Il faut être juste : j'ai critiqué les cuisiniers qui, interviewés, disent tous, sans être originaux, "Je veux que mes clients soient heureux" et "Je cuisine des produits frais". Mais je me trouve un peu injuste.
Pas pour la déclaration sur les produits frais : imagine-t-on qu'un restaurateur puisse dire "Je cuisine des produits qui ne sont pas frais" ? Ou alors, ce serait un spécialiste des produits fermentés, par exemple... et la mode du fermenté devrait nous trouver cela. Mais là, nos amis cuisiniers partiraient de produits frais, pour faire leurs fermentations.
Mais c'est à propos des clients heureux que j'étais un peu injuste, parce que je critiquais leurs propos en disant :
- peut-on imaginer qu'un cuisinier ne veuille pas rendre ses clients heureux ?
- ils manquent d'originalité en disant tous la même chose.
Pour la première critique, je la maintiens, mais c'est à propos de l'originalité que je m'en veux... car que diraient des scientifiques interviewés sur leurs objectifs ? Tous répondraient : "Je cherche à lever un coin du grand voile"... sans originalité.
Bien sûr, c'est à chacun de dire comment il fait, plus en détail, et c'est là que réside l'originalité (il y a des "styles", en science), mais sur l'objectif, tous ont le même !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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mardi 18 février 2020
vendredi 20 juillet 2018
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs
A propos d'études, je rencontre un cas intéressant, avec des étudiants que je convainc d'utiliser le livre Calcul différentiel et intégral, de Nicolas Piskounov. Ces étudiants ont des lacunes mathématiques (comme nous tous), et le livre, qui est élémentaire mais très bien, leur sera certainement utile. J'ai réussi mon coup : les étudiants ont été jusqu'à acheter le livre ! Bien sûr, je leur ai fait des reproches : une copie papier, alors qu'ils disposaient d'un pdf ! Pourquoi sont-ils ainsi restés collés aux siècles passés (le papier) ? Allons, au fond, nous devons commencer par nous réjouir de leur démarche.
Que vont-ils faire du livre ? Le lire, sans doute, un peu ; peut-être l'annoter, le « travailler ». Mais pourquoi feront-ils cela ? Parce qu'ils ont le sentiment qu'ils doivent le faire ? Parce que je leur ai donné l'envie de le faire ? Un peu des deux, sans doute, mais je ne peux m'empêcher de comparer cette manière avec celle qui était la mienne, quand, adolescent, j'ai eu moi-même ce livre entre les mains. Je me souviens de cet immense bonheur ! Dans mon cas, il n'y avait pas d'objectif dont le livre aurait été le chemin, à savoir que ce livre, et les connaissances qu'il transmet, n'était pas une obligation pour arriver quelque part, mais bien plutôt le plaisir lui-même. Il n'était pas question de besoin, de devoir, d'obligation, ni d'énergie communiquée par autrui, mais d'une énergie interne, intrinsèque, le bonheur de découvrir des objets que je pressentais aimer. Bien sûr, mon amour pour ces objets était naïf, enfantin, mais il était intrinsèque, et pas extrinsèque, et je pense que cela fait beaucoup de différence.
Certains s'amusent de voir au chevet de mon lit de tels ouvrages (chimie organique, mécanique quantique...), qui sont la possibilité de quelques instants de bonheur avant de dormir. On retrouve ici cette idée que je développe souvent, et qui vient des Jésuites : « Il ne faut pas agir en tant que Chrétien, mais en Chrétien ». Pour ce qui concerne les calculs, il se trouve que j'ai personnellement un immense plaisir à les faire, à les ruminer, à les perfectionner, à les refaire, à les améliorer…
Mon cas personnel est sans intérêt dans cette discussion, et c'est plutôt une manière particulière de vivre que je cherche à décrire, et que je retrouve, d'ailleurs, décrite avec presque les mêmes mots, par Michel Debost, flûtiste de talent et auteur d'un merveilleux livre d’enseignement de la flûte. Pour Debost, même les gammes, les exercices a priori les plus rébarbatifs doivent être du bonheur, et ils le sont pour lui. Et c'est précisément parce que Debost aime jouer de la flûte qu'il en joue, sans chercher à savoir si les exercices sont ou non en prévision d'un concert. Pour lui, les exercices sont un bonheur intrinsèque, et pas extrinsèque, et cela fait encore toute la différence, car celle ou celui qui a fait du bonheur à faire les choses les fera sans compter son temps, sans chercher des circonstances favorables pour le faire. Ce qui nous amène aux réflexions de Francis Crick, initialement physicien, qui décida de changer de discipline quand il s'aperçut qu'il s'intéressait surtout à la biologie. Il reçut le prix Nobel quelques années après.
Oui, la première chose à faire est donc sans doute de chercher en nous quels sont nos bonheurs intrinsèques. Des bonheurs actifs, et non pas des bonheurs passifs tels que regarder inutilement des séries à la télé. Comptons honnêtement le temps que nous passons à faire des choses qui nous abaissent : discussions sans intérêt, consommation passive de la télévision ou des journaux… Si l'on admet avec certains professeurs du conservatoire de musique qu'il faut 4000 heures de travail pour devenir un violoncelliste raisonnable, à défaut d'être bon ou talentueux, alors nous pouvons mettre en perspective tout ce temps perdu. Décidément, je crois avoir raison de détester ce mot de « consommateurs », pour préférer celui de citoyen. Face à ceux qui veulent nous gaver tels des oies, résistons, apprenons à résister.
Il me reste ici deux points à discuter : cette résistance que je viens d'évoquer, et le « travail » que je prononcé plus haut.
A propos de résistance, il me semble qu'elle doit être enseignée dès l'école, car il s'agit là d'un vrai devoir civique, pas d'une attitude individualiste idiote, mais d'une double responsabilité individuelle et collective. Nous ne pouvons pas laisser nos enfants devenir des consommateurs : c'est irresponsable.
A propos de travail, maintenant. J'ai évoqué 4000 heures de travail… mais pour certains qui connotent péjorativement le mot « travail », il y a sans doute là quelque chose de terrible, de rebutant. Je propose toutefois de convoquer ce proverbe alsacien que j'ai modifié pour le faire plus juste: « le travail a des racines et des fruits délicieux ». Le proverbe initial dit que le travail a des racines amères et des fruits délicieux, mais c'est parce que c'est un travail extrinsèque, et non pas intrinsèque, comme discuté précédemment. Si l'activité, mot qu'il faut peut être préférer au travail, a son bonheur en elle-même, alors évidement elle n'a pas des racines amères, mais des racines délicieuses.
Quant à ses fruits… On s'en moque peut-être un peu, car quand on est dans le plaisir du chemin, on n'est pas dans le désespoir de ne pas avoir atteint le but. Oui, donc, l'objectif doit certainement être posé en premier, mais une fois posé, il y a le chemin que l'on parcourt, et si l'on s'est débarrassé d’un objectif lointain, alors on peut se concentrer sur le chemin, qui devient l'objectif lui-même, et l'on a alors le bonheur de se promener, de flâner… Activement, bien sûr, mais le chemin est le vrai bonheur !
samedi 2 septembre 2017
Le plaisir de l'expérience bien faite
C'est amusant comme tout change lorsque l'on passe d'un contexte où l'enseignant contraint les étudiants à un système où chaque étudiant est personnellement en charge de sa propre destinée.
Ainsi, moi qui adorait la physique chimique depuis l'âge de six ans, je me suis étonné, pendant mes études supérieures, de voir que je n'avais pas d'intérêt pour faire spécialement bien ce que l'on me demandait, notamment les travaux pratiques. Et pourtant, ces manipulations étaient de celles que je m'amusais à faire chez moi ! A l'analyse, je crois que je n'avais pas envie de faire plaisir aux enseignants qui me demandaient ces travaux... preuve que le système était mal conçu, puisque j'aurais dû me faire plaisir à moi même.
Certes, les travaux pratiques proposés manquaient de sens, de contexte, notamment parce que les enseignants s'étaient arrêtés à produire des protocoles sans grâce, qui nous étaient transmis sans justification, un peu anonymement, et, je le répète, sans que le sens de tout cela n'apparaisse.
On me fera observer que j'aurais dû y mettre mon intelligence (voir les billets où j'explique que la poussière du monde n'existe que si nous la faisons exister), mais, à l'époque, je ne voyais pas l'intérêt de ce qui m'était proposé : je ne voyait ni la difficulté de ces travaux pratiques, sans le piquant de la difficulté, donc, ni leur intérêt réel, parce qu'aucun autre objectif que local n'apparaissait : il s'agissait de simples travaux conventionnels, utiles pour ceux qui ne les avaient pas faits, mais inutiles pour ceux qui étaient un peu en avance. Or cela faisait des années que je savais déjà faire les manipulations proposées ! Oui, il manquait au minimum cet aiguillon qu'est la difficulté, la sensation d'apprendre vraiment, et, je le répète, je manquais de l'intelligence qui m'aurait permit de mettre du passionnant dans du banal.
A l'inverse, aujourd'hui, au laboratoire, je trouve nos expérimentations passionnantes, et pour plusieurs raisons. L'une des premières, c'est que ces expériences ont un objectif très clair : il ne s'agit pas moins que de répondre à des questions scientifiques réelles, plutôt que de répéter des protocoles en vue d'obtenir des produits qui seront jetés. Nous avons des interrogations, et nous comprenons que chaque pas vers le sommet de la montagne nous en rapproche. Chaque pas doit être bien fait, sans quoi nous ne nous rapprochons pas. Nous y mettons donc tout notre soin, notre intelligence, car il y a cet objectif supérieur qui nous guide.
Mais il y a mieux : dans les expérimentations de laboratoire de nos études actuelles, je trouve (parce que je l'y mets) surtout ce bonheur du travail bien fait. Quand il y a une pesée, par exemple, il m'apparaît clairement qu'il vaut mieux ne pas la faire que de la faire mal, parce que je veux vraiment savoir la masse que je pèse, et non pas seulement faire la pesée. Et puis, le plaisir d'avoir un beau résultat, un belle "construction" !
D'ailleurs, cette observation me conduit à reprendre une discussion ancienne : depuis des années, je demande aux étudiants comment ils feront pour ne pas s'ennuyer à la millième pesée. Je leur dis que l'ennui ne naît pas de l'uniformité, mais de la désinvolture, et je les invite aussi à s'interroger sur chaque geste. En fait, la série de manipulations que je viens de terminer moi-même (quel bonheur que ces expérimentations, je me répète parce que je sors encore émerveillé) m'a montré que cette question que je posais n'a pas de sens : si je pèse, j'ai une raison de le faire, à savoir que je veux la valeur la plus précise possible, et je ne m'ennuie pas, puisque je suis à la recherche de cette bonne valeur.
D'ailleurs à propos de pesées, je conseillai aux étudiants venus en stage de toujours peser trois fois, afin de calculer une moyenne et un écart-type. Toutefois, en pratique, je pèse personnellement bien plus que trois fois, et pour mille raisons, mais, surtout, parce que je veux vraiment cette meilleure valeur. Et quand on fait ainsi très bien, alors on arrive toujours aux trois mêmes valeurs, de sorte que la moyenne des valeurs est la valeur trouvée trois fois de suite, et que l'écart type est nul. Allons-nous alors supprimer de nos protocoles cette prescription de peser trois fois, puis de calculer moyenne et écart-type ? Je crois que non, car ces protocoles permettent aux étudiants en stage d'apprendre, et, en l'occurrence, je les sais souvent désarçonnés par les écart-types nul. Cela signifie-t-il qu'il n'y a pas d'incertitude sur la mesure ? Évidemment non (je ne termine pas la discussion pour vous laisser le plaisir de réfléchir). Sans compter que c'est une bonne pratique que de répéter une mesure !
Mais la pesée n'est évidemment qu'un des milles actes que l'on fait lors d'une expérimentation, d'une préparation d'échantillons ou d'une analyse de ces derniers. Ce que je veux faire partager ici, c'est ce bonheur de l'expérimentation bien faite. Oui, il y a un immense bonheur à réaliser une expérience aussi parfaitement que possible, à tout penser, tout préméditer, tout bien exécuter et tout bien interpréter enfin. Chaque moment d'une expérience a ses plaisirs, jusqu'au lavage des verreries, que j'ai discuté dans d'autres billets.
La partie théorique ? Plus je pratique les sciences quantitatives, plus je m'aperçois que cette partie ressemble absolument à la partie expérimentale, avec ces mêmes chausse-trappes, ces mêmes difficultés… Il n'y a guère de différence entre la maîtrise du niveau d'un liquide dans une burette, avec le ménisque qui doit affleurer un trait, et le calcul d'une concentration, par exemple, avec l'emploi raisonné du nombre de décimales que l'on calcule, les fameux « chiffres significatifs ». Il n'y a guère de différence entre la planification d'un protocole et la planification d'un calcul, et de ce fait il y a ce même plaisir à faire soigneusement une interprétation, structurée, et à faire une expérimentation bien planifiée, bien exécutée.
Au fond, pour toutes les tâches des sciences quantitatives, il y a la même question du soin. Pour mémoire, je rappelle que ces taches sont l'identification d'un phénomène, sa caractérisation quantitative, avec la planification des expériences, la préparation des échantillons, leur analyse, l'analyse des donnés, les interprétations, la réunion des données de mesure en équations, la recherche de mécanismes, les tests expérimentaux des théories … Et bien, pour toutes ces tâches, il y a ce même bonheur inouï de faire bien… au point que je ne comprends plus aujourd'hui comment, étudiant, je n'ai pas su dépasser le cadre scolaire pour arriver à retrouver ce bonheur de l'expérimentation, du travail scientifique bien fait que j'avais depuis l'âge de six ans.
Oui, il est bien vrai que la vertu doit être sa propre récompense, mais je n'ai eu idée, exprimée par cette phrase, que tardivement. Je suis convaincu que le renversement que je propose pour les études supérieures doit se fonder sur cette idée. D'ailleurs, j'ai bon espoir, car je sais que les étudiants sont friands de travaux personnels, de projets. Ave cette façon d'étudier, ils sont en situation de responsabilité, heureux de construire leur savoir et leurs compétences.
Oui, la vertu est sa propre récompense.
Ainsi, moi qui adorait la physique chimique depuis l'âge de six ans, je me suis étonné, pendant mes études supérieures, de voir que je n'avais pas d'intérêt pour faire spécialement bien ce que l'on me demandait, notamment les travaux pratiques. Et pourtant, ces manipulations étaient de celles que je m'amusais à faire chez moi ! A l'analyse, je crois que je n'avais pas envie de faire plaisir aux enseignants qui me demandaient ces travaux... preuve que le système était mal conçu, puisque j'aurais dû me faire plaisir à moi même.
Certes, les travaux pratiques proposés manquaient de sens, de contexte, notamment parce que les enseignants s'étaient arrêtés à produire des protocoles sans grâce, qui nous étaient transmis sans justification, un peu anonymement, et, je le répète, sans que le sens de tout cela n'apparaisse.
On me fera observer que j'aurais dû y mettre mon intelligence (voir les billets où j'explique que la poussière du monde n'existe que si nous la faisons exister), mais, à l'époque, je ne voyais pas l'intérêt de ce qui m'était proposé : je ne voyait ni la difficulté de ces travaux pratiques, sans le piquant de la difficulté, donc, ni leur intérêt réel, parce qu'aucun autre objectif que local n'apparaissait : il s'agissait de simples travaux conventionnels, utiles pour ceux qui ne les avaient pas faits, mais inutiles pour ceux qui étaient un peu en avance. Or cela faisait des années que je savais déjà faire les manipulations proposées ! Oui, il manquait au minimum cet aiguillon qu'est la difficulté, la sensation d'apprendre vraiment, et, je le répète, je manquais de l'intelligence qui m'aurait permit de mettre du passionnant dans du banal.
A l'inverse, aujourd'hui, au laboratoire, je trouve nos expérimentations passionnantes, et pour plusieurs raisons. L'une des premières, c'est que ces expériences ont un objectif très clair : il ne s'agit pas moins que de répondre à des questions scientifiques réelles, plutôt que de répéter des protocoles en vue d'obtenir des produits qui seront jetés. Nous avons des interrogations, et nous comprenons que chaque pas vers le sommet de la montagne nous en rapproche. Chaque pas doit être bien fait, sans quoi nous ne nous rapprochons pas. Nous y mettons donc tout notre soin, notre intelligence, car il y a cet objectif supérieur qui nous guide.
Mais il y a mieux : dans les expérimentations de laboratoire de nos études actuelles, je trouve (parce que je l'y mets) surtout ce bonheur du travail bien fait. Quand il y a une pesée, par exemple, il m'apparaît clairement qu'il vaut mieux ne pas la faire que de la faire mal, parce que je veux vraiment savoir la masse que je pèse, et non pas seulement faire la pesée. Et puis, le plaisir d'avoir un beau résultat, un belle "construction" !
D'ailleurs, cette observation me conduit à reprendre une discussion ancienne : depuis des années, je demande aux étudiants comment ils feront pour ne pas s'ennuyer à la millième pesée. Je leur dis que l'ennui ne naît pas de l'uniformité, mais de la désinvolture, et je les invite aussi à s'interroger sur chaque geste. En fait, la série de manipulations que je viens de terminer moi-même (quel bonheur que ces expérimentations, je me répète parce que je sors encore émerveillé) m'a montré que cette question que je posais n'a pas de sens : si je pèse, j'ai une raison de le faire, à savoir que je veux la valeur la plus précise possible, et je ne m'ennuie pas, puisque je suis à la recherche de cette bonne valeur.
D'ailleurs à propos de pesées, je conseillai aux étudiants venus en stage de toujours peser trois fois, afin de calculer une moyenne et un écart-type. Toutefois, en pratique, je pèse personnellement bien plus que trois fois, et pour mille raisons, mais, surtout, parce que je veux vraiment cette meilleure valeur. Et quand on fait ainsi très bien, alors on arrive toujours aux trois mêmes valeurs, de sorte que la moyenne des valeurs est la valeur trouvée trois fois de suite, et que l'écart type est nul. Allons-nous alors supprimer de nos protocoles cette prescription de peser trois fois, puis de calculer moyenne et écart-type ? Je crois que non, car ces protocoles permettent aux étudiants en stage d'apprendre, et, en l'occurrence, je les sais souvent désarçonnés par les écart-types nul. Cela signifie-t-il qu'il n'y a pas d'incertitude sur la mesure ? Évidemment non (je ne termine pas la discussion pour vous laisser le plaisir de réfléchir). Sans compter que c'est une bonne pratique que de répéter une mesure !
Mais la pesée n'est évidemment qu'un des milles actes que l'on fait lors d'une expérimentation, d'une préparation d'échantillons ou d'une analyse de ces derniers. Ce que je veux faire partager ici, c'est ce bonheur de l'expérimentation bien faite. Oui, il y a un immense bonheur à réaliser une expérience aussi parfaitement que possible, à tout penser, tout préméditer, tout bien exécuter et tout bien interpréter enfin. Chaque moment d'une expérience a ses plaisirs, jusqu'au lavage des verreries, que j'ai discuté dans d'autres billets.
La partie théorique ? Plus je pratique les sciences quantitatives, plus je m'aperçois que cette partie ressemble absolument à la partie expérimentale, avec ces mêmes chausse-trappes, ces mêmes difficultés… Il n'y a guère de différence entre la maîtrise du niveau d'un liquide dans une burette, avec le ménisque qui doit affleurer un trait, et le calcul d'une concentration, par exemple, avec l'emploi raisonné du nombre de décimales que l'on calcule, les fameux « chiffres significatifs ». Il n'y a guère de différence entre la planification d'un protocole et la planification d'un calcul, et de ce fait il y a ce même plaisir à faire soigneusement une interprétation, structurée, et à faire une expérimentation bien planifiée, bien exécutée.
Au fond, pour toutes les tâches des sciences quantitatives, il y a la même question du soin. Pour mémoire, je rappelle que ces taches sont l'identification d'un phénomène, sa caractérisation quantitative, avec la planification des expériences, la préparation des échantillons, leur analyse, l'analyse des donnés, les interprétations, la réunion des données de mesure en équations, la recherche de mécanismes, les tests expérimentaux des théories … Et bien, pour toutes ces tâches, il y a ce même bonheur inouï de faire bien… au point que je ne comprends plus aujourd'hui comment, étudiant, je n'ai pas su dépasser le cadre scolaire pour arriver à retrouver ce bonheur de l'expérimentation, du travail scientifique bien fait que j'avais depuis l'âge de six ans.
Oui, il est bien vrai que la vertu doit être sa propre récompense, mais je n'ai eu idée, exprimée par cette phrase, que tardivement. Je suis convaincu que le renversement que je propose pour les études supérieures doit se fonder sur cette idée. D'ailleurs, j'ai bon espoir, car je sais que les étudiants sont friands de travaux personnels, de projets. Ave cette façon d'étudier, ils sont en situation de responsabilité, heureux de construire leur savoir et leurs compétences.
Oui, la vertu est sa propre récompense.
mercredi 31 août 2016
Quel bonheur !
Ce matin, j'avais publié un billet où je disais :
______________________________________________________________________________
Vive la Connaissance produite et partagée !
____________________________________________________________________________
En effet, lors d'un repas important qui réunissait des centaines de chefs, lundi soir dernier, un très grand nombre de cuisiniers, jeunes ou moins jeunes, sont venus me donner le même message, en substance. J'étais heureux, car j'avais le sentiment que mon épouse ne devait pas avoir honte de son mari.
Puis, il y a eu en début d'après midi un ami qui m'a demandé pourquoi la République ne me décorait pas et pourquoi les associations de cuisinier ne me faisaient pas Membre d'honneur.
Je n'ai su que lui répondre, à part le remercier.
Mais la journée n'était pas finie... et voici ce que je reçois :
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Chers Amis
Depuis plusieurs mois, les messages amicaux se multiplient, et beaucoup me remercient d'aider les métiers de bouche.
Voici un exemple reçu hier matin :
Je
tiens une nouvelle fois à vous remercier pour ce que vous avez apporté à
notre métier et ce que vous m'avez apporté à titre personnel. Grâce à
vous, j'ai progressé et perfectionné ma technique de cuisine, j'ai
appris à comprendre les éléments et leur interaction. Aujourd'hui, je le retransmet à mes collaborateurs avec plaisir et passion.
Suite à vos conseils, je vais m'intéresser à la cuisine note à note et je ne manquerais pas de revenir vers vous.
|
Je
suis évidemment très ému, très sensible à tous ces remerciements, que
je vois comme des encouragements à poursuivre cet effort inlassable
d'épaulement technique et de formation.
Je viens de prendre la décision d'intensifier ma production de billets de blog à usage technique.
Je vais réserver mes billets les plus moraux au blog "Hervé This", et
réactiver le blog "gastronomie moléculaire", ainsi que le blog technique
du Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra
(avec des précautions : étant fonctionnaire, donc agent de l'état au
service du contribuable, je dois m'empêcher de publier, sur un site
institutionnel, des remarques personnelles déplacées sur un tel site ;
dans ce cas, je mets les billets sur mes blogs personnels).
Bref, j'ai commencé ce matin
avec un billet qui explique qu'il n'existe pas de gélatine végétale,
mais plutôt des gélifiants d'origine végétale. On trouvera la chose ici
: http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2016/08/il-nexiste-pas-de-gelatine-vegetale.html
Pour
autant, très exceptionnellement, je donne le billet en clair, pour vous
donner une idée de la chose, et, qui sait, l'envie de vous abonner au
blog où les informations techniques seront données quasi quotidiennement
(c'est public et gratuit, puisque les services de l'état sont au
service des citoyens qui financent ces services) :
____________________________________________________________________________
En effet, lors d'un repas important qui réunissait des centaines de chefs, lundi soir dernier, un très grand nombre de cuisiniers, jeunes ou moins jeunes, sont venus me donner le même message, en substance. J'étais heureux, car j'avais le sentiment que mon épouse ne devait pas avoir honte de son mari.
Puis, il y a eu en début d'après midi un ami qui m'a demandé pourquoi la République ne me décorait pas et pourquoi les associations de cuisinier ne me faisaient pas Membre d'honneur.
Je n'ai su que lui répondre, à part le remercier.
Mais la journée n'était pas finie... et voici ce que je reçois :
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Mon cher Hervé
Bravo
pour ce courrier d'un professionnel (je pense) qui te remercie de tous
tes efforts consacrés à la recherche culinaire et en particulier à une
cuisine du futur, la cuisine "note à note" la bien nommée.
J'en suis heureux pour toi mais les compliments sont minces par rapport à tout ce que tu fais pour notre profession
J'insiste
aussi et te remercie également pour remettre sur les rails certains
points sur les " i " concernant les nombreuses appellations
déformées par nos grands de ce Monde. sur les techniques culinaires.
C'est essentiel pour la formation de nos jeunes afin de les guider
"déjà" dans le bon sens et dans le vrai nom des produits. Le chemin sera
tellement plus facile pour eux.
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Merci beaucoup pour cette information et d'une façon plus générale pour le regard que vous me permettez de porter sur quelques uns de vos travaux.
J'apprécie !
Bonne soirée.
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Merci beaucoup pour cette information et d'une façon plus générale pour le regard que vous me permettez de porter sur quelques uns de vos travaux.
J'apprécie !
Bonne soirée.
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Ce n'est pas du bonheur à l'état pur ?
mercredi 13 juillet 2016
D'r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht
Cette phrase en alsacien n'est pas un proverbe classique, mais elle y ressemble, car il y a effectivement un proverbe alsacien qui dit « D'r Schaffe het bittri Wurzel awer sussi Frucht », ce qui signifie « Le travail a des racines amères, mais des fruits délicieux ».
Analysons, et voyons finalement pourquoi je propose de modifier le dicton classique.
Scier du bois ? Il faut y mettre de l'énergie, mais on a ensuite le tas de bois scié. Résoudre une équation ? Il faut ce creuser la tête, mais on a ensuite l'équation résolue. Le proverbe alsacien semble donc juste, à cela près que cette idée d'un travail « amer » ne me plaît pas, car j'ai tout intérêt à exercer un métier que j'aime, auquel cas le travail n'est pas amer, mais délicieux. Au fond, si j'ai la chance d'aimer la résolution d’équations, alors ce n'est pas un travail amer que de chercher à résoudre des équations, et je déteste même l'idée qu'on puisse le dire amer, car ce n'est pas vrai.
D'ailleurs, scier du bois serait-il « amer » ? Par les temps qui courent, on voit des foules s'entasser dans des salles de sport. S'ils veulent se dépenser, quoi de mieux que couper du bois ? J'ai l'impression que, dans cette discussion sur l'amertume des travaux, il y a surtout la question de l'obligation, ou, du choix. Si nous décidons de couper du bois parce que nous en avons envie, et non parce que parce que nous sommes forcés de le faire, alors couper du bois est intéressant, agréable. En revanche, il y a de l'amertume à couper du bois quand on y est obligé, à casser des cailloux quand le bagne nous y condamne.
Je propose de nous efforcer d'abord de choisir nos activités, car ainsi l'amertume disparaît, s'évanouit… Auquel cas le travail a des racines douces et des fruits délicieux, ce qui est la signification de la phrase initiale, laquelle est inscrite sur le mur de mon bureau : je ne dois jamais oublier que je dois faire des travaux délicieux, par le travail lui-même avant d'avoir le résultat.
jeudi 7 juillet 2016
Ne pas oublier de donner du bonheur
Sur les murs de notre laboratoire, il y a notamment cette phrase : "Ne pas oublier de donner du bonheur "
Ici, on voit mal le lien avec les sciences de la nature, n'est-ce pas ? Et puis, le bonheur… Pourtant, dans une équipe de recherche scientifique, les chercheurs malheureux, crispés sur leur malheur, n'ont pas l'esprit suffisamment libre pour se consacrer pleinement à leur recherche ; ils ne sont pas à l'aise, ne sont pas sereins, dans leurs rapport avec la matière qu'ils traitent ou avec leurs collègues, et ne peuvent donc mettre en œuvre des collaborations efficaces… Sans compter que la vie est quand même moins agréable quand on n'est pas heureux !
Voilà notamment pourquoi cette affaire de bonheur n'est pas déplacée dans un laboratoire. Si nous cherchons collectivement des moyens d'aider ceux qui en ont besoin, nous ferons un groupe solidaire, qui épaulera les plus faibles, et nous donnerons à tous cet objetjetif merveilleux qui est le bonheur chacun et de tous.
Autrement dit cette espèce de règle morale est en réalité la base d'un fonctionnement scientifique épanoui, efficace, qui ait quelque chances de conduire à repousser les limites de l'inconnu.
Ici, on voit mal le lien avec les sciences de la nature, n'est-ce pas ? Et puis, le bonheur… Pourtant, dans une équipe de recherche scientifique, les chercheurs malheureux, crispés sur leur malheur, n'ont pas l'esprit suffisamment libre pour se consacrer pleinement à leur recherche ; ils ne sont pas à l'aise, ne sont pas sereins, dans leurs rapport avec la matière qu'ils traitent ou avec leurs collègues, et ne peuvent donc mettre en œuvre des collaborations efficaces… Sans compter que la vie est quand même moins agréable quand on n'est pas heureux !
Voilà notamment pourquoi cette affaire de bonheur n'est pas déplacée dans un laboratoire. Si nous cherchons collectivement des moyens d'aider ceux qui en ont besoin, nous ferons un groupe solidaire, qui épaulera les plus faibles, et nous donnerons à tous cet objetjetif merveilleux qui est le bonheur chacun et de tous.
Autrement dit cette espèce de règle morale est en réalité la base d'un fonctionnement scientifique épanoui, efficace, qui ait quelque chances de conduire à repousser les limites de l'inconnu.
dimanche 18 novembre 2012
Heureux agriculteurs
Alain, Propos sur le bonheur, XLVIII :
Le travail est la meilleure et la pire des choses ; la meilleure, s'il est libre, la pire, s'il est serf. J'appelle libre au premier degré le travail réglé par le travailleur lui-même, d'après son savoir propre et selon l'expérience, comme d'un menuisier qui fait une pore. Mais il y a de la différence si la porte qu'il fait est pour son propre usage, car c'est alors une expérience qui a de l'avenir ; il pourra voir le bois à l'épreuve, et son oeil se réjouira d'une fente qu'il avait prévue. IL ne faut point oublier cette fonction d'intelligence qui fait des passions si elle ne fait des portes. Un homme est heureux dès qu'il reprend des yeux les traces de son travail et les continue, sans autre maitre que la chose, dont les leçons sont toujours bien reçues. Encore mieux si l'on construit le bateau sur lequel on naviguera ; il y a une reconnaissance à chaque coup de barre, et les moindres soins sont retrouvés. On voit quelquefois dans les banlieues des ouvriers qui se font une maison peu à peu, selon les matériaux qu'ils se procurent et selon le loisir ; un palais ne donne pas tant de bonheur ; encore le vrai bonheur du prince est-il de faire bâtir selon ses plans ; mais heureux par dessous tout celui qui sent la trace de son coup de marteau sur le loquet de la porte. La peine alors fait justement le plaisir ; et tout homme préférera un travail difficile, où il invente et se trompe à son gré, à un travail tout uni, mais selon les ordres. Le pire travail est celui que le chef vient troubler ou interrompre. La plus malheureuse des créatures est la bonne à tout faire, quand on la détourne de ses couteaux pour la mettre au parquet, mais les plus énergiques d'entre elles conquièrent l'empire sur leurs travaux, et ainsi se font un bonheur.
L'agriculture est donc le plus agréable des travaux, dès que l'on cultive son propre champ.
Le travail est la meilleure et la pire des choses ; la meilleure, s'il est libre, la pire, s'il est serf. J'appelle libre au premier degré le travail réglé par le travailleur lui-même, d'après son savoir propre et selon l'expérience, comme d'un menuisier qui fait une pore. Mais il y a de la différence si la porte qu'il fait est pour son propre usage, car c'est alors une expérience qui a de l'avenir ; il pourra voir le bois à l'épreuve, et son oeil se réjouira d'une fente qu'il avait prévue. IL ne faut point oublier cette fonction d'intelligence qui fait des passions si elle ne fait des portes. Un homme est heureux dès qu'il reprend des yeux les traces de son travail et les continue, sans autre maitre que la chose, dont les leçons sont toujours bien reçues. Encore mieux si l'on construit le bateau sur lequel on naviguera ; il y a une reconnaissance à chaque coup de barre, et les moindres soins sont retrouvés. On voit quelquefois dans les banlieues des ouvriers qui se font une maison peu à peu, selon les matériaux qu'ils se procurent et selon le loisir ; un palais ne donne pas tant de bonheur ; encore le vrai bonheur du prince est-il de faire bâtir selon ses plans ; mais heureux par dessous tout celui qui sent la trace de son coup de marteau sur le loquet de la porte. La peine alors fait justement le plaisir ; et tout homme préférera un travail difficile, où il invente et se trompe à son gré, à un travail tout uni, mais selon les ordres. Le pire travail est celui que le chef vient troubler ou interrompre. La plus malheureuse des créatures est la bonne à tout faire, quand on la détourne de ses couteaux pour la mettre au parquet, mais les plus énergiques d'entre elles conquièrent l'empire sur leurs travaux, et ainsi se font un bonheur.
L'agriculture est donc le plus agréable des travaux, dès que l'on cultive son propre champ.
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