Pour préparer une expérience, nous avons dû élaborer un document qui décrivait la préparation de 125 tubes, leur pesée, leur numérotation, la pesée et la numérotation des bouchons, la préparation de 125 échantillons que nous mettrons dans ces tubes, la pesée des 125 tubes emplis.... Sachant que nous pesons trois fois chaque objet, il y aura plusieurs milliers de pesées à effectuer pour parvenir au bout de l'expérience, et, pour prévoir chaque masse pesée, il faudra évidemment consigner par avance un numéro, une masse, répéter des indications : "pesée de", "pesée de", "pesée de"... en indiquant chaque fois ce que nous allions peser.
Pour cette tâche extraordinairement répétitive, il y a le risque que l'on se trompe si l'on se lasse. D'ailleurs, quand nous ferons l'expérience, il y aura donc ces milliers de pesées à effectuer, et le risque d'erreur est encore supérieur.
Car on risque de se lasser, de de bâcler, d'aller trop vite, de mal recopier des chiffres indiqués par la balance... ce qui compromettrait la totalité de l'édifice.
D'où la question : comment éviter de se lasser à la millième pesée ?
J'ajoute que ce cas que je décris ici n'est en rien exceptionnel en science : le métier scientifique est tout entier dans ce genre de procédures, car c'est seulement avec de nombreuses mesures qu'on a quelques chances d'en tirer des équations, de sorte que les progrès théoriques dépendent de l'exactitude d'un travail répétitif.
Viser cet objectif final quand nous ferons les pesées ? Ce serait s'accrocher à un intérêt extrinsèque, et non à un intérêt intrinsèque, bien plus motivant. Oui, je crois qu'il y a lieu de ne pas oublier cela : c'est l'intérêt intrinsèque des travaux qui prime.
Pour la préparation de l'expérience, le simple fait qu'il y ait répétition dans un travail d'écriture doit nous conduire à utiliser l'ordinateur pour produire une écriture juste : la mise au point du (petit) programme nécessaire pour arriver à rédiger la chose peut être intéressante en elle-même.
Puis, quand nous pèserons, quand nous serons en présence de la balance, il faudra sans doute chercher à nous améliorer à chaque pesée, de sorte que toutes puissent être passionnantes.
Dans un billet précédent, j'ai bien expliqué qu'il ne faudra surtout pas penser à autre chose, mais, au contraire, être parfaitement concentré sur la tâche que nous ferons : déposer l'objet bien au centre du plateau de la balance, mesurer nos gestes, poser l'objet sans heurt, recopier les valeurs mesurées en calligraphiant, afin de ne pas confondre un 7 avec un 4 ou un 9 avec un g, par exemple.
À la réflexion, je crois que nous gagnerions à comparer ce travail des milliers de pesées à une promenade de 1000 pas : à raison d'un mètre par pas, cela fait un kilomètre. Bien sûr, quand nous marchons en terrain plat, notre tête peut penser à autre chose, pendant que nos pieds nous meuvent, mais pour peu que notre promenade nous emmène sur un sentier qui jouxte un précipice, alors tous nos pas devront être mesurés.
De même, pour notre expérience, nous devons garder en tête cette métaphore du chemin bordant un précipice : chaque pesée doit être bien faite.
Et la volonté de nous améliorer est peut-être la clé du succès : si, pour chaque pesée, nous nous demandons comment bouger les doigts, les main, comment poser l'objet sans faire le moindre bruit, comment le saisir, comment ne pas le lâcher, comment lire et consigner les chiffres donnés par la balance, et cetera, alors nous ne pourrons jamais nous nous ennuyer
A chaque instant, nous devons nous souvenir que tout ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait. Dans cette perspective, chaque geste, répétitif ou pas, doit être fait avec intelligence : en nous demandant comme le faire mieux, en y mettant de l'intelligence, non seulement nous ne nous lasserons pas, mais, de surcroît, chaque geste deviendra si passionnant qu'il sera très bien fait.
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