La question de la documentation est bien connue des informaticiens, qui enchaînent des lignes de programme et qui arrivent à des programmes énormes... Comment y dépister des erreurs ? Comment les modifier ultérieurement ? Quand c'est programmes ne sont ni structurés ni expliqués, c'est impossible.
Et c'est la raison pour laquelle on n'insiste jamais assez : il faut documenter.
D'ailleurs, cette documentation n'est pas pour seulement pour les autres, mais pour soi-même, et c'est la raison pour laquelle on doit d'abord penser à un organigramme, qui consigne en français ce qui sera codé.
Puis il faudra entrer dans le détail, et indiquer par des phrases en français (des "commentaires") ce que font les opérations que l'on met en oeuvre.
Ce qui vaut pour l'informatique vaut évidemment pour le calcul algébrique, le calcul matriciel, tous les calculs en réalité.
Et insistons : il ne s'agit pas seulement de faire cela pour les autres, mais pour soi-même !
J'ai encore vu hier l'exemple de feuilles de calcul de certains amis qui enchaînaient les opérations sans aucune phrase en français... et qui étaient perdus.
Evidemment, quand ils m'ont soumis le problème qu'ils ne parvenaient pas à résoudre seuls (puisqu'ils étaient perdus), je n'y suis pas arrivé, parce que même eux ne savaient pas dire ce qu'ils avaient fait.
Il y a un point encore supplémentaire à donne, qui est que le calcul algébrique notamment est fondé sur la pensée en langage naturel : on n'a pas assez répété que les équations ne sont que des expressions d'idées en langage forme. Une équation correspond à une idée en langage naturel.
Bien sûr, il y a quelques génies qui calculent comme chantent les rossignols, qui n'ont plus besoin de cette traduction, mais avant d'être un génie, il y a lieu d'apprendre à le devenir, et le seul fait que les jeunes qui apprennent fassent des erreurs montre qu'ils n'ont pas encore atteint cet état. Ils doivent donc apprendre tranquillement, et cela passe par de la documentation... qui ne doit pas se faire à posteriori, mais a priori !
Car on conservera aussi cette idée que nous devons avoir des objectifs clairs sans quoi nous ne pourrons pas trouver les chemins qui y mènent.
Oui, quand on fait un calcul il y a un objectif et on ne se lance pas au hasard vers cet objectif, mais selon un chemin qui doit avoir été prédéterminé.
Autrement dit, il faut dire en français quel est l'objectif, puis soliloquer (par écrit !) pour analyser le chemin, les étapes. Et soliloquer encore pour dire comment on parcourera les petits segments du chemin entre les étapes.
Et c'est alors amusant : souvent, ayant ainsi écrit en français, la traduction mathématique ou informatique devient évidente !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 20 mars 2021
Il faut documenter : j'y reviens !
lundi 21 septembre 2020
Rêver... activement !
science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement
1. Je dis souvent aux étudiants qu'il faut rêver... mais je me reprends quasi immédiatement : rêver efficacement, activement !
2. De quoi s'agit-il ? Face à une question un peu difficile, nous ne parvenons pas toujours à trouver facilement une solution, souvent parce que nous manquons d'une stratégie fiable de recherche de la solution. Et l'on peut s'interroger sur la façon de nous y prendre.
3. Ma proposition consiste évidemment toujours à bien poser la question, puis à l'analyser par un soliloque, avant de proposer une solution, puis d'imaginer une évaluation de la solution trouvée.
4. Mais quand, malgré nos efforts, nous n'y parvenons pas ? Ou quand, dans un temps imparti limité, nous n'avons pas trouvé la solution ? C'est là que je parle de rêve : une fois l'analyse bien posée (par écrit !), on va se coucher... et souvent la solution apparaît pendant la nuit, comme par miracle.
5. J'insiste un peu : c'est bien rare que la solution arrive quand on n'a pas d'abord bien cherché, quand on n'a pas passé du temps, activement, à décortiquer la question. Donc rêve, oui, mais rêve actif !
6. Et je ne saurais assez recommander la technique, parce que ce moment où la solution survient est un grand bonheur, qui correspond à ce que Martin Gardner, fervent promoteur des "jeux mathématiques", qui tint une chronique mensuelle dans Scientific American, nommait "le haha, ou l'éclair de la compréhension mathématique". Il en a fait un livre épatant, que je vous recommande évidemment.
6. Oui, rêvons, mais n'oublions que seuls ceux qui ont fait un long chemin sont soudainement déposés par les fées de l'"intuition", de l'avant-dernière étape jusqu'au but de leur cheminement.
lundi 10 juin 2019
Répondre à un examinateur
Comment se comporter devant un examinateur ?
Je propose deux cas :
- celui où le candidat sait répondre à la question posée,
- et le cas où il ne sait pas.
1. S'il sait répondre, l'affaire est assez facilement réglée, mais attention à ne pas laisser une perle dans le fumier. Quand on sait répondre, on a intéret à prendre le plus grand soin à bien mettre en valeur la réponse. Par oral, on ira droit au but, sans hésitations. Par écrit, on ne manquera pas de soigner l'écriture, la mise en page, l'orthographe...
2. Si le candidat ne sait pas répondre, tout n'est pas perdu, car il y a toujours cette merveilleuse métaphore du taureau qui fonce quand on agite devant lui un torchon rouge : l'examinateur étant un enseignant, son but est de voir l'apprenant réussir à apprendre. Autrement dit, le candidat doit montrer qu'il a appris, même s'il n'a pas spécifiquement appris le point qui lui est demandé et qu'il ignore.
A savoir aussi : il y a des cas où l 'on veut un ordre de grandeur, et d'autres où l'on cherche une solution exacte. En début de réponse, bien se demander dans quel cas on est.
Plus généralement, il y a des points importants :
- ne pas sauter sur la réponse en coupant la parole à l'examinateur, et ne pas rester silencieux trop longtemps quand la question a été donnée. Dans le premier cas, on montre qu'on n'est pas sûr de soi (surtout si on ne sait pas !), et, dans le second, on risque de faire penser qu'on est imbécile. Il y a un bon dosage à trouver : un temps de réflexion qui montre que l'on sait réfléchir, puis on répète la question posée, calmement, mot à mot, ce qui donne des pistes pour y réfléchir.
- ne pas chercher à bourrer le mou de l'examinateur : rien n'est plus déplaisant que quelqu'un qui ignore la réponse à la question mais, avec beaucoup d'aplomb, cherche à nous faire croire qu'il sait.
- prendre du recul... ce qui conduit parfois à trouver la solution qu'on ignorait.
Et c'est là où ce billet peut (souhaite) être utile. Oui, répétons la question, en nous demandant d'abord - à voix haute- si l'on nous demande une solution formelle (des équations), ou bien un ordre de grandeur, ou bien un résultat numérique juste. Cela, c'est de la stratégie, et ça montre que l'on a du recul sur la question et sur l'examen en général.
Puis il faut soliloquer (voir cela dans d'autres billets), à savoir prendre chaque mot de la question comme on prendrait un fil d'une pelote de laine : on dit le mot, on le considère (toujours à voix haute), et l'on dévide ce que l'on sait à propos de ce mot. Par exemple, supposons que l'on soit interrogé sur la différence de température entre le bas et le haut de la tour Eiffel par un examinateur qui attend des calculs de thermodynamique classique, on peut évoquer les mots "hauteur", "atmosphère", puis penser (toujours à voix haute) que la pression diminue avec l'altitude, évoquer la relation des gaz parfaits, et, surtout, évoquer la thermodynamique classique, laquelle est une science qui considère des équilibres, et qui discute les phénomènes en termes d'énergie, et ainsi de suite : tout ce que nous aurons dit ne suffira pas à répondre la question, mais nous aurons montré que nous ne sommes pas totalement ignorants.
Un exemple ?
Soit la question « Combien de cheveux sur ma tête ? ».
Une mauvaise réponse est un « je ne sais pas », qui n'a que le mérite de l'honnêteté (2/20 ?).
Une autre mauvaise réponse est « dix millions », parce que c'est du bluff idiot.
Le mieux, c'est quand on analyse la question, qu'on la remâche.
Des cheveux sur la tête ? On fait un dessin, on voit que les cheveux sont désordonnées et à des distances variées, donc on fait un modèle simplificateur, en les plaçant aux sommets d'un réseau, carré si possible.
Puis on fait une hypothèse : disons que les cheveux sont espacés de un millimètre, ce qui en fait 100 par centimètres carré. A raison d'une tête de 20 centimètres par 20 centimètres, cela fait 400 centimètres carrés, et l'on triplera pour considérer la nuque et les côtés, soit 1200 centimètres carrés, soit finalement 120000 cheveux.
Là, l'ordre de grandeur est bon, et il faudrait être mal intentionné pour récuser une telle réponse, surtout si elle est énoncée aimablement (autant être poli : cela ne coûte rien).
Évidemment, il est bon de savoir que les meilleurs sont ceux qui savent répondre à toutes les questions... parce qu'ils ont déjà considéré toutes les réponses... d'autant que, s'ils étaient face à une situation nouvelle, ils seraient armés pour répondre, mais puisque tous ne sont pas ainsi, au moins, je serais heureux de contribuer à les aider.
jeudi 15 novembre 2018
J'aime, je n'aime pas...
Il y a la litanie de ce que je reçois des étudiants qui postulent pour des stages dans notre groupe, et je me hâte de dire que, malgré ces déclarations, nous les acceptons a priori, parce que la règle de notre groupe, c'est d'aider des amis à apprendre, quel que soient leur "niveau".
Mais je ne discute pas ici le fait que ces "j'aime" ou "je n'aime pas" soient si stéréotypés (les voyages, la "nature", les parfums, les cosmétiques...). Si je préfère d'emblée ceux qui aiment quelque chose (esprit positif) à ceux qui n'aiment pas (esprit négatif), je veux surtout discuter des affirmations données sans justifications, et qui, en réalité, sont à l'opposé d'une des devises de notre laboratoire, qui est de reconnaître que nous sommes ce que nous faisons. Il ne s'agit pas d'aimer ou de ne pas aimer, mais de faire !
D'ailleurs, un conseil pour les étudiants qui font des CV : s'il vous plaît, évitez les "je suis décidé, attentif, soigneux, impliqué", car tout cela est du baratin. Dites plutôt ce que vous avez fait de bien.
Mais passons. Ce que j'observe, c'est que ces "j'aime" ou "je n'aime pas" sont souvent des généralités très abusives, et donc très contestables.
Par exemple, je reçois trop d'étudiants qui "n'aiment pas l'industrie". Ils n'aiment pas l'industrie ? Analysons que cette dernière produit des biens et des services qu'elle vend aux citoyens. Mais, au fond, la fonction publique ne reçoit-elle pas, aussi, de l'argent des mêmes citoyens, pour des services qu'elle rend (ou doit rendre) ?
Et puis, on me dit ne pas aimer l'industrie, mais... toute l'industrie ? Je connais aussi bien des petites et des grosses entreprises parfaitement éthiques, et des services de l'état qui mériteraient d'être réformés. La généralisation est décidément trop dangereuse pour que l'on puisse dire "j'aime" ou "je n'aime pas" d'une façon si naïve, si enfantine.
Plus positivement, le "j'aime" ou "je n'aime pas" sont une façon (paresseuse) de ne pas décortiquer ce goût, de ne pas produire une argumentation... qui justifierait ou réfuterait ces affirmations.
Que l'on me comprenne bien : je ne conteste évidemment pas que nos amis puissent s'"exprimer" (beuh), mais je propose quand même d'aller un peu plus loin, d'identifier les raisons pour lesquelles il pourrait aimer ou ne pas aimer. Il n'y a pas de peur à avoir à faire de tel d'analyses, sauf que je vois certains crispés sur leurs goûts, pour des raisons familiales, sociales, d'environnement... Mais quand même, ne vaut-il pas mieux poser la question très tôt, avant de s'engager dans une voie où seule une fossilisation et de la mauvaise foi nous ferais rester ?
Souvent, les étudiants à qui je propose de se lancer dans une analyse de leurs goûts (et je ne parle même pas de leurs valeurs) ne voient pas comment questionner leurs goûts, mais j'ai donné la réponse ailleurs : il s'agit de faire un soliloque, méthode que l'on trouvera ici notamment : http://www.scilogs.fr/vivelaconnaissance/le-soliloque-et-le-calcul/. En gros, il s'agit d'interroger chaque mot, de le décortiquer, de creuser un peu, progressivement, de proche en proche.
Pour ce qui me concerne, c'est ce que j'ai fait pendant longtemps à propos de ma signature automatique qui était "vive la chimie", et cela m'a conduit à une meilleure compréhension de l'objet que je chérissais de façon enfantine. Je peux témoigner que, à l'issue de ce processus, j'aime sans doute mieux la chimie que je ne l'aimais, car j'ai mieux compris ce qu'elle était, et qu'elle était la chimie que j'aimais. Le plus difficile a sans doute été de débouter les "bons sentiments" qui venaient entraver le raisonnement, ces espèces d'instincts animaux qui nous piègent dans des postures qui semble indiscutable, au sens littéral du terme.
Mais pour conclure cette question épineuse, je crois pouvoir dire que le plus difficile est d'être assez courageux pour s'interroger sur soi-même, en profondeur, au lieu de rester un enfant paresseux.
lundi 20 novembre 2017
Comment participer à une discussion
Soit deux personnes qui se rencontrent. Les êtres humains sont « sociaux », ce qui signifie que le but ultime de la rencontre doit être de faire mieux sentir la « réunion », c'est-à-dire la satisfaction de ce besoin animal de socialité.
lundi 25 juillet 2016
La méthode du soliloque formel
Pour mieux cerner la notion, il faut revenir à l'idée de départ, qui était celle du soliloque. Le soliloque est une méthode que j'ai proposée il y a plusieurs années et qui consiste à développer successivement une idée, exprimée par une phrase, à partir de chacun des mots utilisés dans la phrase, puis on répète l'opération. On part de l'énoncé d'une idée, on discute chaque terme, puis on discute alors les termes nouvellement énoncés, et, se construit ainsi, quasi automatiquement ; un discours buissonnant, et donc nécessairement un peu baroque, que l'on peut ensuite « mettre au carré ». J'aime assez la comparaison avec un buisson, où des tiges croissent, un peu en désordre, s'entourent de rameux, de feuilles, de sorte qu’immanquablement on arrive à une touffe désordonnée, sans beaucoup de construction apparente, et qu'il faut ensuite rabattre, pour donner une forme voulue.
Cette méthode du soliloque, nous l'utilisons largement au laboratoire, mais avec des mots du langage naturel, et je n'oublie pas que certains d'entre nous sont si familiers avec les équations, le calcul, les mathématiques, qu'ils en viennent à calculer comme le rossignol chante.
L'idée qui m'est venue hier, c'est celle d'un soliloque « mathématique », avec des équations que l'on enchaîne ainsi, les unes à la suite des autres. On sait que je distingue deux activités, à savoir les mathématiques et le calcul, la différence portant sur l'objectif : pour les mathématiques, il s'agit de développer… les mathématiques; pour le calcul, il s'agit d'utiliser les mathématiques pour décrire des phénomènes de la nature. Bien sûr, on peut faire de la physique "avec les mains" (cela signifie "avec des mots du langage naturel"), mais il y a alors deux cas : la vulgarisation, que je ne considère pas ici, et pour laquelle les équations sont hors sujet, et cette physique telle que la faisait Pierre-Gilles de Gennes, où presque tout tient dans des lois générales telles que « la surface varie comme le carré du rayon ». Dans un tel cas, on peut y mettre des mots, mais ils sont en réalité inutiles, où, plus exactement, ils ne semblent servir qu'à définir les objets mathématiques que l'on utilise ensuite : on aurait ainsi pu dire A ∼ r2. C'est pour cette activité-là qu'un premier soliloque mathématique est possible.
# Mais il y en a un deuxième, un soliloque mathématique proprement dit, pour des mathématiques, et l'on ne saurait en discuter sans se souvenir que Henri Poincaré proposait que les mathématiques ne soient pas déductives, mais inductives.
Quel nom pour ces soliloques-là ? Stricto sensu, on ne doit nommer « soliloque mathématique » que celui que je viens de considérer, où il est question de mathématiques, et non de calcul. Pour les sciences de la nature ? Cette fois, il ne s'agit pas de mathématiques, mais de calcul. Devrions-nous dire soliloque calculatoire ? La terminologie n'est guère jolie. Soliloque équationnel ? Là encore, ça sent un peu la transpiration. Soliloque théorique ? Ce serait un peu idiosyncratique, avec l'hypothèse implicite que nous ne considérons que la nature. Soliloque formel ? Cette fois, c'est plus conforme à l'idée que les sciences de la nature font usage de formalismes. Je propose de rester à cette terminologie, et à l'envisager maintenant plus en détail.
Comment faire un soliloque formel ? Je propose que nous considérions d'abord un cas particulier, et notamment un cas tout récent d'un calcul effectué hier sur la quantité de graisses perdues lorsqu'on extrait ces dernières à l'aide d'un solvant organique.
La description initiale consiste à décrire le "modèle", par exemple de façon simple, en imaginant un "compartiment" avec de l'eau et de la graisse, un solvant que l'on pose dessus, et qui extrait la matière grasse en laissant une partie de celle-ci dans le compartiment aqueux. Chaque compartiment est alors caractérisé quantitativement, formellement, par une masse d'eau, de solvant, de graisse présente dans ce compartiment particulier.
Ce premier calcul étant fait (il est simple), on développe, en revenant sur chaque notion : par exemple, on considère que la graisse initiale peut-être sous trois forme : surnageant, en solution, en suspension sous la forme de gouttelettes... et l'on écrit les équations de ces trois formes, tout au long du processus d'extraction.
Ce second "modèle" étant fait, on peut faire mieux, en considérant que les graisses sont de plusieurs sortes, de sorte que l'on divise la partie "graisses", et attribuant des comportements différents aux graisses solubles dans le solvant, et aux graisses qui ne sont que partiellement solubles.
Et ainsi de suite à l'infini. Ce soliloque se distingue-t-il d'autres formes plus classiques de modélisation ? Oui... mais je le discuterai une autre fois.
mercredi 20 juillet 2016
Simplisme et soliloque
Aujourd'hui, c'est la question du simplisme que je discute surtout.
J'ai dit que j'y voyais une sorte de faute, ou d'ignorance. Quelque chose de simpliste est faux, soit par décision (par "volonté"), soit par absence de décision (inadvertance, ignorance...). Dire quelque chose de faux par volonté, c'est quand même malhonnête (il y a donc une "faute")... ou de l'humour, puisque l'on se reportera à un autre billet où j'évoquais la question de l'ironie. Dire quelque chose de faux sans le vouloir, ce n'est plus une faute, mais en tout cas au moins une erreur.
A ces mots, je ne peux m'empêcher de penser à cette phrase de l'écrivain français Paul Valéry, selon qui tout ce qui est simple est faux, et tout ce qui n'est pas simple est inutilisable. Mouais... Je me méfie des formules, qui ont l'air d'établir de façon définitive des idées que l'on gagne quand même à discuter en détail.
C'est un fait qu'il y a des mélodies simples, et qu'elles sont belles dans leur simplicité : pas trop de note, un mouvement mélodique. C'est un fait qu'il y a, en sciences de la nature, des idées remarquables de simplicité. Par exemple le calcul du volume d'une cloche, ou ce que l'on nomme le "changement de variable", trouvé par ce génie qu'était le physicien allemand Ludwig Boltzmann, pour résoudre l'équation de diffusion (pensons à une goutte de colorant déposée dans un verre d'eau, et qui finit par disparaître, au hasard des chocs entre les molécules), ou encore cette idée merveilleuse selon laquelle une différence de produits en croix peut correspondre à un objet nommé déterminant, lequel peut s'interpréter de façon géométrique... Les exemples sont innombrables, et ils fascinent certains, au point qu'ils se lèvent le matin pour aller parcourir ce monde du calcul.
Donc la formule de Valéry n'est pas juste, et je ne vois pas d'excuse à ne pas chercher la simplicité, à défaut de la trouver. Bien sûr, je ne suis pas certain d'être moi-même sans tâche, puisque je suis "baroque", comme dit précédemment, mais l'intention compte aussi. Et puis, il y a la simplicité "locale", et la simplicité "globale" : dans un discours, un cours, une explication, les phrases peuvent être individuellement simples, mais la construction finale, globale, peut être compliquée, parce que le chemin est long, avec beaucoup de phrases qui s'enchaînent, ou parce qu'il faut expliquer beaucoup de notions, afin que le raisonnement puisse s'ériger jusqu'au point voulu. Mais quand même, déjà si chaque étape élémentaire est simple, on pressent l'effort.
Mais, là, je commence à verser dans une théorisation de l'explication simple, et je me sais bien incapable d'aller plus loin. C'est une piste qui risque de nous conduire... vers des contrées compliquées parce que mal connues.
Je termine donc en considérant cette enfilade de trois billets sur la simplicité : ce que je vois en action, c'est cette méthode du "soliloque", exposée dans des billets précédents, et qui secrète des idées par l'examen des mots. Pardonnez-moi d'en venir à penser (il faut se comporter en scientifique, et non pas en tant que scientifique) que, pour les sciences de la nature, la question des mots est moins intéressante que celle des calculs, des équations... de sorte que, au détour de ces discussions sur la simplicité, j'entrevois la possibilité de "soliloques de calcul". Cette idée m'éblouit tant que je ne peux plus fixer mon esprit sur la simplicité. Je m'arrête donc... pour me mettre à penser à cette nouvelle idée que je sens merveilleuse.
mercredi 1 juin 2016
Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse (utilise la méthode du soliloque)
La question posée, si l'on peut dire
Nous sommes bien d'accord : mon objectif est de grandir et d'aider mes amis à grandir également. Grandir, cela signifie être autonome, tenir sur ses deux jambes. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas discuter avec nos amis, mais n'aurions-nous pas raison de chercher à être indépendant, à penser par nous-mêmes?
Dans nos travaux scientifiques, l'objectif est d'arriver à produire de la science de bonne qualité, collectivement bien sûr, mais aussi individuellement. Albert Einstein n'avait pas besoin de grand monde pour l'aider à produire de la science, pas plus que Michael Faraday, ou Paul Dirac, ou Galilée. Même sans nous comparer à de tels grands anciens, nous pouvons avoir l'ambition de bien faire, ce qui impose que nous y pensions (toujours, y penser toujours). De ce fait, je crois que c'est une mauvais position, pour les étudiants, que de venir poser leurs questions et recevoir les réponses à ces questions. N'est-il pas préférable qu'ils cherchent eux-mêmes les réponses, et apprennent à trouver ces dernières ? Évidemment, pour ne pas faire de catastrophe, ils pourront soumettre les réponses qu'ils auront trouvées, afin que l'on corrige des fautes éventuelles, qu'on les remette sur la bonne voie s'ils se sont fourvoyés. Après tout, les professeurs ont pour eux l'avantage des années, ce qui signifie en pratique d'avoir déjà fait un très grand nombre d'erreurs et, les ayant analysées, d'être capable de ne pas les refaire.
C'est donc cela que je propose aux étudiants : chercher les réponses aux questions qu'ils se posent, trouver ces réponses, et les soumettre, à moi ou aux autres membres du Groupe de gastronomie moléculaire.
On ne rejette pas des amis !
En réalité, cette dynamique (j'avais écrit "règle", mais le mot "dynamique" représente mieux l'état d'esprit de notre groupe de recherche) n'est pas venue immédiatement, mais je l'ai instaurée quand j'ai vu que certains se reposaient entièrement sur les autres, et que, de de fait, ils perdaient l'intérêt de leur stage, qui, selon la loi, consiste à transformer des connaissances en compétences.
J'avais donc d'abord écrit sur la porte : « Tu as une question, mais quelle est ta réponse ? ». A cette proposition, certains de nos jeunes amis m'ont dit assez justement que s'ils venaient m'interroger, c'est précisément qu'ils n'avait pas la réponse. L'avaient-ils cherché assez ? Je ne sais pas, mais il est vrai que, au minimum, je devais leur demander s'il avait cherché assez. C'est donc ce que j'ai d'abord fait, mais certains sont alors revenus après un long moment en ayant « séché » : malgré du temps passé, ils n'arrivaient pas à trouver la réponse, parce qu'ils leur manquait une méthode pour chercher et pour trouver.
C'est alors que j'ai mis au point cette « méthode du soliloque » qui est au minimum une pratique correcte de chercher, laquelle conduit presque immanquablement à trouver.
Qu'est-ce que cette méthode ?
Elle est fondée sur l'observation selon laquelle nos tête sont pleines de pensées tourbillonnantes, qui nous empêchent de nous focaliser sur les questions que nous devons analyser. D'autre part, l'exercice de la pensée met en oeuvre au moins de la déduction et de l'induction, et si l'induction est quelque chose de bien difficile, la déduction devrait être à la portée de tous… à condition de bien s'y prendre. La méthode du soliloque se fonde sur une hypothèse due à l'abbé Condillac et reprise par Antoine Laurent de Lavoisier, qui consiste à supposer que les pensées sont véhiculées par des mots. De la sorte, en considérant bien les mots, nous pourrions corriger nos erreurs intellectuelles, et progresser dans l'analyse des questions.
L'analyse du soliloque propose en substance d'analyser par écrit les raisonnements que nous faisons à propos de questions que nous nous posons. C'est une méthode très efficace, qui est développée dans des documents mis en ligne et que j'ai fini par proposer aux étudiants qui venaient m'interroger.
On se souvient que je propose de penser qu'il y a des obligations de moyens ou des obligations de résultats. L'obligation de résultats n'est pas demandée aux médecins, par exemple, parce qu'ils ne peuvent pas garantir qu'ils sauveront les patients de la mort. En revanche, les médecins ont une obligation de moyen, ce qui signifie qu'ils doivent connaître les bonnes pratiques de leur profession et les mettre en oeuvre. Les étudiants étant... des étudiants, je ne leur demande pas des résultats, mais seulement d'apprendre. Et, apprendre, c'est (pour ceux qui n'ont rien de mieux à proposer) mettre en oeuvre la méthode du soliloque, afin de devenir progressivement capable de trouver les réponses aux questions que l'on se pose.
Ce qui est merveilleux, avec cette proposition de mettre en oeuvre la méthode du soliloque, c'est que progressivement, les étudiants parviennent vraiment à trouver des réponses aux questions qu'ils se posent. Au pire, ils ont appris la méthode du soliloque, c'est-à-dire une analyse fondée sur un usage sain des mots.. ce qui est quand même un bon début, à défaut d'être le résultat visé.
samedi 22 août 2015
Comment le soliloque conduit à de nouvelles idées
Mais la "méthode du soliloque" est aussi une de mes trouvailles (je ne prétends pas que d'autres n'aient pas quelque chose d'analogue, mais je n'en ai pas connaissance), qui permet à la fois de penser, d'écrire, de parler.
De quoi s'agit-il ? Je me suis inspiré de Denis Diderot (qui n'a jamais produit, à ma connaissance toujours, de méthode analogue à celle que je discute ici), qui, dit-on, était inmanquable : quand on entrait dans un café où Diderot se trouvait, on le repérait immédiatement, parce qu'il gesticulait, haranguait son entourage avec feu... Dans l'Encyclopédie, il est nécessairement plus calme, mais le feu est alors intellectuel. Et, surtout, sa correspondance nous le montre vif argent. Comment a-t-il pu écrire autant ? Sur tant de sujet ? Certes, il s'est mis en condition de le faire, mais j'imagine aussi qu'il devait avoir une méthode intime, et, puisque je ne connais pas cette méthode, je l'ai inventée... et c'est cela que j'ai nommé la méthode du soliloque.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de reconnaître que notre esprit est encombré de mille idées variées, et que, pour penser, il nous faut nous focaliser sur une idée seulement. Ce qui me fait penser que, quand les enseignants disent à des élèves ou étudiants "concentrez-vous", l'injonction est bien étrange, car comment faire pour se concentrer ? La méthode du soliloque est une réponse.
J'y reviens, donc : notre esprit est plein d'idées disparates qui sont en concurrence (les impôts, le plombier, un rendez vous à organiser, penser à ses clefs...) et cela nous gêne pour penser. Si nous parlons (à voix haute, dans un dictaphone) ou si nous écrivons, alors un seul mot sort à la fois, et si nous avons ce mot sous les yeux (parce que nous écrivons ou parce qu'un logiciel de reconnaissance vocale nous le transcrit), alors nous pouvons fixer plus facilement notre attention.
Voilà pour la première moitié de la méthode. La seconde moitié, c'est de considérer chaque mot qui est déjà émis, et de l'analyser, de tous les points de vue qui sont en notre possession... et c'est là où la "culture" est essentielle. Analysant, d'autres mots sont émis, qui seront analysés à leur tour, et se constituera ainsi un discours que nous pourrons ultérieurement ordonner.
Bien sûr, cette méthode foisonnante fait risque le bourgeonnement baroque excessif, mais à nous, ensuite, d'ordonner, de construire a posteriori.
Je passe sur des tas de détails de la méthode, car je n'en fais pas ici un cours, mais je m'arrête sur une observation : n'est-il pas merveilleux que, ainsi, la pensée sécrète la pensée ?
Pour celles et ceux qui sont intéressés par cette question, il y aura à considérer les discussions sur le langage... et c'est ainsi que, parti de Condillac, on y revient !