lundi 28 mars 2016

Quelques idées pour aider à se supporter quand on se voit dans un miroir

Sur le mur de mon bureau, il y a des phrases écrites, et mes visiteurs m'interrogent souvent sur  leur présence et leur signification.
Leur présence ? Ces phrases sont d'abord pour moi : je ne dois pas oublier de mettre en pratique les conseils qu'elles me donnent. Leur signification ? Je l'expliquerai dans des billets suivants.

Ici, je me limite à les donner. Quand elles ne sont pas assorties d'un nom d'auteur, c'est que je me dis les choses moi-même :


# IL FAUT S’AMUSER A FAIRE DES CHOSES PASSIONNANTES

# Nous sommes ce que nous faisons : quel est ton agenda ?


# Une colonne vertébrale !

# Tout fait d'expérience gagne à être considéré comme l'émanation de généralités que nous devons inventer (abstraire et généraliser)

# Quels sont les mécanismes ?
(La science en général)

# Les mathématiques nous sauvent toujours : « que nul ne séjourne ici s’il n’est géomètre »
(Platon)

# Ne pas oublier de donner du bonheur.

# Tu fais quelque chose ? Quelle est ta méthode ? Fais le, et, en plus, fais-en la théorisation.

# Surtout ne pas manquer le moindre symptôme

# Je ne sais pas, mais je cherche !

De quoi s’agit-il ?
(Henri Cartier-Bresson, mais peut-être aussi  le Maréchal Foch)

# Puisque tout est toujours perfectible, que vais-je améliorer aujourd’hui ?

# « Dois-je croire au probable ? »

# A rapprocher de :« En doutant, nous nous mettons en recherche, et en cherchant nous trouvons la vérité ».
(Abélard)

Et de :
# "Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir".
(Poincaré)

Combien ?
(la science en général)

# D’r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht

# Ni dieu ni maître
(la devise des anarchistes)

# Tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait

# La vie est trop courte pour mettre les brouillons au net : faisons des brouillons nets !
(Jean Claude Risset)

# Se mettre un pas en arrière de soi même

# Le summum de l’intelligence, c’est la bonté (et la droiture)
(Jorge Luis Borgès)

# Regarder avec les yeux de l’esprit

# Vérifier ce que l’on nous dit
# Ne pas généraliser hâtivement
# Avoir des collaborations
# Entretenir des correspondances
# Avoir toujours sur vous un calepin pour noter les idées
# Ne pas participer à des controverses
(Michael Faraday et Isaac Watts)

# Penser avec humour des sujets sérieux (un sourire de la pensée)

# « Comme chimiste, je passai cette oeuvre à la cornue ; il n'en resta que ceci : »
# ; se dissoudre dans, infuser, macérer, décoction, cristalliser, distiller,
# sublimer, purifier, alambiquer
(Jean-Anthelme Brillat-Savarin)

« Et c’est ainsi que les sciences chimiques sont belles »
(d’après Alexandre Vialatte)

# Morgen Stund het Gold a Mund
(proverbe alsacien)

# Y penser toujours
(Louis Pasteur)

# Ne pas confondre les faits et les interprétations

# Quand les lois sont mauvaises, il faut les changer

# Ne pas faire de lois qui punissent les bons élèves, et ne pas faire des lois pour punir les mauvais si
# on ne les applique pas.
(conseil aux prétentieux qui font des lois)

# Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant
(Cicéron)

# Dieu vomit les tièdes
(La Bible)

# Il n’est pas vrai que « La tête guide la main », ce qui est prétendu par une
# poutre du Musée du compagnonnage, à Tours : la tête et la main sont
# indissociables

# Les calculs !!!!

# Tout changer à chaque instant (vers du mieux !)

# Chercher des cercles vertueux

# Comme le poète, le chimiste et le physicien doivent maîtriser les métaphores

# Le moi est haïssable
(Blaise Pascal)

# Quels mécanismes ?

# N’oublions pas que nos études (scientifiques) doivent être JOVIALES

# L’enthousiasme est une maladie qui se gagne
(Voltaire)

# Clarifions (Mehr Licht)
(Goethe)

# Tu viens avec une question, mais quelle est la réponse (utilise la méthode du soliloque)

# Pardon, je suis insuffisant, mais je me soigne

# Comment faire d’un petit mal un grand bien ?

# Le diable est caché derrière chaque geste expérimental, et derrière chaque calcul

# Les questions sont des promesses de réponse (faut-il tenir ces promesses). Vive les questions
# étincelles

# La méditation est si douce et l’expérience si fatigante que je ne suis point étonné que celui qui pense soit rarement celui qui expérimente
(Diderot)

# Comment pourrais-je gouverner autruy, moi qui ne me gouverne pas moi- même
(François Rabelais)

# Prouvons le mouvement en marchant !

# Comment passer du bon au très bon ? Comment donner à nos travaux un supplément d’esprit ?

# Il faut des TABLEAUX : les cases vides sont une invitation à les remplir, donc à travailler!

# Si le résultat d'une expérience est ce que l'on attendait, on a fait une mesure ; sinon, on a fait une
découverte!
(Franck Westheimer)

# Quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.
(Marcel Fétyzon)

# Il n'est pas nécessaire d'être lugubre pour être sérieux (le paraître n'est pas l'être).

# Il faut tendre avec efforts vers la perfection sans y prétendre.
(Michel-Eugène Chevreul)

# Tu vois une régularité du monde ? Il devient urgent de s'interroger sur sa cause.

# Une idée dans un tiroir n'est pas une idée

samedi 26 mars 2016

Êtes-vous crème normande ou margarine ?


Je suis certainement crème, mais pas forcément crème normande. Je me souviens, quand j'étais petit, de la maison d'un de mes grands-pères,  dans les Vosges. Nous allions, avec un pot  en aluminium ou en fer-blanc, chez le crémier. Je vois encore la petite rue en pente où il avait sa boutique, en contrebas de la rue de l'église. Il y avait un  grand récipient où le lait reposait. La crème était ce qui surnageait. Le crémier la prenait à la louche, pour la mettre dans notre pot. C'était un goût absolument extraordinaire, très différent de celui d'une crème fermentée.
Bien sûr, il peut aussi y avoir d'excellente crèmes fermentées, mais le goût de cette crème juste recueillie, vraiment "fraîche", était superbe, aussi parce que le lait des Vosges était d'une grande qualité. Du coup, le beurre aussi était très bon. Il faut répéter que ces goûts résultent de l'herbe que mangent les vaches, d'une part, et, d'autre part, des procédés de transformation.
Je ne suis pas personnellement d'une culture de l'huile d'olive, mais je suis surtout d'une culture de l'honnêteté ! On a le droit de manger de l'huile, si l'on veut, mais pourquoi mettre en avant des arguments fallacieux, tel que "c'est meilleur la santé" ?  Au nom de la "santé", on cherche à  nous faire gober n'importe quoi !
Et puis, ne méritons-nous pas d'avoir le meilleur ? Un bon beurre, une bonne crème, et aussi une bonne huile ? J'ai un ami sicilien qui fait son huile d'olives, une huile très verte, avec un goût  marqué, brûlant, piquant un peu, une  toute petite amertume... : un régal.  Mais je me souviens aussi d'un beurre  normand mangé  au Japon, à Kyoto, chez  un chef japonais qui est un élève de Pierre Gagnaire. Là encore, un beurre remarquable.
Enfin, je n'oublie pas que le beurre, la crème, le lait... peuvent être travaillés... et je vous renvoie vers mon invention  toute récente du "beurre feuilleté", sur le site de Pierre Gagnaire.

vendredi 25 mars 2016

5. Êtes-vous brunch ou barbecue ?


Brunch :  je ne sais pas très bien ce que ça veut dire. Et puis, dois-je utiliser un mot anglais à la mode ? Contraction de breakfast, petit déjeuner, et lunch, déjeuner. Un petit déjeuner que l'on prendrait à midi ? Un déjeuner, donc. D'ailleurs, pourquoi le petit déjeuner  serait-il obligatoirement fait de café, jus d'orange, croissant ou tartines ? Pourquoi pas des mets plus engageants ?
Pour le barbecue,  je comprend mieux :  il s'agit de grillades. Et là, il peut y avoir  le meilleur comme le pire. Mettre la viande au-dessus du feu, c'est la charger de benzopyrènes  cancérogènes en grande quantité !

Oui, quand on fait un feu, même si l'on attend qu'il n'y ait plus que des braises, et pas de flammes, la viande se charge de benzopyrènes. Environ deux mille fois plus qu'il n'en est autorisé par la loi dans les produits fumés de l'industrie alimentaire. N'est pas inconséquent de critiquer les pesticides ou les additifs (sans bien connaître le dossier, en général) et, en même temps, de se bourrer des produits cancérogènes ?
D'ailleurs, il faut ajouter que même s'il n'y a que des braises, les benzopyrènes sont présents. Et, le pire, c'est que, généralement, quand on met la viande au-dessus des braises, la graisse qui fond tombe sur les braises, rallume le feu, et des flammes viennent lécher la viande, tandis que  des flammèches noires se déposent. Et l'on prétend manger sainement ? Au  Japon, où l'on entend uun discours hygiéniste au moins égal à celui des Français, j'ai  éclaté de rire en voyant, dans un restaurant de grillades, que l'on plaçait la viande wagyu sur  des briques incandescentes... et immédiatement, quand la graisse à fondu, des flammes d'un mètre de hauteur au beau milieu desquelles la viande grillait ! Ce n'est pas une critique du Japon : nous faisons de même en France tous les étés !
Surtout cela est le signe d'une grande ignorance  : les bons rôtisseurs ne mettent pas la viande sur le feu, mais devant le feu, ce qui évite des benzopyrènes et conduit à une viande bien grillée, croustillante. La cuisson se fait tout aussi bien : les rayonnements infrarouges se propagent dans toutes les directions.

C'est à dire partout : on devrait peut-être interdire les barbecues  les plus communs, ceux  où la viande est au-dessus du feu, et qui conduisent le public à s'empoisonner. Il y a un effort de santé publique à faire : on ne peut pas à la fois lutter contre les pesticides et s'intoxiquer avec les benzopyrènes cancérogènes.

jeudi 24 mars 2016

4. Êtes-vous déjeuner ou dîner ?

C'est pour moi, non pas une question de goût personnel, mais une question de contingence, car on doit d'abord se souvenir que je travaille beaucoup, peut-être excessivement. Ayant bien diné, je n'ai pas faim le matin, et, à midi, il m'arrive souvent, au laboratoire, de ne pas déjeuner, parce que je n'ai pas le temps, que j'ai beaucoup de choses à faire.  Cela m'arrange un peu, parce que j'ai quelques kilos en trop, mais il faut alors que je dîne. Dîner se fait alors en famille ; c'est un bon moment, on se détend, on parle, on fait des efforts pour s'intéresser à ceux que l'on aime.  Et puis, après les repas, on est un peu assoupi. Autant cela serait gênant après  le déjeuner, autant je ne fait de tort à personne en dormant pendant la nuit ! D'ailleurs, j'ajoute que  des moralisateurs nous signalent qu'il faut manger peu le soir, sans  quoi  le  sommeil est perturbé... mais je me demande si nous n'avons pas ce travers terrible de toujours ériger en loi générale ce qui ne vaut que pour nous.

Ce qui me conduit à prendre du recul sur ce paragraphe : en répondant à la question, j'ai indiqué un choix qui n'a aucun intérêt général, et j'ai donné des raisons qui ne valent que pour moi. Laissons faire chacun, d'une part, et, d'autre part, pourquoi  me pose-t-on des questions dont je crois qu'elles ne conduisent pas à des réponses éclairantes ? A moins que je n'en sois maintenant à faire le constat de mon insuffisance  : je n'ai pas réussi à faire quelque chose d'intéressant à partir d'une question un peu faible  !
Allons, il est temps de se reprendre... par exemple, en m'interrogeant sur la raison pour laquelle une telle question est posée. Je ne vais pas refaire le coup de l'alternative où l'on veut m'enfermer et dont je veux  sortir (en parlant du petit déjeuner, du goûter, du souper...). En revanche, je vois que la question veut mettre mon interlocuteur dans une certaine intimité, que, au fond, je refuse, parce que je ne crois pas ma petite personne suffisante pour mériter cet intếret. Il y a quelques années, quand Marie-Odile Monchichourt m'avait interrogée, en vue d'un livre sur mes rapports personnels avec la science, j'avais réécrit les réponses données pour leur conférer plus de généralité. C'était la même difficulté, et, au fond, le même mécanisme de réponse : au lieu  de donner un détail idiosyncratique, je m'étais  efforcé de trouver un peu de généralité dans l'affaire.
A contrario, pourquoi refuserait-on d'ouvrir sa porte à des amis ? En réalité, je ne refuse pas, mais j'aimerais tant qu'ils ne soient pas déçus, une fois entrés !

lundi 21 mars 2016

3. Êtes-vous cru ou cuit ?



 Je suis certainement cuit, parce que le cru  est dangereux. On doit rappeler que l'humanité a inventé la fermentation et le feu pour se prémunir des micro-organismes pathogènes. Il y en a  partout autour de nous, et la cuisine permet d'abord de tuer les micro-organismes qui nous intoxiqueraient. Les "cuissons douces" ou autres crus, dont certains tentent de faire des modes, sont dangereux. La cuisson basse température est merveilleuse... quand elle est bien conduite : il faut éviter les séjours prolongés des aliments à des températures où les micro-organismes prolifèrent, et ne pas oublier que la toxine botulique, par exemple, est mortelle. La cuisson, c'est comme un couteau : indispensable... mais il faut apprendre à s'en servir pour éviter les risques de cet objet qui est dangereux. Idem pour  la fermentation, qui peut faire le meilleur (fromages, saucissons, vins, etc.) et le pire.

Cela dit, la cuisson a d'autres avantages, et notamment qu'elle change la consistance. Quand nos ancêtres n'avaient plus de dents (on doit se souvenir que, sans dentiste ni dentifrice, nos aïeux avaient des dents dans un état déplorable),  il leur fallait des aliments suffisamment mous pour subsister. Quand on n'a plus de dents, une carotte crue n'est pas mangeable. D'où le fait de râper ou de cuire. Il y a d'ailleurs une parenté, entre les procédés : quand on râpe une carotte, le couteau déclenche des réactions enzymatiques qui s'apparentent à celles de la cuisson.
A noter que la cuisson fut sans doute, aussi, un facteur de développement de l'espèce humaine, parce qu'elle augmente la biodisponibilité des nutriments. Avec moins de temps à mâcher, on a plus de temps pour le reste !

Et puis, il y a le fait que la cuisson fait apparaître des goûts nouveaux ! Et cela est essentiel, pour l'espèce humaine comme pour des espèces animales. Les chats, chiens, singes... préfèrent les aliments cuits aux aliments crus. Ah, l'odeur envoûtante d'une belle cuisson, d'un beau rôtissage, d'un fromage grillé... Décidément, je me vois mal condamné aux crudités, même si, parfois, cela est agréable. Une salade, d'accord, mais... en plus !


dimanche 20 mars 2016

2. Êtes-vous poisson ou viande ?

Ces questions sont analogues à celles que me posaient mes enfants quant ils étaient petits :  ils me demandaient si je préférais les framboises ou les cassis, et je répondais que je préférais les fraises des bois. Ils étaient furieux, parce que ce n'était pas le jeu auquel ils invitaient, mais il y avait (évidemment) plusieurs raisons pour lesquelles je répondais ainsi. D'une part, on devient sans doute plus malin si l'on apprend à ne pas "rester dans la boîte". D'autre part, les choix sont intransitifs et non ordonnables, de sorte qu'il n'est pas bon de répondre à une question mal posée.
Pour la question sur les poissons ou les viandes, il en va de même. Avec l'alternative proposée, il manque les crustacé, les huitres, les oursins... D'autre part,  il y a poisson  et poisson, viande et viande. Comment comparer un turbot à un faisan ? Egalement, il  y  le fait que nos choix sont changeants : si l'on a mangé beaucoup de turbot, on rêve de faisan !
Surtout il y a la façon de préparer les "ingrédients culinaires" pour les transformer en aliments. Par exemple, à propos du modeste maquereau, que l'on ne cesse de pêcher sur les côtes bretonnes au point de ne plus le considérer : j'en ai vu un chez Pierre Gagnaire qui était absolument éblouissant, un plat martien, merveilleux, inimaginable. Inversement la bavette que j'ai eu à déjeuner hier dans un bistrot près de la Gare Saint-Lazare n'étais pas extraordinaire... mais j'ai également vu, parfois, de très  belles bavettes sauce marchand de vin.
 "La" viande : cela n'existe pas ; "le" poisson n'existe pas ; il y a les poissons, les viandes, et les différentes façons de les préparer.

 Du coup, faut-il vraiment choisir ? Moi je ne suis pas difficile, je me contente de meilleur, et le meilleur, c'est toujours la même question, ce n'est pas une question d'ingrédients, ce n'est pas une question de préparation. C'est une question de compagnie, avec qui nous mangeons.
Donc finalement je ne suis pas poisson ou viandes sauf  si on prend le "ou" comme celui dela logique, à les deux à la fois. Moi je veux les poissons, les viandes, bien cuisinés, par des amis, et mangés en superbe compagnie.

Une série de question. La première

1. EŠtes-vous plutôt sucré ou salé ?

Ca commence dur,  parce que,  au fond,  je suis certainement beaucoup plus salé que sucré, mais je suis surtout  acide : ah, une quetsche au vinaigre au milieu de l'après-midi, un cornichon...
Cela dit, la question est compliquée,  à de nombreux titres.
D'abord, parce que je comprends mal l'intérêt d'y répondre. Je suis salé, ou sucré, ou acide, ou amer, ou les autres saveurs, mais qu'est-ce que cela peut bien faire à mes interlocuteurs ? En quoi le fait de répondre aura-t-il la moindre utilité ?
Et voilà pourquoi mes réponse ne peut s'arrêter à un goût personnel : il faut que j'y mette de quoi intéresser un peu.
Par exemple, il n'est pas inintéressant de savoir, je crois, que l'on a longtemps dit que la cuisine française ne faisait pas de salé-sucré, mais les analyses que nous faisons au laboratoire montrent que c'est complètement faux. Dans un bouillon de carottes, ce que l'on voit en premier, à  l'analyse, c'est du sucre, puis des acides aminés (qui ont des saveurs originales). De même pour l'oignon, par exemple. Et l'on sait bien que si l'on cuit des carottes ou des oignons,  il y a un goût sucré, qui est dûu aux glucose, fructose, saccharose, abondants dans tous les tissus végétaux. Par conséquent, il est faux de dire qu'il  n'y a pas de sucre est dans le salé.
C'est encore plus faux quand on voit E‰mile Jung, merveilleux chef alsacien, faire des sauces (il est considéré comme un des meilleurs sauciers) :  il ajoute toujours du sucre à la fin de son travail.
Pour ce qui me concerne, j'utilise beaucoup de glucose en cuisine, parce que le glucose n'est pas sucré comme le saccharose, le sucre de table, mais il est doux et donne de la longueur en bouche. J'ai toujours, à côté de ma cuisinière  un gros sac de plusieurs kilogrammes de glucose et j'en mets une cuillère, deux cuillères, etc. dans mes préparations. C'est doux, pas exactement sucré.
Enfin le mot sucré ne veut rien dire: il y a des sucrés, il y a d'ailleurs des salés, des acides, des amers, des piquants.

samedi 19 mars 2016

Si le résultat d'une expérience est ce que l'on attendait, on a fait une mesure ; sinon, on a (peut-être) fait une découverte !

Cette phrase est du chimiste Frank Westheimer (https://en.wikipedia.org/wiki/Frank_Westheimer).
Je ne suis pas certain que le « peut-être » soit de lui, et, d'autre part, je n'ai pas l'origine de la citation, qui m'a été donnée par mon ami Jean-Marie Lehn. Mais la phrase a beaucoup d'intérêt scientifique, parce qu'elle résonne avec toutes les parties du travail scientifique.
# Par exemple, quand on fait une expérience pour tester une conséquence d'une théorie, on espère...

La suite sur http://www.agroparistech.fr/Si-le-resultat-d-une-experience-est-ce-que-l-on-attendait-on-a-fait-une-mesure.html

vendredi 18 mars 2016

Faisons des tableaux : les cases vides sont une invitation à les remplir, donc à travailler !

 Quand on parle  de tableaux à un physico-chimique, il pense immédiatement à Dimitri Mendeleïev, ce chimiste russe qui fit une classification des éléments dans un tableau dit "périodique" et qui parvint ainsi à prédire l'existence de nouveaux éléments ayant des propriétés qu'il avait calculées, prédites par le calcul. D'autre part, si l'on parle de tableaux  à un Alsacien, il pense à ce psychophysiologiste strasbourgeois, Abraham Moles, qui avait érigé les tableaux en système, ce qu'il nommait des matrices d'inventivité. Si l'on parle de tableaux à une personne un peu systématique, elle réagit immédiatement de façon très positive, parce que l'on sait bien qu'un tableau, c'est une façon d'organiser des données, de mettre de l'ordre, et d'y voir plus clair, là où régnait le chaos, les ténèbres.
Oui, les tableaux ont ceci de merveilleux qu'ils permettent d'organiser les données, et de voir des groupes. Pour commencer, on pose les données les unes au dessous des autres ; puis on transforme chaque entrée en ligne : on obtient ainsi un tableau avec de nombreuses lignes,  mais avec une seule colonne.
Déjà, on peut s'amuser à changer l'ordre des lignes selon des critères structurants, afin de voir apparaître des groupes, des catégories.
Mais on peut aussi ajouter des  colonnes qui seront initialement vides,  et l'on aura ainsi produit des cases vides que l'on pourra chercher à remplir. C'est un principe que nous mettons en oeuvre systématiquement dans notre groupe de gastronomie moléculaire : systématiquement,  nous ajoutons au moins une ligne vide et une colonne vide à tous les tableaux que nous créons,  parce que c'est une façon de nous pousser à travailler, et non pas de découvrir  (par exemple,  des éléments chimiques), mais d'inventer.

Oui, les cases vides sont des invitations à les remplir,  à imaginer, à faire mieux, à faire plus. Et si l'on part du principe que nous sommes ce que nous faisons, cette pratique est merveilleuse :  si nous faisons mieux, c'est que nous sommes mieux. 

mercredi 9 mars 2016

Quand Pasteur était chimiste, une expérience pédagogique sur la scène de la Reine Blanche

Mes amis Ludovic Jullien et Clotilde Policar décrivent des mises en scène : 

1848. Pasteur, jeune chimiste à l’Ecole Normale Supérieure, fait une découverte inattendue sur les cristaux d’acide tartrique. Elle va contribuer à transformer la représentation que l’on a des molécules, qui deviennent des objets dotés d’une forme.
2016. Quatre étudiants de l’ENS se penchent sur ces travaux à partir d’un récit de Pasteur : reproduire les expériences, comprendre le contexte mais aussi retracer le moment particulier de la découverte. Biot, illustre chimiste, confiera son émotion au jeune Pasteur : « Mon cher enfant, j'ai tant aimé les sciences dans ma vie que cela me fait battre le cœur ».
Cette présentation des travaux novateurs du jeune Pasteur aura lieu le 20 mars à 11h au Théâtre de la Reine Blanche (2bis Passage Ruelle, 75018 Paris) dans le cadre du cycle "Scènes de sciences" (http://www.reineblanche.com/portfolio_page/scenes-de-science).
Ce spectacle marque l’aboutissement d’une activité pédagogique menée avec un groupe d’étudiants de L3 autour de l’émergence de la représentation tridimensionnelle des molécules à partir de textes historiques de Louis Pasteur. Cette activité répartie sur un semestre a amené à produire le texte de la pièce (qui verra jouer en particulier Eric Ruf, administrateur de la Comédie Française, mais aussi étudiants et encadrants), le diaporama et les expériences associées...

Ludovic Jullien et Clotilde Policar

dimanche 6 mars 2016

Je ne sais plus sous quelle plume j'ai lu ce paragraphe très faux

Habituellement, je note scrupuleusement l'origine des citations que je relève, mais je ne fais cela que lorsque cela en vaut la peine. Pour des textes moins intéressants, je ne prends pas cette peine... et c'est la raison pour laquelle je ne retrouve pas l'origine de ce paragraphe : "Je ne pense pas que la modélisation mathématique prédictive soit de nature scientifique. Je crois que c'est une prophétie moderne tout comme l'a été l'astrologie, utilisant les données de l'astrophysique. Elles sont invérifiables, ne se confirment jamais, et on ne peut jamais les contredire, car les données scientifiques contradictoires sont cachées ou alors elles génèrent la création de nouveaux modèles."

Pourquoi s'y arrêter ? Pourquoi commenter un tel texte s'il est si faux ? Parce qu'il pose une question lancinante, en science de la nature : celle de la modélisation. Son analyse permet, j'espère, de mieux travailler, à l'avenir.

Commençons par le début : "Je ne pense pas que...". Notre auteur ne le pense pas ? On se moque de ce qu'il pense ou qu'il ne pense pas (en science, pas de gourou, par d'argument d'autorité !), et la question n'est pas là. Elle est de savoir si la modélisation mathématique prédictive est ou non de nature scientifique... ce qui impose d'abord de savoir ce qu'est la modélisation, puis la modélisation mathématique, puis la modélisation mathématique prédictive, et, ensuite, de se demander si un tel objet peut être de nature scientifique.
La modélisation ? C'est l'activité de la science tout entière. Si nous identifions les phénomènes, si nous les quantifions, si nous réunissons les données en lois, et si nous faisons de ces lois des théories, aussi nommées des modèles, c'est pour identifier des mécanismes d'une autre façon que par pur arbitraire, et, d'ailleurs, les mécanismes identifiés se confondent avec les modèles.  Au coeur de la science, il  y a donc le modèle.
Mieux encore, au coeur des sciences quantitatives, que  l'on nomme aussi des sciences de la nature, il y a des modèles mathématiques, tant il est juste que, au coeur de l'activité scientifique, il y a cet éblouissement/hypothèse selon lequel "le monde est écrit en langage mathématique".
Modèle mathématique prédictif ? Tout modèle, dans la mesure où il est fait d'équations qui s'appliquent (voir les billets consacrés aux ajustements) dans des cas où l'expérience n'a pas été faite (un nombre réellement infini, donc), est donc nécessairement prédictif... et c'est précisément cette exposition à la réfutation qui fait qu'il est scientifique. Un modèle mathématique non prédictif serait tautologique, et non scientifique !
Mais, en réalité, je finasse, parce que notre auteur visait surtout les modèles de climat, et nous devons nous intéresser à ces derniers, plus spécifiquement. Nos collègues climatologues sont face à des questions très compliquées, parce que les paramètres sont innombrables. De ce fait, ils doivent faire de nombreuses approximations pour obtenir des modèles approchés. Approchés, pour comme dans n'importe quelle science !
La capacité prédictive de ces modèles ? Elle est la même que pour n'importe quel autre modèle, mais là n'est pas la question. Ce que l'on sous-entend souvent, c'est que ces modèles sont moins bons que d'autres. Peut-être, je ne suis pas spécialiste. En revanche, ils sont tout autant "scientifiques", précisément parce qu'ils sont prédictifs.

Notre auteur de continuer : "Je crois qu'il s'agit d'une prophétie moderne comme l'a été l'astrologie à un moment donné, utilisant les données de l'astrophysique".
En réalité, il confond les modèles de climat et leurs prévisions. Pour un modélisateur scientifique, la prévision donnée par un modèle est une prévision qu'il faut tester par confrontation avec l'expérience. Un point c'est tout. C'est donc une critique infondée qui est faite.
D'ailleurs, il y a confusion entre les modèles et ceux qui les utilisent. Et une différence avec les prophéties, dont la définition est : "Annonce d'événements futurs par une personne sous l'inspiration divine". Les climatologues n'ont pas d'inspiration divine : ils font leur travail de modélisation mathématique, parfaitement scientifique.

Enfin "Elles sont invérifiables, ne se confirment jamais, et on ne peut jamais les contredire, car les données scientifiques contradictoires sont cachées ou alors elles génèrent la création de nouveaux modèles." Au fait, à quoi se rapporte ce "Elles" ? Dans le texte de l'auteur, le seul féminin pluriel est "les données astrophysiques". Quoi, les données astrophysiques seraient invérifiables ? Allons, un peu de sérieux ! Quand un satellite ou un télescope enregistre des rayonnements, cela est parfaitement vérifiable, au contraire, parfaitement vérifié, même. Contredire une donnée ? Allons : on peut contredire une personne, pas une donnée. On peut montrer qu'une mesure est fausse (les mesures sont d'ailleurs toujours fausses par principe, puisque la valeur mesurée est approchée, aussi près que le permet la précision de l'instrument, mais pas plus), mais on ne la contredira pas.  Ce que montre cette phrase, donc, c'est combien l'auteur du paragraphe est approximatif... d'autant que son "Elles" aurait dû être sans doute un "Elle", pour faire référence à la modélisation mathématique, ou un "aux" s'il avait évoqué explicitement les "modèles de climat". La fin de la phrase ici discutée est également intéressante : en science, la réfutation conduit toujours  à de nouveaux modèles, et c'est même là l'objectif que l'on vise : remplacer une théorie, un modèle, par une théorie "meilleure", en ce sens qu'elle décrit mieux (mais toujours de façon insuffisante, par principe) les phénomènes.

En cours d'article, on lit aussi "tous les modèles se sont révélés faux". Et oui, en science, tous les modèles sont "faux", disons insuffisants ou approchés si l'on préfère, mais la question n'est pas de faire des modèles "justes", ce qui serait un fantasme au moins aussi grand que de croire qu'une mesure puisse être juste. En science, d'ailleurs, les adjectifs sont interdits, et l'on doit répondre à la question "combien ?". Combien faux ? Combien juste ? Là est la seule question.
D'ailleurs, ne confondons pas l'activité scientifique, et l'utilisation de la science à des fins que je propose de qualifier de technologique.  C'est bien souvent l'utilisation de la science qui engendre des discussions, et pas la science elle-même. Ce qui pose la question des "experts" et du détournement trop fréquent de leur discours par les agences d'état en charge des champs techniques : l'aliment, le médicament, le climat...  Mais c'est là une question différente, politique, épineuse. Et je repars à mes études... de modèles insuffisants que nous devrons perfectionner.

mercredi 2 mars 2016

Ne pas confondre

Ce matin, je suis un peu désolé, parce que des élèves qui préparent un TPE, alors qu'ils me disent être au bout de leur travail, confondent cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire.

Moi qui croyais être clair !

J'avais préparé un document, mais, du coup, j'ai préparé une image, pour ceux qui ne comprennent pas bien ce qu'ils lisent (j'ai repris mon document : les mots sont pourtant clairs) :



dimanche 28 février 2016

Les diracs

Les diracs sont des préparations qui ont la composition des viandes, au premier ordre : comme elles, ils sont composés de 25 pour cent de protéines et de 75  pour cent d'eau. A cette pâte initiale, on peut  évidemment ajouter de la matière grasse (2 à 10 pour cent), des colorants, des composés qui donnent de la saveur et de l'odeur. Puis on cuit cette pâte soit directement à la poêle, soit après foisonnement, soit après filage... Et l'on obtient des systèmes ayant la fermeté des viandes... ou une consistance différente : il ne tient qu'à nous de faire quelque chose d'intéressant.

Pourquoi ces systèmes ont-ils été nommés des diracs ? Parce que le physicien britannique Paul Adrien Maurice Dirac est à l'origine de ce que physiciens et mathématiciens connaissent sous le nom de « pics de Dirac » : des distributions, vues comme des limites de fonction.

Pensons à une courbe gaussienne (f(x) = K exp(-x^2))  d'aire égale à 1.
Nous décidons de rétrécir la fonction en prenant toujours l'équation de la gaussienne, mais en faisant K2 exp(-k x^2), de sorte que l'aire reste égale à 1. A la limite, quand la largeur tend vers 0, l'aire restant toujours égale à 1, la hauteur devient infinie... et l'on obtient ce que l'on nomme un "pic de Dirac".

C'est un point isolé et merveilleux, tout comme l'est la proposition faite ici, dans l'ensemble des possibles reproductions de viande. On peut faire une copie de viande du  point de vue de la consistance, de la saveur, de la couleur, etc... mais cette proposition est très particulière. Et aucune copie de viande n'est de la viande. Il fallait donc donner un nom. Et comme cette copie était initialement isolée, comme un pic, j'ai choisi dirac (toutes les innovations que je fais, ou du moins la plupart, ont un nom de chimiste ou de physicien. Voir le Cours de gastronomie moléculaire N°1 (ed quae belin).

vendredi 26 février 2016

Quand la "cash investication " est une "trash investigation"


Une récente émission de France 2 sur le thème « Produits chimiques : nos enfants en danger » a suscité des réactions indignées sur internet et dans la grande presse (y compris dans Libération).

Cette émission était largement assise sur un axiome asséné d’entrée qui prétendait que « selon le rapport annuel de l’EFSA », « 97% de nos aliments contiennent des pesticides » et qu’il existerait des risques manifestes qui découlent pour la population et les enfants en particulier, en raison de cette « présence massive ».

La vérité est bien différente : entre 1996 et nos jours, soit près de vingt années d’analyses de contrôle pour la recherche de résidus de pesticides conduites par les états-membres, centralisées au niveau européen par l’EFSA, le taux des denrées alimentaires sans aucun résidu décelable n’a jamais été inférieur à 52,7%
Il était de 54,9% en 2012, 54,6% en 2013. 

Cela veut dire que la majorité des aliments que nous consommons, issus pour la plupart de l’agriculture conventionnelle, ne contiennent aucun résidu de pesticide décelable avec les moyens d’analyse les plus modernes.  

Dans une fraction minoritaire de nos aliments (42,2% en 2012, 43,9% en 2013), il est possible de déceler des traces d’une ou plusieurs des 800 substances phytopharmaceutiques recherchées, mais à des niveaux toujours inférieurs aux très officielles limites maximales de résidus (LMR) Ce qui veut dire qu’une fraction écrasante de notre alimentation (97,1% en 2012, 98,5% en 2013) est parfaitement conforme à la loi et ne présente aucun risque pour le consommateur.  

Ce qui ne doit pas nous empêcher de chercher à toujours réduire le faible nombre des cas où ces LMR sont dépassées (2,9% des échantillons analysés en 2012, 1,5% en 2013). Très fréquemment, ces cas relèvent de produits importés de pays très pauvres où la réglementation, lorsqu’elle existe, est souvent différente de celle qui encadre le travail des agriculteurs européens chez lesquels les taux de dépassement de LMR sont extrêmement faibles.

De nombreuses académies (qui n'ont rien à vendre, contrairement à certains journalistes) ont écrit  au CSA et au Président de France 2 une lettre argumentée pour dénoncer les contre-vérités portées par la récente émission, sa totale absence de déontologie, voire a volonté de manipulation de l’opinion qui s’exprime par de telles méthode. 

jeudi 25 février 2016

Professer ou enseigner

On se souvient que, dans des billets précédents, j'ai proposé de revenir sur le mot « enseignement », auquel je propose de remplacer "apprentissage". Non pas apprentissage au sens légal de ces périodes d'alternance, mais apprentissage au sens de Johann Wolfgang Goethe, celui du jeune Werther, la connotation romantique en moins (ou pas, mais cela est une autre affaire).
Bref, je soutiens que la vraie question de l'éducation est moins d'enseigner pour les professeurs que d'apprendre pour les étudiants. Ce renouvellement de la question éducative pose donc la question des enseignants et des professeurs. Quelle différence ?
Dans un autre billet, j'ai discuté la question des "enseignants", terme un peu barbare qui fut introduit pour des raisons idéologiques. Pourquoi le terme  est-il barbare ? Pensons à "apprenants", "soignants", et pourquoi pas "recherchants", tant qu'on y est à parler comme des cochons. Pourquoi le mot est-il idéologique ? Parce qu'il fut introduit pour ne faire qu'un corps, qui aurait gommé les différences  entre les instituteurs,  les professeurs des écoles, les maîtres, mais aussi les maîtres de conférences, les professeurs d'université. Une sorte d'utopie égalitariste idiote, qui prétend que les mots suffisent à nier les faits.
Ici, au contraire de ce mouvement de nivellement, je propose de bien distinguer, car il est juste d'observer que  c'est la distinction qui permet l'analyse fine, et l'efficacité : quel travail ferait un ébéniste qui confondrait marteau et tournevis, cheville et mortaise ? Si les termes techniques se sont multipliés, dans les métiers, c'est parce que  les divers objets ont des fonctions tout  à fait spécifiques. Et même si l'être humain n'est pas un ustensile (ce que dit justement Confucius), nous voyons bien qu'il y a des différences de compétences. Les diplômes reconnaissent ces dernières, et les diverses dénominations visaient, et visent encore, à mieux comprendre qui fait  quoi, notamment dans l'éducation.

Voyons donc en quoi des professeurs ne sont pas seulement des enseignants. Professer, c'est étymologiquement "dire devant", c'est-à-dire exposer des valeurs, alors que l'enseignant se contente d'essayer de transmettre des données techniques. Surtout au XXIe siècle, alors que  nous disposons d'Internet et de cours en ligne à foison, il est devenu complètement obsolète de chercher à transmettre des données techniques, que, de toute façon, nous ne pouvons pas transmettre, et que seuls les étudiants peuvent obtenir.
Nous ne pouvons faire qu'une chose : donner aux étudiants l'envie d'apprendre. Cette envie se replace dans un cadre, un cadre de valeurs, et professer devient une manière de faire un acte de foi. Pas un acte de foi religieuse, bien sûr, mais un acte de foi quand même : en sciences de la nature, nous avons foi dans l'hypothèse selon laquelle le monde est écrit en langage mathématique. C'est là  une vraie valeur, et un émerveillement permanent de voir que les équations collent si bien au réel. Mais il y a aussi  l'extraordinaire capacité prédictive des théories, et ce bonheur de repousser chaque jour les frontières de l'inconnu.
Bref, professer, c'est notamment faire état d'un émerveillement.

Dans un autre billet, je discutais d'ailleurs la question de l'enchantement ou de désenchantement du monde et je montrais que  la science, au lieu de désenchanter le monde, l'enchantait bien plus que tout autre activité humaine. Cet enchantement est sans doute le fondement du travail du professeur. Il y a quelques années, je proposais de structurer les cours en : données, méthodes, notions et concepts, anecdotes, et valeur. Aujourd'hui, je crains de m'être un peu trompé  : j'avais pris les choses à l'envers, et je crois plutôt qu'il faut d'abord exposer des valeurs, c'est-à-dire les motifs, les raisons, pour ensuite être convaincu qu'il devient intéressant de s'intéresser aux concept, notions, méthodes, et, finalement, aux données. Au fond, puisque les étudiants 2.0 n'ont plus besoin des enseignants, il reste un besoin de professeurs, et, si l'on regarde bien, si l'on écoute ceux qui ont eu de bons professeurs, on entend toujours la même chose, à savoir qu'ils leur sont reconnaissants de leur avoir transmis des valeurs.
Pour ce qui me concerne, ces valeurs sont inscrites sur le mur de mon laboratoire, mais elles sont aussi données en ligne dans de de nouveaux documents,  et je crois que je ne peux rougir d'aucune d'entre elles. Je ne crois pas inutile de les transmettre, et peut-être même de les discuter, car si nous sommes honnêtes, économique et intellectuellement, alors aucune question n'est gênante. 

Par exemple, ce matin, un correspondant m'interrogeait sur la cuisine note à note, sur la cuisine moléculaire, sur la gastronomie moléculaire. Dans ses questions, il y en avait  sur les OGM et les relations avec la gastronomie moléculaire. Je lui ai répondu que je ne répondrai pas à sa question, car c'est le seul moyen de perdre des amis et de ne convaincre personne. Ce matin donc, il me disait si la question était gênante, il pouvait  la laisser tomber. Au contraire ! Il faut qu'il garde la réponse que je lui ai faite, car cette dernière n'est pas une absence de réponse ; c'est, au contraire, la vraie réponse qu'il fallait donner ! Je ne suis absolument pas gêné par sa question, et j'ai répondu comme je devais le faire : aussi intelligemment que possible. D'ailleurs, pour mieux expliquer ma position, et pour expliquer pourquoi ma réponse était "pédagogique", je  propose de rappeler que mes enfants, tout jeunes, étaient toujours  furieux que je réponde "le cassis" quand ils me demandaient si je préférais la fraise ou la groseille. Je maintiens que c'était la meilleure réponse à donner. La question qu'ils posaient n'était pas gênante... mais elle était inappropriée.
Et je termine  ce billet sur cette observation : et si certaines questions étaient déplacées ? Et comment catégoriser ces questions déplacées ?

mercredi 10 février 2016

J'aime beaucoup le camembert, pas les camemberts

A-t-on le droit de sourire sur un site institutionnel ? Je l'ignore, mais comparons un texte d'un tel site à un guichet d'une institution gouvernementale : le citoyen (contribuable, ne l'oublions jamais) doit-il être reçu avec chaleur, ou avec froideur ? S'il n'est pas bien accueilli, il en viendra nécessairement à ne pas aimer son administration, laquelle devient alors illégitime. Première conclusion, de ce fait...


La suite sur
http://www.agroparistech.fr/J-aime-beaucoup-le-camembert-pas-les-camemberts.html

samedi 6 février 2016

A propos de rémoulade

Une question, à propos de terminologie :
Si je ne m’abuse, d’autres ingrédients rentrent dans la composition de la rémoulade (échalote, câpres, cornichons, etc.). Une simple mayonnaise avec de la moutarde n’est donc pas non plus une rémoulade. Peut-on l’appeler mayonnaise à la dijonnaise ?

La sauce rémoulade est une très ancienne sauce qui n'a pas obligatoirement ces ingrédients. Sa base est la moutarde.

Si, une mayonnaise à la moutarde, si l'on peut dire (ça m'arrache la plume) est une rémoulade.

Ou bien, disons plus justement qu'une rémoulade froide (il y en a des chaudes) sans moutarde devient (au XVIIIe siècle) une mayonnaise.




vendredi 5 février 2016

N'hésitons pas à répondre... même si la réponse a été donnée mille fois



Un email m'arrive d'élèves qui préparent un TPE :

Bonjour Monsieur, 
suite a votre mail  nous avons changé notre sujet qui était la cuisine moléculaire pour la cuisine note a note. Cependant nous ne trouvons pas la définition exact de la cuisine note a note. 
Nous ne comprenons pas s'il faut utiliser des composés chimiques ou des composés purs. 
Par exemple pour l'eau , on ne sait pas dans quelle catégorie elle rentre. Pouvez vous nous éclairer s'il vous plait ?

La question a été traitée mille  fois, et nos  jeunes amis n'ont pas cherché, ou n'ont pas su chercher.
Pourquoi répondre ? Parce que plus il y aura d'endroits, sur  internet, où trouver l'information, mieux  ce sera.

D'abord, je suis très heureux que nos amis, qui prévoyaient de faire un TPE sur  la cuisine moléculaire, aient changé pour la cuisine note à note. La cuisine moléculaire, c'est has been, et la cuisine note à note, c'est le futur !

D'autre part, la définition de la cuisine note à note : une cuisine dont les ingrédients sont des composés.

Faut-il utiliser des composés "chimiques" ou des composés "purs" ?
Manifestement, nos jeunes amis  ont besoin de "rappels de chimie".

Un composé, c'est une classe de molécules. L'eau est un composé, parce qu'un échantillon d'eau (dans un verre, par exemple) est  fait de molécules  toutes identiques. L'éthanol est un composé : un échantillon d'éthanol  serait fait de molécules toutes identiques (et différentes des molécules  d'eau).

Un échantillon d'un composé est "pur" quand toutes les molécules du composés sont identiques. Quand des molécules d'un composé différent sont présentes, le produit est impur. Evidemment rien n'est pur, parfaitement pur, sur cette terre. Tous les corps, même les plus purs, contiennent des impuretés, des "contaminants".
Par exemple, dans de l'eau distillée, il traine quasi obligatoirement des gaz dissous : des molécules d'azote, de dioxyde de carbone, etc.

Un composé "chimique" ? Est chimique ce qui a fait l'objet du travail de la chimie. Une molécule d'eau est "chimique" si  elle a été synthétisée. Si elle vient de la pluie, elle est alors naturelle... sauf si c'est une molécule qui avait  été synthétisée, s'est  évaporée et est redescendue avec la pluie ;-)

Que faut-il utiliser pour faire de la cuisine note à note ? Des composés. Chimiques ou extraits de matières naturelles ? Peu importe : une molécule d'eau, c'est une molécule d'eau ; une molécule de saccharose, c'est une molécule de saccharose...
Après, c'est une question de choix, de coût, etc.

Vive la cuisine note à note !

C'est quand même étrange


On me signale une "Cité internationale de...". Internationale ? De quoi s'agit-il ? Peu avant, j'avais vu un "Centre européen de..." (il s'agissait d'un cabinet médical).  Européen ? Pour un cabinet médical ? Et pourquoi pas "mondial", ou "intergalactique" ?

A me moquer, je risque  de prêter le flanc à la même critique, avec notre "Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra", créé l'an dernier. Pourtant, notre centre est effectivement international, puisqu'il a un comité scientifique international, et, surtout, des conventions avec des universités étrangères, en vue d'aider au développement international de la gastronomie moléculaire. Donc, pour ce qui nous concerne, pas de mensonge : notre centre est bien "international".

Mais pour le cabinet médical ? Je voir que l'"européen" est usurpé : c'est donc soit de la prétention, soit de la fraude, soit de la négligence. Et pour la Cité internationale ? Il faudrait y voir de plus près ! Je vous invite à le faire...

dimanche 31 janvier 2016

Vraiment, pas de temps pour cela !

Ce matin, un message charmant, de lycéens qui sont venus à mon séminaire  et qui ont apprécié le moment.
Très  bien.

L'ennui, c'est la suite de leur message :
Je rencontre actuellement un problème certain. Suivant vos conseils, je me suis rendu (dans le cadre de mon tpe sur la gastronomie moléculaire) sur le site de moleculargastronomy, et j'ai été intéressé par la recette des "billes surprise", trouvable au lien suivant : http://www.moleculargastronomynetwork.com/193-recettes/Billes-surprise.html . Cependant, ayant bien suivi les consignes et dosages à la lettre, je n'obtiens pas le résultat voulu... Mon bain d'alginate est beaucoup plus opaque, et plus "gélifié et gélatineux" que celui utilisé dans la vidéo. De ce fait (du moins je suppose que c'est à cause de cela), je ne parviens pas a faire se gélifier l'enveloppe des billes congelées. Celles ci se couvrent d'une trop grande quantité de gel, et c'est  un échec.
Comment faire ?
 
Là, désolé,  mais je ne peux  pas passer mon temps à faire le travail que  les autres doivent faire.  La recette donnée par ce site ne donne pas les résultats escomptés ? Il y a des dizaines de milliers (j'ai  vérifié)  de sites qui décrivent la chose, et j'engage donc mes amis à aller les consulter, pour apprendre par  eux-mêmes à résoudre les question qu'ils se posent. 

Cette question  du "ask the expert" se pose partout dans l'enseignement. Oui, on peut toujours essayer de consulter... mais les "experts" y perdent leur temps, leur énergie. La réponse à donner ? La même que  celle du médecin qui, dans un diner, se faisait interroger par un convives sur son état de santé : il répondait "Venez me voir en consultation". 
Dans mon cas, je ne suis pas en reste, avec le blogs bien trop nombreux où je donne des indications techniques ou technologiques. Que nos jeunes amis se retroussent les manches  ! 



vendredi 29 janvier 2016

De la mousse de yaourt ? Facile !



Des étudiants me demandent de les aider à faire une mousse de yaourt. Ils sont allés en cuisine, ont fait des essais, et ne sont arrivés à rien.

Mais, à l'analyse, ils s'y sont très mal pris... parce qu'ils n'ont que très superficiellement utilisé l'organe qu'ils ont entre les oreilles (j'espère) et, surtout, parce qu'ils manquaient de méthode : pour obtenir un tel résultat, il ne faut surtout pas aller en cuisine, mais  faire un travail technologique... qui commence avec le tableau  suivant  :




La question posée  ? Il est facile de remplir le tableau : comment faire une mousse de yaourt ?

L'analyse la question :  l'objectif est donc de faire une mousse de yaourt, mais, avant de nous demander comment faire, nous aurionsintérêt à nous demander ce qu'est une mousse  de yaourt, et  pourquoi faire une telle mousse !
Dans mon cas, après avoir interrogé mes interlocuteurs, j'ai appris qu'un industriel leur avait posé la question... de sorte que leur répondre revenait à donner gratuitement de l'expertise à cet industriel. Pas d'accord, il n'a qu'à payer ! 
En réalité, on voit que je réponds... mais c'est parce que, agent de l'Etat, je veux montrer :
- aux  étudiants qu'il faut de la méthode
- aux  industriels, que la science est la base de l'innovation?
Et je mets l'analyse en ligne afin que les concurrents de l'industriel l'aient également.

Des mousses ?  il y en a d'innombrables, avec des textures différentes, entre le blanc en neige, la crème fouettée, le sabayon, etc. Et s'il y a d'innombrables solutions, il est inutile que  nous nous lancions tête baissée dans la construction d'une mousse particulière, sans savoir  de précisions sur la "commande". La première chose à faire, pour un "bureau d'études" (puisque c'est bien de technologie dont il s'agit), c'est de bien demandder aux commanditaires de préciser leur commande.
Maintenant les étudiants des écoles d'ingénieur doivent savoir que le lait, le blé, le sucre,  sont des fantasmes, en ce sens que le lait est d'abord fractionné, en  eau, matière grasse, protéines sériques, caséines, etc., Le yaourt, de ce fait, est aujourd'hui composé à partir de ces fractions, de sorte que l'idée qui consisterait à foisonner un  yaourt serait naïve, même si l'on a ajouté de la gélatine ou une  des innombrables protéines foisonnantes qui sont à notre disposition. D'abord, le produit  ne serait plus exactement une mousse de yaourt, mais une mousse au yaourt, ce qui nous ramène à la question de la mousse au chocolat et de la mousse de chocolat, le chocolat Chantilly, que j'ai discutée  dans un autre billet.
Faire foisonner du yaourt ? Il y a dans le yaourt tout ce qui est nécessaire pour y parvenir, mais le le problème est surtout de stabiliser la mousse formée, pas de la produire, comme on s'en aperçoit en battant de l'eau pure : on voit des bulles d'air s'introduire, mais elles ne tiennent pas, alors que le blanc d'oeuf, lui,  accepte également les bulles d'air, mais les ne retient, parce que les protéines viennent entourer les bulles.
Dans la crème fouettée, la matière grasse cristallise au froid, et,  quand elle est en quantité suffisante, elle stabiliser la mousse. Toutefois, on peut aussi imaginer des systèmes où des composés forment  un gel "chimique", bien plus stables que des gels physiques. Les possibilités sont innombrables...
La question n'est donc pas de foisonner un yaourt,  mais plutôt de stabiliser la mlsuse obtenue. Quels composés du yaourt stabiliseront-ils la mousse  ?
Et puis ne peut-on pas chercher à obtenir des "mousses de yaourts" à partir des fractions évoquées plus haut, mais en séparant les étapes et en prévoyant immédiatement la stabilisation ?
Supposons que nous partions du petit lait des yaourts, c'est-à-dire de l'eau et des protéines et, plus précisément, de protéines sériques, qui peuvent coaguler. Alors la mousse obtenue pourra être passé au four à micro-ondes, de sorte que l'on déclenchera la coagulation et que la mousse sera stabilisée. Une autre façon consiste à reprendre l'idée de la crème fouettée, mais avec les composés du yaourt, c'est-à-dire essentiellement l'acide lactique obtenu à partir du lactose. On oublie pas que, historiquement, le yaourt a sans doute été une  découverte de nos lointains ancêtres qui, n'ayant pas les gènesdu métabolisme du lactose à l'âge adulte, étaient privés de la possibilité de consommer le lait, donc ont produit des yaourt, des fromages, etc.
Ajoutons (en vrac : on se souvient que je ne suis pas là pour répondre à la question de l'industrel qui n'a rien payé) que l'acide lactique donne un petit goût acidulé et frais, qui est intéressant, mais évidemment ce n'est pas le seul composé à faire le goût des yaourts, car la fermentation par les  deux micro-organismes essentiels utilisés pour faire les yaourts conduit à une série de produits, qui sont soit solubles dans l'eau, soit solubles dans l''huile,  de sorte que l'on peut récupérer les deux fractions pour les ajouter à la préparation finale. Finalement on voit que l'on pourra faire mille mousses de yaourts, avec mille consistances différentes, et mille goût différents. Rien de tout cela n'est difficile, à condition d'avoir bien analysé la chose.

Passons donc maintenant à la troisième ligne du tableau : la proposition de solution. Comme on a vu  qu'une  infinité de solutions étaient envisageables, nous sommes bien en peine de remplir cette ligne, sans indications supplémentaires. D'ailleurs, voici un conseil à mes jeunes amis : ne répondons pas aux questions mal posées. Au minimum, reformulons les questions pour les poser mieux, et répondons à des questions bien formulées.

Vient enfin l'évaluation de la proposition trouvée. Pour ce qui me concerne, elle est faite : j'ai dénonccé un commanditaire qui a passé une mauvaise commande, ce qui est le cas dans nombre de discussions technologiques, et, surtout, j'ai montré le bon exemple à des étudiants.
Mais il manque quand même de leur avoir signalé que la cuisine, c'est de la technique, de  l'art, du lien social.
En cuisine, le "bon", c'est le beau  à  manger... de sorte que nos jeunes amis devraient se rapprocher d'artistes, pour leur projet. Le pire serait qu'ils s'imaginent qu'ils vont être capables de faire "un bon goût" ! En architecture, rien n'est pire que les ingénieurs  qui se prennent pour des architectes  : il faut des artistes pour dessiner... et les ingénieurs seront là pour rendre les dessins possibles, comme cela a été le cas pour la Philarmonie, à Paris, récemment !

Moralité : avant de nous lancer, analysons correctement, méthodiquement, les questions qui nous sont adressées, et ayons suffisamment de culture (scientifique) pour y répondre. Sans quoi, nous ferons comme les étudiants qui m'avaient interrogé, à savoir produire un travail technique qui n'aboutit même pas, et qui, au mieux, est minable gustativement. Bref, j'invite tous  mes jeunes amis à utiliser le tableau précédent avec excès !

mardi 19 janvier 2016

Le nom des nouveaux éléments



Mon ami chimiste toulousain Armand Lattes lance une opération en vue de proposer aux inventeurs de nommer 1 ou 2 des 4 nouveaux éléments à partir des noms de 2 alchimistes parmi les plus connus.


Voici la proposition qu'il a envoyée à l'IUPAC :


Throughout the periodic table no element is called an alchemist! Yet the alchemists had planned (!) the transmutation, although their conception of it has no connection with reality, this idea deserve to be rewarded. I propose to carry out a survey to wish that this omission is repaired by the time 4 new items are recognized. I suggest two options: Flamellium (after Nicolas Flamel), symbol: Fa. and Paracelsium (after Paracelsus) Symbol: Pc.
My preference is to Flamellium as Nicolas Flamel claimed to have made transmutations, while Paracelsus is best known for its work in the health field (concept of active ingredient).




Je traduis :
Aucun des éléments ne porte le nom d'un alchimiste. Pourtant les alchimistes avaient envisagé la transmutation, même si leurs idées sur la chose n'avaient rien à voir avec la façon dont on est parvenu à faire des transmutations. En conséquence, il est proposé de s'interroger sur la possibilité de réparer cette omission, quatre nouveaux éléments ayant été découverts. Je propose deux options : le flamellium, du nom de Nicolas Flamel, sympole Fa, et le paracelsium, d'après Paracelse, symbole Pc. 
Ma préférence va au flamellium, car Nicolas Flamel a prétendu avoir obtenu des transmutations, tandis que Paracelse est plutôt connu pour ses travaux en pharmacie (concept de principe actif). 


Pour ceux qui sont intéressés par cette question : arlattes@yahoo.fr.
 

dimanche 17 janvier 2016

Est-ce bien de séparer les campus universitaire des villes ?



Est -il bon de déloger les campus universitaires des villes ?

Souvent, le raisonnement est le suivant : le mètre carré est coûteux, et les établissements universitaires, qui appartiennent à l'état, sont des bâtiments que l'on peut reconstruire dans des champs éloignés des centres des villes, ce qui permet de vendre les espaces récupérés à plus haut prix.
Certes, mais si l'on déloge les campus universitaires des villes, on crée une  communauté du savoir, qui est séparée de la communauté civile. Une communauté du savoir séparée de la société civile ? Cela s'est déjà vu, et cela a conduit à la révolution française. Des établissements de formation séparés des entreprises ? Il y a le risque que l'enseignement soit coupé du monde professionnel pour lequel les étudiants sont formés.
D'autant qu'il faudra bien loger les étudiants et les enseignants, les nourrir (bouchers, boulangers, bistrots, épiceries...), les "entretenir" (plombiers, électriciens,  laveries, teinturiers, médecins...), ce qui revient à créer, à l'extérieur des villes... des villes, autour des universités.
Et le cycle infernal reprendra, avec des villes de "vieux", sans vie étudiante, et sans possibilité pour la population générale d'aller facilement à l'université, ce qui revient à priver la population du savoir indispensable pour l'innovation.

Cela dit, la question mérite d'être replacée dans un cadre rénové par l'avènement du numérique. Par exemple, pourquoi aller en cours, quand on a sur son ordinateur de quoi travailler ? Et faut-il, encore, créer des amphithéâtres, alors que l'on peut imaginer des MOOC, qui rendront le savoir accessible au plus grand nombre ?

mardi 12 janvier 2016

Je me demande finalement si la vulgarisation ne nuit pas un peu à l'enseignement.

La question est ancienne de savoir quelle est la différence entre la vulgarisation scientifique et l'enseignement des sciences.  Pour la vulgarisation, une règle communément admise (mais que je propose de questionner ici) est
...


La suite sur http://www.agroparistech.fr/Vulgarisation-et-enseignement-les-relations.html

dimanche 10 janvier 2016

Une tribune importante dans Le Point


Tribune : il faut repenser et renforcer l'Agence nationale pour la recherche !

Huit grands scientifiques de l'Académie des sciences et du Collège de France, dont trois Prix Nobel, signent une tribune commune pour demander au gouvernement de réinvestir sans délai dans la recherche publique, au risque sinon de voir la France décrocher. Ils ont choisi Le Point.fr pour lancer leur appel.

Publié le - Modifié le | Le Point.fr
Alain Prochiantz du Collège de France, Prix Nobel, et Jean-François Bach, de l'Académie des sciences, font partie des cosignataires de l'appel.
Alain Prochiantz du Collège de France, Prix Nobel, et Jean-François Bach, de l'Académie des sciences, font partie des cosignataires de l'appel. © AFP/ MIGUEL MEDINA-BENOIT TESSIER
La recherche fondamentale, par son originalité et sa liberté, est génératrice des ruptures conceptuelles qui, par-delà leur valeur propre, une fois traduites en innovations technologiques et industrielles, assurent le succès des économies fondées sur la connaissance. Malheureusement, le financement de cette recherche est actuellement mis en péril par la faiblesse des crédits qui arrivent dans les laboratoires. Cette baisse reflète les investissements insuffisants dans les universités et les Établissements publics scientifiques et techniques (EPST) et l'affaiblissement dramatique du budget de l'Agence nationale pour la recherche (ANR).
Pour s'en tenir aux chiffres, depuis plus de 20 ans, les dépenses en recherche et développement (R&D) de la France plafonnent à 2,25 % du produit intérieur brut (PIB), loin de l'objectif de 3 % recommandé par l'agenda de Lisbonne de l'année 2000 et atteint, sinon dépassé, par nos principaux concurrents, dont nos amis allemands. Pour ce qui est de la recherche fondamentale, cela correspond à un déficit de l'ordre de 0,2 % du PIB, soit 4 milliards d'euros.
Les signataires de cette lettre considèrent qu'il est évidemment nécessaire que les universités et les EPST, tels le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), contribuent à une hauteur significative au financement pérenne des équipes. Ils n'en sont pas moins convaincus que le financement contractuel complémentaire, fourni par l'ANR, doit être très fortement augmenté.
Sur les dernières années, la diminution du budget de l'ANR, passé de 800 à 520 millions d'euros et la quasi-disparition des « programmes blancs » privent de financement les équipes qui s'engagent dans des travaux originaux relevant de la recherche fondamentale. À cet assèchement financier s'est ajoutée une complexification tatillonne des demandes de soutien. L'évaluation des résultats devrait être la principale contrainte, sinon la seule, en matière de financement de travaux fondamentaux.
Il est de notre responsabilité d'attirer l'attention des responsables politiques sur le fait qu'une ANR bien dotée, majoritairement orientée vers la recherche fondamentale et capable de financer au moins 20 % des projets pour une durée de 3 à 5 ans, permet de soutenir la grande majorité des équipes. Par ailleurs, et c'est là un point essentiel, une évaluation anonyme par des chercheurs pris dans la communauté internationale met à égalité les jeunes équipes et celles qui sont dirigées par des personnalités établies. On doit donc y voir un gage, non seulement de qualité, mais aussi d'équité.
La situation est donc particulièrement grave pour les jeunes chercheurs qui, après avoir été recrutés selon un processus extrêmement sélectif, se retrouvent sans crédits de recherche pour mettre en œuvre ou poursuivre de façon indépendante des travaux originaux, parfois en rupture avec l'existant, leur permettant d'accéder, ensuite ou parallèlement, à des financements compétitifs internationaux, européens tout particulièrement.
Cela conduit certains d'entre eux, de plus en plus nombreux, à se tourner vers d'autres métiers ou à programmer un départ vers des universités ou instituts étrangers. La recherche française commence à perdre les meilleurs talents des nouvelles générations, pour ne rien dire des chercheurs confirmés eux aussi atteints par le découragement face à une situation incompréhensible qui risque de nous faire perdre à court terme notre place encore éminente dans la compétition internationale.
Nous sommes conscients de la situation budgétaire de notre pays, non sans lien avec la faiblesse chronique de nos investissements en R&D, et nous comprenons qu'on ne pourra rattraper ce retard d'un seul coup. Mais nous demandons que le gouvernement programme ce redressement à moyen terme et consacre immédiatement 1 milliard d'euros supplémentaire à la recherche publique, dont au moins 500 millions à une ANR débarrassée des règlements absurdes qui lui ont été récemment imposés et réorientée majoritairement vers la recherche fondamentale. Une autre part de ce budget supplémentaire doit aller à l'embauche de chercheurs et enseignants chercheurs, plus tôt dans leur carrière, et à des salaires dignes des métiers auxquels ils se destinent.
Faute de changements courageux dans notre politique R&D, seuls quelques îlots de très haut niveau seront préservés, insuffisants pour conserver le tissu nécessaire de recherche fondamentale et pour assurer sa traduction en innovations technologiques et industrielles. Il n'y a plus un instant à perdre, il en va du maintien de notre pays parmi les nations qui comptent au niveau intellectuel, économique et politique. Pour reprendre le mot d'ordre mobilisateur de la COP21 « Plus tard, il sera trop tard ».
Signataires :
Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences
Anny Cazenave, Académie des sciences
Serge Haroche, Collège de France, Prix Nobel de physique
Édith Heard, Collège de France
Jules Hoffmann, Prix Nobel de physiologie ou médecine
Jean-Marie Lehn, Collège de France, Prix Nobel de chimie
Bernard Meunier, président de l'Académie des sciences
Alain Prochiantz, Collège de France

Je partage une connaissance fraîche

Il y a  ce que l'on sait un peu, et il y  a ce que l'on sait vraiment. Comme beaucoup, je sais  beaucoup (d'accord, pas assez, jamais assez), mais sais-je vraiment ?

Je fais état de mon ignorance : une "missive", c'est une lettre destinée à un correspondant officiel. Raison pour laquelle c'est pas un pléonasme ni une périssologie que d'écrire "lettre missive".

Cette fois, je le sais vraiment. 


Eloge de la technique

 Certains croient que la technique est une activité mécanique, où l'être humain pourrait être remplacé par une machine, un robot... Les idées de ce genre méritent d'être réfutées, et notamment en considérant qu'il y a souvent une composante artistique et une composante sociale dans l'acte technique.
Pour la cuisine, le soin, par exemple, est essentiel, parce que c'est une façon de se préoccuper du bonheur de ceux  que l'on nourrit. En outre, le  technicien culinaire qui ne se préoccuperait  pas de faire bon serait vite ramené dans le droit chemin, ce qui prouve,  à nouveau, que la question technique est merveilleuse : vive la technique intelligente !

La suite sur  http://www.agroparistech.fr/Mettre-en-oeuvre-une-technique-c-est-y-penser.html

samedi 9 janvier 2016

Etre positif ? Il faut s'entraîner

En ce début d'année, juste après ma résolution d'être très positif,  je reçois une sorte de cadeau : une liste des "tendances food 2016". Rien que le libellé de cette liste monte du parisianisme, c'est-à-dire du snobisme, de la prétention, mais,  quand on creuse, ça devient bien pire :  dans la liste en question, on trouve les power bowls (on mange dans des bols plutôt que dans des assiettes, que c'est novateur !  ; les légumes spaghettis... et l'on croit à des vertus "santé" ; les graines anciennes... et le fantasme du végétarianisme ; le "bon gras qui fait mincir : vraiment ? ; la nouvelle world food... qui est la cuisine régionale : la terminologie anglaise fait-elle la nouveauté ? ; les pâtisseries avec moins de sucre : chiche ?  ; les infusions bio : pas de commentaire ; le dish crawl, à savoir changer d'endroit pour manger les divers plats du repas ; et j'en passe, et des meilleures...
Pourquoi cet envoi est-il un cadeau ? Parce qu'il teste  ma volonté d'être très positif. Dans le paragraphe précédent, j'ai esquissé une critique... mais sans insister, parce qu'on se souvient que j'ai décidé d'être positif ! Si des individus décident de manger des légumes spaghettis, ça les regarde, et l'on voit mal pourquoi je les en empêcherais ou pourquoi je leur ferais une morale, inutile de surcroît. Si nos amis veulent changer de siège en cours de repas, pourquoi pas, et la généralisation de ce comportement ne provoque pas de mort d'homme ; alors..

Surtout, pour être efficace, il faut  être positif. Comment ? Surtout ne pas réagir, mais partir des données soumises pour donner des faits, des analyses rationnelles, des clés pour la compréhension. Au lieu de faire des remontrances, il y a la possibilité de distribuer la connaissance, de la connaissance scientifique, fondée sur les faits, non pas de  la poésie, par de l'expression de fantasmes.

Reprenons, par exemple, à propos de légumes spaghettis. Savons-nous bien que, selon la façon dont on coupe des tissus végétaux, le goût peut changer ? Cela peut être tout aussi bien la façon de couper (transversalement, par rapport à l'axe d'un légume) que l'outil de découpe : dans notre équipe, nous avons montré qu'un scalpel fait un goût différent de celui  que produit un couteau médiocre qui abime les tissus.
Par exemple, à propos de matière grasse. C'est l'occasion de dire que nous ne mangeons pas des "acides gras", mais plutôt des "triglycérides", ou des "phospholipides", qui sont des composés différents. Dans le système digestif, ces composés sont décomposés, et les fragments que nous absorbons sont utilisés par notre organisme pour faire notamment les membranes de nos cellules. Surtout, il est exact que les divers composés de la catégorie des matières grasses ont des structures chimiques différentes, de sorte que leurs effets sur l'organismes sont différents. Font-ils mincir ? Stricto sensu, sans doute pas, mais la dénonciation de l'erreur est moins intéressante que la possibilité de signaler que les matières grasses sont les composés les plus énergétiques de notre alimentation, et de dire que des graisses en excès ne sont pas mieux éliminées, mais, au contraire, davantage stockées. En outre, si l'on calcule l'énergie qu'il faut à un individu adulte pour vivre sans efforts particuliers, on obtient environ 300 grammes de matière grasse, et donc plus pour d'autres composés. Ce qui réfute le fantasmes des "pilules nutritives".
Bref, chaque ânerie est l'occasion positive d'explications... qui finiront bien par être entendues ! C'est le début d'une longue explication, mais je crois cette dernière essentielle. Nos amis (je parle de nos concitoyens) méritent des explications simples, d'ailleurs plus détaillées que celles que j'ai données ici, à simple titre d'exemple. C'est à cela qu'il faut s'atteler maintenant, en nous souvenant que tout le monde n'est pas chimiste, et qu'il faudra expliquer, simplement, gentiment, avec un immense enthousiasme pour les connaissances de qualité !

jeudi 7 janvier 2016

Par email, par courrier, par téléphone, par sms, je reçois de très nombreux messages d'étudiants intéressés par la gastronomie moléculaire ou par la cuisine moléculaire, voire la cuisine note à note, ce qui me réjouit évidemment, car cela prouve que je réussis à partager ma passion pour la connaissance et ses applications.

Pourtant j'ai souvent peur que  nos amis soient déçus, notamment quand il s'agit d'étudiants qui me demandent s'ils peuvent venir faire un stage dans notre équipe de recherche. Par exemple, ce matin, une étudiante anglaise me disait s'être amusée beaucoup à faire des chocolats chantilly, des berzélius, des gibbs…  La semaine dernière, c'était un correspondant autrichien qui  faisait un dirac et un gibbs.  Je ne parle pas de ceux qui font des perles d' alginate ou qui utilisent des siphons, car il s'agit là de cuisine moléculaire, telle que je l'ai proposée il y a 35 ans, et ma réponse est alors qu'ils feraient mieux de s'intéresser à la cuisine note à note.
Ce qui me trouble, c'est que mes interlocuteurs me parlent souvent de cuisine, quand je parle moi de gastronomie moléculaire,  et je veux profiter d'un message reçu il y a  quelques instants pour donner deux exemples des travaux que nous faisons au laboratoire afin de donner des explications pour le futur.

Nos jeunes amis sont de deux types principaux : il y a les cuisiniers, et les étudiants en science et en technologie, mais invariablement, je réponds  à tous que, dans notre groupe de recherche, notre travail quotidien consiste à mettre en oeuvre des méthodes d'analyse, telle la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, la fluorimétrie, l'électrophorèse capillaire, la chromatographie en phase gazeuse avec spectrométrie de masse, ou bien,  pour la partie théorique, nous cherchons à résoudre des équations différentielles ou des  équations aux dérivées partielles. Je donne maintenant un exemple de chaque cas.


Voir la suite sur http://www.agroparistech.fr/Ce-que-nous-faisons-au-laboratoire-de-la-gastronomie-moleculaire-pas-de-la.html

dimanche 3 janvier 2016

Comment faire une découverte scientifique ?

Comment faire une découverte scientifique ? Je vous invite à commenter le billet : http://www.agroparistech.fr/Comment-faire-une-decouverte.html


vendredi 1 janvier 2016

Un dîner me donne l'occasion d'expliquer

Lors d'un dîner, je suis conduit à avouer à mes amis que je ne suis pas au courant des « actualités ». N
i par les journaux, ni par les radios, ni par les télévisions (que je n'ai pas), ni par internet... Cela étonne mes interlocuteurs (et même mon entourage proche)... mais j'espère que l'on me fait assez confiance pour penser que j'ai des raisons puissantes de me comporter ainsi.
Lesquelles ? Voilà une première question. Est-ce un désintérêt politique ? Voilà une deuxième question...  à laquelle la réponse est évidemment un "non" énergique !


Pas de lamentations. De l'action ! 

Commençons par la première question : pourquoi éviter (c'est d'ailleurs difficile) les  actualités ?
Tout date de 1980, quand, étant par hasard devant un écran de télévision, j'ai vu ces enfants qui mouraient de faim au Biafra. Les images étaient effroyables, avec des corps squelettiques, des ventres boursouflés, et mon sentiment était évidemment le même que celui de n'importe quelle autre être humain normalement constitué : je me lamentais, comme tout le monde.
Le déclic est venu le jour suivant, parce que, par hasard, je me suis  à nouveau retrouvé devant un écran de télévision, qui m'a montré ces mêmes images. Et j'ai compris que je me lamentais... sans rien faire ! Ce jour-là, j'ai décidé que j'utiliserai mieux mon temps, à agir plutôt qu'à me lamenter.

D'ailleurs, avons-nous vraiment besoin des actualités pour savoir que, aujourd'hui, dans le monde, des populations souffrent de famine ?
Avons-nous besoin d'informations pour savoir que dans certaines parties du monde, il y a des guerres, des querelles de territoire (souvent parce qu'il y a du pétrole, de l'or, de l'uranium...),  des fanatiques...  ?
Avons-nous besoin des "faits divers" pour savoir que le monde souffre des exactions d'individus malhonnêtes…  (mais je sais  aussi qu'il y a des gens merveilleux, honnêtes, droits, loyaux, soucieux des autres, admirables) ?
Sommes-nous naïfs au point de ne pas savoir que, bien souvent, l'idéologie masque des motifs économiques, qui ne sont pas avoués…
Ne savons-nous pas qu'il y a la pluie, la grêle, la sécheresse, les volcans, les inondations, les tsunamis...
Ne savons-nous pas qu'il y a chaque jour des vols, des meurtres...
Et ne devons-nous pas craindre, enfin, que les détails donnés par ceux qui distribuent l'actualité soient souvent inutiles et nous détournent de l'essence des faits ? 


Quelle action ? 

Car c'est bien de cela qu'il s'agit : quelle peut être notre action pour faire (naïvement, j'en conviens) un monde meilleur ? 
En 1980, déjà fervent lecteur de Diderot et de ses amis des Lumières, j'avais cette idée (naïve, bien sûr)  que notre monde irait mieux avec plus de rationalité. Cette conviction m'a fait travailler pendant 20 ans à la revue  Pour la Science, qui n'est certes pas une revue très grand public, mais qui est largement reprise par d'autres revues plus populaires, de sorte qu'un discours bien construit, une rationalité bien présentée, pouvaient avoir un effet démultiplicateur.
Puis, en 2000, j'ai quitté la rédaction en chef de la revue Pour la Science pour aller faire de la recherche scientifique et de l'enseignement à l'Inra, où, au fond, l'objectif n'a pas changé, puisque ma lettre de mission me confie le soin de faire ce que je faisais, à savoir chercher à repousser les limites de la connaissance (la recherche scientifique) et distribuer un message de Raison, par le truchement des résultats de la gastronomie moléculaire.


C'est pour des raisons politiques que...

C'est pour cette même raison politique qu'existe ce blog et d'autres.
C'est pour des raisons politiques que sont publiés mes ouvrages.
C'est pour des raisons politiques que je prends sur mon temps de recherche pour répondre aux interviews, pour aller  dans des émissions de radio ou de télévision parfois un peu "gaudriolesques".
C'est pour des raisons politiques que je prends du temps pour de l'enseignement, que j'explique à nos jeunes amis que, pour la majeure partie d'entre eux, la technologie vaut mieux que la science.
Mon action est-elle efficace ? Pourquoi ne pas être plutôt ministre, député, par exemple ?
Frère Jean des Entommeures répondait très justement : " car comment pourrais-je gouverner autrui, qui moi-même gouverner ne saurais ?".  Rabelais propose que l'éducation soit la clé de l'harmonie dans l'abbaye de Thélème. Diderot, dont je chéris le souvenir, avait l'Encyclopédie, comme socle sur lequel il écrivait ses oeuvres.
D'où tant de cours en ligne gratuits ? D'où les Atelier expérimentaux  du goût,  pour les écoles primaires, et les Ateliers Science & Cuisine, pour les les collèges et les lycées. D'où les blogs, les interviews. D'où cette cuisine note à note qui heurte mes interlocuteurs et que, pourtant, je continue à promouvoir dans le monde...

Et là, j'espère avoir convaincu : la moindre seconde gagnée sur les "actualités" est une possibilité de faire changer notre environnement. Il n'y a donc pas à hésiter...



PS. Je me fais à moi-même la remarque que, oui, j'écris des billets, des livres, des articles... mais j'aime cela. Serais-je en train de faire passer pour une action politique un simple amusement, un goût personnel ? En réalité, l'écriture est, si l'on reprend les écrits de Condillac et de Lavoisier, une façon de mieux penser, de sorte que la production de textes écrits, si c'est exact qu'elle m'intéresse beaucoup, vise quand même la production d'une pensée affinée.
D'autre part, il n'est pas interdit d'avoir deux objectifs simultanés. D'ailleurs, imaginons que je ne retienne que l'objectif politique. On pourrait imaginer que sa mise en œuvre intrinsèque soit un plaisir personnel… ce qui n'est pas le cas. En revanche, oui, c'est dans les moyens de la mise en oeuvre que j'y trouve du plaisir, et je renvoie vers un autre billet pour montrer comment le plaisir d'un travail permet de faire mieux ledit travail, plus efficacement.
Ce que je dis là vaut pour l'écriture comme pour la recherche scientifique, bien évidemment, mais il est également vrai que ma façon de promouvoir un certain émerveillement par les sciences de la nature se fonde sur la production de résultats scientifiques, de sorte que , là encore, il y a deux objectifs confondus, et  ma connaissance, il n'y a aucun mal à cela,  à joindre l'utile à l'agréable.

L'induction

Dans des billets précédents, à propos de la quatrième étape de la méthode scientifique (des sciences de la nature), j'ai évoqué l'"induction"... mais on m'a justement fait observer que cette notion pouvait être inconnue de certains de mes amis.
Il faut donc expliquer.

Précisons d'abord que  l'induction que j'évoquais n'est ni l'induction électromagnétique, ni l'induction, au sens des raisonnements par récurrence ou des définition par récurrence.
Pour ces dernières, il s'agit de dire que si une propriété est vraie pour un nombre 1, et si le fait que la propriété soit vraie pour le nombre n a pour conséquence qu'elle soit vraie pour le nombre n+1, alors la propriété est toujours vrai.
Un exemple ? Considérons une grande file d'étudiants. Si le premier a un pull bleu, et si l'on nous dit que tout étudiant qui a un pull bleu est suivi d'un étudiant avec un pull bleu, alors nous pouvons savoir que tous les étudiants ont un pull bleu. Bien sûr, cet exemple est d'un intérêt limité, mais en mathématiques, avec des ensembles infinis, la récurrence s'impose absolument.

Toutefois l'induction à propos de laquelle on m'a reproché d'être implicite n'est pas celle-là. C'est une opération mentale qui consiste à généraliser un raisonnement ou une observsation à partir de cas singuliers. Elle a un statut bien particulier, et, en particulier, elle s'oppose un peu à la déduction.
Pour cette dernière,  on part d'axiomes ou de définitions, et l'on  produit des conséquences logiques. Avec la déduction, on n'obtient que des résultats tautologiques, déjà contenus dans les prémisses dont on tire les conclusions.
L'induction,  en revanche,  génère du sens en passant des faits à la loi, du particulier au général. En ce sens, la déduction logique ne produisant aucune nouvelle connaissance, au sens où les propositions déduites sont virtuellement contenues dans leurs axiomes, elle est par conséquent analytique ; au contraire, l'induction enrichit la conscience de nouveaux faits : elle est alors synthétique.

Un exemple ? Mettons-nous dans la peau  du physicien allemand Georg Ohm, qui, au 18e siècle,  met une pile en série avec un fil métallique, et qui mesure la différence de potentiel entre les bornes du fil, ainsi que l'intensité du courant électrique qui parcourt alors le fil. Il mesure donc un couple de valeurs  (U1, I1). Puis il branche une autre pile, et mesure un autre couple (U2, I2). Une troisième pile, et ainsi de suite.
Pour chaque couple de mesures, il divise la différence de potentiel par l'intensité du courant... et il découvre que ce rapport est environ constant.  Il induit alors que la différence de potentiel est proportionnelle à l'intensité du courant, et il  nomme "résistance" la constante de proportionnalité, qui dépend uniquement du fil conducteur considéré.

A la réflexion, cette opération de généralisation, par "induction", qui prétend établir une loi générale à partir de cas particuliers, est tout à faire extraordinaire, d'une audace immense ! Mais cet espoir dans une certaine simplicité du monde est, aussi, remarquablement efficace : l'ensemble de l'édifice scientifique est fondé sur l'induction.