Le mot « osmose »
est facilement prononcé, mais, comme l'expression « choc thermique », il est
souvent mal compris et employé à tort et à travers, notamment dans le monde culinaire.
Il est mal compris, dans certains cas, parce que
l'on nous l'explique en nous parlant de « membranes semi-perméables
». Membranes semi-perméables ? Qu'est-ce que ce truc-là ? Drôle
d'enseignement que celui qui part d'une notion inconnue pour faire
l'explication d'une une autre notion inconnue ! Notre ami René
Descartes ne préconisait-il pas justement l'inverse ?
Pour expliquer une notion,
il faut de la stratégie, avant de la tactique : il faut choisir
un chemin, une méthode d'explication, avant d'élaborer cette
dernière. Il y a donc la méthode qui va du connu à l' inconnu, ou
celle qu'il va de l'inconnu à l'inconnu ... ou bien d'autres : par
exemple, il y a la méthode qui consiste à partir des faits
expérimentaux, tangibles, concrets, accessibles à tous : ne
suffit-ils pas de regarder, ou d'entendre, ou de sentir ou de
goûter ? Bref, il y a mille façons d'expliquer, et, comme
l'enseignement est un art, toutes se valent, puisque la question
n'est pas technique mais artistique. On pourrait même penser qu'un
très bon enseignant réussirait à utiliser la méthode a priori
étrange qui consiste à aller de l'inconnu vers l'inconnu...
mais, alors, il faudrait un très bon enseignant !
Une méthode simple,
efficace, consiste à partir de l'expérience, d'où le titre des
« cours INRA/AgroParisTech de gastronomie moléculaire : « de
l'expérience aux calculs ».
En l'occurrence, pour
présenter l'osmose, une bonne expérience consiste à plonger un
oeuf dans du vinaigre. Des phénomènes surviennent alors, à
commencer par l'attaque de la coquille par le vinaigre, la
dissolution du carbonate de calcium, qui laisse un oeuf dénudé,
mais entier, avec sa forme. Ce qui est alors intéressant, c'est que
si l'on met alors cet oeuf, en le manipulant délicatement, dans
l'eau pure ou dans de l'eaus salée, on voit respectivement l'oeuf
grossir ou se ratatiner. Manifestement, il y a donc des échanges
entre l'oeuf et son environnement liquide.
Il n'est pas difficile non
plus, à l'aide d'une pointe, de voir que l'oeuf sans sa coquille
est très fragile, qu'il peut crever. On s'aperçoit alors qu'il
libère un liquide. Autrement dit, on voit que l'oeuf dans un
liquide, c'est comme deux liquides séparés par une membrane. Cette
membrane laisse sortir ou entrer du liquide, mais lequel ? Si
l'on fait ensuite l'expérience (cela peut être une expérience de
pensée) de mesurer le pH dans l'oeuf, on s'aperçoit que ce pH
n'a pas changé quand bien même l'oeuf est dans un vinaigre de pH
égal à deux. Autrement dit, on doit conclure que l'eau de
l'intérieur a traversé la membrane, mais pas ce qui fait
l'acidité, les ions hydrogène. De même, si l'on met un oeuf dans
de l'eau très salée, on le voit se ratatiner, mais on peut alors
vérifier que le sel n'entre pas dans l'oeuf. Autrement dit, la
membrane n'est pas perméable à tous les composés, et c'est
seulement maintenant que l'on introduit la terminologie «
semi-perméable ».
Certes, le chemin est un
peu plus long que si l'on avait simplement balancé le mot «
semi-perméable, sans autre explication, mais la question est-elle
d'être rapide ou d'être efficace ? S'agit-il de déverser les
connaissances ou de proposer des explications ?
J'entends des collègues
me dire que les étudiants doivent travailler, et qu'ils devront
chercher par eux-mêmes le sens du mot « semi-perméable ». Je ne
crois pas que ce soit une bonne méthode : si le mot n'est pas
compris en début de cours, tout le reste du cours est inutile,
obscur, à reprendre... à moins que le cours ne consiste à
transmettre autre chose que des connaissances.
Pensons stratégie.
D'enseignement. Il y a une question beaucoup plus fondamentale :
soit on cherche à rendre services, et il faut sans doute expliquer ;
soit on considère qu'aucun savoir, qu'aucune compétence ne
s'obtiennent par des professeurs, et alors les enseignants devraient
sans doute se résoudre à donner aux étudiants une liste de
notions, de termes, afin que ceux-ci apprennent à apprendre, fassent
le travail par eux mêmes.
Autrement dit, notre
discussion stratégique était légèrement erronée, parce que la
véritable question stratégique était plus en amont. Nous y
reviendrons : faut-il que les enseignants enseignent ? La
question tourne autour du mot « enseigner » : par goût
personnel, j'ai l'impression que la méthode qui met les étudiants
en position d'autonomie est bien meilleure que le gavage des oies,
sans quoi nous serons dans le récit et non pas dans l'acquisition
des compétences.
Bien sûr, de nombreux
étudiants observeront qu'ils ont besoin d'aide, mais... ne
devraient-ils pas travailler davantage avant de faire état de leur
« assistanabilité » ? Aujourd'hui, tout est en
ligne, et il suffit de chercher, mais, j'y reviens, si l'on reporte
sur les étudiants la question de l'obtention du savoir, ceux-ci, à
leur tour, devront se poser la question des compétences versus les
connaissances. N'est-ce pas à ce point là qu'il faut les aider ?
N'est-ce pas en matière de méthode d'apprentissage nous devons
faire porter l'effort ?