Dans nombre de préparations culinaires, il y a une masse plongée dans un liquide.
Par
exemple, dans un coq au vin, il y a la viande plongée dans le vin. Dans
le blanchiment des épinards, il y a les feuilles d'épinard placées dans
l'eau bouillante. Dans une cuisson à l'anglaise, il y a également des
légumes que l'on fait bouillir dans l'eau. Pour cuire des pommes de
terre, on les place dans l'eau froide et salée, que l'on porte à
ébullition. Pour un poisson poché, la chair est mise dans un
court-bouillon. Et ainsi de suite.
La cuisine a souvent
considéré qu'il y avait des échanges entre la pièce immergée et le
liquide, et c'est parfois juste : c'est comme cela que l'on prépare les
bouillons. Bouillons de viande, de poisson, de carottes... Mais la
question inverse se pose : peut-on donner du goût à une pièce en la
cuisant dans un liquide ? La réponse peut s'obtenir expérimentalement,
mais des considérations théoriques ne sont pas inutiles pour prévoir ou
interpréter.
Il y a plusieurs phénomènes qui peuvent -je dis bien qui peuvent- concourir à l'entrée d'un liquide dans une pièce.
Le
premier est la diffusion, phénomène que l'on voit bien en action quand
on place une goutte d'encre dans un verre d'eau : progressivement
l'encre se disperse, et l'eau se teinte un peu.
Ce phénomène a
lieu sans que l'on ait besoin d'agiter l'eau ou l'encre. Si l'on veut
s'en convaincre, il suffit de prendre un verre d'eau très calme et d'y
déposer très doucement une goutte d'encre : en une demi heure environ,
l'eau se teinte, la goutte disparaissant. Pourquoi cette dispersion ?
Parce que les molécules d'eau, qui sont comme de très petits objets
animés de mouvements (pensons à des boules de billard) viennent heurter
les molécules de l'encre, initialement groupées, et leur communiquer
leur énergie par des chocs, de sorte qu'elles les dispersent.
Cette
diffusion moléculaire est à l’œuvre, par exemple, quand on place des
morceaux de carotte, de la viande, des feuilles de thé dans de l'eau
froide ou chaude : les molécules des matières immergées, quand elles ne
sont pas enfermées dans des structures qui les empêchent de bouger,
diffusent dans le liquide, tandis que le liquide diffuse dans les
parties qui lui sont accessibles. Quelles sont ces parties ? Pour les
tissus végétaux, il y a lieu de considérer qu'ils sont faits de deux
types de tissus, à savoir le parenchyme et les tissus conducteurs. Le
parenchyme n'est pas facilement accessible, parce qu'il est composé de
cellules jointives, sortes de petits sacs fermés. En revanche, le tissu
conducteur est fait de canaux, qui, comme ils sont ouverts, sont en
communication avec le liquide extérieur : il peut donc y avoir des
échanges par diffusion.
Un autre mécanisme par lequel le liquide extérieur peut entrer dans les matières est la capillarité.
Cette
fois, pensons à un pinceau dont on place la pointe dans de la peinture
un peu liquide : on voit alors le liquide monter entre les poils, parce
que le liquide, en quelque sorte, colle aux parois. Le mécanisme est
apparenté à celui qui fait remonter un liquide sur le bord d'un verre,
et qui engendre ce que l'on nomme u ménisque dans un petit tube. Quand
il y a une fente, une fissure, une crevasse dans un solide, le liquide
où ce solide est immergé entre dans le solide par capillarité. Et l'on
comprend ainsi que , un bouillon corsé puisse donner du goût à des
matières telles que le poireau, ou une masse de feuilles d'épinards…
Un troisième mécanisme qui permet à un liquide d'entrer dans un solide est l'osmose.
Pour
bien comprendre ce mécanisme, il n'est pas besoin d'aller chercher
ailleurs qu'en cuisine une observation qui est la suivante : quand on
met des fruits, telles des mirabelles, dans un sirop très léger, voire
de l’eau, l'eau du sirop entre dans le fruit, le fait gonfler, puis
éclater, même. Inversement, quand on met les fruits dans un sirop très
concentré, c'est l'eau de l'intérieur du fruit qui sort, de sorte que
le fruit ratatine. Dans ce dernier phénomène, les échanges sont
sélectifs, ce qui signifie que tous les composés ne sont pas autorisés à
entrer ou sortir, de sorte qu'il est plus difficile de régler les
échanges.
Souvent, en cuisine comme en science et
technologie des aliments, on décrit des phénomènes complexes en disant
rapidement que le liquide « diffuse », mais cela n'est pas toujours
exact, car, dans les phénomènes les plus généraux, plusieurs des trois
mécanismes évoqués ont lieu simultanément, alors que la diffusion n'est
que l'un d'eux. Surtout, les choses se passent à des vitesses très
différentes, et, mieux, comme on le voit à propos de l'osmose, la nature
des échanges diffère.
Il y a donc lieu de faire la différence.
Par exemple, quand on met des feuilles de thé dans l'eau, il y a bien
l'introduction de l'eau dans les feuilles par capillarité, diffusion des
composés odorants vers l'eau, et osmose, puisque les feuilles de thé
sont faites de cellules qui peuvent regonfler. Comment décrire le
phénomène ? Dans un tel cas, selon la température, on dira simplement
qu'il y a une macération (à température ambiante), ou une infusion
(quand on place une matière dans de l'eau bouillante que l'on a cessé de
chauffer), ou une décoction (quand on fait bouillir le solide dans le
liquide). Comme bien souvent en cuisine, il n'est pas nécessaire
d'aller y voir de trop près quand on n'a pas les yeux pour cela. Par
exemple, quand une viande brunit, il y a toute une série de réactions
chimiques qui conduisent au brunissement, et la caramélisation, qui est
une réaction des sucres, intervient, mais ce n'est qu'une des réactions.
Il y a donc lieu d'éviter de dire « caraméliser une viande », sauf si
l'on cuisait dans du caramel. Il suffit de dire justement « brunir la
viande ». De même, dans le cas des échanges, il n'est pas nécessaire
d'utiliser le mot «diffuser », quand on ne le maîtrise pas bien, et il
suffit de parler d'échanges entre le liquide et le solide. C'est plus
simple, non ? En tout cas, c'est plus juste !
Vient de paraître aux Editions
de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la
jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de
réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)