Lors de la visite d'un groupe de jeunes journalistes au laboratoire, la question était de leur montrer le travail scientifique.
J'ai commencé par montrer des applications de la gastronomie moléculaire, en signalant bien que cela n'est pas le travail scientifique, mais des applications, des retombées (avec lesquels certains justifient la nécessité des sciences, ce qui n'est pas mon cas ; je montre des applications précisément pour dire que l'on ne doit pas justifier les sciences par des critères extérieurs, mais internes).
Puis j'ai montré les lieux : nous avons parcouru le laboratoire, nous sommes entrés dans des pièces, nous avons vu des appareils, nous avons vu des locaux, des équipements, etc.
Là encore, ce n'est donc pas le travail scientifique, mais son environnement.
Puis nous avons approché une question scientifique, en partant d'une expérience qui m'empêche de dormir : l'effet Pastis. Je n'entre pas ici dans les détail, car j'ai déjà traité cela ailleurs.
Là, je souris quand même, car, dans l'introduction de ma présentation, j'avais annnoncé que je montrerais "ce qui m'empêche de dormir", et, alors que j'avais oublié ce point après la visite des locaux, un de nos jeunes amis m'a demandé ce qui m'empêchait de dormir : mon "titre" avait fonctionné.
Et finalement, j'ai conclus que rien de ce que j'avais montré n'était de la recherche scientifique, laquelle est certes à bases expérimentales, mais surtout théorique, avec des calculs, des équations.
D'où l'enjeu du journalisme, quand il considère les sciences de la nature : comment expliquer au public cet aspect essentiel, fondamental, le seul qui soit au coeur de la question ?
Oui, comment expliquer les équations à un public qui ne les comprend pas ?
On peut toujours botter en touches, mais cela ne résout pas la question : on ne fait pas le vrai travail qu'il faudrait faire.
Oui, il faut répéter que les sciences de la nature partent d'expérimentations, et qu'elles doivent conduire à des calculs, car "le monde est écrit en langage mathématique".
Et l'on pourra donc (devra ?) présenter les expérimentations... mais ce n'est qu'un travail technique. L'expérience vaut moins par son déroulé que par son résultat.
Et ce résultat se jauge à la théorie, aux équations.
J'ai déjà dit notre faillite du journalisme scientifique, à ce propos, et j'ai cité le cas de l'astrophysicien Stephen Hawkins, à qui un éditeur avait dit de ne pas mettre d'équations. De ce fait, notre collègue en était resté à du vernis. Des circonstances, de l'externe, de l'environnement.
La question est difficile... parce que je crois surtout que l'on a abdiqué. Il est temps de se reprendre... en dépassant la presse de la presse, en se donnant le temps de faire ce qui est vraiment utile.
Mon idée du journalisme scientifique : dire qu'une fusée a décollé est sans intérêt ; il faut expliquer comment on fait décoller une fusée, avec des explications suffisantes pour que l'on puisse presque le faire soi-même.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
Affichage des articles dont le libellé est environnement. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est environnement. Afficher tous les articles
jeudi 20 janvier 2022
Le journalisme scientifique montre-t-il vraiment le travail scientifique ? Ses résultats ?
jeudi 12 janvier 2012
Dénonçons les marchands de peur!
Il y a des pensées nauséabondes et des pensées salutaires. Léon Guéguen
Directeur de Recherches honoraire de l’Inra, publie dans Choledoc une version modifiée d'un article qu'il avait publié dans Sciences et Pseudo Sciences, le journal de l'AFIS :
"Une surenchère médiatique de livres, films et articles de presse fait de plus en plus endosser par l’agriculture, notamment conventionnelle, la responsabilité de la prétendue toxicité des aliments et de l’apparente incidence croissante de diverses maladies, dont les cancers. Même une revue de consommateurs dont l’objectivité scientifique devrait être le fil rouge de la ligne éditoriale, emboite le pas par des titres accrocheurs comme « Manger sain » ou « Périls en l’assiette ». La parole est alors donnée à des journalistes ou médecins semeurs d’anxiété tandis que les avis des experts scientifiques indépendants sont systématiquement ignorés lorsqu’ils sont rassurants ou pas « politiquement corrects ». Le but est de faire peur, car cela fait vendre !
Et pourtant l’espérance de vie, à tout âge et en meilleure santé, ne cesse de croître (3 mois par an en France) et, contrairement à des déclarations prématurées, et dont d’aucuns semblaient paradoxalement se réjouir, augmente toujours aussi aux Etats-Unis selon le dernier rapport du National Center for Health Statistics (1), malgré des régimes alimentaires souvent déséquilibrés
et l’épidémie d’obésité.
Les résidus chimiques dans notre assiette
Bien sûr, l’alimentation n’est pas innocente et des comportements alimentaires extrêmes ont indéniablement des effets délétères sur la santé (excès de calories, de sel ou d’alcool, végétalisme strict, déficiences ou carences...) mais, plus que l’équilibre nutritionnel, ce sont les aliments qui sont suspectés, surtout pour les
« résidus chimiques » qu’ils véhiculent. Le meilleur exemple est le rapport récemment publié (2)par l’association « Générations Futures » avec plusieurs partenaires écologistes sur le menu-type (constitué selon les recommandations du Programme national Nutrition-Santé) de l’enfant de 10 ans, révélant la consommation sur une seule journée de 128 « résidus chimiques » provenant de 81 substances différentes. Un message délibérément alarmiste par les grands nombres énoncés et par la cible sensible des enfants Et pourtant, paradoxalement, ce constat devrait plutôt être rassurant puisque la LMR (limite maximale de résidu) n’est presque jamais dépassée (1,5 % des cas) Les méthodes modernes d’analyse et les appareils de mesure de plus en plus performants permettent de détecter des traces de tout et par-tout, ce qui ne signifie pas que ces traces sont dangereuses ! Avec le progrès, « le zéro devient de plus en plus petit » !
Les consommateurs devraient aussi être rassurés par le rapport de l’Anses (3) publié le 30 juin 2011 donnant les résultats de l’étude nationale de surveillance des expositions alimentaires aux substances chimiques, deuxième étude de l’alimentation totale (EAT 2) des Français. Portant sur 212 types d’aliments et 445 substances chimiques recherchées, l’évaluation de l’exposition de la population générale a été faite à partir des données de consommation alimentaire de l’étude Inca-2 menée par l’Afssa entre 2005 et 2007. Les analyses (230 000 résultats obtenus par une douzaine de laboratoires de référence) ont porté sur la partie comestible des aliments préparés « tels que consommés », par exemple lavés ou épluchés dans le cas de la plupart des fruits et légumes.
Les conclusions de l’étude sont particulièrement rassurantes puisque tout risque de dépassement de la valeur toxicologique de référence (VTR) est écarté pour 85 % des substances étudiées et que, pour plus de 95 % des résidus des 283 substances actives phytopharmaceutiques considérées, les taux sont conformes à
la réglementation. Le rapport conclut que « de manière générale, ces résultats témoignent d’un bon niveau de maîtrise sanitaire au regard des seuils réglementaires et des valeurs toxicologiques disponibles ».
Malgré des VTR récemment réévaluées à la baisse, seules quelques substances présentent un risque de dépassement le plomb, le cadmium, l’arsenic inorganique et l’acrylamide. Pour quelques autres substances le risque existe
seulement en cas de consommation excessivee certains aliments : méthylmercure (thon), dioxines et PCB (poissons gras), une mycotoxine (céréales mal conservées), le diméthoate (insectide pour cerisier), les sulfites (vin) et parfois le cuivre (vin, raisin, tomate, pomme de terre traités par du sulfate de cuivre).
Doit-on remettre en cause les doses journalières admissibles ?
Bien sûr, à défaut d’autre argument, il est de bonne guerre de remettre en cause, et parfois avec un aplomb désarmant, des LMR calculées à partir des DJA (dose journalière admissible) pourtant établies par des groupes internationaux d’experts qui ne sont pas tous, comme il est trop facile de le décréter, « à la solde de l’industrie chimique ».
Autre argument récurrent l’effet « cocktail » de : l’association de plusieurs substances chimiques. Il est vrai que la connaissance de ces éventuelles synergies ou additivités est insuffisante mais les preuves de leur existence manquent aussi. Quoi qu’il en soit, des effets à cibles différentes (par exemple cancérogènes, neurotoxiques ou perturbateurs endocriniens) ne s’additionnent pas et, compte tenu de la très grande marge de sécurité adoptée pour fixer les DJA et les LMR (avec des facteurs de 100 à 10 000), il y a de la place pour de telles synergies sans effet délétère sur la santé ! Enfin, si l’on considère les centaines de substances présentes à l’état de traces (naturelles ou de synthèse dans les aliments, inhalées et provenant de l’environnement, déposées sur la peau ), la mise en évidence de telles synergies devient expérimentalement quasi impossible. De plus, si l’on suspecte des synergies qui amplifient les effets nocifs, il faudrait alors aussi envisager de possibles antagonismes qui les atténuent !
Comme l’absence de preuve d’un effet n’est pas la preuve d’une absence d’effet, il n’est évidemment pas question d’affirmer a priori l’innocuité totale à long terme de toute faible dose, notamment pendant des phases critiques comme la période
fœtale et périnatale. Plusieurs organismes français de recherche (Inserm, Inra) et de biosurveillance (InVS, Anses), un grand projet européen (REACh) et des structures internationales (dont le Comité mixte FAO/OMS) s’en préoccupent, notamment pour des perturbateurs endocriniens (phtalates, alkylphénols, parabènes, composés perfluorés ou polybromés) actuellement de plus en plus sur la sellette, voire en cours d’interdiction (bisphénol A), malgré l’insuffisance reconnue des preuves épidémiologiques de leur toxicité chez l’homme.
Ces études épidémiologiques, qui doivent porter sur de très grands nombres de cas, sont longues, difficiles et coûteuses. Elles conduisent à suspecter un produit mais rarement à démontrer sa nocivité. Et comment attribuer, en évitant les
biais d’interprétation, l’éventuel effet à long terme d’une substance chimique isolée parmi les centaines de produits auxquels nous sommes exposés Serions-nous alors condamnés à appliquer systématiquement le principe de précaution et bientot ne plus rien manger ?
Quelle est la part de l’agriculture dans cette pollution chimique ?
Les produits chimiques utilisés pour la production végétale sont les engrais minéraux et les pesticides (insecticides, fongicides, herbicides). Les premiers
sont des aliments de la plante pour lesquels le terme « résidu » est impropre puisqu’il s’agit d’éléments minéraux comme l’azote, le phosphore et le potassium naturellement présents. Même les nitrates, parfois accumulés par excès dans certains légumes, sont inoffensifs et plusieurs étude récentes leur attribuent même des effets bénéfiques sur la santé (4,5). Les seconds sont des médicaments qui peuvent avoir des effets indésirables et c’est pourquoi leurs résidus dans les aliments sont la principale préoccupation des consommateurs. Là aussi, il ne faudrait pas faire l’amalgame, comme le font les marchands de peur, entre les doses reçues par les agriculteurs qui appliquaient ces produits souvent sans protection suffisante (et qui ont encouru des risques avérés pour leur santé) et les doses résiduelles consommées qui sont de l’ordre du million de fois plus faibles (surtout après lavage, épluchage ou cuisson).
De plus, le nombre de substances autorisées a été diminué par cinq depuis 30 ans, toutes les molécules les plus dangereuses ont été interdites (sels arsenicaux, composés organomercuriels, DDT, HCH et autres organochlorés ) et plusieurs dizaines d’autres molécules sont en cours de retrait dans le cadre du Plan Ecophyto 2018.
Le dernier rapport de l’EFSA sur les résidus de pesticides dans les aliments a été publié en novembre (The 2009 European Union Report on Pesticide Residues in Food. EFSA Journal, 2011, 9, 2430). Il montre que la situation évolue favorablement en Europe puisque la LMR n’a été dépassée en 2009 que dans 1,2 % des produits et qu’aucun résidu de pesticide n’a été détecté dans 99,7 % des aliments d’origine animale (lait, viande, œuf).
Dans la liste citée par l’étude très ponctuelle de « Générations futures » concernant le menu-type de l’enfant (2), les pesticides ne sont impliqués que
dans environ un tiers des 128 « résidus » décelés. Toutes les autres contaminations ne sont pas imputables à l’agriculture et proviennent de l’environnement (dioxines/furanes, PCBs, retardateurs de flamme, éléments traces toxiques, plastifiants des emballages, constituants des peintures, des
détergents, des substances biocides de la maison ou du jardin, du mobilier, des textiles, des cosmétiques, des jouets, des gaz de combustion...) ou
de la transformation industrielle ou culinaire des aliments (acrylamide, benzopypyrène ). Cela est confirmé par l’étude EAT2 de l’Anses (3), la plus
importante jamais réalisée en France, puisque parmi les quelques résidus chimiques incriminés, seul relève des pratiques agricoles intensives un
insecticide (le diméthoate). Aucun autre cas de contamination à risque sanitaire n’est imputable à l’agriculture conventionnelle. En effet, pour le cadmium, seuls les phosphates naturels autorisés en agriculture biologique sont souvent riches en cadmium (la teneur limite fixée est plutôt laxiste et équivaut à environ 30 mg par kg de phosphate), ce qui n’est pas le cas des phosphates traités et purifiés, pauvres en cadmium, utilisés en agriculture conventionnelle.
Les perturbateurs endocriniens potentiels les plus incriminés ne sont pas majoritairement d’origine agricole. Enfin, il ne faut pas non plus attribuer à
la production agricole l’ajout, volontaire et contrôlé, d’arômes et de divers additifs alimentaires (conservateurs, colorants, auxiliaires de fabrication ) auto-
risés, qui ne sont pas des polluants et dont l’innocuité est garantie. Il faut aussi souligner que les contaminants inhalés (amiante, particules fines,
solvants...) sont bien plus dangereux que ceux de nos aliments car ils ne sont pas dégradés par la digestion ou partiellement arrêtés par la barrière intestinale.
L’agriculture biologique est-elle la solution ?
Faut-il manger Bio pour se protéger des résidus chimiques ? Rien n’est moins sûr et les études comparatives ne permettent pas de le démontrer (6). En effet, si le risque d’y trouver des résidus de pesticides de synthèse est logiquement très faible, les aliments Bio contiennent aussi des dizaines de « résidus chimiques ». Comme les autres, ils sont exposés (parfois plus pour les productions de plein-air ou par l’emploi d’engrais organiques ou de phosphates naturels) à diverses contaminations (7). Il s’y ajoute les résidus de pesticides « naturels » autorisés (mais souvent ignorés dans les enquêtes), notamment le cuivre, dont certains
sont neurotoxiques (roténone récemment interdite) ou perturbateurs endocriniens (azadirachtine de l’huile de neem), et les centaines de toxines naturelles de défense produites par les plantes non traitées (8). Quels sont donc les « résidus » les moins toxiques Ceux qui résultent de l’usage contrôlé de substances chimiques homologuées, réglementées et aux effets bien étudiés ou bien les résidus « naturels » de produits de traitement non homologués (parce que naturels) ou fabriqués par la plante et dont les effets sur la santé sont souvent
inconnus ou ignorés Par exemple, pourquoi focaliser les craintes sur les perturbateurs hormonaux de synthèse en oubliant les phytoestrogènes natu-
rellement bien plus abondants dans certains aliments comme le soja, voire les parabènes naturels présents dans divers végétaux Encourager la consommation d’aliments Bio dans le but de « purifier » l’assiette des enfants serait donc illusoire et opposer agriculture conventionnelle et agriculture biologique sous prétexte de sécurité sanitaire des aliments n’a pas de sens.
Par ailleurs, serait-ce souhaitable d’offrir aux enfants une alimentation totalement « chimiquement aseptisée » ? En effet, il faudrait aussi mieux étudier et considérer l’éventuel « effet hormesis », genre d’immunisation par une exposition prolongée à de très faibles doses, dont l’effet protecteur est bien connu dans le cas des substances potentiellement allergènes, voire de la radioactivité...
Résidus chimiques et cancer
Le principal épouvantail agité pour faire craindre les aliments est évidemment le cancer. Il est vrai que, selon les dernières données de l’InVS (9, 10) et du
Circ, son incidence a considérablement augmenté depuis 30 ans et, si l’on soustrait les causes liées à la démographie et au vieillissement de la popula-
tion, cette augmentation serait de l’ordre de 40 %.
Or, le seul cancer de la prostate suffit presque à expliquer l’augmentation chez les hommes (et résulte pour une grande part d’un surdiagnostic par un dépistage massif), tandis que le tabac et le dépistage systématique du cancer du sein seraient majoritairement en cause chez les femmes (11, 12). Il reste donc peu de place (quelques %) pour les causes liées à l’environnement, et il s’agit alors
surtout de situations professionnelles (particules diverses dont l’amiante, poussières et vapeurs chimiques, éventuellement pesticides chez les agriculteurs ). Aucun rapport d’experts récent n’a mis en cause les traces résiduelles de pesticides des aliments dans l’augmentation du risque de cancer.
Même pour les agriculteurs, les plus exposés aux pesticides, la grande enquête Agrican (Agriculture et Cancer), entreprise par la MSA et soutenue, entre autres, par l’Anses et plusieurs organismes et associations de lutte contre le cancer, qui vient d’être publiée (13), a montré que leur espérance de vie était plus grande que la moyenne nationale et que la fréquence de décès par cancer était plus
faible de 27 % par rapport à la population générale. Bien qu’ayant été obtenues sur une cohorte de plus de 50 000 hommes déclarant avoir utilisé des pesticides, ces données sont tellement contraires aux idées reçues qu’elles ne manqueront
pas d’être mises en doute, voire « canardées », par des médias hostiles à l’agriculture conventionnelle.
Enfin, n’est-il pas paradoxal de conseiller de suivre les recommandations du PNNS de consommer 5 fruits ou légumes par jour en sachant que 98 % de ces aliments ne sont pas Bio et que près de la moitié contiennent donc des résidus détectables de pesticides de synthèse ? Tous les effets bénéfiques des fruits et légumes ont été constatés sur des produits conventionnels qui représentent plus de 97 % des quantités consommées ! Alors ?
Nourrir le monde sans produits chimiques ?
Enfin, il faut savoir, question de bon sens, qu’une production alimentaire mondiale suffisante ne pourra pas être assurée sans le recours aux engrais minéraux pour obtenir des rendements décents et sans un minimum de produits phytosanitaires pour éviter les énormes pertes de récoltes. Ceux qui proclament à l’envi, en citant partiellement les déclarations d’un rapporteur spécial de l’ONU (14), que l’on pourrait doubler le rendement des céréales « sans aucun intrant chimique », omettent de préciser qu’il s’agit des régions du monde où ce rendement est actuellement de l’ordre de 1 tonne par hectare (il est en France de 7-8 tonnes pour le blé et de plus de 9 tonnes pour le maïs) Même dans les meilleures conditions de mise en œuvre sur des sols fertiles, l’agriculture biologique permet difficilement des rendements du blé supérieurs à 3,5 tonnes par hectare. Alors, n’est-il pas préférable, pour nourrir le monde, de favoriser des modes d’agriculture moins dogmatiques, raisonnée, intégrée, HVE (à haute valeur environnementale) ou « écologiquement intensive » qui préservent aussi l’environnement sans renoncer à tout intrant « chimique » et donc sans forte diminution des rendements ?
Pour conclure
L’exposition aux polluants chimiques alimentaires ou atmosphériques, qu’ils soient artificiels ou naturels, a toujours existé et était incomparablement moins (voire pas du tout) évaluée et contrôlée, et bien plus dangereuse, il y a 50 ans. Alors, soyons donc positifs et n’écoutons pas les faiseurs d’opinion en quête de notoriété médiatique dont les messages anxiogènes (les seuls qui se vendent bien) sont la cause d’une épidémie d’angoisse, d’orthorexie et d’hypochondrie qui, pouvant atteindre le stade de la psychose collective, est bien plus néfaste à la santé que les infimes traces chimiques résiduelles dans notre assiette !
Léon Guéguen
Directeur de Recherches honoraire de l’Inra
(1) National Center for Health Statistics.
Deaths: prelimirary data for 2009.,
vol. 59, numéro, 4, mars 2011.
(2) Associations Générations futures,
HEAL, RES et WWF-France.
Menus toxiques : enquête sur les
substances toxiques présentes dans
notre alimentation, déc. 2010.
www.menustoxiques.fr
(3) Anses
Etude de l’alimentation totale des
Français (EAT2). Etude nationale de
surveillance des expositions alimen-
taires aux substances chimiques
(2006-2010). Rapport de juin 2011.
www.anses.fr
(4) L’Hirondel JL, Avery AA, Addiscott TM
Dietary nitrate: where is the risk?
Environ Health Perspect, 2006, 114 :
A458-459.
(5) Hord NG, Tang Y, Bryan NS
Food sources of nitrates and nitrites:
the physiological context for potential
health benefits.
Am J Clin Nutr, 2009, 90 : 1-10.
(6) Dangour AD, Lock K, Hayter A et al
Nutrition-related health effects of
organic foods: a systematic review.
Am J Clin Nutr, 2010, 92: 203-210.
(7) Guéguen L, Pascal G.
Le point sur la valeur nutritionnelle
et sanitaire des aliments issus de
l’agriculture biologique.
Cah Nutr Diétét, 2010, 45 : 130-143.
(8) Winter CK, Davis SF
Organic Foods
J Food Sci, 2006, 71 : R1174-2124.
(9) Belot A, Grosclaude P, Bossard N
et al.
Cancer incidence and mortality in
France over the period 1980-2005.
Rev Epidemiol Santé Publ, 2008, 56 :
159-175.
(10) Belot A, Velten M, Grosclaude P
et al.
Estimation nationale de l’incidence et
de la mortalité par cancer en France
entre 1980 et 2005.
Institut de Veille sanitaire, 2008, 132p.
(11) Jordan B.
L’incidence sans cesse croissante des
cancers...
Sciences et pseudo-sciences, 2006,
274 : 34-37.
(12) Estève J.
Le rôle de l’épidémiologie dans la
controver se « environnement et
cancer ».
Sciences et pseudo-sciences, 2009,
286 : 12-21.
(13) Agrican (Agriculture et cancer)
Rappor t de la MSA soutenu p ar
l’Anses, la Ligue contre le cancer, la
Fondation de France.
Juin 2011.
(14) De Schutter O.
Agroécologie et droit à l’alimentation.
Rapport, mars 2011. www.srfood.org
Directeur de Recherches honoraire de l’Inra, publie dans Choledoc une version modifiée d'un article qu'il avait publié dans Sciences et Pseudo Sciences, le journal de l'AFIS :
"Une surenchère médiatique de livres, films et articles de presse fait de plus en plus endosser par l’agriculture, notamment conventionnelle, la responsabilité de la prétendue toxicité des aliments et de l’apparente incidence croissante de diverses maladies, dont les cancers. Même une revue de consommateurs dont l’objectivité scientifique devrait être le fil rouge de la ligne éditoriale, emboite le pas par des titres accrocheurs comme « Manger sain » ou « Périls en l’assiette ». La parole est alors donnée à des journalistes ou médecins semeurs d’anxiété tandis que les avis des experts scientifiques indépendants sont systématiquement ignorés lorsqu’ils sont rassurants ou pas « politiquement corrects ». Le but est de faire peur, car cela fait vendre !
Et pourtant l’espérance de vie, à tout âge et en meilleure santé, ne cesse de croître (3 mois par an en France) et, contrairement à des déclarations prématurées, et dont d’aucuns semblaient paradoxalement se réjouir, augmente toujours aussi aux Etats-Unis selon le dernier rapport du National Center for Health Statistics (1), malgré des régimes alimentaires souvent déséquilibrés
et l’épidémie d’obésité.
Les résidus chimiques dans notre assiette
Bien sûr, l’alimentation n’est pas innocente et des comportements alimentaires extrêmes ont indéniablement des effets délétères sur la santé (excès de calories, de sel ou d’alcool, végétalisme strict, déficiences ou carences...) mais, plus que l’équilibre nutritionnel, ce sont les aliments qui sont suspectés, surtout pour les
« résidus chimiques » qu’ils véhiculent. Le meilleur exemple est le rapport récemment publié (2)par l’association « Générations Futures » avec plusieurs partenaires écologistes sur le menu-type (constitué selon les recommandations du Programme national Nutrition-Santé) de l’enfant de 10 ans, révélant la consommation sur une seule journée de 128 « résidus chimiques » provenant de 81 substances différentes. Un message délibérément alarmiste par les grands nombres énoncés et par la cible sensible des enfants Et pourtant, paradoxalement, ce constat devrait plutôt être rassurant puisque la LMR (limite maximale de résidu) n’est presque jamais dépassée (1,5 % des cas) Les méthodes modernes d’analyse et les appareils de mesure de plus en plus performants permettent de détecter des traces de tout et par-tout, ce qui ne signifie pas que ces traces sont dangereuses ! Avec le progrès, « le zéro devient de plus en plus petit » !
Les consommateurs devraient aussi être rassurés par le rapport de l’Anses (3) publié le 30 juin 2011 donnant les résultats de l’étude nationale de surveillance des expositions alimentaires aux substances chimiques, deuxième étude de l’alimentation totale (EAT 2) des Français. Portant sur 212 types d’aliments et 445 substances chimiques recherchées, l’évaluation de l’exposition de la population générale a été faite à partir des données de consommation alimentaire de l’étude Inca-2 menée par l’Afssa entre 2005 et 2007. Les analyses (230 000 résultats obtenus par une douzaine de laboratoires de référence) ont porté sur la partie comestible des aliments préparés « tels que consommés », par exemple lavés ou épluchés dans le cas de la plupart des fruits et légumes.
Les conclusions de l’étude sont particulièrement rassurantes puisque tout risque de dépassement de la valeur toxicologique de référence (VTR) est écarté pour 85 % des substances étudiées et que, pour plus de 95 % des résidus des 283 substances actives phytopharmaceutiques considérées, les taux sont conformes à
la réglementation. Le rapport conclut que « de manière générale, ces résultats témoignent d’un bon niveau de maîtrise sanitaire au regard des seuils réglementaires et des valeurs toxicologiques disponibles ».
Malgré des VTR récemment réévaluées à la baisse, seules quelques substances présentent un risque de dépassement le plomb, le cadmium, l’arsenic inorganique et l’acrylamide. Pour quelques autres substances le risque existe
seulement en cas de consommation excessivee certains aliments : méthylmercure (thon), dioxines et PCB (poissons gras), une mycotoxine (céréales mal conservées), le diméthoate (insectide pour cerisier), les sulfites (vin) et parfois le cuivre (vin, raisin, tomate, pomme de terre traités par du sulfate de cuivre).
Doit-on remettre en cause les doses journalières admissibles ?
Bien sûr, à défaut d’autre argument, il est de bonne guerre de remettre en cause, et parfois avec un aplomb désarmant, des LMR calculées à partir des DJA (dose journalière admissible) pourtant établies par des groupes internationaux d’experts qui ne sont pas tous, comme il est trop facile de le décréter, « à la solde de l’industrie chimique ».
Autre argument récurrent l’effet « cocktail » de : l’association de plusieurs substances chimiques. Il est vrai que la connaissance de ces éventuelles synergies ou additivités est insuffisante mais les preuves de leur existence manquent aussi. Quoi qu’il en soit, des effets à cibles différentes (par exemple cancérogènes, neurotoxiques ou perturbateurs endocriniens) ne s’additionnent pas et, compte tenu de la très grande marge de sécurité adoptée pour fixer les DJA et les LMR (avec des facteurs de 100 à 10 000), il y a de la place pour de telles synergies sans effet délétère sur la santé ! Enfin, si l’on considère les centaines de substances présentes à l’état de traces (naturelles ou de synthèse dans les aliments, inhalées et provenant de l’environnement, déposées sur la peau ), la mise en évidence de telles synergies devient expérimentalement quasi impossible. De plus, si l’on suspecte des synergies qui amplifient les effets nocifs, il faudrait alors aussi envisager de possibles antagonismes qui les atténuent !
Comme l’absence de preuve d’un effet n’est pas la preuve d’une absence d’effet, il n’est évidemment pas question d’affirmer a priori l’innocuité totale à long terme de toute faible dose, notamment pendant des phases critiques comme la période
fœtale et périnatale. Plusieurs organismes français de recherche (Inserm, Inra) et de biosurveillance (InVS, Anses), un grand projet européen (REACh) et des structures internationales (dont le Comité mixte FAO/OMS) s’en préoccupent, notamment pour des perturbateurs endocriniens (phtalates, alkylphénols, parabènes, composés perfluorés ou polybromés) actuellement de plus en plus sur la sellette, voire en cours d’interdiction (bisphénol A), malgré l’insuffisance reconnue des preuves épidémiologiques de leur toxicité chez l’homme.
Ces études épidémiologiques, qui doivent porter sur de très grands nombres de cas, sont longues, difficiles et coûteuses. Elles conduisent à suspecter un produit mais rarement à démontrer sa nocivité. Et comment attribuer, en évitant les
biais d’interprétation, l’éventuel effet à long terme d’une substance chimique isolée parmi les centaines de produits auxquels nous sommes exposés Serions-nous alors condamnés à appliquer systématiquement le principe de précaution et bientot ne plus rien manger ?
Quelle est la part de l’agriculture dans cette pollution chimique ?
Les produits chimiques utilisés pour la production végétale sont les engrais minéraux et les pesticides (insecticides, fongicides, herbicides). Les premiers
sont des aliments de la plante pour lesquels le terme « résidu » est impropre puisqu’il s’agit d’éléments minéraux comme l’azote, le phosphore et le potassium naturellement présents. Même les nitrates, parfois accumulés par excès dans certains légumes, sont inoffensifs et plusieurs étude récentes leur attribuent même des effets bénéfiques sur la santé (4,5). Les seconds sont des médicaments qui peuvent avoir des effets indésirables et c’est pourquoi leurs résidus dans les aliments sont la principale préoccupation des consommateurs. Là aussi, il ne faudrait pas faire l’amalgame, comme le font les marchands de peur, entre les doses reçues par les agriculteurs qui appliquaient ces produits souvent sans protection suffisante (et qui ont encouru des risques avérés pour leur santé) et les doses résiduelles consommées qui sont de l’ordre du million de fois plus faibles (surtout après lavage, épluchage ou cuisson).
De plus, le nombre de substances autorisées a été diminué par cinq depuis 30 ans, toutes les molécules les plus dangereuses ont été interdites (sels arsenicaux, composés organomercuriels, DDT, HCH et autres organochlorés ) et plusieurs dizaines d’autres molécules sont en cours de retrait dans le cadre du Plan Ecophyto 2018.
Le dernier rapport de l’EFSA sur les résidus de pesticides dans les aliments a été publié en novembre (The 2009 European Union Report on Pesticide Residues in Food. EFSA Journal, 2011, 9, 2430). Il montre que la situation évolue favorablement en Europe puisque la LMR n’a été dépassée en 2009 que dans 1,2 % des produits et qu’aucun résidu de pesticide n’a été détecté dans 99,7 % des aliments d’origine animale (lait, viande, œuf).
Dans la liste citée par l’étude très ponctuelle de « Générations futures » concernant le menu-type de l’enfant (2), les pesticides ne sont impliqués que
dans environ un tiers des 128 « résidus » décelés. Toutes les autres contaminations ne sont pas imputables à l’agriculture et proviennent de l’environnement (dioxines/furanes, PCBs, retardateurs de flamme, éléments traces toxiques, plastifiants des emballages, constituants des peintures, des
détergents, des substances biocides de la maison ou du jardin, du mobilier, des textiles, des cosmétiques, des jouets, des gaz de combustion...) ou
de la transformation industrielle ou culinaire des aliments (acrylamide, benzopypyrène ). Cela est confirmé par l’étude EAT2 de l’Anses (3), la plus
importante jamais réalisée en France, puisque parmi les quelques résidus chimiques incriminés, seul relève des pratiques agricoles intensives un
insecticide (le diméthoate). Aucun autre cas de contamination à risque sanitaire n’est imputable à l’agriculture conventionnelle. En effet, pour le cadmium, seuls les phosphates naturels autorisés en agriculture biologique sont souvent riches en cadmium (la teneur limite fixée est plutôt laxiste et équivaut à environ 30 mg par kg de phosphate), ce qui n’est pas le cas des phosphates traités et purifiés, pauvres en cadmium, utilisés en agriculture conventionnelle.
Les perturbateurs endocriniens potentiels les plus incriminés ne sont pas majoritairement d’origine agricole. Enfin, il ne faut pas non plus attribuer à
la production agricole l’ajout, volontaire et contrôlé, d’arômes et de divers additifs alimentaires (conservateurs, colorants, auxiliaires de fabrication ) auto-
risés, qui ne sont pas des polluants et dont l’innocuité est garantie. Il faut aussi souligner que les contaminants inhalés (amiante, particules fines,
solvants...) sont bien plus dangereux que ceux de nos aliments car ils ne sont pas dégradés par la digestion ou partiellement arrêtés par la barrière intestinale.
L’agriculture biologique est-elle la solution ?
Faut-il manger Bio pour se protéger des résidus chimiques ? Rien n’est moins sûr et les études comparatives ne permettent pas de le démontrer (6). En effet, si le risque d’y trouver des résidus de pesticides de synthèse est logiquement très faible, les aliments Bio contiennent aussi des dizaines de « résidus chimiques ». Comme les autres, ils sont exposés (parfois plus pour les productions de plein-air ou par l’emploi d’engrais organiques ou de phosphates naturels) à diverses contaminations (7). Il s’y ajoute les résidus de pesticides « naturels » autorisés (mais souvent ignorés dans les enquêtes), notamment le cuivre, dont certains
sont neurotoxiques (roténone récemment interdite) ou perturbateurs endocriniens (azadirachtine de l’huile de neem), et les centaines de toxines naturelles de défense produites par les plantes non traitées (8). Quels sont donc les « résidus » les moins toxiques Ceux qui résultent de l’usage contrôlé de substances chimiques homologuées, réglementées et aux effets bien étudiés ou bien les résidus « naturels » de produits de traitement non homologués (parce que naturels) ou fabriqués par la plante et dont les effets sur la santé sont souvent
inconnus ou ignorés Par exemple, pourquoi focaliser les craintes sur les perturbateurs hormonaux de synthèse en oubliant les phytoestrogènes natu-
rellement bien plus abondants dans certains aliments comme le soja, voire les parabènes naturels présents dans divers végétaux Encourager la consommation d’aliments Bio dans le but de « purifier » l’assiette des enfants serait donc illusoire et opposer agriculture conventionnelle et agriculture biologique sous prétexte de sécurité sanitaire des aliments n’a pas de sens.
Par ailleurs, serait-ce souhaitable d’offrir aux enfants une alimentation totalement « chimiquement aseptisée » ? En effet, il faudrait aussi mieux étudier et considérer l’éventuel « effet hormesis », genre d’immunisation par une exposition prolongée à de très faibles doses, dont l’effet protecteur est bien connu dans le cas des substances potentiellement allergènes, voire de la radioactivité...
Résidus chimiques et cancer
Le principal épouvantail agité pour faire craindre les aliments est évidemment le cancer. Il est vrai que, selon les dernières données de l’InVS (9, 10) et du
Circ, son incidence a considérablement augmenté depuis 30 ans et, si l’on soustrait les causes liées à la démographie et au vieillissement de la popula-
tion, cette augmentation serait de l’ordre de 40 %.
Or, le seul cancer de la prostate suffit presque à expliquer l’augmentation chez les hommes (et résulte pour une grande part d’un surdiagnostic par un dépistage massif), tandis que le tabac et le dépistage systématique du cancer du sein seraient majoritairement en cause chez les femmes (11, 12). Il reste donc peu de place (quelques %) pour les causes liées à l’environnement, et il s’agit alors
surtout de situations professionnelles (particules diverses dont l’amiante, poussières et vapeurs chimiques, éventuellement pesticides chez les agriculteurs ). Aucun rapport d’experts récent n’a mis en cause les traces résiduelles de pesticides des aliments dans l’augmentation du risque de cancer.
Même pour les agriculteurs, les plus exposés aux pesticides, la grande enquête Agrican (Agriculture et Cancer), entreprise par la MSA et soutenue, entre autres, par l’Anses et plusieurs organismes et associations de lutte contre le cancer, qui vient d’être publiée (13), a montré que leur espérance de vie était plus grande que la moyenne nationale et que la fréquence de décès par cancer était plus
faible de 27 % par rapport à la population générale. Bien qu’ayant été obtenues sur une cohorte de plus de 50 000 hommes déclarant avoir utilisé des pesticides, ces données sont tellement contraires aux idées reçues qu’elles ne manqueront
pas d’être mises en doute, voire « canardées », par des médias hostiles à l’agriculture conventionnelle.
Enfin, n’est-il pas paradoxal de conseiller de suivre les recommandations du PNNS de consommer 5 fruits ou légumes par jour en sachant que 98 % de ces aliments ne sont pas Bio et que près de la moitié contiennent donc des résidus détectables de pesticides de synthèse ? Tous les effets bénéfiques des fruits et légumes ont été constatés sur des produits conventionnels qui représentent plus de 97 % des quantités consommées ! Alors ?
Nourrir le monde sans produits chimiques ?
Enfin, il faut savoir, question de bon sens, qu’une production alimentaire mondiale suffisante ne pourra pas être assurée sans le recours aux engrais minéraux pour obtenir des rendements décents et sans un minimum de produits phytosanitaires pour éviter les énormes pertes de récoltes. Ceux qui proclament à l’envi, en citant partiellement les déclarations d’un rapporteur spécial de l’ONU (14), que l’on pourrait doubler le rendement des céréales « sans aucun intrant chimique », omettent de préciser qu’il s’agit des régions du monde où ce rendement est actuellement de l’ordre de 1 tonne par hectare (il est en France de 7-8 tonnes pour le blé et de plus de 9 tonnes pour le maïs) Même dans les meilleures conditions de mise en œuvre sur des sols fertiles, l’agriculture biologique permet difficilement des rendements du blé supérieurs à 3,5 tonnes par hectare. Alors, n’est-il pas préférable, pour nourrir le monde, de favoriser des modes d’agriculture moins dogmatiques, raisonnée, intégrée, HVE (à haute valeur environnementale) ou « écologiquement intensive » qui préservent aussi l’environnement sans renoncer à tout intrant « chimique » et donc sans forte diminution des rendements ?
Pour conclure
L’exposition aux polluants chimiques alimentaires ou atmosphériques, qu’ils soient artificiels ou naturels, a toujours existé et était incomparablement moins (voire pas du tout) évaluée et contrôlée, et bien plus dangereuse, il y a 50 ans. Alors, soyons donc positifs et n’écoutons pas les faiseurs d’opinion en quête de notoriété médiatique dont les messages anxiogènes (les seuls qui se vendent bien) sont la cause d’une épidémie d’angoisse, d’orthorexie et d’hypochondrie qui, pouvant atteindre le stade de la psychose collective, est bien plus néfaste à la santé que les infimes traces chimiques résiduelles dans notre assiette !
Léon Guéguen
Directeur de Recherches honoraire de l’Inra
(1) National Center for Health Statistics.
Deaths: prelimirary data for 2009.,
vol. 59, numéro, 4, mars 2011.
(2) Associations Générations futures,
HEAL, RES et WWF-France.
Menus toxiques : enquête sur les
substances toxiques présentes dans
notre alimentation, déc. 2010.
www.menustoxiques.fr
(3) Anses
Etude de l’alimentation totale des
Français (EAT2). Etude nationale de
surveillance des expositions alimen-
taires aux substances chimiques
(2006-2010). Rapport de juin 2011.
www.anses.fr
(4) L’Hirondel JL, Avery AA, Addiscott TM
Dietary nitrate: where is the risk?
Environ Health Perspect, 2006, 114 :
A458-459.
(5) Hord NG, Tang Y, Bryan NS
Food sources of nitrates and nitrites:
the physiological context for potential
health benefits.
Am J Clin Nutr, 2009, 90 : 1-10.
(6) Dangour AD, Lock K, Hayter A et al
Nutrition-related health effects of
organic foods: a systematic review.
Am J Clin Nutr, 2010, 92: 203-210.
(7) Guéguen L, Pascal G.
Le point sur la valeur nutritionnelle
et sanitaire des aliments issus de
l’agriculture biologique.
Cah Nutr Diétét, 2010, 45 : 130-143.
(8) Winter CK, Davis SF
Organic Foods
J Food Sci, 2006, 71 : R1174-2124.
(9) Belot A, Grosclaude P, Bossard N
et al.
Cancer incidence and mortality in
France over the period 1980-2005.
Rev Epidemiol Santé Publ, 2008, 56 :
159-175.
(10) Belot A, Velten M, Grosclaude P
et al.
Estimation nationale de l’incidence et
de la mortalité par cancer en France
entre 1980 et 2005.
Institut de Veille sanitaire, 2008, 132p.
(11) Jordan B.
L’incidence sans cesse croissante des
cancers...
Sciences et pseudo-sciences, 2006,
274 : 34-37.
(12) Estève J.
Le rôle de l’épidémiologie dans la
controver se « environnement et
cancer ».
Sciences et pseudo-sciences, 2009,
286 : 12-21.
(13) Agrican (Agriculture et cancer)
Rappor t de la MSA soutenu p ar
l’Anses, la Ligue contre le cancer, la
Fondation de France.
Juin 2011.
(14) De Schutter O.
Agroécologie et droit à l’alimentation.
Rapport, mars 2011. www.srfood.org
Inscription à :
Articles (Atom)