Avec l'apparition de l'agriculture et la consommation du blé et
d'autres céréales, les conditions ont été réunies pour la confection de
pains d'abord azymes (non fermentés), de bouillies, et, aussi, de crêpes
et de galettes. Le feu a été important, car il a permis une meilleure
digestibilité des produits amylacés, en même temps qu'il améliorait le
goût : la cuisson de farine dans de l'eau chauffée conduit assez
rapidement (en quelques minutes) à la dégradation partielle des
molécules de ces composés que sont les amyloses et les amylopectines,
avec notamment la libération de glucose, qui donne de la longueur en
bouche, de la douceur, en même temps qu'un « coup de fouet », le glucose
étant le composé rapidement absorbé par l'organisme et qui sert de
carburant à ce dernier.
La digestibilité était également
augmentée, car la cuisson attendrit les grains, les amollit, libère dans
l'eau des molécules qui conduisent à la « bouillie », de sorte que les
molécules sont plus facilement dégradées et assimilées. Et il a suffi
que l'on oublie un peu longtemps une bouillie sur le feu pour que se
forme une crêpe, à partir de la farine de froment, ou une galette à
partir de la farine de blé noir, ou sarrasin. Avec des pâtes contenant
moins d'eau, on a obtenu des pains, c'est-à-dire que les masses pas
complètement liquides ne s'étalaient pas entièrement, de sorte que l'on
obtenait des couches épaisses, avec des croûtes extérieures, ce qui a dû
séduire nos ancêtres, qui percevaient un croustillant extérieur et un
coeur tendre.
Mais, pour toutes ces préparation, une
modélisation est bienvenue. Dans la farine de blé, il y a des grains
d'amidon, et d'autres composés, telles les protéines de la matière que
l'on a nommée gluten en 1742.
Quand on travaille de la farine
avec un peu d'eau, les protéines sont pontées par les molécules d'eau,
formant un grand réseau « visco-élastique » : cela signifie qu'il est à
la fois visqueux, qu'il s'étire, et élastique, reprenant sa forme après
qu'il a été relâché après avoir été étiré.
Dans cet espèce de
grand filet à trois dimensions sont dispersés de petits grains, qui ont
été nommés « grains d'amidon ». Cette fois, il s'agit de couches
concentriques de diverses proportions de deux composés, à savoir les
amyloses et les amylopectines : dans chaque couche, il y a des sortes
d'arbres minuscules -les amylopectines-, entre lesquels se trouvent des
fils minuscules, les amyloses.
La pâte à pain, c'est cela : un grand filet de protéines où sont enchâssés des grains d'amidon.
Lors
d'une cuisson, la chaleur permet à l'eau de migrer, de sorte que les
grains d'amidon peuvent gonfler, que des grains voisins et gonflés
peuvent s'interpénétrer, tout en libérant les molécules d'amylose.
Puis,
en surface, il y a une évaporation de l'eau, ce qui conduit à la
formation d'une croûte, où l'on perçoit bien moins bien les distinctions
entre les grains. De même qu'un grain de blé sec est dur, la croûte est
dure, parce que les molécules ne peuvent plus bouger beaucoup, sont
enchevêtrées.
De surcroît, des liaisons chimiques fortes
s'établissent entre les molécules, ce qui contribue à rigidifier les
croûtes. Les crêpes, elles, restent souples quand elles ne sont pas trop
cuites, car il reste beaucoup d'eau ; pas les crêpes dentelles, qui
deviennent croustillantes parce que l'eau est évaporée.
Finalement,
on comprend que la pate à crêpe, assez liquide s'étale quand on al
verse que la soudure des grains d'amidon contribue à la formation d'une
couche de croûte continue, de sorte qu'il n'y a pas besoin d'oeuf pour
solidariser les grains d'amidon et former les crêpes. D'ailleurs, pas
d'oeuf dans les galettes de blé noir !
On voit
ainsi que l'on peut obtenir de très nombreux systèmes différents selon
la quantité de protéines, selon la proportion d'amyloses et
d'amylopectines dans les grains d'amidon, selon la quantité d'eau et
selon la vivacité de la cuisson.
J'ai omis d'ajouter
ce détail que les croûtes sont d'autant plus minces que le feu est vif,
car on est limité par le brunissement des systèmes, de sorte qu'une
cuisson à feu vif durera moins longtemps, et que, de ce fait, moins
d'eau sera évaporée, ce qui fera une croûte plus mince. Un autre détail :
j'ai omis de signaler que la mie du pain, l'intérieur des crêpes un peu
épaisses, etc, est ce que l'on nomme un gel, les molécules d'amyloses
et d'amylopectines étant dispersées dans de l'eau, ce qui forme donc
comme une sauce blanche refroidie.
Et notre question initiale ?
C'est
une question de viscosité de l'appareil à pain ou de l'appareil à
crêpes. Quand on fait une pâte à pain, elle ne s'étale pas, conserve de
l'épaisseur. De ce fait, la cuisson forme une croûte sur l'extérieur. Si
l'on retourne le disque de pâte après que la première face a été cuite
et qu'il commence à brunir excessivement, c'est une couche avec de l'eau
qui est en contact avec l'ustensile de cuisson. L’évaporation de cette
eau engendre un grand volume de vapeur d'eau. Ce gaz peut s'échapper en
partie par dessous, mais monter aussi dans l'épaisseur, comme dans les
crêpes, où l'on voit de petits trous. Mais dans les pâtes à pain, la
vapeur reste piégée par la croûte de la face supérieure, qui a été
initialement formée.
Au contraire, avec des pâtes à crêpes ou des
pâtes à galette, la viscosité faible conduit à un étalement qui
engendre un disque mince, avec de surcroît la vapeur qui forme de
petites cheminées dans la couche assez liquide. Puis, quand on retourne
la crêpe, la vapeur forme des cloques qui soulèvent les crêpes, en même
temps qu'une partie s'évapore par les petites cheminées.
Finalement,
nous avons en main tous les ingrédients théoriques pour guider la
cuisson de disque de pâte faits de farine et d'eau.
Vient de paraître aux Editions
de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la
jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de
réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
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