L'histoire de Parmentier est souvent racontée avec beaucoup d'erreurs.
La pire consiste à dire que Parmentier introduisit la pomme de terre en France. Cela n'est pas vrai, car la pomme de terre était cultivée et consommée bien avant qu'il s'y intéresse, dans l'est de la France.
Une autre erreur consiste à dire que Parmentier fut le premier à séparer l'amidon de la pomme de terre, pour en faire divers usages. Cela était déjà fait depuis longtemps, l'amidon et le gluten ayant été séparés (du blé) dès 1728 par Jacobo Beccari, professeur de chimie à l'Université de Bologne. À ce sujet d'ailleurs, il reste une incertitude : le texte sur le blé de Beccari date de 1745, mais en 1728 il aurait fait une communication à l'Académie des sciences de Bologne ; or, pour l'instant, je n'ai pas trouvé trace de cette communication, pourtant décrite par quelques auteurs qui ne donnent pas leur source... et l'Académie de Bologne n'a pas répondu à mon courrier où je demandais des précisions attestées, fiables, sûres.
Parmentier est-il le premier à avoir cuisiné les pommes de terre ? Non plus. Alors qu'a fait Parmentier ? Dans ses Eléments chymiques des pommes de terre, Parmentier effectue diverses expérimentations de lavage à différentes eaux, de traitements à l'acide, etc. sur des fractions de la pomme de terre, afin de comprendre plusieurs des mécanismes observés quand on transforme les pommes de terre, et notamment des changements de couleur.
De ce point de vue, Parmentier était bien dans la position d'explorer les mécanismes de ces phénomènes que sont, par exemple, les changements de couleur, il était bien en position de chercher à « lever un coin du grand voile ».
Parmentier a donc fait une oeuvre scientifique, à propos de la pomme de terre. Etait-ce une œuvre de chimie ? Dans l'oeuvre « chymique » de Parmentier, il n'y a guère de réarrangement atomique, de transformations moléculaires, de réactions chimiques... Il y a surtout des fractionnements, de l'analyse, et si cette analyse vise à ranger dans des catégories différentes des fractions moléculaires différentes, ces molécules ne sont pas modifiées, de sorte que cette analyse est en réalité physique et non chimique.
Ce point devrait nous ouvrir les yeux sur la réalité de l'analyse chimique, et de ce que l'on nomme parfois abusivement la « chimie analytique ».
Pour en revenir à Parmentier, il a donc fait un travail scientifique, mais il est également juste de lui reconnaître une activité propagande soutenue, fondée sur une stratégie intelligente dont la composante essentielle semble avoir été précisément... cette activité soutenue, qui a conduit un nombre croissant de Français de l'époque à survivre aux famines qui affligeaient le pays, en consommant des pommes de terre.
Ayant précisé les conditions de la culture et de l' utilisation, Parmentier fit une oeuvre remarquablement utile : une œuvre également technologique.
Un point de détail amusant : pour introduire la pomme de terre en France, disons plutôt pour en augmenter l'usage, Parmentier dut combattre des préjugés sur la toxicité de ces solanacées, famille de plantes qui comprend la belladone ou la mandragore, toxiques.
Dans ces écrits, Parmentier ne cesse de dire combien de dire que la pomme de terre est saine... mais il est intéressant de savoir que des articles scientifiques récents montrent que la cuisine de rue, au Pakistan, qui utilise des pommes de terre non pelées, conduit à des accidents, en raison de la présence abondante des alcaloïdes présents dans les trois premiers millimètres sous la surface. Les tubercules de la pomme de terre contiennent, on l'a oublié, des alcaloïdes toxiques, et ce n'est pas une bonne pratique culinaire que de manger les pommes de terre avec leur peau. Ajoutons que pour la bonne bouche que les alcaloïdes de la pommes de terre résistent à des températures élevées, jusqu'à 285° C.
Pelons donc les pommes de terre, et ayons une activité culinaire raisonnée, en mémoire de Parmentier !