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vendredi 15 septembre 2023

La vulgarisation scientifique

 Discutant de vulgarisation avec des amis, nous sommes arrivés face à une alternative :
- d'une part, je proposais que la vulgarisation doive considérer les équations qui fondent les travaux scientifiques, les théories ;
- d'autre part, mes amis proposaient plutôt de ne donner que les théories, les résultats des travaux, donc. 

J'entends bien leur argumentation qui est toute de facilité : certaines métaphores permettent de mieux comprendre, et il est vrai que j'ai usé de cette méthode dans les Ateliers expérimentaux du goût, quand il s'agissait de faire comprendre la notion de molécule à des enfants ; j'ai alors utilisé la « danse des molécules », où les enfants se représentent les molécules en les jouant. 

A l'opposé, cette vulgarisation là déverse des connaissances sans justification, et la métaphore est donnée d'en haut ; elle pourrait très bien être fausse. C'est comme un dogme : il faut croire... de sorte qu'il ne faut pas s'étonner que des esprits religieux acceptent si bien les sciences, alors que celles-ci semblent -je dis bien semblent- s'opposer aux textes que ces mêmes esprits religieux ont adopté. 

L'autre proposition, qui propose d'expliquer les équations, conduit à un travail bien plus long et plus difficile, et je ne m'étonne guère que mes amis vulgarisateurs hésitent à s'y livrer. Toutes les raisons de mauvaise foi sont données : les équations font peur, par exemple. D'accord, elles font peur, mais le rôle de la vulgarisation n'est-il pas précisément d'acclimater ces objets ? Pour les besoins du raisonnement, considérons le formalisme de la chimie, légèrement plus simple que celui des mathématiques. Là aussi, on peut expliquer, on doit d'ailleurs expliquer, et il n'y a pas d’impossibilité de le faire... puisque certains d'entre nous finissent par comprendre. 

L'avantage est évidemment que la science ainsi présentée n'est pas dogmatique, que les théories s'imposent, et que l'on voit ainsi la différence avec d'autres idées théoriques concurrentes... mais rejetées, avec d'autres champs qui sont moins fondés que les sciences de la nature. On observera que j'omets ici d'innombrables discussions, que je ne pose que la question, évitant des mots comme « vérité », qui n'ont pas leur place en science. 

Surtout, je propose de bien considérer l'objectif, d'abord. Que veut-on faire ? Un discours d'autorité lénifiant qui fait semblant de rendre service par des explications qui ne sont que poésie. Il semble clair que les choix stratégiques d'explication ne vaudront qu'après la discussion des objectifs que l'on poursuit.

jeudi 20 janvier 2022

Le journalisme scientifique montre-t-il vraiment le travail scientifique ? Ses résultats ?

 

Lors de la visite d'un groupe de jeunes journalistes au laboratoire, la question était de leur montrer le travail scientifique.

J'ai commencé par montrer des applications de la gastronomie moléculaire, en signalant bien que cela n'est pas le travail scientifique, mais des applications, des retombées (avec lesquels certains justifient la nécessité des sciences, ce qui n'est pas mon cas ; je montre des applications précisément pour dire que l'on ne doit pas justifier les sciences par des critères extérieurs, mais internes).

Puis j'ai  montré les lieux : nous avons parcouru le laboratoire, nous sommes entrés dans des pièces, nous avons vu des appareils, nous avons vu des locaux, des équipements, etc.
Là encore, ce n'est donc pas le travail scientifique, mais son environnement.

Puis nous avons approché une question scientifique, en partant d'une expérience qui m'empêche de dormir : l'effet Pastis. Je n'entre pas ici dans les détail, car j'ai déjà traité cela ailleurs.
Là, je souris quand même, car, dans l'introduction de ma présentation, j'avais annnoncé que je montrerais "ce qui m'empêche de dormir", et, alors que j'avais oublié ce point après la visite des locaux, un de nos jeunes amis m'a demandé ce qui m'empêchait de dormir : mon "titre" avait fonctionné.

Et finalement, j'ai conclus que rien de ce que j'avais montré n'était de la recherche scientifique, laquelle est certes à bases expérimentales, mais surtout théorique, avec des calculs, des équations.

D'où l'enjeu du journalisme, quand il considère les sciences de la nature : comment expliquer au public cet aspect essentiel, fondamental, le seul qui soit au coeur de la question ?

Oui, comment expliquer les équations à un public qui ne les comprend pas ?

On peut toujours botter en touches, mais cela ne résout pas la question : on ne fait pas le vrai travail qu'il faudrait faire.

Oui, il faut répéter que les sciences de la nature partent d'expérimentations, et qu'elles doivent conduire à des calculs, car "le monde est écrit en langage mathématique".

Et l'on pourra donc (devra ?) présenter les expérimentations... mais ce n'est qu'un travail technique. L'expérience vaut moins par son déroulé que par son résultat.

Et ce résultat se jauge à la théorie, aux équations.

J'ai déjà dit notre faillite du journalisme scientifique, à ce propos, et j'ai cité le cas de l'astrophysicien Stephen Hawkins, à qui un éditeur avait dit de ne pas mettre d'équations. De ce fait, notre collègue en était resté à du vernis. Des circonstances, de l'externe, de l'environnement.

La question est difficile... parce que je crois surtout que l'on a abdiqué. Il est temps de se reprendre... en dépassant la presse de la presse, en se donnant le temps de faire ce qui est vraiment utile.
Mon idée du journalisme scientifique : dire qu'une fusée a décollé est sans intérêt ; il faut expliquer comment on fait décoller une fusée, avec des explications suffisantes pour que l'on puisse presque le faire soi-même.

mercredi 21 avril 2021

Comment ne pas décevoir ? En expliquant bien ce qu'est la gastronomie moléculaire. Et ce n'est pas de la cuisine !

 
Je reçois un de ces innombrables email d'un jeune homme qui me dit vouloir faire un stage dans notre groupe de gastronomie moléculaire "parce que" il aime beaucoup la pâtisserie. 


Invariablement, je commence par lui expliquer que la pâtisserie, comme les autres métiers du goût, a trois composantes : sociale, artistique, technique  : à minima, le pâtissier est un technicien, à savoir qu'il doit être capable de suivre une recette, de faire les gestes précis, soigneux, qui parviendront à faire exister la préparation visée, qu'il s'agisse d'une génoise ou d'un soufflé, par exemple. 


Mais, mieux que cette technique que tout le monde peut maîtriser (à condition d'y passer du temps), il y a la question "artistique", à savoir que la préparation doit être "bonne", c'est-à-dire "belle à manger". Et là, si les recettes donnent quelques indications, c'est un bon un peu médiocre, qui ne fera sans doute pas le succès d'un artisan. Pour faire bon, il faut notamment faire soigneux, mais il faut faire mieux : imaginer des goûts, des ajouts qui donnent un petit quelque chose de plus aux recettes. Certains parlent de "supplément d'âme"... et ils sont rares.
Enfin, il y a la composante sociale : en bouche, la pâtisserie doit nous dire que l'on nous aime, et cela est le plus difficile.

Mon jeune correspondant me dit donc qu'il veut faire un CAP de pâtisserie, et je lui réponds que c'est effectivement un bon début, pour être pâtissier. Mais il insiste en disant qu'il est "fasciné" par la compréhension des gestes techniques... et c'est tant mieux. Mais il insiste : puisqu'il est fasciné, il veut faire un stage, qui, de surcroît, le décidera à choisir entre deux "passions" (mais son email est manifestement outré), à savoir l' "alimentaire" (dit-il) et l'écologie.

Là, il y a beaucoup à dire, à commencer par expliquer que ce n'est pas un stage dans un laboratoire de recherche scientifique qui lui dira ni s'il aime  l'"alimentaire", ni s'il préfère cela à l'écologie.

D'ailleurs, je lui signale que nous n'avons pas de casserole au laboratoire, que nous ne faisons ni cuisine ni pâtisserie : les sciences de la nature ne sont pas des techniques !

J'insiste un peu en lui expliquant que, au laboratoire, nous faisons des analyses par résonance magnétique nucléaire, que nous explorons des équations différentielles....

J'insiste encore, parce qu'il faut être clair :  par exemple nous avons un projet qui explore la diffusion de composés fluorescents dans un gel à plusieurs couches, et cela est l'occasion de calculer sans cesse. Certes, il y a au coeur du projet une expérience apparemment très simple,  qui consiste à faire un gel à plusieurs couches, et cela doit prendre à peu près une demi-journée, en calculant correctement les concentrations,  mais il y a surtout la conception de ce gel, en tenant compte de différences de pressions osmotiques, des diffusions attendues des solutés qui seront dans le gel,  et là, c'est devant un ordinateur, avec des calculs, que se fait le travail, qui prend bien une semaine...  à condition d'avoir appris à le faire, de savoir calculer. Une fois les échantillons prélevés,  nous les analysons par spectroscopie de fluorescence, et là, on a le nez collé à  des tableaux de nombres, les absorption et les émissions de la lumière aux différentes longueurs d'onde que nous utilisons pour sonder les échantillons recueillis. Une fois ces tableaux de nombres obtenus, il s'agit de relier les nombres en équations, pas différentielles celle-là, mais en équations quand même. Et nous n'en sommes qu'au début, car va pouvoir alors commencer le travail scientifique, qui consiste à explorer les ensembles d'équations recueillies.

On voit  dans cette description honnête qu'il n'y a pas beaucoup de place pour la pâtisserie ni pour la cuisine dans tout cela,  et l'on voit que je n'exagérais pas, en faisant une belle différence entre cuisine et science.

Comme mon interlocuteur insistait, je lui ai demandé s'il pouvait me dire comme ça, en claquant des doigts,  la primitive du produit du sinus de x par le cosinus de x (une question de calcul parfaitement élémentaire, mais juste pour voir), et  il n'en savait rien.
Je lui ai alors demandé si cette question l'intéressait, et, de fait,  elle ne l'intéressait pas...  parce qu'il voulait faire de la pâtisserie.

La conclusion tirée en commun s'imposait :  ce n'était pas la recherche scientifique qui l'intéressait et donc pas la gastronomie moléculaire puisque la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique.

Oui, notre propos, en recherche scientifique, n'est pas, comme le croyait notre ami, d'expliquer "comme cela", "avec les mains", les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires. Nous ne cherchons qu'indirectement à comprendre la préparation de la génoise, le gonflement du soufflé ou l'épaississement de la crème anglaise... car tout cela est assez simple, et, surtout, bien éloigné de notre ambition, qui est de faire des découvertes scientifiques.

Finalement il y avait donc lieu de restituer les choses entre technique, technologie et sciences de la nature. Notre ami n'avait en réalité aucune idée précise d'aucun des trois (y compris la pâtisserie), et j'espère l'avoir éclairé. Oui j'espère lui avoir été utile en lui évitant de faire un stage où il aurait été malheureux parce qu'il n'aurait pas été capable de faire ce qui aurait été attendu de lui.

Derrière sa confusion, il faut quand même analyser que la difficulté, c'est le mot "gastronomie" qui est dans "gastronomie moléculaire", et qui est souvent confondu avec "cuisine".  Mais qui puis-je si mes interlocuteurs ne connaissent pas bien la langue française ?

jeudi 8 octobre 2020

Les sciences de la nature, c'est du calcul, et non pas de vagues "histoires" !

 


Je m'évertue, depuis des années, à expliquer que les sciences de la nature moderne marchent par quantification des phénomènes, expériences et théorisations... mais pas n'importe comment.


D'abord, l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, ce qui va de pair avec l'exploration du monde, la découverte d'objets, de concepts...
Cette recherche se fait de façon très coordonnée, de la façon suivante :
1. identification du phénomène que l'on va étudier
2. caractérisation quantitatives (des mesures, des mesures, des mesures) des divers aspects des phénomènes retenus
3. réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations
4. recherche de "théories", par l'intégration de plusieurs lois et l'introduction de concepts nouveaux (l'électron, le neutrino, la tétravalence du carbone, l'aromaticité...)
5. recherche de conséquences testables des théories
6. tests expérimentaux de ces "prévisions"
7. et ainsi de suite à l'infini, parce que toute théorie, étant un modèle réduit de la réalité, est nécessairement insuffisante, et doit être améliorée.

Tout cela étant dit, on arrive, à une époque donnée, à un "récit", du type "L'eau liquide est faite d'objets identiques, les molécules d'eau, entre lesquelles il n'y a rien (du vide)".
Et quelqu'un qui étudie les sciences doit évidemment apprendre un tel "récit", au lieu de "L'eau est une substance élastique", comme au Moyen Âge. D'ailleurs, j'ajoute immédiatement que cela ne suffit pas d'apprendre la phrase "L'eau liquide est faite d'objets identiques, les molécules d'eau, entre lesquelles il n'y a rien (du vide)" : cela est un récit de vulgarisation, mais, quand on apprend les sciences de la nature, on doit apprendre les quantifications qui vont avec cette idée, à savoir que une mole d'eau (18 g) contient 600000000000000000000000 molécules d'eau, que ces molécules contiennent un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène, et ainsi de suite. Sinon, on n'apprend pas les sciences ; on reste à de la vulgarisation qui ne donne pas une compétence, pas un métier.

D'où un twitt que j'avais fait, et où je m'étonnais d'avoir rencontré des étudiants de sciences des aliments qui croyaient qu'il y avait de l'air entre les molécules d'eau.
Après ce twitt, un correspondant a pris la "défense" des étudiants ignorants :
" Je viens de lire votre tweet sur votre étudiant de master qui pense qu'il y a de l'air entre les molécules d'eau liquide. D'une certaine manière je le comprends : je me pose moi-même beaucoup de questions depuis que j'ai regardé les vidéos (donnant une modélisation visuelle de l'eau) que vous aviez un jour mises en lien."

Ici, pour ceux qui ne sont pas au courant, il faut expliquer que j'avais donc déjà présenté la constitution de l'eau, et j'avais expliqué (récit de vulgarisation) que l'eau était fait de d'objets tous identiques que l'on nomme des molécules d'eau. Il est d'usage, dans l'enseignement, de "représenter" ces molécules et il y a plusieurs représentation :
- soit simplement des lettres pour dénommer la nature des atomes qu'on relie par des bâtons pour figurer les liaisons chimiques (qui sont en réalité en réalité des nuages d'électrons),
- soit des boules qui sont censées correspondre à des parties de l'espace où les électrons se répartissent autour des atomes
- soit des surfaces où les molécules voisines n'entrent pas (dans des conditions physiques particulières)
- etc.
Oui, "etc.", car on pourrait tout aussi bien représenter les molécules par des tableaux de nombres, ce qui est fait d'ailleurs en modélisation moléculaire. Ou encore par des fonctions d'onde, quand on fait de la mécanique quantique...
Dans tous les cas, il s'agit de représentation, c'est-à-dire de donner à voir mais on aurait bien tort de croire que les objets que l'on représente sont effectivement les objets tels qu'ils sont. Et je prends souvent comme exemple, pour expliquer cela, celui d'un cylindre : quand on le regarde selon son axe, on voit un disque, mais quand on le regarde par le côté, on voit un rectangle. Pour autant, le cylindre n'est ni un disque ni un rectangle, mais bien un cylindre, et d'ailleurs, on peut tout aussi bien ne pas le voir avec les yeux mais avec une équation, celle du cylindre.

Oui, j'avais donc moi-même fourni à mes amis des vidéos qui montraient des modélisations moléculaire de molécules d'eau. Il y avait donc quelque chose à voir... sur un fond noir. On aurait pu le faire blanc, mais il était plus juste de le faire noir, car il n'y a rien entre les molécules d'eau : du vide.

Et cela m'amène à une autre réponse fausse que font les étudiants, quand on dessine des molécules d'eau dans de l'eau liquide : interrogé sur ce qu'il y a entre les molécules d'eau, certains disent "des liaisons hydrogène".
Sur les modélisations moléculaires que j'avais données, on voit effectivement des pointillés, sur certaines, et il est vrai que les molécules d'eau s'attirent, raison d'ailleurs pour laquelle l'eau liquide reste liquide, au lieu que les molécules se dispersent partout. Oui, les molécules (qui bougent) sont déviées d'une trajectoire initiale par les "interactions" entre les molécules, tout comme la Terre ne part pas en ligne droite dans l'espace, mais est attirée par le Soleil.
Dire qu'il y a des liaisons hydrogène entre les molécules d'eau, ce serait comme dire qu'il y a des forces de gravitation entre la Terre et le Soleil, ou comme dire qu'il y a des forces magnétiques entre deux aimants séparés de quelques centimètres.

Ces forces ? Nous en avons les expressions quantitatives, les équations, et c'est précisément cela, l'apport des sciences de la nature : au lieu de tenir un discours vague, nous avons des équations qui s'appliquent avec une précision parfois extraordinaire. Et c'est d'ailleurs une raison pour laquelle je me lève le matin : quelle extraordinaire correspondance entre les équations et ce que nous mesurons !
Mais, hélas, ces équations sont bien difficiles à communiquer à un public qui n'a pas de compétences mathématiques... de sorte que nous faisons des récits, qui n'ont, par rapport à des récits mythiques (les dieux grecs, les feux follets, les fées, etc.) que le bénéfice d'être réfutables... et de correspondre à des équations, des calculs, qui correspondent très précisément aux faits expérimentaux.

Mon interlocuteurs continue :
Je me pose des questions en particulier sur les interactions entre molécules, interactions qui expliquent leurs mouvements. J'ai bien compris qu'il y avait des liens hydrogènes (donc des forces électrostatiques si je ne m'abuse). Ces forces-là sont les plus faciles à comprendre. Elles sont marquées par des traits dans les vidéos. Je me doute qu'il y a des forces de gravitation. Mais j'imagine également qu'il y a des chocs. Et ces chocs ne sont absolument pas notés dans les vidéos. On a l'impression que les molécules ne se touchent pas. Or avant de voir ces vidéos, pour moi c'étaient ces interactions qui expliquaient le mouvement des molécules.

Des "chocs" ? La question à se poser est "qu'est-ce qu'un choc, pour des molécules" ? De même, la "surface de l'eau" n'est pas une ligne que l'on trace, puisqu'il y a des molécules qui partent, d'autres qui reviennent, et tout cela est en mouvement. La ligne que l'on peut dessiner est notre perception à l'oeil nu... mais n'oublions pas que la physique sonde jusqu'aux quarks qui constituent les particules qui constituent les noyaux des atomes qui eux même entrent dans la constitution des molécules. Et tout cela avec des caractéristiques quantitativement décrites par des équations. J'insiste : des équations qui sont ce que les étudiants en sciences doivent apprendre !

D'ailleurs, j'ajoute que les forces de gravitation dont parle notre ami sont TRES faibles par rapport aux liaisons hydrogène. Et cette extrême faiblesse relative est une composante essentielle de la description... sans quoi on devrait voir les molécules "tomber".

Oui, comme dit notre ami : "Comme quoi réussir à donner un modèle suffisamment parlant et en même temps suffisamment précis pour avoir une idée juste d'un phénomène physique ou chimique est bien compliqué.". Oui, absolument, cela est bien compliqué, et voilà pourquoi j'ai la plus grande admiration pour mes prédécesseurs et pour les meilleurs de mes collègues : la science ne s'apprend pas, et ne se fait pas en claquant des doigts à la terrasse d'un bistrot, mais, au contraire, par de l'étude ! Seul dans un cabinet de travail, à apprendre, apprendre et apprendre encore !

 

On me dit ensuite "L'erreur commise par votre élève n'est pas une erreur totalement déraisonnable. Pourquoi n'y aurait-il pas de l'air entre les molécules d'eau liquide. Il y en a bien entre les molécules d'eau gazeuse dans l'atmosphère. Bien sûr les physiciens et les chimistes savent qu'il n'y en a pas. Mais a priori rien n'empêcherait qu'il en fût autrement. Comment savent-ils qu'il n'y a pas d'air d'ailleurs ? Il y a eu des expériences faites en ce sens dans l'histoire des sciences ? Le modèle de l'eau liquide qu'ils ont en tête ne le permet pas ?"

En réalité, oui, il peut y avoir de l'air "dissous" dans l'eau, mais c'est trompeur et un peu fautif de le dire ainsi : il y a des molécules de diazote ou de dioxygène dissoutes dans l'eau, dispersées au milieu des molécules d'eau, et on connaît même depuis plus d'un siècle une "loi" qui décrit la relation entre la pression du gaz au dessus du liquide et la quantité de molécules de ce gaz en solution.
Mais je vous assure que, en Master, soit après 5 années d'études supérieures avec de la chimie, de la physique, des mathématiques, ce n'est vraiment pas merveilleux de ne pas avoir de bon "modèle" de l'eau !

Et notre correspondant de conclure "Cela montre en tout cas que dans la conscience que nous avons de la physique comme dans celle des autres sciences rien n'est inné tout est acquis."
Mais oui, mille fois oui ! Les sciences de la nature sont une conquête extraordinaire, l'honneur de l'esprit humain. Oui, sans connaissance scientifique, nous serions comme au Moyen Âge, et nos ordinateurs, aliments, vaccins, médicaments, peintures, fusées, électricité dans les foyers, eau potable, etc. sont des résultats d'applications techniques des sciences. De ces sciences qu'il faut apprendre, longuement, patiemment, avant de pouvoir contribuer à leur avancement.
Et, je le répète, cela ne se fait pas en claquant des doigts. Je rappelle d'ailleurs ma métaphore de la balance, avec le travail d'un côté et les prétentions de l'autre : s'il y a plus de prétentions que de travail, on est prétentieux, mais si l'on a plus de travail que de prétentions, on est travailleur... et l'on n'a d'ailleurs pas de temps pour être prétentieux. Ajoutez à cela que quelqu'un qui sait quelque chose est quelqu'un qui l'a appris, et vous verrez pourquoi je préfère voir, en Master, des étudiants qui savent qu'il y a du vide entre les molécules d'eau.
Oui, les connaissances scientifiques s'apprennent ! Et ce ne sont pas des récits comme on en fait aux enfants le soir à la veillée : tout est équations !

jeudi 18 juillet 2019

La recherche de lois synthétiques ? Faisons simple, avant de faire compliqué


Pour la physique classique, la première des lois est la proportionnalité, ce qui se fonde sur l'idée de base du calcul différentiel et intégral, lequel repose lui-même sur la continuité des phénomènes. Dans une variation d'un paramètre, si l'on suppose la continuité, un petit intervalle fait apparaître des variations quasi linéaires.
On m'objectera que les fractales montrent que cette idée n'est pas juste, mais je propose que l'on s'intéresse d'abord au gros avant de s'intéresser aux détails. Au premier ordre, la courbe compliquée trouvée par Klaus von Klintzing pour l'effet Hall quantique s'approche d'une droite, celle qui avait été identifiée par Georg Ohm. Au premier ordre, la force est proportionnelle à la masse et à l'accélération. Au premier ordre, le poids est proportionnel à masse. Au premier ordre...
Evidemment on sera bien avisé de dépasser un jour ce premier ordre et de douter de la proportionnalité, mais ce sera un jour seulement, quand le premier ordre aura été fait. Et c'est donc une bonne pratique que de ne pas plonger au deuxième ordre avant d'avoir résolu le premier ordre, de ne pas plonger au troisième ordre avant d'avoir résolu le deuxième, etc.

lundi 25 février 2019

La vulgarisation ? Cacher les équations est une mauvais solution, un service qu'on ne rend pas

Allons, commençons par un argument d'autorité : pendant vingt ans, j'ai travaillé à la revue Pour la Science, notamment, où j'ai fait de la vulgarisation scientifique, d'ailleurs d'un niveau plus élevé que dans nombre de revues de vulgarisation populaires. J'ai également fait des travaux pour enfants, publié des livres, des revues, fait des émissions de radio et de télévision... mais finalement, je crois  qu'une bonne vulgarisation ne doit en aucun cas faire l'économie des équations.
Cela a été prétendu, avec des tas de mauvais arguments, et par des personnes variées. L'astrophysicien Stephen Hawkins, par exemple, a écrit dans un de ses livres que son éditeur lui avait interdit les équations. Et nombre de scientifiques, notamment des physiciens, ont fait de la "physique avec les mains", évitant les équations.
Mais est-ce une bonne raison ?

Commençons par nous interroger : quelle est la fonction de la vulgarisation ? Il y en a d'innombrables selon les publics, mais je ne me résoudrai jamais à ce qu'elle se limite à donner une formation du type "La fusée à décollé", parce que l'on est aussi bête avant qu'après. Non, je lui vois un intérêt supplémentaire quand elle explique comment on est parvenu à faire décoller la fusée.
Évidemment, cet exemple est technologique, et non pas scientifique, mais c'est une métaphore, et pour les découvertes actuelle, il y a, de même lieu de donner  non pas seulement le résultat ais d'expliquer comment on y est parvenu.
Pour la science, qui se distingue donc de la technologie, considérons le mouvement général du travail, qui passe par l'observation du phénomène, sa quantification, la réunion des données en lois, l'induction d'une théorie avec introduction de nouveau concept quantitativement compatibles avec toutes les lois, la prédiction d'une conséquence théorique et le test expérimental qui suit.
Pour l'observation du phénomène, c'est quelque chose de bien élémentaire, mais on peut se poser la question de savoir si la vulgarisation a déjà consacré des pages à ce propos.
Pour  la caractérisation quantitative des phénomènes, j'ai bien peur que le public ne soit guère intéressé,  sauf si l'on entre dans des conditions considérations technologiques sur les méthodes de mesure... mais je n'oublie pas que la communication est tout aussi bien une question sociale ou artistique que technique, de sorte qu'il ne semble pas y avoir de règle : quelqu'un d'intelligent devrait pouvoir intéresser à ce point.
Réunir les données en loi ? Là encore, le public se trouve souvent cela bien aride, et l'on fait souvent l'hypothèse qu'il veut aller au fait, à savoir les mécanismes des phénomènes, lesquels constituent le corpus théorique. Mais là encore, ne serait-ce pas intéressant et salutaire d'expliquer le travail effectué ?
La production théorique ? C'est ce que l'on trouve le plus souvent dans les articles : le "résultats". Cela conduit à voir s'empiler les articles de cosmologie ou d'astrophysique qui s'apparentent à des collections de papillons  : on nous parle d'objets exotiques, de théories qui ne durent guère... Et c'est là que, souvent, se fait la confusion entre science et technologie. Mais on ne sort guère grandi de ces énumérations, parce que l'on n'y a gagné ni concept, ni notion, ni méthode. On est resté à l'information scientifique, et non pas à la vulgarisation scientifique, dont  l'ambition est quand même supérieure.

Et si l'on prenait le problème différemment, en essayant de faire partager l'enthousiasme de la recherche scientifique, de chacune de ses étapes ? Alors, il y aurait lieu de s'interroger sur la nature de ces étapes, sur leur beauté, sur leur intérêt...

A propos de l'exploration d'un phénomène, il y aurait donc lieu de s'interroger sur la façon dont ces derniers sont sélectionnés, c'est-à-dire en réalité sur des questions de stratégie scientifique.
À propos à propos du recueil de données quantitatives, par exemple il y aurait sans doute leu de montrer,  en se souvenant que donner mal acquise ne profite à personne, comment on s'y prend pour obtenir des données bien acquises, et cela dans chaque cas expérimental. Il ne s'agit pas moins que de faire partager  ce bonheur de l'orfèvre qui fait de belles oeuvres !
La réunion des données en loi ? Là encore il, il y a de la méthode à communiquer. Et, on se souviendra que pour beaucoup de savants du passé, il y avait le recours au principe d'Occam, selon lequel les entités ne doivent pas être multipliées. Il faut discuter cette hypothèse qui consiste, pour des données, à chercher les lois les plus simple, dans des cas tous différents.
Et ainsi de suite :  chacune des étapes du travail scientifique peut-être décrite, expliquée, cas par cas, car il y a une infinie diversité des travaux, et donc d'explications à donner. Aucune répétition dans cette affaire, et les revues de vulgarisation pourront parfaitement paraître tous les mois sans se redire, sans se répéter.
Finalement, je vois qu'il n'est pas inintéressant, pour notre discussion, de considérer l'analyse d'un très bel article de vulgarisation qui avait été écrit par Kenneth Wilson à propos de la renormalisation, dans la revue Pour la Science. Bien sûr, l'article était trop long (17 pages !), sans doute un peu trop difficile. Mais trop difficile parce qu'il était trop long. Il y aurait lieu de reprendre cet article, de le diviser, de profiter de la place donnée à chaque morceau pour étendre un peu. Sans diluer,  évidemment, mais en mettant un peu plus de liant,  car il est vrai que cet article a été, entièrement focalisé sur l'objet, sans aucun effet de manche.
Bien sûr, je ne méconnais pas les circonstances dans lesquelles la vulgarisation scientifique est produite : le coût du papier, des éditeurs, des studios de radio de télévision... Mais à l'heure du numérique, nous avons de nouvelles possibilités que nous pouvons exploiter au mieux pour arriver à faire partager l'enthousiasme pour la science, ses méthodes et ses résultats. Et j'ai vraiment l'impression que l'on évitera le dogme, la litanie, si nous partageons votre l'enthousiasme pour chacune des étapes scientifiques. Et le calcul est au coeur de l'affaire : la science, ce n'est pas un discours poétique, mais bien une étude où le nombre, l'équation sont au coeur du travail.

mercredi 24 janvier 2018

Je ne suis pas cuisinier !

Une question, ce matin, mais qui, en réalité, aborde deux points :
- mon statut
- la cuisson dans les fours à micro-ondes.

La voici: 

Pour notre TPE, nous avons décidé d'étudier l’action du four à micro-ondes sur les aliments. Cependant nous avons beaucoup de mal à trouver des informations pertinentes, alors nous avons pensé à nous adresser à vous étant donné que vous êtes physico-chimiste et en plus cuisiner.
En tant que cuisinier conseilleriez-vous ou non la cuisson au four à micro-onde, et pourquoi? Et en tant que physico-chimiste votre avis changerait-il? Pourriez vous également nous expliquez pourquoi nous ne pouvons obtenir une cuisson saignante après avoir cuit un rôti au four à micro-ondes? D’après nos recherches cela est dû au fait que la propagation de la chaleur se fait de l'intérieur vers l’extérieur mais certains parlent de la réaction de Maillard, cependant nous n’arrivons pas à comprendre cette réaction.


A propos de mon statut

Avant d'évoquer les micro-ondes, je prends la précaution d'indiquer que je ne suis pas cuisinier ! Bien sûr, je cuisine chaque jour, pour nourrir ma famille, et je prétends bien connaître les techniques culinaires, puisque je suis capable de battre le record mondial du plus gros volume de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf (plus de 40 litres), mais c'est comme si je disais que je suis musicien parce que je joue en amateur d'un instrument : non, je ne suis pas "musicien" de mon état.
Surtout,  on trouvera dans mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique" (Editions Odile Jacob, Paris) l'explication : comme le dit le titre de ce livre, être cuisinier (professionnel), c'est maîtriser la technique, l'art  (le "bon", c'est le beau à manger),  et lien social qui sous tend l'acte de cuisiner (pour des clients).



Personnellement, je ne suis pas un artiste, et je ne suis pas certain d'être très bon pour ce qui est de l'amour, disons le lien social, moi qui ai le plaisir d'être seul devant mes équations, au laboratoire.
J'insiste un peu : mon métier n'est pas la cuisine, mais l'exploration physique et chimique des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires... et à ce titre la cuisson par les micro-ondes est intéressantes, car comment les ondes se propagent-elles ? Quelles réactions physiques ou chimiques engendrent-elles ? Et, surtout, des mécanismes inédits sont-ils à découvrir ? Voilà la gastronomie moléculaire posée. 




Puis à propos de cuisson par les micro-ondes

Donc conseiller de cuisiner au four à micro-ondes ? La question me semble mal posée, et je propose de toujours demander d'abord  : quel est l'objectif  ?
Et puis, ce n'est pas vrai que l'on ne peut pas obtenir une viande saignante au four à micro-ondes, surtout depuis que ces fours sont équipés de résistances qui peuvent griller : il suffit de chauffer suffisamment peu.
Mais nous sommes allés trop vite, et cela vaut la peine de se demander pourquoi on cuit  : pour l'assainir microbiologiquement, en tuant les micro-organismes de surface et les éventuels parasites intérieurs (porc, cheval...) ; pour changer la consistance (attendrir des carottes) ; pour donner du goût.
Pour les micro-ondes, il n'est pas vrai que la propagation de la chaleur se fait de l'intérieur vers l'extérieur : les micro-ondes sont des ondes qui traversent les tissus végétaux et animaux, et sont absorbées par l'eau qui constitue ces tissus, notamment. L'énergie est déposée partout.

Quant à la réaction de Maillard, on trouvera un texte de synthèse sur https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-2016-3-actes-de-colloques-maillard-products-and-maillard. On y verra que le nom "réactions de Maillard" est utilisé très abusivement, et qu'il doit être réservé à des réactions de brunissement non enzymatique entre des protéines et des sucres réducteurs (glucose, fructose, par exemple). Ce n'est qu'un exemple des réactions de brunissement des aliments, à côté d'oxydations, de déshydratations, de pyrolyse, de thermolyse, etc. Et il y en a, lors des cuissons au four à micro-ondes, même s'il y en a moins que dans des grillades.


Mais toute cette réponse ne vaut rien pour un TPE : il faudra que nos amis aillent en ligne, sans doute sur Google Scholar ou dans des manuels, pour avoir des réponses "attestées" par des références.















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 16 décembre 2017

Il faut le dire et le redire : la recherche scientifique n'est pas réduite à l'expérimentation ; il faut du calcul. Quel bonheur !

Une discussion, aujourd'hui, à propos  des méthodes de la science, avec des amis venus du monde de la chimie et de la biochimie et qui, en confiance, m'avouaient avoir des difficultés avec les calculs (c'est un fait que de nombreux étudiants attirés par les "sciences, technologie, technique", mais qui n'aiment pas calculer vont plutôt en biologie ou en chimie qu'en physique). 

La discussion a tourné autour de cette phrase de l'un d'entre eux :

"Est-on vraiment obligé de passer par les équations ?".
En d'autres termes, peut-on faire de la recherche scientifique sans calcul ? 



On se rappelle que, jusqu'à plus ample informé, la science produit des connaissances par le mouvement suivant : 

1. identification d'un phénomène, centrage sur ce dernier

2. caractérisation quantitative du phénomène

3. réunion des innombrables données de mesure en lois "synthétique"

4. recherche de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois

5. recherche d'une prévision théorique testable

6. expérience pour tester la prévision

J'ai souvent réclamé publiquement que l'on me contredise, à propos de cette méthode, mais la seule chose que l'on m'ait objectée, c'est que les sciences de l'humain et de la société ne fonctionnent pas ainsi... ce que je sais parfaitement, puisque ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent de façon professionnelle et pour lesquelles je propage la méthode ci-dessus. Sans contradiction, je dois donc continuer d'avoir l'idée présentée plus haut... en reconnaissant que le chemin tout entier n'est pas obligatoire : une personne qui ferait une partie du chemin est déjà sur la voie de la science de la nature. 

Finalement, peut-on donc se passer d'équations ? 

Pour l'identification d'un phénomène, sans doute... bien que, souvent, et surtout dans notre XXIe siècle qui a déjà bénéficié de beaucoup  d'avancées, les phénomènes soient souvent décrits par des équations. 

Pour la caractérisation quantitative des phénomènes ? Souvent il s'agit d'utiliser un instrument de mesure, dont le fonctionnement repose souvent sur des équations. Par exemple, imaginons que nous fassions des études rhéologiques, à l'aide d'un viscosimètre qui mesure les deux paramètres G' et G'' : on peut évidemment se limiter à enregistrer les valeurs et à les afficher, pour montrer des variations... mais on aura fait un simple travail technique, et l'on n'aura pas "compris" les variations. De même pour de l'analyse chimique, où l'on aurait utilisé un appareil de résonance magnétique nucléaire pour produire des spectres, avec des signaux que l'on aura éventuellement attribué à des protons particuliers de molécules  particulières. De même pour de l'analyse thermique différentielle, de même pour de la spectroscopie infrarouge, de même pour... Oui, pour un travail technique, on peut éviter des équations et se focaliser sur les signaux recueillis, que l'on captera par des logiciels où les équations sont mises en oeuvre, masquées à l'utilisateur tout comme les engrenages d'une boîte de vitesse d'automobile sont invisibles au conducteur. 

Pour la réunion des données en lois ? En science des aliments, il y a souvent l'affichage des valeurs de mesure sous la forme de graphiques, où des variations apparaissent. Dans une dizaine d'articles  que je viens de regarder (les dernières publications que notre groupe avait recueillies, sur des thèmes variés : la créatine dosée dans l'urine par RMN, la peronatine dans des champignons, les composés odorants du chocolat...), il n'y avait pas d'équations, et les courbes étaient interprétées par des propositions non quantitatives. Autrement dit, c'est un fait qu'une large partie de la communauté se passe des équations, dans cette tâche particulière. 

La recherche de mécanismes fondés quantitativement sur les lois dégagées ? Là, on rejoint ce qui vient d'être dit, à savoir que de nombreux articles de science des aliments ne font pas ce travail... où les équations s'introduiraient. 

Enfin les tests des prévisions expérimentales : souvent, on part d'équations que l'on teste, puisque les équations sont les modèles quantitatifs. 



Finalement, l'équation est partout, et, sans doute non, on ne "peut pas éviter les équations"... mais quelle formulation !
Ne devrions-nous pas plutôt dire : peut-on faire de la science (de la nature) en se privant du bonheur du calcul ? 









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 25 juillet 2016

La méthode du soliloque formel

En discutant de simplicité, il m'est venue une idée : celle d'un soliloque « mathématique ». De quoi s'agit-il ? 

Pour mieux cerner la notion, il faut revenir à l'idée de départ, qui était celle du soliloque. Le soliloque est une méthode que j'ai proposée il y a plusieurs années et qui consiste à développer successivement une idée, exprimée par une phrase,  à partir de chacun des mots utilisés dans la phrase, puis on répète l'opération. On part de l'énoncé d'une idée, on discute chaque terme, puis on discute alors les termes nouvellement énoncés, et, se construit ainsi, quasi automatiquement ; un discours buissonnant, et donc nécessairement un peu baroque, que l'on peut ensuite « mettre au carré ».  J'aime assez la comparaison avec un buisson, où des tiges croissent, un peu en désordre, s'entourent de rameux, de feuilles, de sorte qu’immanquablement on arrive à une touffe désordonnée, sans beaucoup de construction apparente, et qu'il faut ensuite rabattre, pour donner une forme voulue.

Cette méthode du soliloque, nous l'utilisons largement au laboratoire, mais avec des mots du langage naturel, et je n'oublie pas que certains d'entre nous sont si familiers avec les équations, le calcul, les mathématiques, qu'ils en viennent à calculer comme le rossignol chante.
L'idée qui m'est venue hier, c'est celle d'un soliloque « mathématique », avec des équations que l'on enchaîne ainsi, les unes à la suite des autres. On sait que je distingue deux activités, à savoir les mathématiques et le calcul, la différence portant sur l'objectif : pour les mathématiques, il s'agit de développer… les mathématiques; pour le calcul, il s'agit d'utiliser les mathématiques pour décrire des phénomènes de la nature. Bien sûr, on peut faire de la physique "avec les mains" (cela signifie "avec des mots du langage naturel"), mais il y a alors deux cas : la vulgarisation, que  je ne considère pas ici, et pour laquelle les équations sont hors sujet, et cette physique telle que la faisait Pierre-Gilles de Gennes, où presque  tout tient dans des lois générales telles que « la surface varie comme le carré du rayon ». Dans un tel cas, on peut y mettre des mots, mais ils sont en réalité inutiles, où, plus exactement, ils ne semblent servir qu'à définir les objets mathématiques que l'on utilise ensuite : on aurait ainsi pu dire A ∼ r2. C'est pour cette activité-là qu'un premier soliloque mathématique est possible.
# Mais il y en a un deuxième, un soliloque mathématique proprement dit, pour des mathématiques, et l'on ne saurait en discuter sans se souvenir que Henri Poincaré proposait que les mathématiques ne soient pas déductives, mais inductives.

Quel nom pour ces soliloques-là ? Stricto sensu, on ne doit nommer « soliloque mathématique » que celui que je viens de considérer, où il est question de mathématiques, et non de calcul. Pour les sciences de la nature ? Cette fois, il ne s'agit pas de mathématiques, mais de calcul. Devrions-nous dire soliloque calculatoire ? La terminologie n'est guère jolie. Soliloque équationnel ? Là encore, ça sent un peu la transpiration. Soliloque théorique ? Ce serait un peu idiosyncratique, avec l'hypothèse implicite que nous ne considérons que la  nature. Soliloque formel ? Cette fois, c'est plus conforme à l'idée que les sciences de la nature font usage de formalismes. Je propose de rester à cette terminologie, et à  l'envisager maintenant plus en détail.

Comment faire un soliloque formel ? Je propose que nous considérions d'abord un cas particulier, et notamment un cas tout récent d'un calcul effectué hier sur la quantité de graisses perdues lorsqu'on extrait ces dernières à l'aide d'un solvant organique.
La description initiale consiste à décrire le "modèle", par exemple de façon simple, en imaginant un "compartiment" avec de l'eau et de la graisse, un solvant que l'on pose dessus, et qui extrait la matière grasse en laissant une partie de celle-ci dans le compartiment aqueux. Chaque compartiment est alors caractérisé quantitativement, formellement, par une masse d'eau, de solvant, de graisse présente dans ce compartiment particulier.
Ce premier calcul étant fait (il est simple), on développe, en revenant sur chaque notion  : par exemple, on considère que la graisse initiale peut-être sous trois forme : surnageant, en solution, en suspension sous la forme de gouttelettes... et l'on écrit les équations de ces trois formes, tout au long du processus d'extraction.
Ce second "modèle" étant fait, on peut faire mieux, en considérant que les graisses sont de plusieurs sortes, de sorte que l'on divise la partie "graisses", et attribuant des comportements différents aux graisses solubles dans le solvant, et aux graisses qui ne sont que partiellement solubles.
Et ainsi de suite à l'infini. Ce soliloque se distingue-t-il d'autres formes plus classiques de modélisation ? Oui... mais je le discuterai une autre fois.

mercredi 13 juillet 2016

D'r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht


Cette phrase en alsacien n'est pas un proverbe classique, mais elle y ressemble, car il y a effectivement  un proverbe alsacien qui dit « D'r Schaffe het bittri Wurzel awer sussi Frucht », ce qui signifie « Le travail a des racines amères, mais des fruits délicieux ».
Analysons, et voyons finalement pourquoi je propose de modifier le dicton classique.

Scier du bois ? Il faut y mettre de l'énergie, mais on a ensuite le tas de bois scié. Résoudre une équation ? Il faut ce creuser la tête, mais on a ensuite l'équation résolue. Le proverbe alsacien semble donc juste, à cela près que cette idée d'un travail « amer » ne me plaît pas, car j'ai tout intérêt à exercer un métier que j'aime, auquel cas le travail n'est pas amer, mais délicieux. Au fond, si j'ai la chance d'aimer la résolution d’équations, alors ce n'est pas un travail amer que de chercher à résoudre des équations, et je déteste même l'idée qu'on puisse le dire amer, car ce n'est pas vrai.
D'ailleurs, scier du bois serait-il « amer » ? Par les temps qui courent, on voit des foules s'entasser dans des salles de sport. S'ils veulent se dépenser, quoi de mieux  que couper du bois ? J'ai  l'impression que, dans cette discussion sur l'amertume des travaux, il y a surtout la question de l'obligation, ou, du choix. Si nous décidons de couper du bois parce que nous en avons envie, et non parce que parce que nous sommes forcés de le faire, alors couper du bois est intéressant, agréable. En revanche, il y a de l'amertume à couper du bois quand on y est obligé, à casser des cailloux quand le bagne nous y condamne.

Je propose de nous efforcer d'abord de choisir nos activités, car ainsi l'amertume disparaît, s'évanouit… Auquel cas le travail a des racines douces et des fruits délicieux, ce qui est la signification de la phrase initiale, laquelle est inscrite sur le mur de mon bureau : je ne dois jamais oublier que je dois faire des travaux délicieux, par le travail lui-même avant d'avoir le résultat.

mardi 12 janvier 2016

Je me demande finalement si la vulgarisation ne nuit pas un peu à l'enseignement.

La question est ancienne de savoir quelle est la différence entre la vulgarisation scientifique et l'enseignement des sciences.  Pour la vulgarisation, une règle communément admise (mais que je propose de questionner ici) est
...


La suite sur http://www.agroparistech.fr/Vulgarisation-et-enseignement-les-relations.html