Une sorte de paradoxe que de faire l'éloge de
la technologie le dimanche, alors que la technologie est le métier de
l'ingénieur, dont le nom a la même étymologie qu' "engigner" : le
diable, raconte-t-on, engigna la mère de Merlin l'enchanteur, en vue de
faire un pendant à Jésus Christ, de faire un fils qui perdrait
l'humanité (mais un prêtre présent baptisa l'enfant à la naissance, de
sorte qu'il perdit sa "malice", ne gardant que des pouvoirs surnaturels.
Vive la technologie ? La technologie permet la réalisation de l'utopie qu'est la science quantitative. D'accord, mais plus précisément ?
La technologie, c'est l'activité qui cherche à appliquer les sciences quantitatives pour perfectionner les techniques. C'est un métier très particulier, et très extraordinaire puisqu'il transforme des connaissances en objets nouveaux du monde. Ces temps-ci, une partie frileuse du public refuse les avancées technologiques, les innovations techniques (et, même, frémit à l'idée que la science poursuive son travail). Pourtant ces mêmes frileux utilisent des ordinateurs, des voitures, prennent le train, l'avion, se brossent les dents avec des dentifrices dont ils ignorent tout de la constitution (pourtant bien perfectionnée par la technologie), portent des lunettes dont les verres sont des chefs-d'œuvre techniques...
Oublions donc ceux-là pour le moment et concentrons-nous sur la technologie. Elle doit être un état d'esprit, comme je vais essayer de le montrer avec un exemple personnel. Un exemple qui a l'inconvénient d'être personnel (pardon, le moi est haïssable), mais qui, de ce fait, a l'avantage d'être attesté (alors que beaucoup de ce que l'on entend est douteux, de seconde main, etc.).
Cela se passe dans les années 1980 : ayant compris que les protéines sont d'excellents tensioactifs, qui permettent donc de faire des émulsions, je vois une feuille de gélatine sur ma paillasse, au laboratoire. La gélatine ? C'est une matière faite de protéines. Peut-on donc faire une émulsion à partir d'eau, de gélatine et d'huile ? L'expérience n'est ni difficile ni longue, et la réponse est immédiatement donnée : on obtient une émulsion.
Toutefois on n'a pas fait là une grande découverte scientifique, et une saine méthode scientifique doit nous pousser à quantifier les phénomènes, en l'occurrence à caractériser quantitativement l'émulsion. Un microscope fut donc utilisé : apparurent des gouttelettes d'huiles dispersées dans l'eau. Sur de telles images, les molécules de gélatine n'apparaissent pas, évidemment, mais on sait (pour 1000 raisons chimiques) qu'elles sont soit aux interfaces, soit dissoutes dans l'eau. Où sont-elles ? Il faut passer du temps à cette question, répéter l'expérience, regarder, regarder encore et... ... soudain, on voit deux gouttelettes d'huile voisines fusionner, puis deux autres, deux autres, et ainsi de suite, mais contrairement à une coalescence telle qu'il s'en produirait si l'on avait fouetté de l'huile dans l'eau pure, la coalescence particulière des émulsions d'huile dans l'eau stabilisées par de la gélatine cesse de coalescer à partir un certain moment.
Voici l'état final :
Pourquoi ? Parce que l'émulsion est prise dans un gel physique.
Une émulsion prise dans un gel physique ? Et si l'on en faisait de la cuisine ? Cela, c'est mon invention des « liebigs » (du nom du chimiste allemand Justus von Liebig, évidemment).
Remplaçons l'eau par un liquide qui a du goût, ajoutons de la gélatine, ou tout autre composé qui permettra à la fois une émulsification et une gélification physique, utilisons de l'huile ou tout autre corps gras sous forme liquide, et nous pourrons reproduire l'expérience, obtenir une espèce de sauce nommée liebig, un nouveau système, tout comme l'ont été mayonnaise, crème fouettée, parmentier, caramel, etc..
Moralité : les liebigs sont une préparation nouvelle, maintenant bien comprise, fruit d'un transfert technologique. Il résulte de ce moment particulier où l'on s'est demandé : "et en cuisine, qu'est-ce que cela donnerait ?" Ce moment particulier n'est pas un moment scientifique, mais un moment technologique.
Vive la technologie !
Vive la technologie ? La technologie permet la réalisation de l'utopie qu'est la science quantitative. D'accord, mais plus précisément ?
La technologie, c'est l'activité qui cherche à appliquer les sciences quantitatives pour perfectionner les techniques. C'est un métier très particulier, et très extraordinaire puisqu'il transforme des connaissances en objets nouveaux du monde. Ces temps-ci, une partie frileuse du public refuse les avancées technologiques, les innovations techniques (et, même, frémit à l'idée que la science poursuive son travail). Pourtant ces mêmes frileux utilisent des ordinateurs, des voitures, prennent le train, l'avion, se brossent les dents avec des dentifrices dont ils ignorent tout de la constitution (pourtant bien perfectionnée par la technologie), portent des lunettes dont les verres sont des chefs-d'œuvre techniques...
Oublions donc ceux-là pour le moment et concentrons-nous sur la technologie. Elle doit être un état d'esprit, comme je vais essayer de le montrer avec un exemple personnel. Un exemple qui a l'inconvénient d'être personnel (pardon, le moi est haïssable), mais qui, de ce fait, a l'avantage d'être attesté (alors que beaucoup de ce que l'on entend est douteux, de seconde main, etc.).
Cela se passe dans les années 1980 : ayant compris que les protéines sont d'excellents tensioactifs, qui permettent donc de faire des émulsions, je vois une feuille de gélatine sur ma paillasse, au laboratoire. La gélatine ? C'est une matière faite de protéines. Peut-on donc faire une émulsion à partir d'eau, de gélatine et d'huile ? L'expérience n'est ni difficile ni longue, et la réponse est immédiatement donnée : on obtient une émulsion.
Toutefois on n'a pas fait là une grande découverte scientifique, et une saine méthode scientifique doit nous pousser à quantifier les phénomènes, en l'occurrence à caractériser quantitativement l'émulsion. Un microscope fut donc utilisé : apparurent des gouttelettes d'huiles dispersées dans l'eau. Sur de telles images, les molécules de gélatine n'apparaissent pas, évidemment, mais on sait (pour 1000 raisons chimiques) qu'elles sont soit aux interfaces, soit dissoutes dans l'eau. Où sont-elles ? Il faut passer du temps à cette question, répéter l'expérience, regarder, regarder encore et... ... soudain, on voit deux gouttelettes d'huile voisines fusionner, puis deux autres, deux autres, et ainsi de suite, mais contrairement à une coalescence telle qu'il s'en produirait si l'on avait fouetté de l'huile dans l'eau pure, la coalescence particulière des émulsions d'huile dans l'eau stabilisées par de la gélatine cesse de coalescer à partir un certain moment.
Voici l'état final :
Pourquoi ? Parce que l'émulsion est prise dans un gel physique.
Une émulsion prise dans un gel physique ? Et si l'on en faisait de la cuisine ? Cela, c'est mon invention des « liebigs » (du nom du chimiste allemand Justus von Liebig, évidemment).
Remplaçons l'eau par un liquide qui a du goût, ajoutons de la gélatine, ou tout autre composé qui permettra à la fois une émulsification et une gélification physique, utilisons de l'huile ou tout autre corps gras sous forme liquide, et nous pourrons reproduire l'expérience, obtenir une espèce de sauce nommée liebig, un nouveau système, tout comme l'ont été mayonnaise, crème fouettée, parmentier, caramel, etc..
Moralité : les liebigs sont une préparation nouvelle, maintenant bien comprise, fruit d'un transfert technologique. Il résulte de ce moment particulier où l'on s'est demandé : "et en cuisine, qu'est-ce que cela donnerait ?" Ce moment particulier n'est pas un moment scientifique, mais un moment technologique.
Vive la technologie !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de
cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
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