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samedi 12 janvier 2019

Cuissons de viande (suite)

Dans la série des idées fausses qui traînent, on me signale celle-ci, selon laquelle, quand on sale une viande avant de la sauter, le sel mettrait entre 5 et 8 minutes à se dissoudre.
C'est faux, car le sel en présence de liquide commence  immédiatement à se dissoudre, à partir de la surface, progressivement.
Ce qui est en jeu, c'est la fin de la dissolution, la disparition du cristal de sel... et cela intervient après un temps qui dépend évidemment de la taille des cristaux. Par exemple, pour ce "sel glace" que j'avais inventé, la dissolution est quasi instantanée.


La pénétration du sel dans la viande ? Il n'y a pas de règle  générale, parce que tout dépend des viandes, et aussi de la découpe, avec les fibres parallèles ou perpendiculaires à la surface grillée. Il y a des viandes pour lesquelles le sel n'entre pas, même après plusieurs heures ou jours, et d'autre pour lesquelles le sel pénètre par capillarité entre les faisceaux de fibres musculaires (c'est surtout vrai pour les viandes très tendres, ou pour la chair de poisson, par exemple).


La meilleure solution, entre saler avant, après, pendant ? C'est celle que l'on préfère !
Je rappelle que l'art culinaire est de l'art : et le "meilleur", c'est celui que je préfère. Rien à voir avec la technique... surtout quand les conseils viennent d'incompétents.


J'entends parler de saler pour modifier la structure des protéines et éviter qu'elles se tordent à la cuisson en expulsant du jus : le collagène, qui sera désorganisé à la cuisson, se contracte en fonction de la température, et la perte en jus ne dépend pas de la viande, seulement, mais surtout de la température atteinte ! Et c'est la raison pour laquelle la cuisson à basse température donne des viandes si tendres et si juteuses : avec peu de contraction collagénique, il y a peu d'exclusion du jus.


Caramélisation et réactions de Maillard : quand une viande brunit, il n'y a pas de caramélisation, car cette réaction est un brunissement qui résulte de la désydratation intramoléculaire du saccharose, le sucre de table... qui est absent des viandes. Certains disent que le brunissement résulte de "réaction de Maillard", mais on doit parler au pluriel (les réactions de Maillard), d'une part, et, d'autre part, le brunissement des viandes grillées n'est pas un résultat de réactions de Maillard, mais  surtout de diverses pyrolyses ou thermolyses. Mais évidemment, dire "réactions de Maillard", ça impressionne (disons : il y a de l'imposture, parce que cela fait savant ; pensons : plusieurs syllabes !)


Et je m'arrête là, parce que l'éventail des élucubrations ou des inventions est infini. Ne lisons que les bons auteurs !



vendredi 11 janvier 2019

A propos de viande grillée

Un cousin m'interroge à propos de grillades, et il fait bien parce qu'il traîne, dans des livres ou sur internet, des idées complètement ahurissantes (et fausses !) , énoncées par des individus qui se font passer pour les spécialistes qu'ils ne sont pas : je rappelle que n'importe qui sachant écrire peut publier des livres, et que l'on a ainsi vu, par le passé le "baron Brisse" écrire des tissus d'âneries. Pas de raison que nous n'ayons pas l'équivalent aujourd'hui. 
Bref, voici le message :

Je te contacte pour savoir si tu as fait des expériences sur le salage et le "poivrage" des viandes (avant cuisson ou pas) ?
Il y a beaucoup de recettes qui circulent et il est difficile de faire sa religion.
J'ai pour habitude de saler les viandes à griller après la réaction de Maillard afin d'éviter avant cuisson la perte de jus et aussi pour ne pas faire brûler le sel. Un soi disant boucher m'affirme qu'il faut saler 24 h 00 avant si l'on veut que cela pénètre les fibres et que le sel puisse se dissoudre (ce qui se ferait  difficilement lors de la cuisson).


 Ma réponse est facile à faire, parce que j'ai étudié cette question il y a bien longtemps, et que nous en avons même fait plusieurs "séminaires de gastronomie moléculaire". Où, je le rappelle, nous faisons des expériences publiques, dont les résultats sont visibles par tous ! Enfin, j'ai fait état de résultats plus récents dans mon livre "Mon histoire de cuisine" (éditions Belin, Paris).





Lors du premier séminaire consacré à la question, il y avait donc des cuisiniers professionnels, et nous avons eu l'occasion de voir que toutes les "théories" étaient représentées : ceux qui salaient avant la cuisson, ceux qui salaient pendant et ceux qui salaient après. Evidemment, chaque école avait ses "raisons", mais personne n'avait fait de comparaison. La comparaison, c'est nous qui l'avons faite, et il n'y avait pas de différences.
On trouvera notamment cela exposé dans les comptes rendus des séminaires : 
http://www2.agroparistech.fr/-Le-Groupe-d-etude-des-precisions-.html

Tout cela étant dit, je signale que nous avons fait des expériences poussées, telle l'utilisation de microscopie électronique à balayage X, et nous n'avons pas vu de sel entrer dans les viandes, au cours d'une cuisson ordinaire où le sel est placé avant, que la viande soit de type entrecôte ou bavette (sens des fibres par rapport à la surface exposée à la chaleur).
D'autre part, j'ai fait des expériences de mesure de la masse sur des semaines.
Enfin, on verra dans le livre cité que le type de viande détermine le résultat.

A propos de "réactions de Maillard", maintenant : je crois qu'il serait temps de cesser d'évoquer ces réactions, qui existent bien, mais qui sont secondaires, quand même.
Le brunissement des viandes que l'on cuit résulte d'une foule de réactions, dont les réactions de Maillard -que j'ai popularisées- ne sont qu'un exemple... toujours cité par ceux qui n'en connaissent pas d'autres.
Mais que l'on pense surtout à la déshydratation intramoléculaire des hexoses et à mille autres pyrolyses ou thermolyses. Je signale, par exemple, que des protéines brunissent à la chaleur sans présence de sucres réducteurs (obligatoires pour les réactions de Maillard).

Et c'est pour cette raison que j'avais proposé, lors de la rénovation du CAP, que l'on parle de cuisson avec ou sans brunissement, proposition qui a  été retenue.

Brûler le sel : le sel ne brûle pas, et l'on aurait beau le chauffer dans une poêle chauffée au rouge qu'il resterait sous forme de sel. Certes, il perdrait son eau de cristallisation... mais la regagnerait aussitôt, au refroidissement. Pensons que le sel est le sel, et le reste lors des cuissons.


Bref, je suis heureux que mon cousin m'ait consulté  : cela me donne l'occasion, ici, de rectifier des erreurs qui ont trop souvent cours.
Et pour saler : quand on veut ! Pour poivrer : plutôt après la cuisson si l'on ne veut pas perdre les fraîches notes odorantes et piquantes du poivre.


dimanche 17 décembre 2017

Cautériser la viande ? Un fantasme



De nombreux livres de cuisine indiquent que l'on doit saisir les viandes sautées afin de cautériser la chair, d'empêcher le jus de sortir. Que penser de cette prescription ?

Faisons l'expérience de poser un steak dans une poêle très chaude, et observons : nous entendons du bruit, nous voyons des bulles à la base du steak, et nous voyons aussi une fumée s'élever. 
Si nous mettons un verre froid dans la fumée, nous le voyons se couvrir de buée, ce qui montre que de l'eau s'évapore de la viande... ce qui est bien naturel, puisque l'on chauffe de la viande, laquelle est faite de 60 pour cent de protéines et de 40 pour cent d'eau. 
 
Disposant de cette première observation, nous pouvons maintenant comparer deux poêles où cuisent deux moitiés d'un même steak, l'une chauffée doucement et l'autre chauffée très fort. 
Dans les deux cas,  il y a de la fumée. Autrement dit, que l'on chauffe doucement ou énergiquement, de l'eau s'évapore ; autrement dit, si par hasard il y avait cautérisation, cette dernière ne préviendrait pas efficacement la sortie du jus ! D'ailleurs, prenons un steak sauté vivement et posons-le dans une assiette : rapidement, la viande surmonte une flaque de jus, preuve que la cautérisation ne prévient pas la sortie du jus. 
 
Pourquoi cette prescription, alors ? Parce que si l'on cuit lentement une viande, un thermocouple que l'on placera sous la viande, au contact de la poêle, montrera une température constante de 100° : c'est l'indication que le débit de sortie du jus de viande est supérieur à la vitesse l'évaporation du jus. En revanche, si nous sautons très vivement la viande, nous pouvons observer que la température sous le steak argumente considérablement, atteignant 180, 200, 250°, signe qu'il n'y a plus d'eau liquide et que, contrairement au cas précédent, on n'est pas en train de faire bouillir la viande. 
De ce fait, les réactions chimiques responsables de la formation de composés sapides, odorants, colorés ont lieu, et la surface de la viande prend un goût bien particulier.

Comment rendre cela quantitatif ? 

Bien sur, il y a eu la mesure de la température sous la viande, mais pourrions-nous faire un modèle ? Nous pourrions vouloir calculer l'épaisseur de la croûte. A cette fin, il faudrait déterminer la puissance transmise à la viande, ce qui pourrait se faire en remplaçant la viande par une petite coupelle pleine d'eau. En mesurant la température de l'eau, on pourrait suivre l'échauffement, et déterminer la puissance de chauffage. Puis, de ce fait, on pourrait calculer l'épaisseur de la croûte formée. 

Et c'est alors le début d'une longue histoire, celle d'une exploration scientifique de la cuisson des viandes.Vive la gastronomie moléculaire ! 


vendredi 1 avril 2016

Etes-vous blanquette ou viande grillée ?

La viande grillée peut être délicieuse... mais que  cela signifie-t-il ? Que je l'aime ? Je suis alors comme de nombreux animaux, dont on a montré qu'ils préfèrent les aliments cuits aux aliments  crus. Cela étant, grillée comment ?
Je profite de l'occasion pour rappeler qu'une viande cuite à la poêle n'est pas poêlée, mais sautée, car une poêle est le plus souvent un sautoir. Pour poêler, il faut utiliser un poêlon.

J'aime aussi beaucoup la blanquette... quand elle est artistiquement composée. Pourquoi un zeste de citron est-il si intéressant, dans un tel plat ? Pour la crème, je comprends, puisque c'est de la matière grasse, mais le citron ?

Cela dit, pourquoi ne considérer que ces deux préparations ? Un lièvre à la royale me plait bient, et un faisan en cocotte, et une choucroute, etc.

vendredi 25 mars 2016

5. Êtes-vous brunch ou barbecue ?


Brunch :  je ne sais pas très bien ce que ça veut dire. Et puis, dois-je utiliser un mot anglais à la mode ? Contraction de breakfast, petit déjeuner, et lunch, déjeuner. Un petit déjeuner que l'on prendrait à midi ? Un déjeuner, donc. D'ailleurs, pourquoi le petit déjeuner  serait-il obligatoirement fait de café, jus d'orange, croissant ou tartines ? Pourquoi pas des mets plus engageants ?
Pour le barbecue,  je comprend mieux :  il s'agit de grillades. Et là, il peut y avoir  le meilleur comme le pire. Mettre la viande au-dessus du feu, c'est la charger de benzopyrènes  cancérogènes en grande quantité !

Oui, quand on fait un feu, même si l'on attend qu'il n'y ait plus que des braises, et pas de flammes, la viande se charge de benzopyrènes. Environ deux mille fois plus qu'il n'en est autorisé par la loi dans les produits fumés de l'industrie alimentaire. N'est pas inconséquent de critiquer les pesticides ou les additifs (sans bien connaître le dossier, en général) et, en même temps, de se bourrer des produits cancérogènes ?
D'ailleurs, il faut ajouter que même s'il n'y a que des braises, les benzopyrènes sont présents. Et, le pire, c'est que, généralement, quand on met la viande au-dessus des braises, la graisse qui fond tombe sur les braises, rallume le feu, et des flammes viennent lécher la viande, tandis que  des flammèches noires se déposent. Et l'on prétend manger sainement ? Au  Japon, où l'on entend uun discours hygiéniste au moins égal à celui des Français, j'ai  éclaté de rire en voyant, dans un restaurant de grillades, que l'on plaçait la viande wagyu sur  des briques incandescentes... et immédiatement, quand la graisse à fondu, des flammes d'un mètre de hauteur au beau milieu desquelles la viande grillait ! Ce n'est pas une critique du Japon : nous faisons de même en France tous les étés !
Surtout cela est le signe d'une grande ignorance  : les bons rôtisseurs ne mettent pas la viande sur le feu, mais devant le feu, ce qui évite des benzopyrènes et conduit à une viande bien grillée, croustillante. La cuisson se fait tout aussi bien : les rayonnements infrarouges se propagent dans toutes les directions.

C'est à dire partout : on devrait peut-être interdire les barbecues  les plus communs, ceux  où la viande est au-dessus du feu, et qui conduisent le public à s'empoisonner. Il y a un effort de santé publique à faire : on ne peut pas à la fois lutter contre les pesticides et s'intoxiquer avec les benzopyrènes cancérogènes.