferry, des  Ernest Renan... Chimistes laïc, Berthelot fut promu, reçut les honneurs, les postes,  les responsabilités...  Pierre Duhem, au contraire était extrêmement croyant, et cela lui valut  de ne pas avoir de poste à Paris, d'être envoyé à Bordeaux, qui à l'époque, n'avait pas les conditions scientifiques d'aujourd'hui. Duhem fut « enterré » scientifiquement. 

Je ne dis  pas mon sentiment personnel  sur l'existence éventuelle de Dieu (d'un dieu), mais je dis qu'il y eut une injustice, et dans les deux sens : un excès d'honneur pour l'un, une insuffisance de reconnaissance pour  l'autre. 

Je me limite à constater que, un siècle après ces deux hommes,  le monde est admiratif du travail de Pierre Duhem, et n'a, à l'exception de quelques uns, dont les descendants,  que peu d'admiration pour Berthelot. Je ne cherche pas ici à abaisser Berthelot pour rehausser Duhem, car c'est une attitude que je combats, mais je propose que chacun soit jugé selon ses mérites propres, et non pas selon une réputation entretenue par l'intéressé. Et puis, Berthelot est enterré, n'en parlons plus. 

En revanche, répétons que Pierre Duhem fit une oeuvre scientifique remarquable. Célébrons Pierre Duhem, découvrons son oeuvre de pionnier !

dimanche 15 novembre 2015

Demain, qui seront les classiques ?

Tout a commencé avec  une correspondance : un étudiant très intéressé par les matières intellectuelles en général me signalait l'engouement d'un de ses amis pour Coluche,  et il me demandait ce que j'en pensais. Cet étudiant n'est pas français et l'on se souvient qu' "à beau mentir qui vient de loin" : pour lui,  Coluche en est un personnage exotique, dont on peut vanter facilement les mérites. Je ne dis pas ici que Coluche n'était rien, mais je devais à mon jeune ami de me demander si nous avons raison d'y passer du temps.
Car c'est bien là une question de temps, de choix, d'éthique même.  Puisque nous avons à choisir le temps que nous consacrons aux aspérités du monde, puisque nous avons à choisir comment nous "meublons" notre esprit, puisque nous devons choisir ce que nous aimons, s'impose de savoir si Coluche vaut Molière, et si nous devons écouter des sketchs de Coluche, ou relire des pièces de Molière. Et cette question peut être retournée : nous pouvons nous demander pourquoi Molière est resté, alors qu'il y a eu tant d'amuseurs, siècle après siècle.
Alors que je proposais à mon correspondant des noms comme celui d'Aristote (ou de Molière), il me répondait très justement que ma réponse était facile, puisque j'érigeais en personnalités… des personnalités. Et il continuait de m'interroger, mais cette fois à propos de Serge Gainsbourg. Là encore, je n'ai rien contre Gainsbourg, et je ne vais pas refaire le même type de réponse, à savoir comparer Gainsbourg à Mozart ou à Bach. Je préfère  donc poser  la question : lesquels de nos contemporains encensés par le peuple, la presse, le politique, seront-ils demain considérés comme des classiques, et pourquoi ?

En littérature, que je comprends sans doute mieux que la musique ou le comique, on est régulièrement exposé à l'annonce d'un prix : le prix Goncourt, le prix Fémina, etc. Difficile de penser que toutes les œuvres primées valent grand-chose, et, quand on lit bien ces œuvres, on voit qu'Alain Robbe-Grillet (merveilleux Pour un nouveau roman !) avait bien raison d'analyser que, trop souvent, on en est resté à Honoré de Balzac, sans grand changement ; les romans en question ne sont que  de mineures  variations sur le thème du grand Balzac, qui, lui, a effectivement été à l'origine d'une forme. Oui, il y a des écrivains qui ont de l'imagination, d'autres qui racontent bien leur propre histoire en l’embellissant un peu pour ne pas tomber dans le pire de la littérature, à savoir l'étalage naïf de l'intime, mais du point de vue littéraire, cela n'est rien, et si Rabelais était Rabelais, par exemple, s'il est resté, c'est que la forme littéraire qu'il introduisit est extraordinairement puissante, et réductible à aucune autre !
Il y a donc eu Rabelais, il y a eu Molière, Balzac, Flaubert… Et chacun n'a pas seulement raconté une histoire différant seulement des autres dans les détails. Il y a eu bien plus, et il faut des considérations historiques et de la théorie littéraire pour le comprendre. Oui, nous sommes… « contents » de lire le dernier roman primé (quoi que ;-) ), mais nous pourrions tout aussi bien en lire un, dix, cent, mille… que nous aurions ainsi seulement passé notre temps, occupé nos "loisirs" sans avancer beaucoup dans la littérature. Au fond, la question récurrente n'est pas tant de savoir si  tel roman nous a plu, s'il a fait vibrer telle sensibilité idiosyncratique que nous avons (elle a du  sentiment, ma vache), mais plutôt de voir quel est l'apport réel, littéraire,  d'un auteur. L'histoire -j'espère- ne retiendra que les changements de paradigmes, pas les détails.

Vite, passons aux sciences de la nature,  puisque c'est cela qui nous importe. Rendons-nous un jour à une séance publique de l'Académie des sciences, de l'Académie d'agriculture, de l'Académie de pharmacie... Regardons autour de nous, et interrogeons-nous  : qui, demain, restera ? Pour quel travail ? Quel travaux seront reconnus comme véritablement novateurs ?
Pour répondre à ce genre de questions, la faveur du public et l'engouement de la presse ne comptent guère, et c'est surtout le travail qui importe. Ainsi, alors que Marcellin Berthelot était un quasi dieu vivant, à son époque, et que Pierre Duhem était relégué à l'université de Bordeaux, l'histoire des sciences chimiques a conservé Duhem et n'a gardé que de pâles échos de Berthelot.  Le comité Nobel fait-il mieux ? L'examen de la liste des lauréats du prix Nobel de chimie montre de vraies différences de niveau :  tous n'ont pas la stature de Langmuir !
Évidemment, dans la sélection historique, de nombreux facteurs jouent. Un personnage qui n'aurait été que peu connu à son époque ne l'a pas influencée beaucoup, de sorte que son nom est moins connu qu'une des stars du moment. D'ailleurs, nombre de scientifiques éloignés de la France ou de l'Angleterre, aux 17e  et 18 e siècles, s'en sont plaint. Par exemple, au fond des pays nordiques, Carl Scheele fut moins reconnu pour sa découverte de l'oxygène que Joseph Priestley, qui était un personnage étonnant, remuant, et donc très largement entouré en Angleterre. Pour cette découverte de l'oxygène, d'ailleurs, on pourrait dire que Priestley a reconnu le dioxygène sans bien comprendre qu'il s'agissait d'un nouvel élément, que Scheele a fait mieux, puisqu'il a fait la découverte avant lui, mais c'est Lavoisier qui a bien identifié un « principe » nouveau, raison pour laquelle il parlait du "principe oxigyne". Bien sûr, le mot "élément" n'était pas prononcé, mais tout  allait de pair : le nouveau  gaz, le nouvel élément, la réfutation du phlogistique, ce principe qui aurait eu une masse négative et que le feu (considéré comme un élément) aurait donné aux métaux, ce qui aurait expliqué pourquoi les oxydes métalliques pèsent plus que les métaux (la masse de l'oxygène s'ajoute à celle du métal, dirait-on plus justement aujourd'hui). Et si Lavoisier fut grand, plus grand que Scheele ou que  Priestley, c'est bien parce que, abattant la théorie du phologistique, il mit les sciences chimiques sur leur piste moderne. Il dépassa la découverte d'un simple produit supplémentaire, fondant la chimie moderne, ce que ne firent ni Priesteley ni Scheele. On aurait donc raison de garder les noms de Priestley ou de Scheele, pour la découverte du dioxygè, mais on aura surtout raison de garder celui de Lavoisier. Scheele pouvait justement se plaindre d’être loin, mais il ne vaut pas Lavoisier, qui  fit gravir aux sciences chimiques une marche immense.
Je continue de poser la question : qui,  aujourd'hui, au-delà des éloges contemporains,  restera dans l'histoire des sciences ?