Traversant le Quartier latin, je passe devant le Collège de France, et, notamment, devant la place Marcellin Berthelot.
Berthelot ? Ce savant eut tous les honneurs, au point que son décès fut une journée de deuil national qui le conduisit au Panthéon, accompagné de son épouse décédée quelques heures avant lui.
Au fait, qu'a fait Berthelot ?
Enfant, quand j'allais à ce merveilleux Palais de la découverte, on y voyait en fonctionnement l'expérience de ce qui était nommée "oeuf de Berthelot", où l'envoi d'hydrogène entre deux morceaux de graphite reliés par une étincelle électrique, un arc électrique, conduisait à la synthèse de l'acétylène.
C'était là une expérience éblouissante qui laissait imaginer combien Berthelot avait été un grand savant.
Toutefois on ne devient pas plus bête si on lit ou si on relit à ce propos le merveilleux livre de Jean Jacques, qui fut chimiste au Collège de France. Le livre est une biographie de Marcellin Berthelot sous-titrée « Autopsie d'un mythe » : Jean Jacques, qui était féru d'histoire de la chimie, et compétent puisqu'il avait les pièces originales, "de l'intérieur", montre très bien combien Berthelot usurpa sa réputation. L'oeuf de Berthelot, en particulier, n'est pas de lui, et beaucoup des travaux dont il s'est vanté avaient des antécédents dont il n'a guère reconnu la paternité.
Le personnage était prétentieux, et, d'ailleurs, il a fini ministre ! Pensez-vous qu'un Einstein aurait accepté d'être ministre ? Un Poincaré ? Un Faraday ? Un Gauss ? Non, mais Berthelot avaient les dents qui rayaient le parquet, et il sut parfaitement construire son mythe.
Mythe d'ailleurs repris allègrement par la famille, qui s'enorgueillit d'avoir un ancêtre célèbre.
Ce qui est extraordinaire, c'est que, quand des collègues étrangers viennent à Paris, ils passent devant cette place Marcellin Berthelot, ils ignorent tout de Berthelot dont l'écho des travaux n'est absolument pas parvenu jusqu'à eux. C'est troublant, n'est-ce pas ?
En revanche, tous les physico-chimistes du monde connaissent Pierre Duhem, qui, vivant à la même époque que Berthelot, fit des travaux extraordinaires de physico-chimie.
Pourquoi Duhem est-il si mal connu des Français et Berthelot si encensé ? La réalité est que Marcellin Berthelot fut le chimiste du parti laïc, extraordinairement puissant à son époque, qui est celle des Jules Ferry, des Ernest Renan... Chimistes laïc, Berthelot fut promu, reçut les honneurs, les postes, les responsabilités... Pierre Duhem, au contraire était extrêmement croyant, et cela lui valut de ne pas avoir de poste à Paris, d'être envoyé à Bordeaux, qui à l'époque, n'avait pas les conditions scientifiques d'aujourd'hui. Duhem fut « enterré » scientifiquement.
Je ne dis pas mon sentiment personnel sur l'existence éventuelle de Dieu (d'un dieu), mais je dis qu'il y eut une injustice, et dans les deux sens : un excès d'honneur pour l'un, une insuffisance de reconnaissance pour l'autre.
Je me limite à constater que, un siècle après ces deux hommes, le monde est admiratif du travail de Pierre Duhem, et n'a, à l'exception de quelques uns, dont les descendants, que peu d'admiration pour Berthelot. Je ne cherche pas ici à abaisser Berthelot pour rehausser Duhem, car c'est une attitude que je combats, mais je propose que chacun soit jugé selon ses mérites propres, et non pas selon une réputation entretenue par l'intéressé. Et puis, Berthelot est enterré, n'en parlons plus.
En revanche, répétons que Pierre Duhem fit une oeuvre scientifique remarquable. Célébrons Pierre Duhem, découvrons son oeuvre de pionnier !