Dans nombre de préparations culinaires, il y a une masse plongée dans un liquide.
Par
exemple, dans un coq au vin, il y a la viande plongée dans le vin. Dans
le blanchiment des épinards, il y a les feuilles d'épinard placées dans
l'eau bouillante. Dans une cuisson à l'anglaise, il y a également des
légumes que l'on fait bouillir dans l'eau. Pour cuire des pommes de
terre, on les place dans l'eau froide et salée, que l'on porte à
ébullition. Pour un poisson poché, la chair est mise dans un
court-bouillon. Et ainsi de suite.
La cuisine a souvent
considéré qu'il y avait des échanges entre la pièce immergée et le
liquide, et c'est parfois juste : c'est comme cela que l'on prépare les
bouillons. Bouillons de viande, de poisson, de carottes... Mais la
question inverse se pose : peut-on donner du goût à une pièce en la
cuisant dans un liquide ? La réponse peut s'obtenir expérimentalement,
mais des considérations théoriques ne sont pas inutiles pour prévoir ou
interpréter.
Il y a plusieurs phénomènes qui peuvent -je dis bien qui peuvent- concourir à l'entrée d'un liquide dans une pièce.
Le
premier est la diffusion, phénomène que l'on voit bien en action quand
on place une goutte d'encre dans un verre d'eau : progressivement
l'encre se disperse, et l'eau se teinte un peu.
Ce phénomène a
lieu sans que l'on ait besoin d'agiter l'eau ou l'encre. Si l'on veut
s'en convaincre, il suffit de prendre un verre d'eau très calme et d'y
déposer très doucement une goutte d'encre : en une demi heure environ,
l'eau se teinte, la goutte disparaissant. Pourquoi cette dispersion ?
Parce que les molécules d'eau, qui sont comme de très petits objets
animés de mouvements (pensons à des boules de billard) viennent heurter
les molécules de l'encre, initialement groupées, et leur communiquer
leur énergie par des chocs, de sorte qu'elles les dispersent.
Cette
diffusion moléculaire est à l’œuvre, par exemple, quand on place des
morceaux de carotte, de la viande, des feuilles de thé dans de l'eau
froide ou chaude : les molécules des matières immergées, quand elles ne
sont pas enfermées dans des structures qui les empêchent de bouger,
diffusent dans le liquide, tandis que le liquide diffuse dans les
parties qui lui sont accessibles. Quelles sont ces parties ? Pour les
tissus végétaux, il y a lieu de considérer qu'ils sont faits de deux
types de tissus, à savoir le parenchyme et les tissus conducteurs. Le
parenchyme n'est pas facilement accessible, parce qu'il est composé de
cellules jointives, sortes de petits sacs fermés. En revanche, le tissu
conducteur est fait de canaux, qui, comme ils sont ouverts, sont en
communication avec le liquide extérieur : il peut donc y avoir des
échanges par diffusion.
Un autre mécanisme par lequel le liquide extérieur peut entrer dans les matières est la capillarité.
Cette
fois, pensons à un pinceau dont on place la pointe dans de la peinture
un peu liquide : on voit alors le liquide monter entre les poils, parce
que le liquide, en quelque sorte, colle aux parois. Le mécanisme est
apparenté à celui qui fait remonter un liquide sur le bord d'un verre,
et qui engendre ce que l'on nomme u ménisque dans un petit tube. Quand
il y a une fente, une fissure, une crevasse dans un solide, le liquide
où ce solide est immergé entre dans le solide par capillarité. Et l'on
comprend ainsi que , un bouillon corsé puisse donner du goût à des
matières telles que le poireau, ou une masse de feuilles d'épinards…
Un troisième mécanisme qui permet à un liquide d'entrer dans un solide est l'osmose.
Pour
bien comprendre ce mécanisme, il n'est pas besoin d'aller chercher
ailleurs qu'en cuisine une observation qui est la suivante : quand on
met des fruits, telles des mirabelles, dans un sirop très léger, voire
de l’eau, l'eau du sirop entre dans le fruit, le fait gonfler, puis
éclater, même. Inversement, quand on met les fruits dans un sirop très
concentré, c'est l'eau de l'intérieur du fruit qui sort, de sorte que
le fruit ratatine. Dans ce dernier phénomène, les échanges sont
sélectifs, ce qui signifie que tous les composés ne sont pas autorisés à
entrer ou sortir, de sorte qu'il est plus difficile de régler les
échanges.
Souvent, en cuisine comme en science et
technologie des aliments, on décrit des phénomènes complexes en disant
rapidement que le liquide « diffuse », mais cela n'est pas toujours
exact, car, dans les phénomènes les plus généraux, plusieurs des trois
mécanismes évoqués ont lieu simultanément, alors que la diffusion n'est
que l'un d'eux. Surtout, les choses se passent à des vitesses très
différentes, et, mieux, comme on le voit à propos de l'osmose, la nature
des échanges diffère.
Il y a donc lieu de faire la différence.
Par exemple, quand on met des feuilles de thé dans l'eau, il y a bien
l'introduction de l'eau dans les feuilles par capillarité, diffusion des
composés odorants vers l'eau, et osmose, puisque les feuilles de thé
sont faites de cellules qui peuvent regonfler. Comment décrire le
phénomène ? Dans un tel cas, selon la température, on dira simplement
qu'il y a une macération (à température ambiante), ou une infusion
(quand on place une matière dans de l'eau bouillante que l'on a cessé de
chauffer), ou une décoction (quand on fait bouillir le solide dans le
liquide). Comme bien souvent en cuisine, il n'est pas nécessaire
d'aller y voir de trop près quand on n'a pas les yeux pour cela. Par
exemple, quand une viande brunit, il y a toute une série de réactions
chimiques qui conduisent au brunissement, et la caramélisation, qui est
une réaction des sucres, intervient, mais ce n'est qu'une des réactions.
Il y a donc lieu d'éviter de dire « caraméliser une viande », sauf si
l'on cuisait dans du caramel. Il suffit de dire justement « brunir la
viande ». De même, dans le cas des échanges, il n'est pas nécessaire
d'utiliser le mot «diffuser », quand on ne le maîtrise pas bien, et il
suffit de parler d'échanges entre le liquide et le solide. C'est plus
simple, non ? En tout cas, c'est plus juste !
Vient de paraître aux Editions
de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la
jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de
réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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jeudi 22 février 2018
jeudi 1 février 2018
Les confits
Ce matin, une question, à propos de confits :
Bonjour Monsieur This.
Il y a plusieurs années, je réalisais des confits de toutes sortes dans ma cuisine. Je testais alors des épaules d'agneau confites à l'huile d'olive, des échines de porc au saindoux, les cuisses de canard à la graisse de canard...
Seulement à l'époque, j'avais trouvé la température idéale pour confire mes viandes: Je les mettais au sel la nuit, les rinçais le lendemain, les faisais sauter et le soir je les plongeais dans la graisse (huile, saindoux...) "aux environs" de 70°C (c'est à ce moment que ma mémoire flanche), sur une plaque au minimum (+ thermo-sonde), de sorte que j'aille me coucher et que ma viande confisait jusqu'au lendemain matin sans pour autant durcir.
Ma question: y a-t-il une température idéale pour créer le phénomène d'osmose entre les muscles d'une viande et la matière grasse afin de confire ?
Ma première réponse est que le mot "osmose" est souvent mal utilisé, et, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'osmose. Et puisque je contredis mon correspondant-ami, je lui donne en prime une façon de faire les fruits au sirop.
Commençons par expliquer ce qu'est l'osmose, en mettant une mirabelle dans un sirop très léger... par rapport à la mirabelle. Oui, la mirabelle, c'est beaucoup d'eau et du sucre. Si on fait un sirop avec une proportion plus faible de sucre que dans la mirabelle, alors j'ai fait observer il y a longtemps que la mirabelle tombe au fond du sirop... parce qu'elle est moins dense (on peut presque négliger l'influence du noyau dans l'affaire, en tout cas en première approximation.
Inversement, la mirabelle dans un sirop très chargé en sucre se met à flotter... de sorte que l'on trouve le bon degré de sirop en partant d'un sirop trop concentré, et en ajoutant de l'eau : quand la mirabelle commence à descendre, le sirop est à la bonne concentration.
Mais cela nous a éloigné de l'osmose, et nous allons y revenir. Ce qui se passe, quand on laisse une mirabelle pendant longtemps dans un sirop trop léger, c'est que le fruit gonfle et éclate. Inversement, dans un sirop trop concentré, le fruit se ratatine.
Pourquoi ? Parce qu'il y a de l'osmose, ce qui signifie que la peau des fruits laisse passer l'eau, et pas le sucre.
Prenons le cas d'un sirop concentré : de l'eau du sirop passe dans le fruit, et de l'eau du fruit passe dans le sirop, mais comme le sirop est très concentré, l'eau est plus "tenue" par le sirop que par le fruit... qui finit par perdre son eau, se ratatine. Phénomène inverse pour le sirop trop léger.
Mais revenons au confits
Là, il n'y a pas d'osmose, mais le phénomène est le suivant. La viande est faite de "fibres musculaires" (pensez à des tuyaux plein d'eau et de protéines, un peu comme du blanc d'oeuf), et ces fibres sont groupées en faisceaux par ce que l'on nomme du "tissu collagénique", une sorte de colle. Tiens un peu comme un pinceau de peintre que l'on aurait trempé dans de la gelée fondue qui aurait refroidi et emprisonné les poils.
Quand on cuit la viande pendant longtemps -ce qui est le cas des confits-, alors le tissu collagénique se dégrade... un peu comme quand on chauffe une gelée.
Et les fibres sont alors libérées, ce qui attendrit bien sûr la viande.
Mais alors intervient non pas l'osmose, mais la capillarité : le liquide (en l'occurrence le gras liquide) peut entrer entre les poils du pinceaux, ici entre les fibres musculaires.
Je ne perds pas de temps à expliquer les raisons de ce phénomène passionnant, et je me limite à observer que la cuisson est alors comme une cuisson à basse température, mais dans de la graisse liquide au lieu d'être dans un liquide aqueux. Les températures à utiliser sont donc celles de la cuisson à basse température, et, personnellement, je fais des cuissons de plusieurs jours, mais sans jamais descendre sous 60 degrés, car il y a alors plus de risques microbiologiques... qui sont réels quand les thermosondes ne sont pas contrôlées régulièrement.
Le passage au sel ? Pourquoi pas, surtout quand on conserve la viande dans la graisse.
Le marquage ? Pourquoi pas, puisqu'il donne du goût... mais on peut aussi observer que le réchauffage du confit dans une poêle s'accompagne de ce même brunissement.
De bonnes idées : mettre des herbes aromatiques dans la matière grasse, utiliser une matière grasse de belle qualité gustative... puisqu'elle va se retrouver dans les confits : thym, romarin...
Bonjour Monsieur This.
Il y a plusieurs années, je réalisais des confits de toutes sortes dans ma cuisine. Je testais alors des épaules d'agneau confites à l'huile d'olive, des échines de porc au saindoux, les cuisses de canard à la graisse de canard...
Seulement à l'époque, j'avais trouvé la température idéale pour confire mes viandes: Je les mettais au sel la nuit, les rinçais le lendemain, les faisais sauter et le soir je les plongeais dans la graisse (huile, saindoux...) "aux environs" de 70°C (c'est à ce moment que ma mémoire flanche), sur une plaque au minimum (+ thermo-sonde), de sorte que j'aille me coucher et que ma viande confisait jusqu'au lendemain matin sans pour autant durcir.
Ma question: y a-t-il une température idéale pour créer le phénomène d'osmose entre les muscles d'une viande et la matière grasse afin de confire ?
Ma première réponse est que le mot "osmose" est souvent mal utilisé, et, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'osmose. Et puisque je contredis mon correspondant-ami, je lui donne en prime une façon de faire les fruits au sirop.
Commençons par expliquer ce qu'est l'osmose, en mettant une mirabelle dans un sirop très léger... par rapport à la mirabelle. Oui, la mirabelle, c'est beaucoup d'eau et du sucre. Si on fait un sirop avec une proportion plus faible de sucre que dans la mirabelle, alors j'ai fait observer il y a longtemps que la mirabelle tombe au fond du sirop... parce qu'elle est moins dense (on peut presque négliger l'influence du noyau dans l'affaire, en tout cas en première approximation.
Inversement, la mirabelle dans un sirop très chargé en sucre se met à flotter... de sorte que l'on trouve le bon degré de sirop en partant d'un sirop trop concentré, et en ajoutant de l'eau : quand la mirabelle commence à descendre, le sirop est à la bonne concentration.
Mais cela nous a éloigné de l'osmose, et nous allons y revenir. Ce qui se passe, quand on laisse une mirabelle pendant longtemps dans un sirop trop léger, c'est que le fruit gonfle et éclate. Inversement, dans un sirop trop concentré, le fruit se ratatine.
Pourquoi ? Parce qu'il y a de l'osmose, ce qui signifie que la peau des fruits laisse passer l'eau, et pas le sucre.
Prenons le cas d'un sirop concentré : de l'eau du sirop passe dans le fruit, et de l'eau du fruit passe dans le sirop, mais comme le sirop est très concentré, l'eau est plus "tenue" par le sirop que par le fruit... qui finit par perdre son eau, se ratatine. Phénomène inverse pour le sirop trop léger.
Mais revenons au confits
Là, il n'y a pas d'osmose, mais le phénomène est le suivant. La viande est faite de "fibres musculaires" (pensez à des tuyaux plein d'eau et de protéines, un peu comme du blanc d'oeuf), et ces fibres sont groupées en faisceaux par ce que l'on nomme du "tissu collagénique", une sorte de colle. Tiens un peu comme un pinceau de peintre que l'on aurait trempé dans de la gelée fondue qui aurait refroidi et emprisonné les poils.
Quand on cuit la viande pendant longtemps -ce qui est le cas des confits-, alors le tissu collagénique se dégrade... un peu comme quand on chauffe une gelée.
Et les fibres sont alors libérées, ce qui attendrit bien sûr la viande.
Mais alors intervient non pas l'osmose, mais la capillarité : le liquide (en l'occurrence le gras liquide) peut entrer entre les poils du pinceaux, ici entre les fibres musculaires.
Je ne perds pas de temps à expliquer les raisons de ce phénomène passionnant, et je me limite à observer que la cuisson est alors comme une cuisson à basse température, mais dans de la graisse liquide au lieu d'être dans un liquide aqueux. Les températures à utiliser sont donc celles de la cuisson à basse température, et, personnellement, je fais des cuissons de plusieurs jours, mais sans jamais descendre sous 60 degrés, car il y a alors plus de risques microbiologiques... qui sont réels quand les thermosondes ne sont pas contrôlées régulièrement.
Le passage au sel ? Pourquoi pas, surtout quand on conserve la viande dans la graisse.
Le marquage ? Pourquoi pas, puisqu'il donne du goût... mais on peut aussi observer que le réchauffage du confit dans une poêle s'accompagne de ce même brunissement.
De bonnes idées : mettre des herbes aromatiques dans la matière grasse, utiliser une matière grasse de belle qualité gustative... puisqu'elle va se retrouver dans les confits : thym, romarin...
vendredi 2 septembre 2016
Un liquide absorbé par une masse solide, en cuisine ?
Cela est discuté sur http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2016/09/quand-les-liquides-sont-ils-absorbes.html
lundi 19 août 2013
Lundi 19 août 2013. L'osmose
Le mot « osmose »
est facilement prononcé, mais, comme l'expression « choc thermique », il est
souvent mal compris et employé à tort et à travers, notamment dans le monde culinaire.
Il est mal compris, dans certains cas, parce que
l'on nous l'explique en nous parlant de « membranes semi-perméables
». Membranes semi-perméables ? Qu'est-ce que ce truc-là ? Drôle
d'enseignement que celui qui part d'une notion inconnue pour faire
l'explication d'une une autre notion inconnue ! Notre ami René
Descartes ne préconisait-il pas justement l'inverse ?
Pour expliquer une notion,
il faut de la stratégie, avant de la tactique : il faut choisir
un chemin, une méthode d'explication, avant d'élaborer cette
dernière. Il y a donc la méthode qui va du connu à l' inconnu, ou
celle qu'il va de l'inconnu à l'inconnu ... ou bien d'autres : par
exemple, il y a la méthode qui consiste à partir des faits
expérimentaux, tangibles, concrets, accessibles à tous : ne
suffit-ils pas de regarder, ou d'entendre, ou de sentir ou de
goûter ? Bref, il y a mille façons d'expliquer, et, comme
l'enseignement est un art, toutes se valent, puisque la question
n'est pas technique mais artistique. On pourrait même penser qu'un
très bon enseignant réussirait à utiliser la méthode a priori
étrange qui consiste à aller de l'inconnu vers l'inconnu...
mais, alors, il faudrait un très bon enseignant !
Une méthode simple,
efficace, consiste à partir de l'expérience, d'où le titre des
« cours INRA/AgroParisTech de gastronomie moléculaire : « de
l'expérience aux calculs ».
En l'occurrence, pour
présenter l'osmose, une bonne expérience consiste à plonger un
oeuf dans du vinaigre. Des phénomènes surviennent alors, à
commencer par l'attaque de la coquille par le vinaigre, la
dissolution du carbonate de calcium, qui laisse un oeuf dénudé,
mais entier, avec sa forme. Ce qui est alors intéressant, c'est que
si l'on met alors cet oeuf, en le manipulant délicatement, dans
l'eau pure ou dans de l'eaus salée, on voit respectivement l'oeuf
grossir ou se ratatiner. Manifestement, il y a donc des échanges
entre l'oeuf et son environnement liquide.
Il n'est pas difficile non
plus, à l'aide d'une pointe, de voir que l'oeuf sans sa coquille
est très fragile, qu'il peut crever. On s'aperçoit alors qu'il
libère un liquide. Autrement dit, on voit que l'oeuf dans un
liquide, c'est comme deux liquides séparés par une membrane. Cette
membrane laisse sortir ou entrer du liquide, mais lequel ? Si
l'on fait ensuite l'expérience (cela peut être une expérience de
pensée) de mesurer le pH dans l'oeuf, on s'aperçoit que ce pH
n'a pas changé quand bien même l'oeuf est dans un vinaigre de pH
égal à deux. Autrement dit, on doit conclure que l'eau de
l'intérieur a traversé la membrane, mais pas ce qui fait
l'acidité, les ions hydrogène. De même, si l'on met un oeuf dans
de l'eau très salée, on le voit se ratatiner, mais on peut alors
vérifier que le sel n'entre pas dans l'oeuf. Autrement dit, la
membrane n'est pas perméable à tous les composés, et c'est
seulement maintenant que l'on introduit la terminologie «
semi-perméable ».
Certes, le chemin est un
peu plus long que si l'on avait simplement balancé le mot «
semi-perméable, sans autre explication, mais la question est-elle
d'être rapide ou d'être efficace ? S'agit-il de déverser les
connaissances ou de proposer des explications ?
J'entends des collègues
me dire que les étudiants doivent travailler, et qu'ils devront
chercher par eux-mêmes le sens du mot « semi-perméable ». Je ne
crois pas que ce soit une bonne méthode : si le mot n'est pas
compris en début de cours, tout le reste du cours est inutile,
obscur, à reprendre... à moins que le cours ne consiste à
transmettre autre chose que des connaissances.
Pensons stratégie.
D'enseignement. Il y a une question beaucoup plus fondamentale :
soit on cherche à rendre services, et il faut sans doute expliquer ;
soit on considère qu'aucun savoir, qu'aucune compétence ne
s'obtiennent par des professeurs, et alors les enseignants devraient
sans doute se résoudre à donner aux étudiants une liste de
notions, de termes, afin que ceux-ci apprennent à apprendre, fassent
le travail par eux mêmes.
Autrement dit, notre
discussion stratégique était légèrement erronée, parce que la
véritable question stratégique était plus en amont. Nous y
reviendrons : faut-il que les enseignants enseignent ? La
question tourne autour du mot « enseigner » : par goût
personnel, j'ai l'impression que la méthode qui met les étudiants
en position d'autonomie est bien meilleure que le gavage des oies,
sans quoi nous serons dans le récit et non pas dans l'acquisition
des compétences.
Bien sûr, de nombreux
étudiants observeront qu'ils ont besoin d'aide, mais... ne
devraient-ils pas travailler davantage avant de faire état de leur
« assistanabilité » ? Aujourd'hui, tout est en
ligne, et il suffit de chercher, mais, j'y reviens, si l'on reporte
sur les étudiants la question de l'obtention du savoir, ceux-ci, à
leur tour, devront se poser la question des compétences versus les
connaissances. N'est-ce pas à ce point là qu'il faut les aider ?
N'est-ce pas en matière de méthode d'apprentissage nous devons
faire porter l'effort ?
mardi 23 juillet 2013
La connaissance par la gourmandise : saler une viande que l'on grille
-->
On fait griller une
viande. Le plus souvent, on la sale, mais faut-il mettre le sel
avant la cuisson ? Pendant la cuisson ? Après la cuisson ?
Cette question a fait
l'objet d'un de nos séminaires de gastronomie moléculaire, il y a
bien longtemps, et l'on n'avait pas trouvé la solution. Toutefois le
mérite de notre rencontre avait été de bien poser la question, de
voir que certains chefs disaient – j'insiste : « disaient »
- qu'il salaient avant la cuisson afin que le sel entre la viande ;
d'autres cuisiniers salaient en milieu de cuisson, disant que
l'ajout de sel changeait la couleur des viandes ; d'autres enfin
salaient en fin de cuisson, expliquant, comme cela est fait dans de
nouveaux nombreux ouvrages de cuisine, que le sel tire l'eau de la
vainde et l'empêche de bien griller.
Finalement, que faut-il
faire ?
Lors de notre séminaire,
nous avons donc testé l'ajout de sel en milieu de cuisson pour voir
si la couleur changeait... Et nous n'avons pas vu de changement.
L'honnêteté de nos amis cuisiniers les a conduits à reconnaître
qu'il n'avaient jamais comparé : comparé la même viande, coupée
en deux, et cuite pendant le même temps, dans la même poêle, mais
avec un seul paramètre qui changeait, à savoir l'ajout de sel ou
non.
Mais la question
demeurait. Nous avons alors utilisé des méthodes d'analyse complexe
pour aller regarder au coeur des viande, et chercher le sel qui se
serait éventuellement introduit. Avec ces analyses de microscopie
électronique à balayage, nous n'avons pas vu plus de sel dans une
entrecôte salée avant la cuisson, ou dans une entrecôte non salée.
Nous en étions là quand
il m'est arrivé, quelques années plus tard, de faire griller un
steak à la maison. Il s'agissait d'une viande très tendre, et lors
de la cuisson, j'ai vu des espèces de crevasses se former entre les
faisceaux de fibres. Là, ce fut l'illumination !
On comprend facilement que
la viande se fissure, quand elle est très peu collagénique, quand
elle est très tendre et qu'on la cuit. En effet, la chaleur évapore
l'eau de la viande, de sorte que celle-ci se rétracte ; si le tissu
collénique est fragile, parce que la viande tendre, alors les
faisceaux de fibres musculaires se séparent et des crevasses se
forment. Or des crevasses permettent le phénomène de capillarité
!
Imaginons l'on ait salé
la viande, mais seulement certaines viandes, avant la cuisson, le sel
aura tiré l'eau et formé une solution saline ; si des
crevasses se forment, le phénomène de capillarité aura fait
entrer l'eau salée dans la viande. Le sel ne sera pas entré dans
les fibres musculaires, mais entre les fibres, ce qui, finalement,
revient au même du point de vue du salage de la viande que l'on
mange.
Quelles viandes sont-elles susceptibles de réagir ainsi ? Difficile de le savoir a priori, mais il est certain que les viandes tendres favoriseront le phénomène.
Quelles viandes sont-elles susceptibles de réagir ainsi ? Difficile de le savoir a priori, mais il est certain que les viandes tendres favoriseront le phénomène.
A
ce stade, il faut expliquer qu'une viande est un assemblage de
fibres musculaires, des sortes de tuyaux contenant de l'eau et des
protéines, comme du blanc d'oeuf. La peau des tuyaux, c'est du tissu
collagénique. Les fibres musculaires sont groupées en faisceaus,
dans la viande, et les faisceaux sont eux-mêmes groupés en
faisceaux de faisceaux, et en faisceaux de faisceaux de faisceaux, et
ainsi de suite, toujours par les tissus collagéniques. Les viandes
dures sont celles qui contiennent des quantités importantes de
tissu collagénique, tandis que les viandes tendres contiennent peu
de tissu collagénique, comme dans les poissons, par exemple. Pour
ces viandes, comme pour les poissons, la cuisson provoque des
contraction de la chair, s'accompagne de la formation de fissures, et
c'est ainsi que le sel peut entrer dans certaines viandes.
Voulez-vous saler les
viandes à coeur ? Il vous faudra mettre le sel avant la
cuisson, ou utiliser bien d'autre possibilités. Par exemple, une
fois la viande cuite, quand les crevasses ont été formées, vous
pourriez la tremper dans une saumure, de sorte que, par une
capillarité très rapide, le sel de la saumure entre dans la viande.
Il y a bien d'autres solutions, par exemple utiliser une seringue
pour injecter une saumure. Cela c'est l'histoire des intrasauces,
imaginée en 1912 par un médecin. Les viandes ainsi traitées se
nomment « viande à Pravaz », du nom de l'inventeur de la
seringue hypodermique. Et c'est ainsi que les viandes seront bien
salées !
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