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dimanche 23 août 2020

De la tendreté dans les pâtés

0. Alors que les concours de pâté en croûte s'enchaînent, il est peut-être temps de discuter la question de leur tendreté, car, bien sûr, le foie gras apporte tout ce qu'il faut, mais il coûte cher, & il est un peu lancinant. Comment varier un peu ?

1. On commencera par observer que la farce des pâté en croûte contient de la chair, & que cette chair a cuit, ce qui nous conduit immédiatement à considérer la question de la cuisson à basse température, qui évite de faire des viandes sèches & dures. Là, c'est sur la température de cuisson qu'il faut jouer, & l'on doit tenir compte du fait que l'on cuit simultanément, au moins pour des recettes classiques, la pâte & la farce. Pour la pâte, il faut certainement attendre des températures élevées, plus que 150 degrés par exemple, mais il faut absolument éviter que la viande soit aussi portée à cette température, sans quoi on durcit l'intérieur, & l'on perd en tendreté.

2. Mais ce n'est pas tout  : les viandes contiennent de la matière grasse varié, & les charcutiers qui font des terrines savent bien qu'il faut une quantité notable de graisse de porc pour faire des terrines agréables, qui vont jusqu'à ces rillettes où la quantité de gras est si considérable qu'il y en a une couche par dessus.

3. On devra également tenir compte du fait que les viandes cuites longuement, à basse température, peuvent libérer de la gélatine au cours de la cuisson, pour faire des interstices gélifiés dans la chair. Et cette gelée sera tendre s'il y a assez de liquide avec la gélatine  : du vin ? du bouillon ? un alcool (cognac, armagnac...) ?

4. S'il faut donner de la tendreté, on n'oubliera pas non plus la mie de pain trempée dans du lait, ou, plus généralement, l'usage de l'amidon qui s'empèse & qui fait un empois, c'est-à-dire encore un gel.

5. Mais, puisque nous en sommes au gel, alors pensons gel ! Et là, toute une panoplie se présente : oeuf (jaune, blanc, jaune et blanc mélangés), oeuf dilué,  agar-agar, alginates, carraghénanes. Pour les gels, on n'oubliera pas de régler la teneur en eau comme l'on désire, mais pas au-dessus du seuil fatidique des 95 pour cent de liquide, sans quoi la gélification se fait pas.

6. D'ailleurs, "gels"... On n'oublie pas que les tissus végétaux ou animaux sont formellement des gels, susceptibles d'apporter de la jutosité ou de la tendreté. Les deux sensations ne sont pas analogues, comme je l'ai expliqué ici :
https://hervethis.blogspot.com/2019/01/les-deux-dimensions-de-la-cuisson-de-la.html
Et, à ce sujet, on se souvient que la salade contient 99 pour cent d'eau, et que la teneur en eau varie selon les chairs : pensons au foie de porc, par exemple. 

7. On n'oubliera pas non plus la physiologie, et ce fait que notre appareil gustatif repère les contrastes : on sent mieux le mou s'il est à côté du dur. Ce qui est intéressant, ce n'est pas d'avoir partout du moelleux. C'est d'ailleurs ce qui arrive avec le foie gras, qui vient souvent s'opposer à une chaire plus sèche. Bref, il faut  organiser la consistance, "structurer la tendreté et la dureté" et c'est notamment la raison pour laquelle certains pâtés en croûte où l'on voit une sorte de damier de différentes chairs sont intéressants. Gardons donc cette idée en sachant que l'on peut faire à l'intérieur d'un pâté comme un Rubik's Cube ou comme des couches successives empilés avec des épaisseurs que l'on peut varier.

8. Oui, même s'il y a des progrès récents,   on a souvent peu construit  classiquement, alors que c'est la clé du "beau à manger". Construisons, construisons...


lundi 6 avril 2020

Comment rater la cuisson d'un steak


1. Dans la série des "Comment rater", il faut quand même commencer par quelque chose de simple : cuire un steak.

2. Je rappelle que cette série ne vise évidemment pas à rater, mais à réussir, en connaissant les causes d'échec les plus fréquentes. Bien sûr, je ne peux pas les évoquer toutes, et j'écris cela en me souvenant d'une personne qui ratait ses mayonnaises... parce qu'elle les faisait sans huile, ou en me souvenant d'un ami qui ne savait pas reconnaître qu'il avait réussi, de sorte qui poursuivait le travail, ce qui le conduisait à rater. Bref, il y a une infinité de possibilités de faire, mais pas beaucoup de bien faire, et l'on perdrait son temps à imaginer toutes les errances.
Reste que le "paysage" des réussites et des échecs devient plus familier quand on connaît les principales causes d'erreurs. Lançons-nous donc, à propos  d'un steak.

3. La première cause d'échec, c'est la qualité de la viande ! Car qui dit steak ne dit en réalité rien de bien précis. Le dictionnaire (le TLFi, le seul bon) dit "Tranche de bœuf grillée ou à griller". Toutefois, il y a du bon comme du mauvais... et il est bien difficile de faire une bonne viande grillée si l'on part de viande dure, d'un animal âgé, dont la chair contient beaucoup de tissu collagénique. Bien sûr, on peut attendrir une viande dure en la cuisson  à basse température, mais ce n'est plus une viande grillée... à  moins que l'on ne s'y prenne bien  : nous y reviendrons.

4. Mais commençons simplement par une viande tendre, "à griller" : la tendreté - pas la tendresse, qui est bien autre chose- d'une viande se reconnaît à la pression des doigts : quand la viande cède sous les doigts comme du beurre, alors la viande est parfaitement tendre, et c'est même ainsi que certains cuisiniers la reconnaissent.
Soit donc cette viande tendre : comment la "griller" ?

5. Observons qu'il y a des  opérations différentes possibles : griller, c'est placer sur un grill, ou sous une salamandre, une "grille". La température étant très élevé, il y a une façon de rater, qui consiste à cuire trop longtemps, ce qui évapore l'eau et faire perdre la jutosité, tandis que l'on perd aussi de la tendreté.
Expliquons ces deux termes : une viande tendre est tendre, elle cède sous les doigts. Et une viande tendre qui cuit durcit, parce que les protéines qu'elle contient en abondance coagulent, comme le blanc d'oeuf durcit quand on le chauffe. Mais, ce faisant, s'il n'y a que cette coagulation, la viande ne perd pas d'eau (de jus), et elle ne perd pas de jutosité : le jus sera libéré quand on aura la viande sous la dent. En revanche, si l'on chauffe longtemps, l'eau de la viande s'évapore (observons la fumée blanche au dessus d'une viande que l'on grille), et la viande perd de la jutosité. Pour rater, il faut donc évaporer l'eau de la viande... mais pour ne pas rater, il faut donc éviter de perdre de l'eau.

6. Cela dit, je reviens aux différentes façons de cuire un steak. On peut aussi le "sauter", ce qui signifie le cuire dans un sautoir, ce que l'on nomme couramment une poêle. Autrement dit, on ne poêle pas un steak, mais on le fait sauter. Et là, même question de tendreté et de jutosité.

7. Bref, il faut conserver l'eau du steak pour qu'il reste juteux, et il faut éviter de le durcir par coagulation... ce qui impose qu'il reste bleu, ou saignant, voire à point : à l'intérieur, il ne doit certainement pas être comme à l'extérieur... ce qui arriverait si la cuisson languissait. Pour rater un steak, il faut le cuire doucement, lentement, afin qu'il perde son jus et qu'il soit coagulé à l'intérieur comme à l'extérieur... mais bien sûr, a contrario, on aura un bon résultat si l'on cuit à très forte chaleur, afin que la partie extérieure soit brunie, prenne du goût, de la croustillance, tandis que l'intérieur reste tendre et juteux.



vendredi 25 janvier 2019

Les deux dimensions de la cuisson de la viande


Il y a des cas simples où une cause provoque un effet et un seul : si j'appuie sur une sonnette, ça sonne ; ou si je fouette un blanc en neige, il mousse.
Mais il y a des cas plus compliqués où il y a plusieurs effets simultanés, et c'est le cas pour la cuisson de la viande.

Commençons par indiquer que la viande (pensons à un biceps, ou un quadriceps), c'est donc un morceau de chair, fait essentiellement de tissu musculaire. Cette matière est elle-même faite de "fibres musculaires", sorte de tubes très fins, alignés parallèlement, et groupés en "faisceaux" par du "tissu collagénique", lequel tissu fait d'ailleurs aussi la "peau" des fibres. A l'intérieur des fibres, de l'eau et des protéines, principalement.



Pour comprendre ce qui se passe quand on cuit, il faut avoir, de surcroît, l'information selon laquelle il existe des protéines qui coagulent à la chaleur (pensons au blanc d'oeuf), et d'autres qui ne coagulent pas.
Or l'intérieur des fibres musculaires comprend de l'eau et des protéines qui coagulent, comme le blanc d'oeuf, alors que le tissu collagénique est fait de protéines (le "collagène") qui ne coagulent pas ; en revanche, le tissu collagénique chauffé se défait, libérant dans un liquide environnant du collagène dégradé, que l'on nomme la gélatine. Ajoutons enfin qu'avant de se défaire, le tissu collagénique se contracte, ce qui explique que la viande chauffée perde du jus : du liquide de l'intérieur est expulsé lors de cette contraction.

Avec cela, nous voyons que quand on chauffe à haute température, il y a plusieurs effets :
- à court terme, la viande se contracte et perd du jus... tandis que l'intérieur des fibres coagule, donc durcit. La viande devient dure, donc perd sa tendreté ; simultanément elle perd de la jutosité
- à plus long terme, la chaleur dissocie le tissu collagénique, donc permet une dissociation des faisceaux, ce qui laisse croire que la viande est "attendrie". En réalité, elle l'est pour la pièce entière, mais pas pour chaque fibre indépendamment.

mardi 2 janvier 2018

Il est un peu tard pour les réveillons, mais pour attendrir une volaille ferme...

Ce matin, un ami m'interroge :

Il y a longtemps que me trotte une idée de cuisson en tête : pour rendre la chair d'un poulet fermier plus juteuse et tendre, serait-il opportun de le plonger d'abord dans un bouillon (version pot au feu) pendant, disons 30 mn, puis de le placer au four très chaud à rôtir?





La réponse se fonde sur les trois données essentielles suivantes :

1. les viandes sont faites de fibres qui sont tenues entre elle par le tissu collagénique, responsable de la dureté ;

2. la jutosité est liée au fait que l'intérieur des fibres est fait de protéines et d'eau, un peu comme du blanc d'oeuf

3. le chauffage a deux actions contradictoires : il durcit l'intérieur des fibres, comme quand on fait un pot-au-feu ; et il dissout très lentement le tissu collagénique.


Autrement dit, si une volaille est un peu dure, c'est qu'il faut surtout dissoudre le collagène, d'où la solution de la cuire dans un bouillon, à basse température. La cuisson doit être longue, car le collagène se dissout lentement, et la température doit être aussi basse que possible, afin que l'intérieur des fibres ne durcisse pas.

En pratique ? Je préconise une cuisson à basse température, dans un bon bouillon, pendant plusieurs heures. Disons pour être précis une journée à 70 degrés.
Puis, une fois que la poule est attendrie et cuite, oui, un coup de décapeur thermique en surface pourra faire le croustillant plus le goût en quelques minutes (mais attention de ne pas cuire : cette second opération doit seulement atteindre la surface).

jeudi 21 décembre 2017

A propos de pot au feu

On trouve dans Ginette Mathiot (Je sais cuisiner , Nouvelle édition revue et augmentée, Albin Michel 1990 , p. 724 n°2082) cette indication à laquelle je ne crois guère :


« Pour attendrir le pot-au-feu. Si la viande de bœuf apparaît dure malgré deux heures trente de cuisson, introduire dans le bouillon deux cuillères d'eau de vie (à 40°). La viande deviendra tendre. »

Le test n'est pas difficile à faire, mais nous ne pourrons pas le faire lors des séminaires de gastronomie moléculaire, car ces derniers ne durent que deux heures.

Qui s'y met ?






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)






dimanche 17 décembre 2017

La tendreté des viandes et la capillarité


Histoire de capillarité

Le gastronome Jean Antelme Brillat-Savarin évoque avec éloquence (on se souvient qu'il était juriste)  les grenadins de veau, ces pièces de veau si tendres qu'on peut les manger à la cuillère. 

A la cuillère ? La viande serait-elle suffisamment tendre, naturellement, pour que l'on puisse ainsi la diviser ? Il est vrai que certaines viandes extraordinairement persillées se défont facilement, au point que certains cuisiniers les reconnaissent en les pressant entre deux doigts : ces derniers s'enfoncent comme dans du beurre. Ou bien est-ce le résultat d'une cuisson particulière ? 
 
Quand une viande est très tendre, la cuisson doit absolument éviter de la durcir, de la maltraiter. Comment faire ? Pour un tel cas, on se souvient que la viande est faite de fibres musculaires, sortes de sacs allongés, collés les uns aux autres. La cuisson coagule intérieur des fibres, tel du blanc d'oeuf qui cuirait, de sorte que l'on comprend, en conséquence, qu'il faut cuire très peu, à une température assez basse pour assurer la coagulation sans évaporer l'eau qui fait la jutosité ni former trop de réseau protéique, qui, tel un œuf dur caoutchouteux, « solidifierait » trop l'eau. Deux cas se présentent : soit on met la viande dans un liquide parfumé, et l'on chauffe pendant très peu de temps à très petits frémissements, soit on chauffe sur une poêle très chaude, et l'on colore rapidement de chaque côté. 
 
Pour les viandes dures, l'analyse est différente. Ces viandes sont celles dont le tissu collagénique est plus abondant, plus résistant. Dans un tel cas, la viande est dure initialement, et la question est de l'attendrir. La clé de la solution est la suivante : à partir de 55°C le tissu collagénique se dissout dans le liquide qui environne la viande. C'est là que la cuisson à basse température s'impose : on met la viande dans un liquide, et l'on chauffe à une température comprise entre 60 et 70° pendant très longtemps, afin d'assurer la dissolution du tissu collagénique. L'intérieur des fibres coagule délicatement, ce qui durcit la viande, mais le tissu collagénique se dissout, ce qui permet aux fibres de se séparer mollement. 
 
Une conséquence en est que si le liquide de cuisson a bon goût, il peut entrer dans la viande par capillarité, ce phénomène physique qui fait monter l'encre entre les poils des pinceaux.

Pourquoi cette montée capillaire ? Parce que les molécules d'eau sont composées d'atomes d'hydrogène et d'oxygène, et que, dans les molécules d'eau, les atomes d'oxygène attirent plus les électrons que les atomes d'hydrogène, ce qui crée l'apparition de charges électriques sur les deux types d'atomes. 
D'autre part, le collagène qui gaine les fibres, et qui est présent à l'extérieur de ces dernières, a également des atomes d'hydrogène et d'oxygène, chargés électriquement, de sorte que, puisque des charges électriques de signes opposés s'attirent, tels des aimant, les molécules d'eau collent au tissu collagénique, et, de proche en proche, remontent vers l'intérieur de la viande. De la sorte, à l'issue d'une longue cuisson, la viande se gorge de liquide de cuisson, tandis qu'elle s'attendrit.


A cette description, on aura compris qu'il existe une véritable possibilité de donner du goût à une viande : il faut cuire dans un liquide qui a du goût. C'est pourquoi les professionnels ne cuisent jamais dans l'eau, mais dans du vin, un fond corsé, etc. On observera d'ailleurs que ce liquide , qui ne doit pas être trop salé, peut-être réduit en fin cuisson : quand la viande est tendre, on récupère le liquide, et on le fait bouillir sans couvercle, afin que l'eau s'évapore. Certes, on perd nombre de composés odorants (il faudra considérer dans un autre billet comment on pourrait éviter ce gâchis) mais on concentre en espèces solubles et non volatiles : acides aminés, sels minéraux, sucres… De sorte que l'on obtient finalement un liquide qui a beaucoup de goût, avec lequel on nappera la viande.
Finalement les grenadins de Brillat-Savarin ne sont pas un doux rêve, mais une réalité accessible à qui connaît les bases de la gastronomie moléculaire. 





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

jeudi 14 décembre 2017

Une astuce : des feuilles de figuier pour attendrir les viandes ?



Ma passion publique pour les extraordinaires phénomènes qui se produisent lors des transformations culinaires me  conduit  à recevoir de nombreux messages par courriel, et, souvent, on me pose des questions sur la cuisine. Parfois,  mais parfois seulement,  j'affiche ces  questions sur le blog « gastronomie moléculaire » et je donne la réponse. Toutefois, pour une réponse que j'ai, il y a des millions de questions ouvertes. 

Voilà notamment pourquoi nous n'avons aucune difficulté à nous réunir chaque mois depuis maintenant plus de plus de 17 ans,  à l'Ecole supérieure de cuisine française, à Paris, pour nos séminaires de gastronomie moléculaire.
Dans chaque séminaire, nous considérons une question, une seulement, nous l'analysons, et nous faisons des expériences pour l'explorer.  Les comptes rendus de ces séminaires sont donnés sur mon site http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, notamment, et leur teneur est également donnée dans la revue La Cuisine collective.

Toutefois, nous sommes amenés à sélectionner très durement les questions que nous explorons au cours des séminaires, car certaines questions sont très « locales ». Pas inintéressantes, mais locales. Par là, je veux dire que leur  étude risque  de ne pas apporter grand-chose à notre connaissance, ou, du moins, de ne pas faire effondrer un très grand pan de la montagne de notre ignorance.

Par exemple, on me dit que la présence de feuilles de figuier dans une daube permet d'attendrir la viande. Est-ce vrai ?

Je n'en sais rien, et j'en doute.
Oui,  le suc du figuier  contient des enzymes protéolytiques, des protéases, qui attaquent les protéines de la viande, et attendrissent cette dernière. C'est d'ailleurs pour cette même raison que certaines populations enveloppent les viandes dans des feuilles de papaye, ces dernières libérant une enzyme protéolytique, une protéase, la papaïne.
Toutefois,  les enzymes sont elles-mêmes des protéines, c'est-à-dire comme des fils repliés sur eux-mêmes. Or l'activité  protéolytique des protéases, comme l'activité enzymatique des autres enzymes,  dépend de ce repliement. Ce repliement  très spécifique est perdu lors du chauffage,  et c'est la raison pour laquelle je doute  que des protéases puissent conserver leur action protéolytique lors d'une cuisson.
Bien sûr le mot « chauffage » n'a guère de sens, car sortir un poulet du congélateur, c'est déjà le chauffer. Il est donc essentiel de spécifier une température de chauffage. Dans une daube, si l'on atteint le frémissement, la température est d'au moins 80 degrés, une température à laquelle la majorité des  enzymes sont dénaturées, perdant leur activité. Et   voilà pourquoi je veux une action protéolytique des feuilles de figuier.

Bien sûr,  il pourrait y avoir des actions d'autres sortes, en raison d'un contenu en composés phénoliques, par exemple. On peut tout imaginer,  mais si l'on peut tout imaginer, pourquoi imaginer plutôt une action qu'une absence d'action  ? Il y a une infinité d'actions possibles et une infinité d'actions impossibles.

Faut-il perdre du temps à aller explorer d'abord le très improbable ? C'est là une question de stratégie, et aussi de circonstances, et  c'est seulement  au cas où la précision culinaire qui m'est indiquée  aurait une importance particulière que je crois  devoir me résoudre à y passer du temps.
Pour les feuilles de figuier et les daubes,  la précision n'a été donné qu'une fois, et je ne l'ai pas trouvé en dans les sources écrites. L'imagination humaine étant infinie, je crains  devoir ne pas m'intéresser expérimentalement à cette question.
Et vous ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 11 décembre 2017

La tendreté des pâtes cuites

Tiens, nous cuisons une flammkuecha ou une pissaladière, voire une pizza, c'est-à-dire une couche de pâte, obtenue par mélange de farine et d'eau.
Nous avons utilisé un rouleau ou un autre instrument afin d'obtenir une épaisseur assez régulière. Cette pâte, éventuellement avec une garniture, est placée dans un four très chaud, par exemple  200 °C.

A cette température, les parties externes de la pâte ont leur eau qui s'évapore, ce qui produit un croûte croquante. À l'intérieur, la température reste toujours inférieure à 100°, parce que, tant qu'il y a de l'eau, la température ne peut guère augmenter (au mieux quelques degrés, parce que cette eau n'est pas pure, mais contient des "solutés", des composés dissous*).

La chaleur arrive donc à la surface, et de l'eau s'évapore donc de la partie supérieure et de la  partie inférieure de la pâte, tandis que la tendreté du centre subsiste.

Je  propose un exercice aux amateurs de sciences de la nature, un petit calcul : connaissant les lois classiques de transfert de la chaleur, connaissant la température du four, connaissant la chaleur latente d'évaporation de l'eau (combien il faut d'énergie pour évaporer une masse d'eau donnée, à la température de 100 °C),  pouvons-nous calculer quel sera, après 10 minutes de cuisson par exemple, l'épaisseur des croûtes inférieure et supérieure ?

La réponse à  la question est intéressante, parce que si l'épaisseur totale de la pâte est inférieure à la somme de ces deux épaisseurs,  alors nous obtiendrons une couche de pâte entièrement croquante ;  en revanche, si l'épaisseur totale est supérieure à la somme des deux épaisseurs, alors nous ferons un coeur tendre entre deux couches croquantes.

En pratique, les cuisiniers répondent à la question par l'expérience, mais les étudiants en physico-chimie obtiendront facilement le résultat par un simple calcul.  Et puis ? Ce type de problème ne conduit-il pas à l'étude de la physico-chimie ? A la connaissance par la gourmandise ?



* A titre indicatif, quand on fait bouillir 200 g d'eau additionnés de 200 g de sel, la température d'ébullition de l'eau n'est pas de 100 °C, mais de 103 °C ; pas de quoi fouetter un chat.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)