Continuons de combattre la notion de recette, au moins pour la partie
technique, avec la question de la confection d'une tarte à l'oignon,
Zewelkuacha en alsacien.
Le projet : montrer qu'une
recette ne sert à rien quand on a quelque chose entre les deux oreilles,
et que l'on décide de s'en servir.
Une tarte à
l'oignon ? Comme pour la quiche, déjà évoquée, il y a la pâte, d'une
part, et la garniture, d'autre part. Pour la pâte, il est si simple de
mêler de la farine, du beurre, de l'eau, que nous considérerons ici la
garniture. On sait qu'elle doit contenir des oignons... et j'ai vu des
tartes à l'oignons qui se limitaient à des oignons émincés posés sur la
pâte, et qui cuisaient pendant la cuisson de la pate, soit environ 30
minutes à la température de 180°C.
Toutefois la tarte à l'oignon
alsacienne est bien plus « gourmande » : sa garniture contient aussi de
l'oeuf, du lard fumé et de la crème. Combien de chaque ? Avec de l'oeuf
entier, la garniture est bien dure ; mais avec trop de crème, elle ne se
tient plus, et s'écoule quand on coupe les parts. C'est donc cela qu'il
faut régler : la proportion de crème et d'oeuf.
On observera
que, dans ce raisonnement, je ne considère pas la quantité d'oignons :
c'est que ces objets solides sont... solides. Si quelque chose coule,
c'est le liquide (initial) qui est entre les morceaux d'oignons.
Analysons
donc : l'oeuf, c'est, au premier ordre, de l'eau et des protéines (10
pour cent pour le blanc, 15 pour cent pour le jaune) ; la crème, c'est
de la matière grasse liquide dispersée dans de l'eau (pensons un tiers
de matière grasse pour deux tiers d'eau). Enfin, pour simplifier, il
faut entre un et cinq pour cent de protéines au minimum pour assurer la
gélification d'un liquide. Autrement dit, on peut allonger l'oeuf de une
à cinq fois, avec la crème, pour conserver un liquide qui prendra en
masse à la cuisson. Plus exactement, j'ai fait l'expérience, il y a plus
de quinze ans, d'explorer la gélification éventuelle de liquide avec de
l'oeuf battu, en concentrations décroissantes, et j'ai alors montré
qu'un œuf permettait d'obtenir la gélification de 0,7 litres de liquide,
au maximum.
Finalement, combien d'oeuf et de crème ? Comme vous le voudrez, mais dans la limite qui est ainsi donnée.
Et puis, tant que nous y sommes, on peut faire mieux :
par exemple, faites revenir les oignons à feu très doux et à couvert,
dans du beurre et un peu d'eau, pendant très longtemps (par exemple une
heure), par avance : les oignons vont « fondre », disons plus justement
qu'ils s'amollissent, parce que le ciment intercellulaire, des « parois
végétales », sera dégradé par l'élimination bêta des pectines
par exemple, faites revenir le lard, pour augmenter son goût
par exemple, n'oubliez pas une pincée de noix muscade
Bref, une recette : pourquoi faire ?
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes
de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la
cuisine)
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