A un jeune pâtissier qui veut apprendre, je réponds :
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
A un jeune pâtissier qui veut apprendre, je réponds :
On me montre un article dans une revue nommée "applied sciences", du groupe MDMI.
1. Attention aux journaux de ce groupe
2. Les "sciences appliquées" n'existent pas ; il n'y a que des application des sciences, en tout cas pour les sciences de la nature. Et cela ne m'étonne pas, parce que (1).
Ce matin, je reçois un message :
Bonjour,
je viens de lire un excellent article de "The conversation", où M. Hervé THIS nous expliquait, outre les techniques physico-chimiques du soufflé, que nous pouvions solliciter de votre part les compte-rendus des Séminaires de gastronomie moléculaire.
Ainsi, je me permets de vous en demander communication. je suis un cuisinier amateur, plutôt "bec salé" que sucré. je m'en remets à vous pour dimensionner le nombre et la nature des compte-rendus que vous aurez la gentillesse de me communiquer.
d'avance, un GRAND merci à vous !
Et voici ma réponse :
Merci de votre message.
Pour les comptes rendus des séminaires de gastronomie moléculaire, les voici tous : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/resultats
Il y a notamment un tableau excel qui évite de balayer toute la liste.
Et les comptes rendus sont "rédigés"
bonne journée
The day after the Sonning Prize ceremony, I was invited by my colleagues of the Food Science Department of the University of Copenhagen (thanks to them), and Bettina Illeman Larsen recorded this : https://www.instagram.com/p/DJrRsHFAmAk/
Happy to share, and thanks to her
Aujourd'hui, une question m'est posée :
Pourriez-vous nous expliquer ce que recouvre comme additifs le terme « arômes « sans qualificatif d’une liste d’ingrédients alimentaires?
La réponse est... que si le mot arôme apparaît sur un produit commercialisé, il doit être défini par la réglementation, et, en conséquence, doit être recherché sur economie.gouv.fr.
De fait, la recherche est rapide : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/les-fiches-pratiques/etiquetage-des-denrees-aromatisees. Et on lit "Lorsque vous voyez la mention "arôme" sur un produit alimentaire, cela signifie qu'une substance est ajoutée pour lui donner une odeur ou un goût spécifique."
Puis on trouve, l'explication du mot "arôme" :
"Il s’agit d’un produit non destiné à être consommé en l’état, qui est ajouté aux denrées alimentaires pour leur conférer une odeur et/ou un goût ou modifier ceux-ci.
Les arômes peuvent être constitués notamment de substances aromatisantes (molécules, telles que la vanilline ou le menthol) et/ou de préparations aromatisantes (extraits, huiles essentielles, etc.).
Des additifs ou d’autres ingrédients peuvent être ajoutés aux arômes comme support : ils permettent de dissoudre, diluer ou disperser l’arôme. "
En l'occurrence, les "arômes" ne sont pas des additifs ; ils relèvent d'une autre catégorie.
MAIS SURTOUT :
Je combats absolument cet usage du mot "arôme", parce que, en bon français, un arôme est l'odeur d'une plante aromatique. Non, ces aromatisants sont des ... aromatisants, qu'ils soient des composés ou des préparations.
D'ailleurs, le texte réglementaire est également fautif en ce qu'il confond un composé, une molécule, une substance.
Vite, écrire au ministre pour qu'il ordonne des changements !
Quand une soutenance de thèse est planifiée, c'est que les rapporteurs ont été mis un avis favorable et que, en réalité, l'affaire est déjà faite, que la thèse est acceptée en toute probabilité.
Il y a donc lieu de savourer ce moment de la présentation et non pas de le redouter. Il n'y a pas besoin de stresser puisque cela ne sert à rien, que tout est joué. Et il vaut bien mieux savourer ce moment-là, un moment de science et comme un repas qu'on servirait à nos amis.
J'ajoute que les membres du jury, scientifiques, sont comme des taureaux devant qui nous avons intérêt à agiter le torchon rouge des mécanismes. Ils sont avides de venir discuter de sciences, avec le doctorant et entre eux.
Bien sûr, le doctorant doit s'adresser à tous puisque la soutenance est en réalité une façon de montrer que l'on est capable de travailler dans l'enseignement supérieur, c'est-à-dire de faire cours. D'ailleurs, les questions du jury sont de ce type de : elles s'apparentent aux questions que les étudiants pourraient poser si l'on faisait un cours à l'université.
Mais il n'y a pas de doute qu'un doctorat qui a bien travaillé pendant 3 ans sera parfaitement répondre aux questions puisqu'il les aura envisagées pendant ces trois années. Et d'ailleurs, il n'est pas dit que le professeur puisse répondre à toutes les questions au sens de donner la réponse à cette question ; ce qu'il doit donner, c'est une réponse, et même peut-être qu'il ne sait pas. Il n'y a pas de honte à ne pas savoir, et, dans un tel cas, il s'agit surtout d'envisager comment on pourrait avec plus de temps répondre à la question ou comment, si un travail n'a pas été fait on pourrait le faire...
Bref il n'y a pas à stresser mais à savourer ce moment. Le doctorant ayant invité son jury, il doit lui donner du bonheur comme quand on invite des amis à dîner ; il doit avoir mis les petits plats dans les grands, ce qui signifie avoir préparé correctement le powerpoint qu'il va utiliser. Et de même que l'on met une nappe propre sur la table, on évitera évidemment les fautes d'orthographe dans les textes, par exemple. Mais ensuite, il y aura lieu de servir des mets délicat, de montrer des idées intéressantes...
Si on en est capable, on peut évidemment faire mieux, par exemple organiser un discours parfaitement élaboré, faire une sorte d'événement mais cela est en plus et en vérité la soutenance est l'occasion de pouvoir se mettre en position de faire cela.
Il faut en profiter, il faut en profiter pour grandir, il faut en profiter pour s'amuser... Bref la soutenance d'une thèse doit être un moment merveilleux
Je viens d'être consulté par deux étudiants, l'un à propos d'un document powerpoint qu'il doit présenter bientôt et l'autre à propos d'un poster. Dans les deux cas, ma réponse est "Dites-moi en une phrase ce que vous voulez que vos interlocuteurs entendent".
Dans le cas du document PowerPoint, par exemple, la dernière diapositive était consacrée aux conclusions et aux perspectives : il y avait toute une liste qui était donnée... mais on ne retient pas une liste. Dans l'autre cas, le poster, il y avait toute une série de boîtes correspondant à l'introduction, le matériel, les méthodes, etc., et, noyé dans tout cela, il y avait un "take home message"... mais c'est justement ce qu'il ne faut pas faire : noyer la chose importante dans le reste.
Dans les deux cas, il faut prendre beaucoup de recul et commencer par faire l'important ,car c'est ensuite seulement que l'on fera le détail.
Par exemple dans le cas du poster, notre ami aurait pu placer le "take home message" en plein milieu, bien souligné par de la couleur, ou bien à la fin puisque c'est cela que l'on retient le plus. En tout cas, dans les deux cas, il fallait voir le plus important très aisément.
Dans le cas du PowerPoint, il y a la constitution générale mais aussi la constitution de chaque page : pour chaque page, le titre doit être court, concis, frappant et aussi visible que possible.
Ensuite il doit y avoir une image et une seule, très énergique, et le moins de texte possible parce que le texte sera dit par l'orateur, et qu'il ne faut pas être redondant sous peine que nos amis se sentent considérés comme des imbéciles.
Bien sûr, il y a des détails "importants " et notamment toutes les conditions expérimentales qui doivent être aussi précises que possible : cela s'écrit et ne se dit pas, car dans un discours, soit on insiste sur ces conditions expérimentales parce qu'elles sont essentielles, soit on les indique seulement en passant, pour que nos auditeurs voient le sérieux du travail. Mais il y a un choix à faire.
Dans les deux cas, il
faut des références, et, mieux, le plus de références possible. Des références
bien choisies avec éthique : chaque phrase, chaque idée, chaque fait doit
être indiqué par une référence primaire et j'insiste sur les références
primaires en renvoyant vers un billet d'il y a quelques jours.
Pour terminer, je reviens sur l'idée forte que je veux
transmettre : il faut faire le gros avant le détail et le gros doit
être gros tandis que le détail doit être de détail.
Ce matin, alors que je décris la vie de Louis Joseph Gay-Lussac, j'évoque Nicolas Vauquelin, et j'indique le zèle dont il faisait preuve et qui lui valut l'amitié de Claude Geoffroy.
Mais j'hésite à parler d'ardente intelligence ou d'intelligente ardeur.
On comprend bien que dans un cas, il y a d'abord de l'intelligence, tandis qu'il y a de l'ardeur dans le second.
L'ardeur, je sais bien ce dont il s'agit mais l'intelligence ? Je suis de ceux qui considèrent que labor improbus omnia vincit, un travail acharné vient à bout de tout ; je suis de ce qu'ils veulent encourager des étudiants à penser que leur intelligence résultera de leur travail et qu'il y a donc beaucoup d'espoir. Je suis de ceux qui aiment le labeur, même si le mot parait pesant.
Inversement, je n'aime guère la mousse qui, en matière d'intelligence s'apparente plutôt à une écume (en bon français : une mousse faites d'impuretés).
Bref, je suis de ce qui maintiennent que l'on est ce que l'on fait et que nos prétentions à l'intelligence n'ont guère d'intérêt. Je suis de ceux pour qui ce qui est intrinsèque est essentiel dans les activités, et ce qui est extrinsèque parfaitement secondaire, voire nul.
Pour en revenir à Vauquelin, je ne sais pas s'il était un enfant intelligent, mais je sais qu'il eut l'intelligence d'être travailleur et, mieux encore, d'être intéressé par la chimie et par l'étude en général.
N'ayant pas eu de formation initiale en latin, à une époque où cette langue s'imposait, Vauquelin l'apprenait, emportant avec lui les pages de mots qu'il apprenait par coeur tandis qu'il était chargé de diverses commissions, comme si nos actuels livreurs d'Amazon délivraient leurs colis en lisant des livres de mécanique quantique.
Vauquelin fit mentir les idées de classe, et ce fils de petit paysan, par son intelligente ardeur, devint un des grands chimistes de son temps.
Chers Amis
Pardonnez mes insuffisances informatiques : je viens de découvrir tout une série de commentaires à mes billets, et j'ignorais leur existence !
Là, je viens de cocher une case qui me le signalera, à l'avenir, mais, dès que le 14e International Workshop on Molecular and Physical Gastronomy sera passé (jusqu'à 16 mai), je répondrai à tous les messages !
Avec mes excuses.
Hier, lors d'une discussion avec un étudiant, je me suis aperçu qu'il manquait de connaissances pour faire bien, malgré son envie de faire bien, et cela me semble très intéressant : pouvons-nous vraiment réclamer à des étudiants ce dont ils ne sont pas capables ? Je crois que ce serait injuste.
En l'occurrence, alors que nous
discutions présentation orale, il s'agissait d'indiquer les méthodes qu'il avait
utilisées.
Par exemple, il avait utilisé des méthodes microscopiques,
mais aussi gravimétriques, et granulométriques. Dans sa présentation, il ne voyait qu'un manque, à savoir la marque de l'appareil employé et les conditions utilisées lors de la mise en oeuvre... mais je lui ai fait remarquer qu'il manquait SURTOUT des références à la validation de la méthode employée : on n'utilise pas un matériel simplement en appuyant sur des boutons ; on doit mettre en oeuvre une méthode rationnelle, et, surtout, validée. Soit validée par soi-même, soit validée par d'autres.
Notre jeune ami ignorait l'existence de telles méthodes, ignorait l'existence des répertoires officiel de méthodes validées, internationalement reconnues, telles qu'indiquées dans les document de l'AOAC, l'Association of Official Agricultural Chemists.
Il faut donc dire ici que toute méthode doit être mise en œuvre selon un protocole qui a été exploré, étudié, caractérisé, validé... Mettre en œuvre un appareil, une méthode, cela signifie soit montrer soi-même que cette méthode est bonne, soit se fonder sur le travail d'un collègue qui antérieurement aura fait ce travail là.
Cela vaut pour tous les gestes expérimentaux, d'une simple pesée jusqu'à la mise en œuvre d'une méthode spectroscopique compliquée. Pour la pesée, par exemple il s'agit de savoir qu'il y a des règles sur l'utilisation d'une balance et notamment un consensus international à propos de la masse minimale que l'on peut peser avec une balance donnée, de la masse maximale que l'on peut poser aussi avec cette même balance.
Et je conclurai en observant combien mes discussions avec les étudiants sont utiles, dans la mesure où elles me montrent l'étendue de ce qu'il faut leur transmettre avec bienveillance, clarté, rigueur... et un peu de charme car on n'oubliera pas que les fleurs forment de jolis bouquet quand elles sont réunis avec art.
PS. SI l'on est dans le cas de l'étudiant discuté ici, on voit que la question qui s'impose est "Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?"
Hier, lors d'un échange avec un jeune scientifique chinois, celui-ci m'écrit que je suis un exemple pour sa génération... et je me demande bien en quoi.
Ce que je comprends, d'abord, c'est qu'il y a cette passion réelle et affichée pour la science, que je distingue bien de la technologie.
Je l'ai exprimée dans un texte intitulé Le château de la science : il est certain que ma quasi dévotion pour la chimie peut donner à certains un élan, une possibilité de comprendre les beautés de la chimie, et de la science en général.
D'autre part, dans cette même journée d'hier, la discussion avec une étudiante m'a montré qu'il y avait lieu de ne pas faire les choses au hasard, qu'il fallait étudier pour devenir capable de travailler avec rigueur, structure : est-ce un exemple à donner?
Et encore une autre discussion m'a fait comprendre ce que j'ai exprimé dans un billet précédent, à savoir que nos travaux devaient être fondés sur un sol aussi ferme que possible, je veux dire par là que nous devons faire des recherches bibliographiques extraordinairement rigoureuse, fouillée.
Derrière tout cela, il y a la question de la rationalité, la question de la méthode, de la rigueur et le temps passé à vouloir faire bien.
Au fond , c'est peut-être cela que mon
jeune collègue entendait ?
Je reçois un message :
C'est quoi le principe de la tenue de la vinaigrette ?
car je cherche toujours les proportions parfaite pour qu'elle tienne bien ferme
moutarde ancienne
eau
vinaigre
huile olive
huile d'arachide
Je vais commencer par discuter le mot vinaigrette, avant de répondre à la question.
Qu'est-ce que la vinaigrette ?
Nous
sommes bien d’accord : la dénomination des mets doit revenir à ceux qui
l’on initialement utilisée, n'est-ce pas ? C'est, en effet, une
question d'éthique, que de reconnaître la paternité des inventions, des
idées, des découvertes.
De ce fait, pour savoir ce qu’est une vinaigrette, il faut donc remonter dans le temps.
Commençons au Larousse gastronomique,
qui dit simplement, et sans référence, que la vinaigrette est une
émulsion d’un corps gras et d’un produit acide. Définition idiote,
puisque l'on pourrait faire une émulsion de jus de citron (acide) et
d'huile : sans le mot "vinaigre" présent, ce n'est manifestement pas une
vinaigrette ! D'ailleurs le Larousse gastronomique confond tout,
puisqu’il admet aussi bien de la crème et du jus de citron, que du
vinaigre et de l’huile. Décidément, oublions un texte aussi peu
éclairant.
Le Guide culinaire ? Ce n’est guère mieux,
puisqu’il confond la « Ravigote (ou Vinaigrette) », pour une sauce qui
réunit de l’huile, du vinaigre, des câpres, du persil, cerfeuil,
estragon et ciboulettes, oignon, sel et poivre.
Oui, la présence des
herbes fait la ravigote, et le seul mérite que l’on puisse reconnaître
ici, c’est de ne pas avoir confondu avec la rémoulade, qui, elle,
contient de la moutarde.
Remontons donc dans le temps, pour voir si
nous trouvons mieux que ce livre que je n’aime pas, parce qu’il a donné
l’apparence d’un livre savant, en entérinant des définitions fautives.
Au
19e siècle, le cuisinier Urbain Dubois, par exemple, écrit ainsi : «
Vinaigrette : Délayez dans une terrine, une cuillerée de moutarde, avec
de l'huile et du vinaigre; ajoutez sel et poivre, oignon, échalote,
persil, cerfeuil et estragon hachés; ajoutez quelques câpres entières. »
Pas terrible : cela, c’est une rémoulade en ravigote !
Allons, montons plus loin encore, avec le Ménagier de Paris, publié vers 1393… qui dit ainsi que la vinaigrette est une « sauce faite d'huile, de vinaigre et de divers condiments » (Ménagier de Paris, II, p. 108).
Voici
qui est plus clair… à cela près que l’on trouve aussi « Prenez la
menue-haste d’un porc, laquelle soit bien lavé et eschaudée, puis rostie
comme à demy sur le greil : puis minciez par morceaux, puis les metez
en un pot de terre, du sain et des oignons coupés par rouelles, et
mettez le pot sur le charbon, et hochiez souvent. Et quand tout sera
bien frit ou cuit, si y mettez du boullon de beuf, et faites tout
boulir, puis broiez pain halé, gingembre, graine, saffran, etc., et
deffaites de vin et de vinaigre, et taites tout bouilir, et dit être
brune. »
En traduisant, il s’agit de prendre de la viande de porc
rôtie, avec de la graisse, des oignons ; on cuit, on ajoute du bouillon,
puis du pain grillé, des épices, et du vin et du vinaigre, avant de
faire bouillir : rien à voir avec ce que nous disons aujourd’hui être
une vinaigrette.
Cette recette est-elle une particularité exceptionnelle ? Non, car c’est presque la même que celle du Viandier,
de Guillaume Tirel. C’est si l’on peut dire la véritable recette ! Et
notre vague mélange moderne de vinaigre et d’huile, parfois agrémenté de
moutarde, n’est qu’une piètre préparation… qui mérite d'être améliorée.
Comment cela tient-il ?
Partons
de la recette qui a été donnée par mon correspondant, et qui est donc
plutôt une rémoulade, puisqu'il y a de la moutarde et de la matière
grasse.
La moutarde est faite de graines, donc de tissus
végétaux, qui contiennent notamment des phospholipides et des protéines,
de sorte que la broyer finement avec de l'huile permet la dispersion de
l'huile sous la forme de gouttelettes, ce qui est une "émulsion".
Plus
on mélange énergiquement, plus les gouttelettes sont petites, et plus
l'émulsion est stable. Simultanément, la couleur s'éclaircit, comme on
le voit en faisant l'expérience de préparer une mayonnaise (jaune
d'oeuf, vinaigre et huile) à la fourchette, puis en passant un coup de
mixer plongeant dedans : à l'endroit mixé, la sauce est bien plus ferme,
et bien plus blanche.
Plus ferme : cela signifie d'autre
part que les gouttelettes d'huile bougent plus difficilement... et donc
que la sauce est stabilisée.
Une étudiante m'interroge, et voici ma réponse :
Je
me permets de vous écrire dans le cadre de la préparation de mon Grand
Oral, que je présenterai en fin d’année. Je suis élève en classe de Terminale avec la spécialité Physique-Chimie, matière
que j’apprécie tout particulièrement. Vous avez bien raison, la chimie est merveilleuse ! Le sujet que j’ai choisi s’intitule : « En quoi les sciences physiques permettent-elles d’expliquer la réussite de la tarte au citron meringuée ? » Je crois que le titre doit être changé : ce serait plutôt "Comment les sciences de la nature permettent-elles de bien réussir des tartes au citron meringuées", n'est ce pas ? Ce projet se découpe en trois parties : 1. Le gel citronné, où je traite de l’arôme de citron (notamment la possibilité de le synthétiser par estérification), ainsi que de la gélification par l’agar-agar. Attention : plutôt que
d'arôme, vous devriez parler de goût, parce que l'arôme, en français,
c'est l'odeur d'une plante aromatique. Et, d'autre part, ce que vous
proposez de synthétiser, c'est sans doute un composé particulier de
l'odeur de citron (lequel ?). Je suppose donc que vous imaginez un
ester... mais le gout de citron semble principalement venir du limonène
ou du citral ? D'autre part, dans les recettes classiques, la
gélification de la crème citronnée résulte d'une crème citron, par de
l'emploi d'agar-agar ; pas de problème, mais c'est juste pour bien
situer (et le phénomène de gélification est passionnant dans les deux
cas). 2. La pâte sablée, sur laquelle porte ma demande. 3. La meringue, avec un focus sur l’hydrolyse du saccharose. L'hydrolyse du saccharose : elle me semble très minoritaire dans cette affaire. Concernant la deuxième partie, je m’intéresse aux phénomènes physiques qui interviennent lors de la cuisson de la pâte sablée, et notamment à l’utilité de piquer la pâte avec une fourchette avant cuisson. J’ai tenté de formuler une explication basée sur mes connaissances, mais j’aimerais avoir votre avis pour valider ou corriger mes hypothèses. Attention : baser sur est un anglicisme Voici ce que j’ai envisagé : • Lors de la cuisson, l’eau présente dans la pâte se transforme en vapeur. Si la pâte n’est pas piquée, cette vapeur pourrait s’accumuler localement, ne trouvant pas d’issue. Cela créerait des bulles de gaz sous la surface, faisant gonfler la pâte, étant donné l’important volume occupé par l’eau sous forme gazeuse. Oui, l'eau de la pâte
s'évapore : il suffit de peser une pâte avant et après cuisson pour voir
la masse d'eau perdue, d'où le volume de vapeur produit. En faisant le calcul, vous verrez qu'une large proportion de vapeur est perdue (ce qui réfute votre "ne trouvant pas d'issue"). • J’ai
alors pensé qu’une fois que toute l’eau est passée sous forme de
vapeur, certaines « bulles résiduelles » continueraient d’augmenter,
mais cette fois, simplement par la loi des gaz parfaits auxquels on peut
assimiler l’eau dans certaines conditions. Votre phrase ne
va pas : vous voulez dire sans doute que les bulles piégées pourraient
gonfler davantage. Et oui, vous pouvez utiliser la loi des gaz
parfaits... mais comment allez vous choisir la pression ? Si les bulles
ne sortent pas, cela signifie que la pâte résiste. En effet, je pensais que ces petites bulles résiduelles augmenteraient en volume sous l’action de la température : augmentation de la température T, ferait augmenter le produit PV pression x volume. A condition que la résistance de la pâte cuite le permette.
• Cependant, en consultant certains articles, notamment
les vôtres, j’ai lu des explications faisant intervenir la formation de
feuillets de pâte séparés par de la vapeur, mais cela semblait concerner
plutôt la pâte feuilletée. Oui, c'est pour la pâte feuilletée, et seulement celle-là. Dans votre cas (pâte à foncer, brisée, pas le même phénomène). Ma question est donc la suivante : Dans le cas spécifique de la pâte sablée, l’augmentation de volume que l’on observe si l’on ne pique pas la pâte est-elle uniquement due au changement d’état de l’eau (et à l’importante différence de volume entre l’eau liquide et gazeuse), ou bien la loi des gaz parfaits peut-elle aussi être mobilisée pour expliquer certaines bulles persistantes durant la cuisson ? Voir les comptes rendus du séminaire de
gastronomie moléculaire
(https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires) pour voir
pourquoi il est peu judicieux de parler de pâte sablée. Je crois me
souvenir que c'est pendant le covid que nous avons eu ces études. Pour le soufflé, le texte suivant répond : https://seafile.agroparistech.fr/f/436e3640fb0c4c42b329/?dl=1 Par
ailleurs, parle-t-on bien de bulles, ou peut-il aussi être question de
feuillets emprisonnant la vapeur, même dans le cas d’une pâte sablée ? Je crois qu'il faut parler de bulles, ce que montre une microscopie. Je vous serais très reconnaissante si vous pouviez m’apporter un éclairage clair sur ces points. J’ai passé beaucoup de temps à chercher des explications, mais j’ai du mal à trouver une réponse précise et consensuelle. Consensuelle ? Le consensus n'a rien à
faire en sciences. Il faut des évaluations quantitatives des phénomènes,
et c'est cela qui fait que les sciences de la nature sont si
merveilleuses : l'expérience réfute toute autorité, d'une part, et,
d'autre part, le monde est écrit en langue mathématique, disait
justement Galilée. Je crois avoir précisément montré que
quand différentes hypothèses sont possibles, c'est bien l'évaluation
quantitative qui s'impose. Si je me souviens bien, c'est ici : https://seafile.agroparistech.fr/f/ac4bb8000ebc406da82e/?dl=1 https://seafile.agroparistech.fr/f/ac4bb8000ebc406da82e/?dl=1 |
La preuve, nous dit cet excellent Trésor de la langue française informatisé (TLFi, gratuit, en ligne), c'est "ce qui est susceptible d'établir la vérité, la réalité de quelque chose".
Et l'on voit immédiatement la difficulté. La question de la vérité étant très difficile (et celle de la Vérité serait pire), on pourrait vouloir se poser d'abord la question de la réalité, de l'existence.
Mais même là, les choses sont bien difficiles : l’illusionnisme nous montre bien combien nos sens les plus fondamentaux peuvent nous tromper. Certes, je sens le mur quand je fonce dedans, mais, en colère ou dans des états de conscience modifiée, je ne sens plus la douleur. Or quand sais-je que ma conscience n'est pas modifiée ? Au fond, les prestidigitateurs rendent aux scientifiques un service immense, parce qu'ils font bien comprendre que, parfois, nous sommes abusés par nos sens : nous voyons des phénomènes qui n'existent pas, des pièces de monnaie qui disparaissent, ou, au contraire, des colombes qui sortent de chapeaux. Tout cela doit nous rendre extrêmement prudents quand nous discutons de "preuves" ou de "démonstrations".
En matière criminelle, on nous parle des preuves, mais les a-t-on jamais vraiment ? S'agit-il de preuves absolues, ou bien simplement d'indications ?
J'observe en passant que l'expression "preuve absolue" me semble bien périssologique. De manière juridique aussi quand on demande des preuves de la possession d'un bien d'une identité, la question des preuves se pose, et l'on n'a souvent que des indications plus ou moins probables. Et même les méthodes les plus modernes, à savoir les tests ADN, peuvent se tromper.
Toute la question repose sur le fait que nos sens sont faillibles, que nos instruments de mesure sont imprécis : tout cela anéantit la possibilité de preuve ailleurs qu'en mathématiques.
Reste à savoir maintenant si l'on peut faire une démonstration, en sciences de la nature.
Là, il faut considérer que le mot "démonstration" désigne d'abord l'action de montrer, avant d'avoir le sens (approché) de preuve mathématique.
D'ailleurs, cette observation, assortie de l'idée qu'il ne doit pas exister de synonymes, laisse penser que la démonstration mathématique n'est pas la preuve.
Plus généralement, nous arrivons à cette question terminologique : soit on définit la preuve comme une justification irréfutable, parfaite absolument rigoureuse ; soit on considère qu'il s'agit simplement d'arguments.
Dans la première acception, la preuve n'est qu'en mathématiques, et pas en sciences de la nature. Mais dans la seconde acception, on doit évidemment admettre qu'il y a des preuves.
Bref, on aurait donc bien un intérêt à se situer soi-même dans un discours qui utilise le mot "preuve" ou à demander à nos interlocuteurs de se situer de même, sans quoi nous risquons l'incompréhension mutuelle.
Quant à la "vérité"... Je la laisse à ceux qui pourront me la définir correctement !
Une jeune fille m'interrogeait hier à propos de phénomènes qui pourrait être discutés, en vue d'en faire des chapitres de livres : lesquels prendre, en cuisine ?
Cela part évidemment d'une idée tout à fait exceptionnelle : il faut d'abord saluer cette envie de s'intéresser à la physique et à la chimie, et notamment quand elle part de la cuisine.
Mais il y a surtout lieu d'expliquer combien la sélection est facile, car la science sécrète son objet en quelque sorte : partant des phénomènes, elle en fait l'exploration.
Ainsi il y a donc lieu, pour n'importe quel phénomène, de se lancer dans un mouvement infini qui consiste à bien identifier le phénomène, à le délimiter, puis à le quantifier, à chercher des regroupements des données en équations, puis à chercher des regroupements d'équations avec de nouveaux concepts qu'il faut alors imaginer et qui doivent être quantitativement compatibles avec les données ; il faut ensuite chercher des conséquences logiques des théories ainsi constituées et tester expérimentalement es conséquences.
Tout cela mérite d'être accompagné de longues discussions, de longues explications, et il faut souligner que le mouvement est infini puisque toute théorie est insuffisante : il faut moins les présenter que les réfuter, en chercher des réfutations.
Ce mouvement infini, c'est le mouvement de la recherche scientifique, qui se fait pour n'importe quel phénomène, et en regardant dans ma cuisine, je vois mille choses qui sont tendues à mon intérêt.
Par exemple, alors que je fais mariner les anchois dans du sel, je vois l'eau qui sort des tissus musculaire des poissons... mais comment ?
Dans le bocal, je vois une matière grasse à la surface mais d'où vient-elle et comment est-elle apparue ?
Je vois que les chairs brunissent, mais pourquoi ?
À côté du bocal d'anchois, il y a ce saumon que j'ai fumé pendant le weekend : quelles molécules de la fumée ont-elles parfumé mon saumon et où se sont-elles placées ?
Pas loin, il y a des quenelles, toujours de poisson que j'ai également réalisées pendant le weekend à partir de chair de poisson broyée avec des œufs et de la crème. Et comment le broyage a-t-il modifié la chair ? Quelle est la taille des segments de fibres musculaires finalement obtenus ? Quelle est la répartition des tailles ? Pourquoi celle-là ? Existe-t-il un rapport entre l'énergie que j'ai dépensée pour broyer et cette distribution ? Puis, lors de l'ajout de blanc d'œuf et de crème, le broyeur a-t-il introduit des bulles d'air ? Et de quelle taille ? Cette taille dépend-elle de la viscosité de la chair hachée ou plutôt du mixeur ? Et la graisse : les gouttelettes de matière grasse présentes dans la crème ont-elles été divisées lors du broyage ?
À ce stade je peux m'arrêter : je crois avoir bien montré combien phénomène pouvait donner lieu à une longue discussion. Evidemment cette discussion n'a pas été faite ici, mais il suffit de considérer tout article scientifique pour s'apercevoir que la question initiale de mon interlocutrice avait une réponse facile.
Hervé This, Qu’est-ce qu’un ragoût, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, 5 mai 2025, https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/publications/encyclopedie/quest-ce_que_le_ragout.pdf
Hervé This, Le coulis, universel ou simple ?, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, 5 mai 2025, https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/publications/encyclopedie/le_coulis_universel_ou_simple.pdf
Address for the Sonning Prize Ceremony
Hervé This
Copenhagen, 9 April 2025
Dear Colleagues, Ladies and Gentlemen
It goes without saying that I am deeply honoured to receive the Sonning Prize 2025.
The legacy of past recipients of the Prize is truly outstanding: Sir Winston Churchill, Bertrand Russell, Karl Popper, Ingmar Bergman, Günter Grass, the Danish icons Jørn Utzon and Lars von Trier... I am proud to be the third French recipient, after the Nobel laureate Albert Schweitzer, also an Alsatian, and Simone de Beauvoir.
In the spirit of acknowledging our shared heritage, I intentionally left out the remarkable Niels Bohr from the list of distinguished Danes, because he and I share something special: we are scientists—Bohr, a physicist, and I, a chemist.
One might ask: what is the relationship between molecular and physical gastronomy, which is a part of chemistry, and culture? The answer is simple: molecular and physical gastronomy bridges science, which is culture, and cooking, which is also culture.
I repeat that I am deeply honoured, but I am also greatly concerned about food security. By 2050, the global population may exceed 10 billion, raising a crucial question: What will they have to eat? This issue extends beyond food security and food safety. We must nourish both the body and the mind, for humans are not merely stomachs—we are cultural beings.
Exactly two centuries ago, the French lawyer Jean-Anthelme Brillat-Savarin became renowned for his reflections on the art of eating. In his book The Physiology of Taste, he wrote, that while animals feed, only humans know how to eat, meaning that they are able to appreciate the cultural signification of food. I would argue that this is not an inherent truth, but rather an aspiration. Whether young and old, we must learn how to eat.
To become truly humans, we must elevate food from the stomach to the mind. Achieving this requires the contributions of all disciplines. Indeed gastronomy encompasses history, geography, philosophy, economics, literature, and, of course, the culinary art. It also draws from the natural sciences—biology, physics, and, notably, chemistry.
Another famous gastronome, Alexandre Balthazar Grimod de la Reynière, rightly observed that “the cackled pieces seem better”. Eating culturally means discussing what we eat, celebrating the culinary artistry of the cook, and appreciating the time, intelligence and effort devoted to preparing dishes.
Culture, language, words… The importance of words was well recognized by the French chemist Antoine-Laurent de Lavoisier, who revolutionized chemistry with a new nomenclature: one cannot improve science without improving language, and vice versa.
It is not widely known, but Lavoisier studied meat broth, anticipating the field of molecular and physical gastronomy. He wrote: ‘We cannot help but be surprised, whenever we ask ourselves questions about the objects we are most familiar with, to see how vague and uncertain our ideas often are, and how important it is, therefore, to fix them with experiments and facts”. And what could be more familiar than the culinary activity, which sustains us several times a day?”
So let us now turn to cooking. It has certainly a technical component, but what’s the point of performing tasks like peeling carrots or whipping eggs, which can be done by machines? The true interest of cooking lies not in mere technique, but in its artistic nature: cooks, at home, in restaurants or in industrial food companies, are expected to create food that has to be good, that is to say beautiful to eat. As there is still resistance to this idea, I insist: the goal is not only to make food visually appealing. Rather it is to make it beautiful in taste and in thought.
Yet even this does not fully capture the essence of cooking. The most technically and artistically accomplished dish is worth nothing if it is thrown in the face of the guests. The dishes should say "I love you"—intrinsically, through their construction, through their flavor. This is the true culinary challenge: to create dishes that express "I love you". A high level of culture!
At first glance, natural sciences may seem distant from this discussion. However, why should not they contribute to other fields, spark new questions, and collaborate with other disciplines to explore this fundamental notion of "I love you"?
Now, moving from sciences in general to molecular and physical gastronomy in particular, it is a science that holds intrinsic value, independent of its applications. This value is evident in the fundamental, and mechanistic questions it raises. Consider for instance the vast literature on tea or coffee, comprising millions of scientific studies. Yet not a single article examines the mechanisms by which compounds in tea leaves or in coffee grounds transfer into water. Similarly, 47% of classic French sauces involve wine in the cooking process, yet no scientific study has explored the chemical reactions that occur when wine is thermally processed in the presence of other compounds, such as those found in meat broths.
It was precisely to address such gaps in scientific knowledge that the English physicist Nicholas Kurti and I created molecular and physical gastronomy in 1988.
The objective was and remains to investigate the mechanisms underlying the phenomena that occur during cooking, employing the same method used by all natural sciences: experiments and mathematical analysis.
At the time, knowledge in this field was rudimentary. One need only recall that it was once believed that soufflés and similar dishes swelled due to the expansion of air bubbles. One of my earliest discoveries demonstrated that the swelling was actually caused by the evaporation of water. This realization made it possible for soufflés to rise without even beating the egg whites. I will never forget a seminar I gave decades ago, where I presented a soufflé that puffed up despite the egg whites remaining unwhipped. Behind me, a chef and a culinary instructor watched the oven in disbelief, muttering, “But it’s not possible, it’s not possible!” What once seemed impossible is now evident: thanks to molecular and physical gastronomy, culinary techniques have evolved, and so has the way they are taught. The scientific approach has not only helped innovative chefs worldwide to elevate the pleasure of eating to a new level—where creativity and art intertwine—but has also sparked innovation in laboratories around the globe, profoundly influencing food culture.
This brings us to the invaluable act of teaching—the transmission of culture to younger generations. In the past, cooking was learned through repetition. Today, technical aspects are taught in technology classes, grounded in the analysis of molecular and physical gastronomy. Even in primary schools, scientific activities around cooking have reached millions of children in France, and have even extended to the favelas of Rio de Janeiro in Brazil—what a joy!
Of course, there are also technical applications, as we recognized that cooking could not remain in the outdated state we observed in the 80’s. What I have termed ‘molecular cooking’ refers to the modernization of culinary techniques, using tools from chemistry, physics, and biology laboratories. While this renovation is ongoing, significant progress has been made. Today, alternative gelling agents, new cooking methods at low temperature, are widespread across the world. However I will not be satisfied until chefs can work seated, in a quiet environment, free from excessive heat or stress.
This is why we must move to the next step, one that is even more fruitful: synthetic cooking, whose artistic form is known as note by note cuisine. Rather than relying on traditional ingredients like fruits, vegetables, meat, fish or eggs, this approach focuses on the individuals compounds or fractions of these ingredients: water, cellulose, pectins, lipids, and so on.
Just as synthetic music creates sounds beyond the reach of classical instruments, synthetic cooking allows for the creation of new textures and flavours—unimaginable and unprecedented. 3D food printers will play a key role in advancing this culinary frontier.
Just like molecular cooking, note by note cuisine is not about catering to the wealthy. Our goal is to nourish everyone, enabling people to eat with a clear conscience while making the most of the available resources. As we strive to reduce food waste and losses in the effort to feed humanity by 2050, note by note cuisine becomes increasingly vital, posing new scientific challenges for molecular and physical gastronomy and other sciences.
Finally, I reiterate that, of course I am deeply honoured to receive the Sonning Prize, and I must express my heartfelt gratitude to everyone who played a role in the decision made by the Sonning Committee. I am particularly grateful to my colleague Karl Anker Jørgensen, a chemist at Aarhus University, as well as to Professor Marie-Louise Nosch of the University of Copenhagen, Steffen Brandt, Erik Frandsen, and Birgitte Nauntofte, chair of the Aarhus University Board.
I view awards, decorations, and other public recognition as opportunities to make a further meaningful impact. I hope the Sonning Prize will encourage my colleagues worldwide to explore the many fascinating phenomena that can be observed in kitchens. I also hope it will help the public understand that food must evolve, not only because our lifestyles have changed, but also due to the growing concerns around food security, food safety, sustainability and climate change.
All of society is involved, and it is necessary to change mentalities and ideas, from primary schools to professional bodies.
It is not only sound knowledge that should be shared, but also methods, an important word, particularly close to my heart as it refers to a famous discourse by René Descartes, who contributed to the creation of modern science and thought.
Whether we speak of technique, of technology, of teaching or of science, we have to discuss first the goal, then the method, as in Greek methodon means “choosing the way”.
For food, the ultimate goal is Culture. And we need to continue the work of the Enlightenment, which did not conclude with the publication of Diderot and D'Alembert's Encyclopédie. The Age of Enlightenment is far from over. Like the thinkers of the 18th century, we must step out our laboratories to combat magical thinking, disseminate knowledge and skill, and resist ignorance, dogma and tyranny.
Of course, in order to transmit a clearer picture of the world, we need to expand the kingdom of knowledge, through sciences. In this quest, in the laboratory or elsewhere, I have for myself this question that I don't dare ask others: since we are what we do, what is my agenda?
Celebrate Chemistry, Celebrate Culture, and thank you very much for your attention
Dans des entretiens de recrutement, les examinateurs posent des questions qui leur permettent d'évaluer non seulement les connaissances des candidats mais également -et peut-être surtout- leur capacité à raisonner.
En demandant "combien de protéines dans un blanc d'œuf ?", il y a là une occasion, pour eux, de montrer cela.
Dans le "combien", on peut d'abord interpréter la quantité en masse de protéines, et la réponse est simplement qu'un blanc d'oeuf est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines. C'est une connaissance, mais elle prend son intérêt quand elle est assortie d'une interprétation, d'une hypothèse que le candidat fait explicitement.
Mais on peut aussi interpréter en termes du nombre de protéines, et, là, une connaissance élémentaire de la chimie permet d'élaborer une réponse assez longue qui montre que l'on ne confond pas tout. En effet, les protéines sont des catégories de molécules. Chaque "protéine" est une catégorie point, et pour chaque protéine, dans un blanc d'œuf, il y a un très grand nombre de molécules de cette protéine.
Le nombre de protéines, c'est-à-dire le nombre de catégories différentes de molécules, est considéré aujourd'hui supérieur à 300.
Et pour le nombre des molécules pour une des protéines ? Là, il y a lieu de montrer que l'on maîtrise le maniement des ordres de grandeur.
45 % (en masse) des protéines du blanc d'œuf sont de l'ovalbumine. Disons la moitié.
Puis raisonnons :
- un oeuf, c'est environ 60 grammes
- il y a environ 40 grammes de blanc d'oeuf
- et puisqu'il y a 10 % de protéines (en masse), cela fait 4 grammes de protéines
- la moitié, c'est 2 grammes
- supposons que l'on sache que la masse molaire de l'ovalbumine est de 45 000 grammes
- on arrondit à 40 000 grammes
- et on sait alors que, pour 40 000 grammes, on a une mole de molécules d'ovalbumine
- le nombre de moles est de 2/40 000
- et le nombre de molécules est alors 2/ 40 000 fois le nombre d'Avogradro (6e23). L'affaire est faite.
Mais si on ne sait pas la masse molaire de l'ovalbumine ? Alors on peut savoir qu'une protéine a plus d'une centaine de résidus d'acides aminés.
Comme un acide aminé est... un acide aminé, il y un groupe acide carboxylique et un groupe amine. De sorte que l'on peut calculer l'ordre de grandeur de masse moléculaire d'un acide aminé, et donc déterminer un ordre de grandeur de masse molaire de l'ovalbumine.
Bref, il y a lieu de passer un long moment devant l'examinateur pour montrer que l'on se débrouille bien avec des connaissances vraiment élémentaires puisque la chimie est enseigné depuis les classes du collège.
Ca y est : le compte rendu du dernier séminaire de gastronomie moléculaire (organisé par l'Inrae-AgroParisTech International Centre of Molecular and Physical Gastronomy) est en ligne ici :
https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/resultats
Nous avons exploré la cuisson des légumes dans le vin
Sortant de toute une série de lectures scientifiques, je vois mieux que la mauvaise science va souvent avec une recherche insuffisante des prémisses, se nourrit de faits et d'idées mal référencés, mal cités, mal établis...
Je viens en effet de lire des textes où les auteurs citent, notamment dans l'introduction, une série de faits mal établis, ou d'idées imprécises, douteuses.
Or, quand je lis un texte scientifique, je ne peux m'empêcher, en vertu d'un entraînement régulier, de m'arrêter à chaque phrase, à chaque référence qui est donnée, pour aller voir ce qui s'est vraiment dit antérieurement à ce propos, tant je n'ai plus confiance dans les publications scientifiques, sachant pertinemment combien les rapporteurs font souvent mal leur travail. Évidemment, dans le lot, il y a de bon rapporteurs, mais il y en a aussi de mauvais, et rien que cette observation doit suffire à nous conduire à la prudence.
En l'occurrence, dans le texte que je viens de regarder, j'ai trouvé toute une série d'idées qui n'était pas données dans les références pourtant citées à leur propos et les faits rapportés, également avaient été légèrement modifiés, de sorte que, en réalité, les citations données par l'article que je lisais étaient fautives.
Au fond, plus peut-être même que de grandes envolées théoriques intelligentes, il y a cette caractéristique de la bonne science qu'elle s'établit sur des fondations vraiment solides, sur des idées très fermement posées, sur des faits très bien établis, sans interprétation abusive... : la bonne science est précise et rigoureuse, elle avance à pas comptés, et ne fait l'économie d'aucune validation, d'aucune vérification,...
Je me remémore ainsi des articles de Michel Eugène Chevreul, de Michael Faraday, où tous les détails sont considérés, lentement, méthodiquement... Je me souviens aussi que le chimiste Justus von Liebig a fait courir le bruit que "ce n'est pas Antoine Jérôme Balard qui a découvert le brome, et ce serait le brome qui aurait découvert Balard". Liebig était un méchant jaloux, et c'est parce qu'il n'avait pas découvert le brome dans les mêmes eaux que celles que Balard avait analysées qu'il en voulait à Balard. En réalité, Balard a même été peut-être plus grand que Liebig puisqu'il a découvert le brome là où Liebig ne l'avait pas vu.
Oui, les bons scientifiques savent prendre de la hauteur, savent embrasser de vastes catégories, savent introduire des concepts, mais il font cela dans le respect absolu des faits et des idées ; ils ne sont pas négligents, ils ne sont pas imprécis. Et c'est cette double compétence de rigueur et de grandeur qui leur fait mériter notre admiration.
Sortant de jury de concours où nous auditionnions des candidats, je comprends mieux que, pour intégrer une école d'ingénieurs tel qu'AgroParisTech, de simples bonnes notes ne suffisent pas. Pendant l'entretien, à minima, il s'agit de convaincre le jury que l'on est le bon candidat, que l'on a un projet énergique, que l'on a des envies, que l'on est mieux que les autres... car il s'agit quand même d'un concours et non pas d'un examen ; or, dans un concours, ce sont les "meilleurs" qui sont pris.
Bien sûr, il y aurait lieu de discuter ce mot "meilleur", mais en tout cas, tant qu'on en est à préparer un tel entretien, on aurait intérêt de se préoccuper des critères de sélection des candidats, non ?
Par exemple, si un critère est l'ouverture d'esprit, n'aurions-nous pas intérêt à nous préparer à faire état d'une telle ouverture d'esprit ?
S'il est question d'être capable de présenter un sujet scientifique ou technique, alors préparons un sujet scientifique ou technique que l'on présentera avec clarté, rigueur, enthousiasme.
Oui, surtout, donnons envie à nos examinateurs d'en savoir plus ; cessons d'enfiler des phrases creuses et un peu ça plates: "je suis rigoureux". Rigoureux ? La preuve ? Et puis, combien rigoureux ? Autant donner immédiatement cette information au lieu d'imposer aux examinateurs de la demander.
Mais surtout, il y a lieu de montrer que l'on est une personnalité unique, avec un projet professionnel très enthousiasmant ; il y a lieu de montrer qu'il y a parfaite adéquation entre ce projet et la formation qui est proposée aux candidats qui seront retenus.
Il faut donner envie, il faut montrer qu'on est la personne qu'il faut prendre et je conclurai en revenant à ce mot que je propose partout : intrinsèque. Il y a dans les activités humaines des caractéristiques extrinsèques, et, d'autre part, des caractéristiques intrinsèques : si l'on est intéressé par l'agronomie, alors il faut faire état, de façon détaillée, précise, informée, de son intérêt pour l'agronomie. Si l'on préfère les sciences de la vie, alors il y a lieu de montrer les beautés des sciences de la vie et ainsi de suite : les conventions n'ont pas leur place dans un tel examen. Montrons que nous sommes intrinsèquement concernés, pas extrinsèquement.
Vive la chimie (cette merveilleuse science de la nature qui ne se confond pas avec ses applications), bien plus qu'hier et bien moins que demain !
1. C'est amusant de voir combien il faut répéter pour être entendu. Je viens de le voir à nouveau à propos de ce "chocolat chantilly" que j'ai inventé dans les années 90. Il s'agit d'une mousse au chocolat qui ne nécessite pas d'oeufs, et que l'on fait simplement avec de l'eau et du chocolat.
2. Récemment, lors d'une conférence grand public, j'ai évoqué la chose et je l'ai sans doute fait dans des termes engageants puisque plusieurs personnes m'ont demandé la recette. J'avais le sentiment de l'avoir donné mille fois, mais je vois qu'il faut m'y remettre et expliquer la chose.
3. L'objectif tout d'abord est de faire une mousse au chocolat, c'est-à-dire une préparation légère, foisonnée, au chocolat.
4. Classiquement les mousses au chocolat se font avec des blancs d'œufs battus en neige, d'une part, et du chocolat fondu de l'autre. Parfois, on ajoute du beurre, du sucre, et cetera.
Mais dans le chocolat chantilly, il n'y a que de l'eau et du chocolat. Plus exactement cette eau peut avoir du goût : ce peut-être du thé, du café, un jus de fruits...
5. Mais bon, indiquons la recette avec de l'eau :
- on prend une casserole,
- on y met 200 g d'eau, et 200 g de chocolat à croquer ou de couverture.
- quand on chauffe doucement, le chocolat fond et s'émulsionne spontanément dans l'eau : cela signifie que le sucre du chocolat se dissout dans l'eau tandis que la matière grasse vient former des gouttelettes liquide dispersées dans l'eau ainsi sucrée.
C'est cela une émulsion, qu'il ne faut pas confondre avec une mousse, laquelle serait faite de bulles d'air dans un liquide et non pas de gouttelettes de matière grasse dans un liquide.
- vient alors la deuxième étape de l'opération : on pose la casserole dans un récipient rempli d'eau froide, éventuellement avec des glaçons pour aller plus vite, et l'on fouette en essayant d'introduire le plus d'air possible avec le fouet : il ne s'agit pas d'aller faire des allers-retours ou des huit mais bien de fouetter en introduisant de l'air par un mouvement vertical du fouet
- arrive un moment où la préparation s'éclaircit et où les branches de fouet commencent à laisser des marques dans la préparation : c'est à ce stade qu'il faut s'arrêter.
La préparation s'est éclaircie parce que les bulles d'air ont été introduites et que ça a fait blanchir tout comme du blanc d'oeuf blanchit quand on le bat en neige. On peut très bien laisser la préparation au réfrigérateur et la matière grasse cristallisera, mais elle fondra de nouveau quand sortira le chocolat chantilly du réfrigérateur.
6. Ajoutons que le mot le nom chocolat chantilly vient de ce que l'on doit obtenir idéalement la consistance d'une crème chantilly, très légère donc et c'est une démonstration que des œufs sont inutiles pour faire une mousse au chocolat.
7. Pour le goût maintenant, on a le choix d'ajouter des composés qui sont solubles dans l'eau ou dans les matières grasses, puisque l'émulsion obtenue initialement contient les deux.
'ai déjà indiqué que l'on peut remplacer l'eau par une "eau qui a du goût" (thé, café, etc.) par exemple, mais non j'aurais pu aussi indiquer que l'on peut faire infuser une matière aromatique dans l'émulsion avant de la fouetter
Et c'est ainsi que l'on constate que l'on règle parfaitement le goût est la consistance de la préparation.
A propos de gelée d'ananas, de papaye, de figue, de kiwi, de cassis</strong>, on me fait observer que je me suis insuffisamment expliqué, et voici mieux (j'espère). Commençons par une expérience, à savoir mixer de l'ananas frais, puis y dissoudre de la gélatine. On met le liquide gélatiné dans un moule, et l'on attend : le gel prend. Là, il faut expliquer sans attendre que le jus d'ananas, c'est majoritairement de l'eau; disons de l'eau qui a du goût. Et la gélatine, c'est une matière faite de protéines partiellement dégradées par leur extraction à partir du tissu collagénique. <strong>Du collagène à la gélatine</strong> Mais partons donc de ce dernier : il entoure les cellules animales. Plus en détail, il est fait de "fibres", à savoir des triples hélices de "collagène", chaque hélice étant un enchaînement de "maillons", ces maillons étant des résidus d'acides aminés. Quand on chauffe du tissu végétal (viande, poisson, pattes de poule, pied de veau...), le tissu collagénique se désorganise, les triples hélices se séparent les unes des autres, et les brins des triples hélices se séparent, tandis que les brins libérés perdent des segments, sont partiellement coupés. Bref, il y a finalement dans le liquide de cuisson une série de protéines ou de protéines dégradées, mais aussi des "peptides" (des segments détachés des protéines) ou des acides aminés libres. Tout cela est en solution dans le liquide. C'est la "gélatine". Puis, quand le liquide refroidit, les protéines se ré-associent par leurs extrémités, par trois, ce qui forment un "réseau", une sorte d’échafaudage où sont piégées les molécules d'eau et les molécules qui étaient dissoutes dans l'eau. C'est la prise en gel. <a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/Gel-de-gelatine.jpg"><img class="alignnone size-medium wp-image-1546" src="https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/Gel-de-gelatine-286x300.jpg" alt="" width="286" height="300" /></a> <strong>A partir de l'ananas frais</strong> Cela étant, quand la gelée est faite à partir de jus d'ananas qui n'a pas été chauffé, notamment quand on lui a ajouté un peu d'eau où de la gélatine a été dissoute, alors la gelée prend... mais elle se défait ensuite! Et c'est cela qui alerte souvent cuisinières et cuisiniers... et qui justifie ce billet. Pourquoi cet échec ? Parce que le jus d'ananas frais n'est pas que de l'eau avec du gout : il contient lui-même des protéines, mais des protéines d'une autre sorte, à savoir des protéases, c'est-à-dire des protéines qui coupent les autres protéines. Et les protéases coupent donc les protéines de gélatine du réseau, de sorte que ce réseau est dégradé : le système redevient liquide. <strong>La solution ?</strong> La solution, pour éviter ce désastre culinaire ? Une première solution consiste à chauffer le jus d'ananas, parce que, alors, les protéases sont "dénaturées", à savoir qu'elles perdent leur capacité de couper les autres protéines. Certes, le goût du jus perd un peu en fraîcheur, mais un chauffage rapide fait l'affaire. Sinon, on peut faire le gel avec autre chose que de la gélatine, tel l'agar-agar, qui n'est pas une protéine mais un "polysaccharide" (un "sucre"), lequel n'est pas attaqué par les protéases. Vous trouverez des indications supplémentaires sur le site de Pierre Gagnaire (<a href="https://www.pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve">https://www.pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve</a>) et dans mon livre <a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/this_couv-red-red.jpg"><img class="alignnone size-full wp-image-1351" src="https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/this_couv-red-red.jpg" alt="" width="200" height="283" /></a> <strong>Et quels autres végétaux ou parties de végétaux ?</strong> L'ananas n'est pas le seul végétal à contenir des protéases gênantes pour la gélification. Il y a aussi la papaye, la figue, le kiwi, le cassis... et sans doute bien d'autres tissus végétaux. Lesquels ?
Dans le cadre de cette cuisine note à note qui déplaît tant à quelques activistes réactionnaires, il y a la question des goûts, et de leur reproduction par des composés.
J'allais écrire "composés chimiques", mais un composé est un composé, et, puisque la chimie est une science, ce serait aussi fautif d'utiliser cette expression que de parler d'animaux biologiques, par exemple.
Bref, il y a, dans les aliments classiques, des composés qui contribuent au goût, et leur contribution peut être :
- par la consistance
- par la saveur
- par l'odeur (rétronasale : quand on mastique, des composés remontent par les fosses rétronasales vers le nez)
- par le nerf trijumeau (piquants, frais)
- par la couleur
- par d'autres modalités sensorielles (pour les ions calcium, pour les acides gras insaturés à longue chaîne, etc.)
Pour les composés odorants, c'est leur ensemble qui détermine l'odeur des aliments classiques, et il faut souvent entre 5 et 20 composés différents, savamment dosés, pour reproduire une odeur classique, comme le font les parfumeurs ou les "aromaticiens" (un mot que je conteste, puisque l'arôme est, en bon français pas gauchi par une législation à réviser, l'odeur d'une plante aromatique).
Cela étant, certains composés, tout seuls, font déjà l'affaire. Par exemple :
- le 1-octen-3-ol a une merveilleuse odeur de champignon
- la vanilline a l'odeur de vanille
- l'aldéhyde cinnamique a une odeur de cannelle
- le benzaldehyde a l'odeur d'amande amère
- le méthional donne une odeur de pomme de terre cuite
- le méthyl thioburyrate donne l'odeur de camembert
- l'heptanone 2 a une odeur de roquefort
- le 2-acetylthiazole sent le popcorn
- la gamma nanolactone donne l'odeur de la noix de coco
-le caproate d'allyle donne l'odeur d'ananas
Pourquoi ne pas les utiliser en cuisine ?
Lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire de mai 2019, nous étions partis, comme d'habitude, de précisions culinaires, c'est-à-dire de données techniques qui s'ajoutent aux "définitions", dans les recettes.
Par exemple, à propos des artichauts, la "définition" est la suivante : plonger des artichauts dans l'eau chaude. À cette définition s'ajoutent donc des précisions, par exemple la durée de cuisson, le fait que l'eau doit être salée, ou bien encore que l'on doive attacher un demi citron sur la partie où l'on a enlevé la queue...
Lors de notre séminaire, nous avons voulu tester expérimentalement la précision qui stipulait que la queue devrait toujours être arrachée, et non coupée, sans quoi le fond d'artichaut aurait été plus amer.
La question essentielle, pour ce type de tests, c'est la variabilité des ingrédients, de sorte que nous avons décidé de couper en deux des artichauts, selon leur axe, afin d'avoir des moitiés qui seraient donc plus semblables que des artichauts différents. Pour certaines moitiés, la demi queues a été arrachée, et pour les autres moitiés, la queue a été coupée au couteau. Puis les demi artichauts on été mis ensemble, dans la même casserole, donc à la même température et dans la même eau... Ils ont été cuits pendant le même temps, puis on refroidis et préparés de la qu'on ait prépare de la même façon encore et même façon, avant que l'on fasse goûter les fonds, par une méthodologie précise évidemment.
J'ai déjà décrit ailleurs cette méthodologie que nous utilisons constamment et qui a pour nom "test triangulaire" : il s'agit essentiellement de soumettre trois échantillons aux dégustateurs, deux échantillons étant identiques et le troisième étant différent. Les dégustateurs doivent seulement dire quels sont les deux échantillons identiques.
Le résultat a été sans appel : les trois dégustateurs, qui ont dégusté chacun plusieurs fois, ont été incapables de voir une différence d'amertume pour les artichaut à queue coupée ou à queue arrachée, de sorte que nous pouvons assez correctement réfuter la précision culinaire qui nous avait été donnée !
Et pour les asperges
Lors de notre dernier séminaire, nous avons également considéré la cuisson des asperges vertes ou blanches. Nous disposions d'une précision culinaire qui stipulait que les asperges vertes allaient jaunir si on les laissait cuire plus longtemps, et nous avions également une précision culinaire disant que les asperges blanches serait plus fermes si, une fois cuites, nous les replongions dans l'eau chaude.
À noter qu'une des deux précisions datait du 4e siècle de notre ère tandis que l'autre provenait d'un cuisinier contemporain.
Et les deux précisions ont été expérimentalement réfutées ! Il est amusant d'observer que sur des millénaires donc, la fiabilité des prescriptions culinaires a peu changé et l'on pourra donc s'en étonner. Comment est-il possible que l'on puisse ainsi transmettre des idées fausses sans vergogne, et jusque dans l'enseignement culinaire ? Il y a encore du travail devant nous pour améliorer tout cela !