Cette image est emblématique d'un problème que j'ai rencontré avec des personnes présentes dans des laboratoire de chimie, engagées dans des analyses. La morale de l'analyse que nous allons faire est la suivante : il s'agit de savoir si l'on veut obtenir de bons résultats ou des résultats médiocres, de savoir si l'on veut faire bien en apprenant, ou faire mal parce que l'on est doublement insuffisant.
Dans nombre d'analyses en effet, on obtient un "signal" et idéalement, un composé particulier donne un signal particulier, une courbe en cloche bien séparée des autres.
Mais le plus souvent, si l'on fait des analyses, et non pas des exercices d'entraînement comme dans des séances de travaux pratiques universitaires, on a une situation plus compliquée, plusieurs composés étant à l'origine de signaux qui sont entremêlés, et le travail d'interprétation des spectre consiste précisément à identifier chacun des signaux et, surtout, en calculer l'aire puisque c'est elle -et non pas la hauteur- qui est proportionnelle à la quantité de composés présents, la quantité que l'on cherche.
Or des composés chimiquement semblables engendrent des signaux qui sont proches au point de fusionner partiellement comme sur l'image que l'on voit ici.
Et c'est là que l'on rencontre la première alternative : faut-il passer de très longues heures, voire jours ou mois, pour changer les conditions expérimentales et finalement obtenir des spectres où les signaux sont séparés, ou bien faut-il calculer un peu ?
Je suis bien désolé d'observer que, en recherche scientifique, les capacités de calcul ne sont pas toujours très grandes... et c'est la première solution qui est choisie.
On croit que j'exagère, mais non : j'ai même vu nommer maître de conférences, dans une grande école, une personne qui a passé deux mois à séparer expérimentalement des signaux que, par le calcul, je sépare en un quart d'heure.
Evidemment, la mauvaise foi humaine veut cacher des insuffisances personnelles et c'est ainsi qu'un jour, j'ai eu l'occasion d'assister à une discussion ahurissante entre un doctorant et un étudiant en stage "encadré" par le premier, à propos de ce même cas : le docteur "enseignait" d'un air docte et pénétré, à l'étudiant la méthode du tangente skimming, l'écrémage tangentiel, qui consiste à tirer une droite sous le plus petit des deux signaux (à la règle et au crayon !) et à considérer que la valeur de ce signal est égale à ce qui dépasse au-dessus de la droite.
C'est une méthode très insuffisante et j'ai montré que, dans certains cas, 75 % du signal était ainsi perdu.
On peut pas imaginer faire de la bonne analyse en utilisant cette méthode.
Passant dans un couloir au moment où le docteur endoctrinait l'étudiant, avec son explication fautive, j'ai interrompu la discussion pour faire l'observation que je viens de faire, et la réponse du doctorant a été "nous c'est comme ça qu'on fait".
Comme il n'était pas éthique d'intervenir dans une équipe qui n'était pas la mienne, j'ai laissé les deux jeunes collègues discuter entre eux, mais je me suis promis de bien expliquer publiquement la question.
J'ai publié dans un article scientifique aux Cahiers technique de l'Inrae la méthode détaillée de calcul -un calcul très simple- qui permet de connaître l'aire respective de chacun des deux signaux dont on voit la somme ici.
J'insiste, c'est un calcul très simple que j'aurais pu faire même sans ordinateur sans doute vers l'âge de 13 ou 14 ans. C'est un calcul fondé sur des notions élémentaires du calcul intégral, mais je vois trop de personnes, jusqu'à des collègues, pour lesquelles cela n'est pas maîtrisé.
Je ne me fais pas toujours des amis dans le milieu scientifique quand j'observe que la science, c'est le calcul, et que, sans calcul, on ne fait ni bonne science ni même bon travail technique.
Je fais d'ailleurs une différence, afin d'encourager mes amis, entre mathématiques et calcul : le calcul, c'est l'emploi de mathématiques qui ont été produites il y a des siècles par les mathématiciens ; ce n'est pas difficile, et j'en fournis pour exemple le merveilleux livre de Nicolas Piskounov intitulé "Calcul différentiel et intégral" : à mettre entre toutes les mains, en conseillant de lire ligne à ligne et de faire les exercices les uns après les autres.
Bref, si nous avons le choix entre le calcul et l'expérimentation, pour arriver au même résultat, n'hésitons pas !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 9 octobre 2025
Derrière l'image : le calcul nous sauve toujours
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