Aujourd'hui, lors de notre 13e workshop international de gastronomie moléculaire, quelqu'un a prononcé l'expression "véritables aliments" et cela m'a rappelé une conférence que j'avais faite à Édimbourg devant un public mêlé, avec des scientifiques et des cuisiniers : dans l'assistance, en face de moi sur la gauche, un chef avait réagi très violemment à ma présentation de la cuisine de synthèse, dont la version artistique a pour nom cuisine note à note.
Ce chef s'était entêté à dire que tout cela, ce n'était pas de véritables aliments, de vrais aliments, et quand je lui demandais ce qu'étaient de véritables aliments, il n'avait que de pauvres arguments, considérant environ, sans s'en rendre compte, qu'il définissait ainsi des aliments qu'il mangeait quand il était enfant.
À ce compte, il n'y a guère de dialogue possible, car les aliments des uns enfants ne sont pas les aliments des autres. D'ailleurs, vu la description qu'il me faisait de ses aliments d'enfance, je jugeait, moi, que ces choses abominables n'étaient pas de vrais aliments mais de bien pauvres choses... ce qui augmentait sa colère (dont je me moquais : on a le ridicule que l'on veut).
Dépassons cette querelle un peu idiote et posons-nous véritablement la question : que sont de vrais aliments ? Un aliment, c'est un système physico-chimique qui s'inscrit dans une culture, qui nourrit le corps et l'esprit, et il est vrai que nous ne mangeons que ce que nous connaissons, l'être humain étant infligé d'un comportement de primate nommé néophobie alimentaire : nous reconnaissons comme comestible ce que nous avons appris à manger, notamment quand nous étions enfants. Mais notre alimentation ne se réduit pas à cela car l'être humain est également équipé d'omnivorité, c'est-à-dire de la capacité de diversifier notre alimentation et de bénéficier de plus de diversité, surtout à des époques où la nourriture manquait parfois.
Bref, nous sommes éduqués avec certains aliments, ceux que nous ont transmis notre famille, notre culture, notre environnement, et ceux qui se sont ajoutés grâce aux rencontres sociales, notamment.
D'ailleurs il faut ajouter que nos aliments ne sont nos aliments traditionnels ne sont pas une garantie de sécurité, nombre d'aliments traditionnels ayant été montré toxiques. Ajoutons que les individus qui mangent lesdits aliments traditionnels avérés toxiques ne sont pas prêts à les abandonner : ils veulent "manger sain", comme ils disent, mais la tradition leur fait manger des choses qui, si elles étaient montrées de façon nouvelle, seraient absolument récusées.
Bref, la notion de "vrai aliment" est une notion difficile et, dans ces cas-là, il y a toujours eu lieu non pas de chercher à mieux définir mais d'abord de savoir s'il y a une existence de la chose : de même qu'il n'existe pas des carrés ronds, de même qu'il n'existe pas de père Noël, il n'existe peut-être pas de "vrais aliments".
En oubre, un aliment
c'est ce que l'être humain mange et l'être humain mange au fond ce qu'il
veut, qu'il s'agisse de cuisine du Moyen-Âge, de la Renaissance,
classique, de cuisine contemporaine, de cuisine française, de cuisine
asiatique, et cetera. Dans cet éventail se trouve évidemment la cuisine
moléculaire, mais aussi la cuisine note à note tout cela, c'est le
corpus des aliments. Ils sont "vrais" dans la mesure où ils existent et
rien de plus, rien de moins
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire? N'hésitez pas!
Et si vous souhaitez une réponse, n'oubliez pas d'indiquer votre adresse de courriel !