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dimanche 17 août 2025

Deux fois en deux jours : des consultations à propos de gélifications

 
Deux fois en deux jours : des consultations à propos de gélifications ! 

Depuis deux jours, l'intérêt pour les gélifications se fait entendre, et l'on me demande des "consultations" à ce propos. Quand je dis "on", ce sont des professionnels, qui veulent régler des questions techniques, telles que "Comment faire un gel avec un liquide dont je ne connais pas l'acidité ?" ou "Comment faire un gel qui tient à chaud ?", ou encore "Quelles sont les différentes sortes de gélatines végétales y a-t-il ?"... 

Et cela me conduit -avant de répondre ici à tous, et non pas à ces deux personnes en particulier- à deux observations : 

1. cette question des gélifiants est l'une de celles que j'agitais dès les années 1980 ! Ayant observé que l'on pouvait gélifier avec bien plus que le pied de veau, j'avais proposé à mes amis cuisiniers d'utiliser des gélifiants variés, pour des résultats très divers : il en va de l'avancement de l'art culinaire ! 

2. les échanges des derniers jours me donnent un argument, contre les quelques roquets qui n'ont pas compris qu'il y a lieu d'aboyer contre autre chose que la cuisine moléculaire, et qui, en conséquences, m'attaquent périodiquement (il y a même des imbéciles malhonnêtes qui écrivent que je serais un faux-nez de l'industrie chimique), à savoir que les "consultations" que j'ai données sans attendre étaient entièrement gratuites : d'une part, je suis agent de l'Etat, payé par le contribuable, de sorte que je me dois d'aider ce dernier, et notamment les petites entreprises (artisans) qui n'ont pas les moyens de se payer un service de recherche, et c'est bien ce que je fais.

Mais oublions les roquets, et levons le nez pour voir le bleu du ciel. Comment gélifier ? Nous allons voir que mille possibilités se présentent, avec beaucoup de simplicité.

 Commençons par observer que gélifier un liquide, c'est lui donner une consistance "solide", qui ne coule pas (sans quoi on parle d'épaississement, et pas de gélification). Les gélifiants sont des composés qui peuvent provenir :
- d'animaux
- de végétaux - de micro-organismes
- de transformations moléculaires. 

Les plus courants sont :
- pour les gélifiants animaux : la gélatine, mais aussi les protéines du lait, de l'oeuf, des viandes et des poissons ;
- pour les végétaux : diverses protéines végétales, mais aussi des "polysaccharides" tels que l'amylose et l'amylopectine de l'amidon, ou les pectines des fruits, par exemple, sans compter, pour les algues, les agar-agar, alginates, et certains carraghénanes, également
- pour les micro-organismes, également des polysaccharides, et l'on pensera notamment à la gomme xanthane, produite par une fermentation
- pour les gélifiants provenant de transformations moléculaires : la méthylcelluose, et ses cousins. 

Mais pour les "cuisiniers " (je regroupe ici tous ceux qui préparent des aliments), c'est moins l'origine de ces produits qui importe que leurs caractéristiques fonctionnelles,et là, il est souvent utile de distinguer les gélifiants qui sont "thermoréversibles" et ceux qui ne le sont pas. 

Par exemple, la gélatine est soluble à chaud, mais, à froid, elle fait prendre un liquide en une gelée qui fondra si on la réchauffe. Ce gel est thermoréversible, tout comme ceux qui sont obtenus par des pectines (pensons aux confitures)
En revanche, de la poudre de blanc d'oeuf ajoutée à un liquide (par exemple, un jus de betterave) et chauffée conduira à un gel analogue à du blanc d'oeuf dur, qui ne reliquéfiera pas ensuite, qu'on le chauffe ou qu'on le refroidisse : ce gel est irréversible. 

Dans tous les cas, la règle d'utilisation est environ la même : on fera bien de commencer avec une proportion d'agent gélifiant de 5 pour cent en masse. Puis, si l'on juge le résultat trop "dur", on testera une dose deux fois inférieure, jusqu'à avoir le résultat voulu. Inversement, si le liquide ne prend pas, on pourra doubler la quantité. 

La teneur en sucre du liquide ? Elle est principalement importante dans le cas des pectines, pour lesquelles une quantité de sucre d'environ 50 pour cent est nécessaire. L'acidité du liquide ? Là, il y a des gélifiants, tel l'alginate de sodium, pour lesquels cette question est importante, et devra conduire à modifier l'acidité, par exemple avec de l'acide citrique pour acidifier (on ajoute bien du jus de citron pour faire prendre les confitures) ou du citrate de trisodium pour remonter le pH d'une liquide trop acide (ou du bicarbonate !). 

La teneur en alcool : bien souvent, les gélifiants précipitent dans un alcool trop concentré, de sorte que, pour ce cas particulier, s'imposent des stratégies (simples) qui dépassent le cadre de ce billet. Une réminiscence d'un passé pas si lointain : je me souviens m'être émerveillé, dans les années 1980, d'un plat préparé par un cuisinier, où se trouvait une gelée chaude. J'observe aujourd'hui que nous nous sommes habitués, car à l'époque, quand ne régnait que la gélatine du pied de veau, les gelées fondaient quand on les chauffait... sauf pour les gels faits de protéines animales telles que les actines et myosines des muscles animaux : d'ailleurs, quand on fait une terrine, ce sont ces protéines, et leur coagulation, que l'on met en oeuvre pour gélifier des liquides. Et, en l'occurrence, dans les gels chauds qui m'avaient émerveillés, il y avait de l'oeuf pour faire tenir le gel : les protéines de l'oeuf sont du même type que celles des muscles. 

J'observe aussi que, dans le lait, les protéines nommées caséines permettent de faire du fromage à partir du lait : il s'agit encore d'une gélification, mais elle est provoquée par une enzyme (dans la présure), et non pas par la température. Même question pour la coagulation du sang, par exemple. 

Finalement, il y aurait trop à dire pour expliquer toutes les coagulations une à une, et notamment l'emploi de l'alginate de sodium et des sels de calcium pour produire des "degennes", à savoir ces caviars artificiels... mais cela a été déjà publié mille fois ! Non, il faut mieux terminer en observant que certains gels sont transparents et d'autres opaques, certains gels sont fondants (gélatine, confitures) et d'autres cassants, ou caoutchouteux. Aucun n'est mieux qu'un autre, pas plus qu'un sol n'est mieux qu'un do ou un fa, pas plus que le jaune ne serait mieux que le rouge ou le vert... Non, il y a seulement des ingrédients appropriés pour chaque cas bien identifié... et c'était d'ailleurs la teneur essentielle des consultations que j'ai données : dites-moi d'abord votre objectif, et c'est seulement, alors, que je pourrai répondre à votre question technique !

jeudi 14 décembre 2017

Une de mes inventions : les gibbs

Dans un précédent billet, nous avons considéré les liebigs, des émulsions gélifiées.
Toutefois, il y a gélification et gélification ; certaines sont réversibles, dites « physiques », tandis que d'autres sont « chimiques ». Les gélifications chimiques sont des gélifications irréversibles, assurées par la formation de liaisons chimiques plus fortes que dans les gélifications physiques.
Un type particulier résulte de la formation de liaisons chimiques particulières nommées ponts disulfures, telles qu'il s'en forme lors de la coagulation de l'oeuf. De ce fait, on entrevoit aussitôt que l'on peut obtenir une émulsion gélifiée chimiquement en émulsifiant de l'huile dans une solution qui contient des protéines capables de coaguler, telles qu'il y en a dans le blanc d'oeuf, puis en faisant coaguler les protéines.

 La recette est extrêmement simple : fouetter de l'huile dans du blanc d'oeuf, jusqu'à obtenir une préparation épaisse comme une mayonnaise, mais blanche, puis cuire quelques secondes cette préparation au four à micro-ondes, afin d'obtenir la coagulation les protéines restées à la surface des gouttes d'huile. Et c'est ainsi que l'on obtient rapidement une émulsion gélifiée blanche et insipide.
J'ai nommé de ce système un « gibbs ». 

Blanches et insipides : est-ce rédhibitoire ? Pas du tout : il suffit de donner de la couleur et du goût.
Pour la couleur, tous les pigments ou colorants comestibles font l'affaire : les chlorophylles engendrant le vert, jusqu'aux caroténoïdes qui font le jaune, rouge, orange, en passant par les composés phénoliques des fleurs et fruits, qui font aussi du bleu, ou en passant par les bétalaïnes des betteraves.
Du goût : cela signifie de la saveur et de l'odeur. Comme il y a de l'huile dans la préparation, on conçoit facilement qu'il soit facile d'y dissoudre des composés odorants, le plus souvent solubles dans l'huile.
Pour la saveur, les composés sont solubles dans l'eau, ce qui tombe précisément bien, puisque le blanc d'oeuf initialement utilisé est composé de 90 % d'eau.

On le voit : finalement, il n'est pas difficile de fairedes gibbs au goût merveilleux ! note : je vous recommande un blanc d'oeuf que vous sucrez, puis vous émulsionnez une huile où vous avez fait macérer des gousses de vanilles, et vous passez au four à micro-ondes dans de jolies tasses. A servir avec un élément croustillant ou croquant, tuile aux amandes ou autre.




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)