Et si la question de l'évaluation des professeurs était mal posée ?
Ces jours-ci, j'ai retrouvé une note me rappelant de lire les articles sur l'évaluation des professeurs par les étudiants. C'est un fait que nous organisons maintenant de telles évaluations, et c'est d'ailleurs amusant d'observer que ce sont les plus mauvais des étudiants qui font les évaluations les plus critiques, avec des commentaires qui sont parfois désobligeants. Évidemment, les institutions ne prennent pas ses évaluations à la lettre, car se doute bien qu'un étudiant qui a de mauvaises notes en veut à son professeur qui l'a mal évalué, mais quand même, il y a des institutions d'enseignement qui tiennent compte de ces évaluations pour l'avancement des personnels enseignants, et il y a lieu de s'interroger sur cette pratique.
Bien sûr, de façon simpliste, on pourrait penser que si les étudiants étaient tous merveilleux, intègres, droits, travailleurs, et cetera, alors les évaluations pourraient être très utiles, car elle donneraient des indications fiables permettant d'améliorer les enseignements. Mais le monde n'est pas construit ainsi, et, à titre personnel, je sais au moins un cas où, alors que je faisais le même cours, j'ai été excellemment noté par un groupe d'étudiants et moions bien évalué par un autre : plus exactement, le premier groupe disait que mon cours était un peu trop long, mais, l'année suivante, le second groupe disait que le cours était un peu trop court. De quoi nous faire tourner en bourrique !
De surcroît, un professeur n'est pas égal, et le même cours que je fais un jour ou le lendemain a toutes les raisons d'être différent, tant les variables sont multiples (comment j'ai bien ou mal dormi, comment j'ai une charge excessive ou pas, etc.).
Finalement, peut-on vraiment tenir compte de l'évaluation par les étudiants ? Il y a une littérature abondante à ce propos, avec des statistiques qui ont été faites, concernant des paramètres tels que le sexe des professeurs, leur âge, le sexe et l'âge des étudiants, la corrélation éventuelle des notes avec l'appréciation, l'évaluation à court terme ou à plus long temps, l'apparence des professeurs, la couleur de leur peau... Et toutes les études montrent que la question est extraordinairement difficile.
Mais surtout la question que je pose est la suivante : au fond, pourquoi s'intéresser à ces évaluations ? Et faut-il les faire ?
Là, on répondra rapidement que, dans les institutions où les étudiants payent des droits d'inscriptions (directement ou sous la forme d'impôts), il y a lieu de savoir ce que l'on dépense et pourquoi : pas question de faire un chèque en blanc à un système, et je crois que nous devrions absolument combattre cette notion selon laquelle le professeur serait maitre dans sa classe. Pourquoi une caste n'aurait-elle pas de compte à rendre ?
Mais, surtout, on se souvient que j'ai dit ailleurs que l'enseignement est une chose impossible, contrairement au professorat. Le professeur doit (au moins) : (1) conduire les étudiants à étudier ; (2) préparer le chemin à suivre, pour ceux des étudiants qui en ont besoin ; (3) donner des rendez vous régulier pour aider ceux qui ont plus de mal ; (4) transmettre des valeurs, des méthodes, et peut-être aussi présenter des outils intellectuels (notions, concepts, informations variées) ; (5) organiser l'évaluation et, de ce fait, la diplomation.
Donner de l'envie ? On sait assez que la "sympathie" n'est pas universelle. Quant au reste, c'est si élémentaire que l'on voit mal ce que les étudiants peuvent en dire.
Et puis, n'est-ce pas le résultat qui compte, non pas savoir si un professeur démagogue est bien "perçu", mais savoir quelle a été le résultats des études qui se faisaient sous sa responsabilité. Et cela en termes statistiques, et non individuels.
Sans compter que la mission des professeurs n'est pas limitée à ce qui est énoncé plus haut : il y a aussi à faire étudier des idées neuves, que le professeur devra avoir défrichées.
Bref, il n'y a peut-être pas lieu de passer trop de temps à ces évaluations... car chacun sait, en réalité, quand il y a de graves problèmes qu'il faut corriger. Et ce serait la première chose à faire que de régler ces cas-là.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 12 avril 2021
L'évaluation des professeurs par les étudiants ? Une question mal posée !
dimanche 11 avril 2021
Des masterclass
Bon, j'avais cela dans ma signature automatique :
PS. Heureux d'annoncer mes Masterclass au Cordon bleu :
Science et art culinaire 1/6 : https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do
Science et art culinaire 2/6 : https://www.youtube.com/watch?v=5AoQmjnFu6Q
Science et art culinaire 3/6 : https://www.youtube.com/watch?v=XX8P9z5GSlY
Science et art culinaire 4/6 : https://www.youtube.com/watch?v=Hr63mY20cKM
Science et art culinaire 5/6 : https://www.youtube.com/watch?v=H-LDhGWGE1I
Science et art culinaire 6/6 : https://www.youtube.com/watch?v=zNAshHEWoZc
Mais là, c'est bon !
jeudi 8 avril 2021
La veille bibliographique
Dans la vie d'un scientifique comme dans celle d'un ingénieur, il y a une nécessité, à savoir disposer des connaissances les plus à jour.
Mais je me limite ici à considérer le cas des ingénieurs, qui ne sont pas censés n'être que des contremaîtres, mais qui doivent non seulement assurer la production, et aussi l'améliorer sans cesse. D'ailleurs ce n'est pas une contrainte, mais une joie... pour ceux qui aiment ça.
Reprenons une vision simple de la différence entre technique, technologie, science : la technique produit des artefacts ; d'autre part, la science produit des connaissances ; au milieu, entre les deux, la technologie utilise les résultats des sciences pour perfectionner la technique.
De cette analyse, il découle que l'ingénieur doit être au courant des derniers résultats scientifiques qui sont obtenus, car c'est seulement ainsi qu'il pourra faire des transferts efficace vers la technique.
La question se pose donc de savoir comment avoir connaissance des résultats scientifiques. Il est utile de savoir qu'il y a des journaux scientifiques et des journaux technologiques qui publient précisément de tels résultats : le Journal of Food Science, le Journal of Food Technology, le Journal of Agricultural and Food Chemistry, etc.
De sorte qu'il y a lieu de consulter ces journaux... mais, tout lire ? Certainement pas : cela prendrait plus que l'on en a habituellement ! Et puis tous les articles ne sont pas d'un égal intérêt, pour celui ou celle qui les consulte.
Non, il faut surtout :
1. s'abonner aux "TOC" (les tables des matières) de ces journaux : on les reçoit par email environ une fois par semaine (par exemple)
2. s'inscrire pour recevoir des "alertes", à savoir des annonces de publications sur des thèmes qu'on a prédéfini.
Dans les deux cas, on reçoit donc un email, avec une liste d'articles. Et il s'agit alors de rapidement parcourir cette liste, afin d'identifier les articles qui nous intéressent.
Et c'est seulement les articles qui nous intéressent que nous téléchargerons que nous lirons.
L'histoire n'est pas terminée : il faut donc maintenant savoir comment les lire... mais c'est une autre histoire, qui sera contée une autre fois.
mercredi 7 avril 2021
La publication scientifique : comment cela se passe, qui fait quoi et comment.
Un ami me demande de lui expliquer le processus de la publication scientifique, et je trouve la demande très intéressante... car comment pourrait-on la connaître si on ne nous l'a pas expliquée !
Commençons en signalant que les conditions de la publication scientifique ont évoluées, et évolueront encore. D'ailleurs, je peux renvoyer mon ami vers un texte où j'explique cela : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/lanalyse-critique-des-manuscrits-et-les-conseils-damelioration-donnes.
Tout commence quand on fait une recherche scientifique, et que, en conséquence, on a des résultats : comme ce travail a été financé par l'argent public (les contribuables), il est légitime que les scientifiques donnent à la collectivité ce résultat ; qu'ils le rendent public, qu'ils le "publient".
Il faut donc que les scientifiques rédigent un texte (ce que l'on nomme un "manuscrit") qui présente le résultat. Et comme une idée dans un tiroir n'est pas une idée, mais un peu de poussière, il faut que les scientifiques trouvent un moyen de diffuser ce texte qu'ils ont écrit.
Pour cela, il y a des revues (scientifiques), qui ont des "formats" et des objectifs particuliers. Par exemple, certaines revues publieront de la chimie organique, d'autres de la physico-chimie, d'autres des textes relatifs aux composés présents dans les végétaux, et ainsi de suite.
Notons qu'un journal paraît chaque jour, une revue est classiquement un document en papier, alors qu'une publication désigne plus généralement un moyen de rendre public. Autrement, on doit plutôt parler de publications scientifiques, surtout quand cela se fait sous forme numérique, sans papier.
Les auteurs d'un manuscrit doivent donc soumettre leur manuscrit à des revues bien choisies, à savoir des revues qui publient des textes sur des sujets voisins de ceux qui sont traités dans le manuscrit.
Ces revues ont des "formats" particuliers : certaines groupent la présentation des matériels et méthodes à la fin, après les résultats, et d'autres les mettent avant. Certaines revues veulent des références bibliographiques avec les prénoms des auteurs, et d'autres pas ; certaines revues, etc.
Mais toutes les revues ont un site où l'on trouve expliqué comment les manuscrits doivent être préparés. Par exemple, pour la revue nommée Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France, les "conseils aux auteurs" sont ici : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/les-notes-academiques-de-lacademie-dagriculture-de-france-n3af-sont.
Une fois que la revue où l'on veut soumettre un manuscrit est identifiée, une fois que le manuscrit a été préparé conformément aux demandes de la publication, vient le moment de soumettre le manuscrit : cela signifie aller sur le site de la publication, et suivre pas à pas les demandes de l'éditeur, qui réclame parfois une lettre d'accompagnement expliquant la nouveauté, ou bien une figure pour illustrer l'article dans le sommaire du journal, etc.
Parfois, cela est un peu long, mais il faut le faire ça soigneusement, car en dépend l'acceptation ou le rejet du manuscrit.
Pourquoi les règles sont-elles si strictes ? Parce que si elles ne sont pas suivies, c'est alors l'éditeur qui devra faire le travail. Or les soumissions sont si nombreuses, aujourd'hui, qu'il n'en a plus la possibilité.
Mais supposons que tout soit bien fait de ce point de vue, ce qui est quand même facile. Le manuscrit enregistré sur le site arrive alors à une personne qui est le "rédacteur en chef", ou chief editor, en anglais (parfois en transitant par le secrétariat de rédaction). Et la tâche de cet éditeur est donc maintenant de savoir si l'article est bon.
Pour cela, l'éditeur en chef identifie un collègue plus spécialisté que lui dans le "board of editors" (le comité éditorial, en français), et il lui confie le manuscrit.
Cet "éditeur en charge" doit maintenant trouver (le plus souvent) deux collègues extérieurs à la revue, deux scientifiques qui connaissent bien le sujet, et à qui l'on demande un "rapport", à savoir que ces personnes doivent s'assurer que la qualité "académique" est présente.
Cela signifie mille choses. Et dans le désordre, quelques unes :
- que l'histoire soit racontée de façon logique
- qu'il y ait une véritable nouveauté scientifique
- que les matériels et méthodes soient appropriés
- que le travail ait été bien fait
- que le travail ait été validé (répétition des expériences, calculs statistiques pour ne pas dire plus que ne disent les résultats, etc.)
- que les résultats annoncés soient bien étayés par résultats expérimentaux
- que le langage utilisé soit correct (souvent, en anglais),
- que le résultat n'ait pas été préalablement publié dans cette revue ou dans une autre revue (c'est strictement interdit, pour plein de raisons !)
- et ainsi de suite.
Et les scientifiques chargés de faire le rapport sont nommés des "rapporteurs". Et le processus d'évaluation a été nommé "évaluation par les pairs".
Je passe sur les détails de cette évaluation par les rapporteurs pour dire que leur travail conduit, selon les cas, à une acceptation quand le manuscrit est excellent, ou bien à une acceptation sous conditions de modifications, ou éventuellement à un rejet quand le manuscrit ne correspond pas au thème de la revue, ou quand on juge que le travail est insuffisant.
Les rapports remontent des rapporteurs à l'éditeur en charge, puis à l'éditeur en chef, qui transmet la décision aux auteurs.
Ces derniers doivent alors répondre aux remarques qui ont été faites, calmement, factuellement... en pensant que toute observation mérite considération.
Oui, il faut insister pour dire qu'une phrase qui suscite une remarque... suscite une remarque : soit que le texte initial n'est pas été suffisamment clair, soit qu'il soit erroné, soit qu'il nécessite des explications, des justifications.
Parfois, il faut plusieurs aller-retour avant que le manuscrit soit accepté, mais insistons : des auteurs intelligents améliorent toujours leurs manuscrits quand ils tiennent le plus grand compte des remarques. On a tout à gagner du regard critique d'autrui surtout quand on sait qu'il faut parfois des dizaines de lecture d'un même texte, en prenant son temps, en croisant les regards, pour que l'on arrive finalement à un article intelligent et bien fait.
Et finalement le manuscrit corrigé, quand il est accepté par la revue, est envoyé au secrétariat de rédaction, lequel met en page et envoie des "épreuves" : il s'agit une version où l'on peut encore corriger des erreurs, des coquilles... mais pas plus ! Il n'est plus temps de faire de grosses modifications, sans quoi le manuscrit devrait subir à nouveau le processus d'évaluation.
Et finalement, le texte est publié : le "manuscrit" devient un "article". Et, souvent, la publication mentionne sur l'article publié la date de soumission, la date de révision, la date d'acceptation, la date de publication.
La publication d'un article ce n'est pas une fin en soi : il reste aux auteurs à faire largement connaître leur travail. Car on oublie pas que c'est l'objectif initial : faire partager avec la communauté tout entière des résultats que l'on a obtenus.
Comment faire cela ? Par exemple on peut mettre l'article sur des plateformes, on peut envoyer la notification de cette publication à des collègues, on peut le présenter dans des congrès... Bref il y a lieu de se donner beaucoup de mal... alors que l'on croit avoir fini.
dimanche 4 avril 2021
Molecular Gastronomy in Thailand
On
behalf of the Institute of Food Research and Product Development
(IFRPD), Kasetsart University, we are very pleased to inform you that
IFRPD and Yamamori Group in Thailand. will organize a Workshop on : Molecular Gastronomy and Molecular Cooking on 9th April 2021. The
purpose of this workshop aims to sharing information on Molecular
Gastronomy among network organization, academia, private companies and
interested person. |
mardi 30 mars 2021
Daubes, et terminologie en général
Les questions terminologiques sont passionnantes parce qu'elles montrent des phénomènes inédits dans l'évolution du langage, notamment pour le langage technique de la cuisine.
Il y a des mots qui nous semblent familiers, mais qui sont très flous. Par exemple le mot "daube". Au fond, en réalité, de quoi s'agit-il ?
Si l'on explore les livres de cuisine anciens, on voit au 17e siècle des daubes chaudes et des daubes froides, mais, quand même, les auteurs disent qu'il s'agit plutôt d'un plat froid, d'un ragoût qui prend en gelée.
Puis, rapidement, la daube est clairement, explicitement, un plat froid en gelée, qu'il s'agisse de bœuf, de volaille, de poisson, d'anguille par exemple. Là c'est clair, la daube plat froid en gelée.
Et cet usage du mot "daube" reste ainsi longtemps, malgré quelques incohérences d'auteurs qui sont soit idiosyncratiques sans raison, soit ignorants, soit de parti pris (on n'oublie pas que les artistes ont parfois un ego considérables, ce qui a été moqué pour les artistes culinaires).
Et l'on en arrive à aujourd'hui, où l'on ne sais plus très bien ce qu'est une daube.
Je crois q'u'il est préférable de dire qu'une daube est une viande ou un poisson en gelée... avec l'exception de la "daube provençale", terminologie abrégé de "daube à la Provençale", qui correspond en réalité des recettes anciennes de daubes chaudes.
Aujourd'hui, on est donc obligé de préciser si l'on parle d'une daube (froide, en gelée, donc), ou d'une daube à la Provençale.
Terminons en signalant que j'ai été consulté à propos de la graphie du mot "Provençale" : majuscule ou pas ? Dans le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Fabre et dans d'autres ouvrages, cela est claire : l'expression "daube provençale" est un abrègement de " daube à la Provençale", et il doit y avoir une majuscule sur le p.
lundi 29 mars 2021
Ils causent...
Je bétonne !
Je ne regarde pas souvent les commentaires qui me sont fait sur Twitter, parce que je n'ai pas le temps pour cela. Toutefois, hier, on m'a retransmis par email un commentaire bizarre de quelqu'un qui me compare à d'autres et qui s'interroge apparemment sur mon cheminement.
Ce type de commentaires m'intéresse peu, mais il me donne l'occasion de m'interroger sur mon activité. Est-elle telle que je la souhaite ?
En réalité, les choses sont très claires : j'ai une production scientifique à faire, et l'essentiel de mon temps, de mon énergie, doit être consacré à cette recherche scientifique (pour laquelle je suis payé par le contribuable). Je dois donc m'efforcer de faire de la recherche scientifique, et non pas d'aller causer sur les réseaux sociaux comme au café du commerce.
En matière scientifique, il me paraît clair, aujourd'hui, que mon effort doit porter sur les "échanges", car c'est autour de ce thème que s'articulent nombre de mes travaux.
Il y a lieu, maintenant, avec tous les résultats que j'ai obtenus, de produire un travail en profondeur sur cette question, un travail général. Cela demande beaucoup de temps et d'énergie ; cela demande que j'y pense, sans cesse, et c'est seulement à titre de délassement que je fais d'autres travaux telles que des recherches terminologiques autour de la cuisine, des séminaires, des réflexions sur la méthode scientifique, sur la didactique, et ainsi de suite.
La personne qui commentait mes productions n'a apparamment pas compris que mon propos est essentiellement de produire de la science. Le chimiste Jean-Marie lehn cite souvent un de ses amis architecte qui répète "Ils causent, je bétonne".
Oui, il y a lieu d'élever l'édifice scientifique sans perdre de temps à palabrer.
masterclass, her
Heureux de vous donner les liens pour mes Masterclass au Cordon bleu :
Science et art culinaire 1/6 : https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do
Science et art culinaire 2/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=5AoQmjnFu6Q
Science et art culinaire 3/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=XX8P9z5GSlY
Science et art culinaire 4/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=Hr63mY20cKM
Science et art culinaire 5/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=H-LDhGWGE1I
Science et art culinaire 6/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=zNAshHEWoZc
dimanche 28 mars 2021
Un ragoût, c'est quoi, au juste ?
Amusant terme que "ragoût". Dans les Nouvelles gastronomiques, je publie mon enquête sur ce mot. Cette enquête, je la fais dans les livres de cuisine anciens, traquant le mot tout aussi bien chez l'auteur qui ne signe que de ses initiales L.S.R que chez Massialot, la Varenne, Marin, et cetera. Souvent, je m'arrête au Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Fabre, et je ne vais jusqu'au Guide culinaire que pour en montrer les erreurs (car on sais que je suis quelqu'un de méchant... avec les minables).
Pour le mot "ragoût", c'est amusant de voir qu'il s'agit d'un mot très ancien ; l'accent circonflexe sur le u est un vestige du s qui se trouvait dans "ragoust".
Mais la question du sens est bien plus intéressante : initialement, le mot ragoût était utilisé comme dans ragoûtant, appétissant ; quelque chose qui a du goût et un ragoût.
Progressivement, on voit apparaître l'idée selon laquelle les ragoûts sont les produits de préparations culinaires qui ne sont pas des rôtissages ; il semble qu'il faille un élément principal et une sauce. C'est ainsi que l'on parle d'un ragoût de champignons, d'un ragoût de crevettes, d'un ragoût de veau... Chaque fois, il y a un élément principale, et la cuisson donne du goût par un liquide (par exemple du bouilon) et des tas d'éléments gustatifs, herbes, aromates, épices, etc.
Il y a du ragoût à toutes les sauces si l'on peut dire.
samedi 27 mars 2021
La variabilité des écarts-types
Les chercheurs en sciences des aliments ont l'habitude de répéter les expériences trois fois, mais est-ce suffisant ?
Bien sûr, retrouver (avec un petit écart quand même) un résultat que l'on a obtenu, c'est rassurant.
Si on a le résultat une troisième fois (toujours avec un petit écart), alors on a le sentiment que tout va vraiment bien... mais ne peut-on avoir une pièce de monnaie qui tombe trois fois de suite sur pile ? D'accord, le résultat que l'on obtient après une longue chaîne d'expériences, ce n'est pas comme une pièce de monnaie, mais quand même, il faut savoir de combien nous pouvons être rassurés d'avoir le même résultat.
D'ailleurs, le "même" résultat... Le même, vraiment ? Certainement non : les trois expériences donnent peut-être des résultats voisins, mais pas le même.
Et puis, "voisins" : encore un de ces adjectifs que, avec les adverbes, j'invite mes amis à chasser, pour les remplacer par la réponse à la question "combien ?".
Si l'expérience ou la série d'expériences conduit à déterminer une grandeur, alors on a trois valeurs pour cette grandeur, et il est bon de les comparer : classiquement, on détermine leur moyenne et leur "écart-type".
L'écart-type caractérise quantitativement la dispersion des résultats, Ici, je ne veux pas faire un cours de statistiques, mais seulement illustrer la forte variabilité des écarts-types.
A cette fin, j'ai créé une répartition gaussienne, qui correspondrait à la pesée d'une masse sur une balance, avec des fluctuations. Arbitrairement, j'ai choisi une masse réelle à 100, et un écart-type égal à 1.
Puis, au lieu de peser 200 fois trois fois, j'ai "pesé théoriquement", in silico, et voici les résultats :
En abscisse, il y a le numéro de chaque expérience (trois "pesées"), et, en ordonnée, la valeur de l'écart-type pour ces trois valeurs.
On voit bien que l'écart-type n'est qu'un ordre de grandeur, ce qui a comme conséquence qu'il ne faut pas oublier de le considérer ainsi !
vendredi 26 mars 2021
A propos du rejet de manuscrits par les revues scientifiques
Dans un texte que j'ai publié dans les Notes académiques de l'Académie d'Agriculture de France (N3AF), j'évoquais la question du rejet des manuscrits par les publications scientifiques. Et c'est là un sujet dont il est important de parler, parce que, même si nous savons que cela arrive à tous, et pas seulement à nous-mêmes, il est très désagréable qu'un éditeur nous dise, se fondant sur des rapporteurs, qu'un manuscrit que nous proposons n'est pas publiable, alors que nous y avons passé beaucoup de temps, que nous sommes passés sous les fourches caudines de la préparation particulière et de la soumission, que nous avons fait de notre mieux.
Dans mon article aux N3AF, je commence par observer que, aujourd'hui, la question de limiter les publications -qui s'imposait quand on imprimait les revues scientifiques sur du papier- ne tient plus. D'ailleurs, il s'agit moins de journaux que de publications, et de publications en ligne.
En outre, il faut se souvenir de l'histoire de la publication scientifique pour comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à une situation paradoxale.
Jadis, les auteurs recopiaient leurs manuscrits à la main pour les distribuer.
Puis les académies et des scientifiques ont créé des revues pour éviter cela. Initialement, les auteurs touchaient des droits d'auteur, parce que les journaux étaient vendus, ce qui rapportait de l'argent.
Progressivement, l'édition scientifique a évolué vers un nouvel état où les auteurs ne touchaient plus d'argent pour leur texte, cédant gratuitement la propriété de leurs textes aux éditeurs, ce qui est sans doute un peu léonin.
Puis est venu le temps où les auteurs ont dû payer pour être publiés...
Alors que les scientifiques font tout le travail :
- l'écriture des textes
- la préparation des manuscrits selon des normes fixes
- l'évaluation des textes des collègues.
L'abondance excessive (plus exactement : excessive pour le système d'il y a plusieurs décennies) des manuscrits a conduit des éditeurs internationaux à s'engraisser indûment sur la communauté scientifique. Il est temps que cela cesse... car le numérique a donné un coup de pied dans la fourmillière.
D'autre part, dans mon texte, je dis que l'heure n'est plus aux rejets, qui font perdre le temps de tout le monde, et qui abattent le moral des courageux qui veulent publier. Notamment les "rejets", qui étaient souvent fondés sur de mauvaises excuses, en vue de limiter les soumissions, doivent cesser. Non pas qu'il faille éviter de publier des manuscrits impubliables, bien sûr.
Non, il est temps que les rapporteurs apprennent d'autres manières, à savoir une bienveillance qui doit permettre aux auteurs d'améliorer leurs manuscrits.
D'ailleurs, il faut absolument que les "évaluations" soient doublement anonymes : que les auteurs ignorent qui sont les rapporteurs, et que les rapporteurs ignorent qui sont les auteurs... car ils seront ainsi plus prudents : je me souviens d'un de mes manuscrits à propos duquel un des rapporteurs avait eu des mots douteux, et je peux assurer qu'il l'a regretté, ensuite, quand il a su que j'étais l'auteur et que, surtout, il avait outrepassé ses droits de rapporteur, faisant des demandes indues.
Pour autant -j'insiste-, il ne s'agit pas de lâcher sur la qualité des textes : il doit y avoir autant d'allers-retours que nécessaire entre les auteurs et les rapporteurs, afin que les textes publiés soient de grande qualité.
Et il faut bien sûr que les auteurs entendent quand leurs textes sont fautifs. Il faut que les jeunes auteurs apprennent à mieux rédiger des textes scientifiques. Où tout soit justifié, par exemple ; où des validations sont données ; et ainsi de suite. Cela s'apprend, et les rapporteurs ont donc une mission essentielle dans notre communauté.
Et d'abord une obligation de bienveillance : vita brevis, ars longa... et il faut apprendre lentement.
Il est temps, aussi, de bien expliquer qu'il n'est pas vrai que les revues rejettent les textes qui font mention de "résultats négatifs", car les résultats sont toujours des résultats, et, quand ils sont contraire aux hypothèses que nous avons faites, ce sont des découvertes ! C'est une faute de la part des auteurs que de penser que des résultats puissent être négatifs.
Et tout résultat obtenu dans de bonnes conditions (contrôlées, reproductibles) doit être publié ! Evidemment, les interprétations sont parfois difficiles, mais j'insiste : les résultats sont là, et il faut les communiquer à la communauté scientifique.
D'ailleurs, bien plus généralement, nous devons faire nôtre la règle de Michael Faraday : work, finish and publish*... car une idée dans un tiroir n'est pas une idée !
* “The secret is comprised in three words — Work, finish, publish.”
An advice to the young William Crookes, who had asked him the secret of his success as a scientific investigator, as quoted in Michael Faraday (1874) by John Hall Gladstone, p. 123
jeudi 25 mars 2021
Les paradoxe apparent des sciences de la nature
Il y a des esprits qui s'effraient du paradoxe suivant : oui les
sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes ; mais
non, elles ne prétendent pas trouver l'explication de ces phénomènes,
mais donnent seulement des modèles, des théories, de plus en plus
précis.
Oui, il s'agit de chercher les mécanismes des
phénomènes, c'est-à-dire en réalité de chercher à les comprendre ; mais
non, les explications que l'on donne, assorties de concepts
(l'électron, l'énergie, l'inertie, etc.) ne sont pas des explications,
mais des descriptions.
Et ces descriptions sont toujours
insuffisantes, car un modèle réduit de la réalité n'est pas la réalité,
et c'est précisément la raison pour laquelle les sciences de la nature
n'auront jamais de faim. Elle decrivent de mieux en mieux les phénomènes
jusqu'à des nombres de décimales vraiment extraordinaires, mais pour
autant, les scientifiques savent bien que leurs théories sont
insuffisantes, et c'est la raison pour laquelle, inlassablement, ils en
cherchent des améliorations.
Il n'y a pas de contradiction dans
cette attitude et, en tout cas, les théories, les modèles (il y a des
subtilités dans lesquelles je n'entre pas ici) sont aujourd'hui bien
autre chose que des récits, des discours : ce sont des équations, ce que
je nomme aussi des calculs.
Dans un billet récent, j'avais dit
que la science était fondée sur deux pieds : l'expérience est le calcul.
Je le maintiens absolument, et je propose de prendre garde à ce que
raconte la vulgarisation : les récits de vulgarisation sont toujours
des transcriptions difficilement adaptées des systèmes d'équations qui
constituent véritablement la science.
J'insiste sur le "calcul" :
la recherche scientifique n'est qu'ensembles d'équations. Il est loin
le temps de la description quasi entomologique des phénomènes, d'une
simple découverte d'objets. Bien sûr, on trouve encore des objets
nouveaux et c'est ce qu'ont couronné des prix Nobel comme ceux qui ont
été attribués pour les découvertes des fullérènes ou du graphène, par
exemple.
Mais aujourd'hui, les sciences de la nature ont
considérablement avancé, et rares sont celles qui ont sont restés à une
simple description des objets.
Et c'est donc dans les mécanismes, les théories, que se font les avancées les plus notables.
mercredi 24 mars 2021
La recherche scientifique ? Il faut aimer l'incertain, l'inconnu, s'en réjouir et ne pas seulement le supporter ; s'en délecter !
Il y a un certain temps, un étudiant en stage dans notre groupe de gastronomie moléculaire s'est mis à pleurer quand je lui ai dit que nous ne savions pas ce que nous cherchons.
Il faut que j'explique que la recherche scientifique a pour objectif la découverte. Évidemment, si nous savions par avance ce que sont ces découvertes que nous cherchons à faire, il n'y aurait pas de découvertes puisque ces objets ou ces théories serait connus par avance.
Il nous faut donc explorer des phénomènes avec une méthode que j'ai exposée de nombreuses fois dans d'autres billets, dans l'espoir que nos expérimentations nous conduiront par induction à des théories nouvelles, ou qu'elles fassent apparaître des objets qui étaient alors inconnus.
Des exemples ? Je prends deux seulement.
Tout d'abord, il y a un peu plus d'un siècle, les physiciens ont observé que les phénomènes aux très petites tailles étaient mieux décrites quand on admettait que les grandeurs mesurées étaient quantifiées, à savoir qu'au lieu de varier continument, elles ne variaient que par petits sauts. Cela engendra la "physique quantique.
D'autre part, bien plus récemment, des chimistes ont découvert que, quand on tirait du scotch posé sur un morceau de charbon, alors on détachait un plan d'atomes de carbone organisés en nid d'abeille, ce qui a été nommé le graphène. Sa découverte a donné d'ailleurs lieu à l'attribution du prix Nobel de chimie.
Personne n'imaginait que l'on fasse l'une ou l'autre découverte, au point même que, pour la première, elle choquait le physicien (Max Planck) qui la fit !
Donc je reviens à ma question de la découverte, qui est et qui restera imprévue, imprévisible. J'ai dit ailleurs qu'il n'y avait pas de stratégie simple pour la découverte et que en conséquence, c'est en creusant des champs avec acharnement, avec soin, avec intuition, avec énergie que l'on avait quelque chance de pouvoir faire des découvertes ou d'inventer des théories.
En tout cas, ce n'est certainement pas en restant immobile que l'on y arrivera : il faut être actif, très actif, attentif car comme le disait très justement Louis Pasteur « la science sourit aux esprits préparé : » oui, il faut être attentif, sur le qui-vive et traquer tout ce qui n'est pas conforme à nos idées initiales.
J'en arrive maintenant à notre discussion principale : nous ne savons pas ce que nous cherchons puisque nous voulons faire des découvertes. L'étudiant que j'évoquais initialement s'est mis à pleurer parce que intellectuellement, cela lui était insupportable.
Depuis, cet étudiant a fait une belle carrière... mais pas dans la recherche scientifique, parce qu'il n'était pas à sa place là.
Certains collègues, aussi, ne me semblent pas à leur place : ceux qui considèrent que la position du scientifique est difficile, psychologiquement stressante.
A contrario, sont parfaitement à leur place celles et ceux qui jubilent de ne pas savoir, qui sont parfaitement heureux de devoir découvrir, ceux qui se délectent de cette "promenade dans l'inconnu". Gardons la comparaison avec l'exploration d'une forêt, à partir de la lisière. Sont faits pour la recherche scientifiques ceux qui aiment découvrir une sente, un arbre nouveau, une fleur nouvelle, qui aiment défricher une clairière, voir le bleu du ciel à travers les frondaisons.
mardi 23 mars 2021
Qu'est-ce que la chimie ? Et, a contrario, qu'est-ce qui n'est pas de la chimie ?
La chimie ? je suis obligé de me répéter un peu parce que non ne cesse de m'interroger et que, au fond, ayant fait le travail d'être en mesure de répondre aux questions de ce type, c'est bien la moindre des choses que je réponde.
Pour savoir ce que c'est que la chimie, il faut partir de l'alchimie.
L'alchimie est née de l'étonnement de l'apparition de métaux quand on calcine des minerais, par exemple, ou de l'étonnement du cycle d'évaporation et de condensation de l'eau, par exemple... Car il y a dans l'environnement de l'être humain ancien une foule de phénomènes, évidemment tous mystérieux tant que l'on n'en a pas la clé, tant qu'on en comprends pas les mécanismes.
Ces phénomènes, les êtres humains anciens n'ont pas manqué de les explorer, au moins pour certains, et cela faisait déjà une sorte de philosophie naturelle, une sorte de sciences : chercher les mécanismes des phénomènes, n'est-ce pas l'objectif des sciences de la nature ?
Bien sûr, à l'époque, il n'avait ni la méthode scientifique que nous avons aujourd'hui, ni les outils d'analyse modernes, ni même les concepts qui sont si important pour comprendre le monde : le concept d'inertie, le concept de force, le concept d'énergie, l'iée d'atomes et de molécules... et les incertitudes ont duré pendant des siècles à propos de ce que nous savons être aujourd'hui et réarrangement d'atomes.
Il a fallu des tâtonnements, avec les "moyens du bord", à savoir le broyage, le chauffage, le refroidissement, et ainsi de suite pour explorer ces transformations.
Et c'est ainsi que l'on a pu croire, au moins pour certains, que l'on trouvait dans ces métamorphoses du monde les clés de longue vie, d'où des recherches d'élixir de pierre philosophale, etc.
Il y a eu une alchimie expérimentale, "opérative", qui consistait à effectuer des expériences, et une alchimie plus spéculative, qui faisait des théories, et des théories sans vraiment avoir les moyens de faire, débordant parfois considérable, délirant même parfois.
C'est vers le 17e siècle qui est apparue progressivement la possibilité de comprendre les réarrangement d'atomes.
Et après quelques hésitations, c'est quand même entre la parution du premier tome de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert et l'apparition du dernier tome de cette même Encyclopédie que l'on a cessé de parler d'alchimie, dans cette quête des mécanismes des transformations et des phénomènes, pour parler de "chymie", d'abord, puis ensuite de "chimie".
Il était ainsi très clair, pour Lavoisier et ses successeurs que la chimie était une science de la nature : la science qui étudie les mécanismes des transformations de la matière, ce que nous savons être aujourd'hui des réarrangement d'atome entre atomes isolés, ions, molécules, etc.
Voilà pour la chimie : la science de la nature qui explore les réarrangements d'atomes
Ce qui n'est pas de la chimie ? Les applications de la chimie ne sont pas de la chimie. Louis Pasteur le disait ainsi : le fruit n'est pas l'arbre.
Ce qui n'est pas de la chimie ? La technique chimique, les industries de la chimie. Respirer ou marcher n'est pas faire de la chimie, parce que, ainsi, on ne cherche pas les mécanismes des phénomènes par la méthode scientifique : on se contente de respirer, de marcher, comme un animal. Et même si des réarrangements d'atomes ont lieu dans l'organisme. Car on se souvient que la chimie est l'étude de ces réarrangements, par l'opération de ces réarrangements.
En conséquence, les industries qui se disent "chimiques" usurpent le mot. Et il faut le dénoncer, car cela est malhonnête.
A contrario, il y a lieu de bien dire à nos jeunes amis que l'étude des réarrangements d'atomes, la chimie donc, est une entreprise qui est loin d'être terminée. Elle a besoin de talents !
lundi 22 mars 2021
Des exagérations des auteurs de livres de cuisine ?
Lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons testé une recette de sauce hollandaise : l'auteur préconise de mettre dans une casserole du beurre, des jaunes d'oeufs, un peu d'eau, du jus de citron et de fouetter en chauffant.
Surtout, cette recette indique que la préparation va doubler de volume. mais en réalité si les
Pourquoi pas ? Mais à tester cette idée, on s'aperçoi que si les ingrédients sont bien donnés, le procédé manque cruellement de précision, car il est dit seulement de "chauffer à feu doux pendant 10 minutes".
A feu doux ? Doux, combient ? Personne ne le sait, et l'on est réduit à inventer en fonction des expériences du passé.
Au fond, c'est que l'on doit obtenir d'abord, c'est que le beurre fonde, que le fouet introduise des bulles d'air et que la coagulation de l'oeuf se fasse, pour donner de la consistance à la sauce.
J'insiste un peu : oui, il faut bien que le fouet puisse introduire des bulles d'air pour faire gonfler la préparation, car il n'y a pas de miracle : si la préparation doit gonfler - ce qui n'est pas encore avéré- , alors c'est qu'on aura mis de quoi la faire gonfler c'est-à-dire de l'air.
Bref, lors de notre dernier séminaire, nous avons donc fait l'expérience du mieux que nous pouvions en contrôlant les températures et nous avons comparé le volume avant et après cuisson. L'augmentation à été d'environ 50 millilitres par rapport un volume initial de 250 millilitres, ce qui est loin du doublement annoncé !
Certes, la sauce hollandaise était belle, un peu foisonnée, très agréable à consommer mais n'était-ce par décevant ? On avait le sentiment qu'une sauce foisonnée davantage aurait été meilleure.
Et là, je propose de ne pas oublier le beurre chantilly, que j'ai inventé il y a longtemps et qui consiste à émulsionner du beurre dans l'eau, puis à fouetter l'émulsion en la refroidissant : on obtient alors une consistance analogue à celle d'une crème chantilly, c'est-à-dire considérablement foisonnée.
De sorte que si l'on ajoute de l'oeuf, puis que l'on chauffe, notamment au four à micro-ondes, alors on peut coaguler l'ensemble, de sorte que le système foisonné soit stabilisé.
Bien sûr il reste la possibilité que quelqu'un observe ce gonflement que nous n'avons pas obtenu, en changeant les paramètres de la recette, mais j'aimerais alors qu'il nous dise bien comment il a fait... à part ajouter plus d'eau.
dimanche 21 mars 2021
Pochage et enseignement de la cuisine
Lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire de mars 2021, nous avons discuté de terminologie et d'enseignement. Le constat a été fait que le milieu professionnel, qu'il s'agisse des cuisiniers en activité ou des enseignants, utilisait fautivement certains termes.
Par exemple, le mot "pochage" : de toute éternité, on a bien nommé pochage le fait de pocher, c'est-à-dire de faire une poche, notamment par la cuisson des oeufs dans l'eau bouillante.
Initialement, dans les livres de cuisine anciens, les recettes ne mentionnaient le pochage que pour les oeufs pochés, et c'est ensuite que s'est introduite la terminologie pour d'autres cas où il y a effectivement un pochage, par exemple dans une quenelle, dont la couche périphérique vient effectivement coaguler dans l'eau bouillante.
La question à propos de pochage, c'est que certains, pour des raisons incompréhensibles, se sont mis à désigner par ce terme de pochage la cuisson dans de l'eau froide que l'on porte lentement au frémissement, ce qui fait exactement le contraire d'un pochage.
Et j'ajoute que je suis de ceux qui ont suivi le troupeau sans y penser !
Que faut-il faire, maintenant que l'erreur est dépistée : entériner un usage récent (à l'échelle de la cuisine) et idiot ? Ou bien, au contraire, éclairer les apprenants avec une terminologie juste et simple, que nous pouvons leur expliquer ?
La question revient à celle de transmettre des idées juste ou des idées fausses... et l'on pressent quelle est ma réponse !
J'ajoute que, expérimentalement, le séminaire de gastronomie moléculaire s'est toujours attaché à tester expérimentalement les précisions culinaire, afin de permettre aux enseignants de ne plus transmettre que des idées justes.
En conséquence, malgré un débat sur la possibilité de conserver des terminologies fautives (au mauvais prétexte que le mileu professionnel les utiliserait), je crois qu'il serait indécent de propager des terminologies fautives ; et que le rôle du séminaire est au contraire le dire le juste, le fondé, le légitime, s'en aller vers un avilissement de l'art culinaire !
Au contraire, notre objectif est de faire grandir l'art culinaire, et cela passe par les mots, même si certains doivent réviser leur vocabulaire et apprendre un peu !
samedi 20 mars 2021
Il faut documenter : j'y reviens !
La question de la documentation est bien connue des informaticiens, qui enchaînent des lignes de programme et qui arrivent à des programmes énormes... Comment y dépister des erreurs ? Comment les modifier ultérieurement ? Quand c'est programmes ne sont ni structurés ni expliqués, c'est impossible.
Et c'est la raison pour laquelle on n'insiste jamais assez : il faut documenter.
D'ailleurs, cette documentation n'est pas pour seulement pour les autres, mais pour soi-même, et c'est la raison pour laquelle on doit d'abord penser à un organigramme, qui consigne en français ce qui sera codé.
Puis il faudra entrer dans le détail, et indiquer par des phrases en français (des "commentaires") ce que font les opérations que l'on met en oeuvre.
Ce qui vaut pour l'informatique vaut évidemment pour le calcul algébrique, le calcul matriciel, tous les calculs en réalité.
Et insistons : il ne s'agit pas seulement de faire cela pour les autres, mais pour soi-même !
J'ai encore vu hier l'exemple de feuilles de calcul de certains amis qui enchaînaient les opérations sans aucune phrase en français... et qui étaient perdus.
Evidemment, quand ils m'ont soumis le problème qu'ils ne parvenaient pas à résoudre seuls (puisqu'ils étaient perdus), je n'y suis pas arrivé, parce que même eux ne savaient pas dire ce qu'ils avaient fait.
Il y a un point encore supplémentaire à donne, qui est que le calcul algébrique notamment est fondé sur la pensée en langage naturel : on n'a pas assez répété que les équations ne sont que des expressions d'idées en langage forme. Une équation correspond à une idée en langage naturel.
Bien sûr, il y a quelques génies qui calculent comme chantent les rossignols, qui n'ont plus besoin de cette traduction, mais avant d'être un génie, il y a lieu d'apprendre à le devenir, et le seul fait que les jeunes qui apprennent fassent des erreurs montre qu'ils n'ont pas encore atteint cet état. Ils doivent donc apprendre tranquillement, et cela passe par de la documentation... qui ne doit pas se faire à posteriori, mais a priori !
Car on conservera aussi cette idée que nous devons avoir des objectifs clairs sans quoi nous ne pourrons pas trouver les chemins qui y mènent.
Oui, quand on fait un calcul il y a un objectif et on ne se lance pas au hasard vers cet objectif, mais selon un chemin qui doit avoir été prédéterminé.
Autrement dit, il faut dire en français quel est l'objectif, puis soliloquer (par écrit !) pour analyser le chemin, les étapes. Et soliloquer encore pour dire comment on parcourera les petits segments du chemin entre les étapes.
Et c'est alors amusant : souvent, ayant ainsi écrit en français, la traduction mathématique ou informatique devient évidente !
vendredi 19 mars 2021
Une phrase une référence
Des amis me demandent une règle simple pour écrire des publications, et je crois qu'il faut commencer par le commencement qui tient dans cette formule : "Une phrase, une référence".
Cela signifie en réalité que tout ce que l'on écrit doit être justifié, et cette justification est soit donnée par un article scientifique publié antérieurement, soit par des travaux expérimentaux bien exposés... après avoir été rigoureusement menés.
Évidemment, dire cela est insuffisant, car cela sous-entend notamment que les publications scientifiques que l'on cite sont bonnes.
Et, à ce propos, je fais un clin d'œil en signalant qu'une publication scientifique est bonne... si elle même fait usage de cette idée "Une phrase, une référence", car je ne connais pas d'exemple du contraire, à savoir que je ne connais pas de bonne publication scientifique qui ne met pas en œuvre cette idée.
Les sciences de la nature se fondent sur les résultats bien établis, et ces résultats bien établis sont ceux qui ont été publiés, qui ont donc été passé au crible de rapporteurs, lesquels se sont assurés de la qualité du travail.
Bien sûr, comme dans toute entreprise humaine, il y a des cas où les auteurs ont été médiocres, où les rapporteurs ont été trop rapides, ou complaisants, où les éditeurs ont été laxistes, mais il y a aussi les auteurs soigneux, les rapporteurs attentifs, les éditeurs précis.
Pour les sciences de la nature, la question est surtout celle de l'objectif : à défaut d'atteindre la perfection, on peut viser, et en tout cas, ce que l'on avance dans une publication doit être juste, c'est-à-dire que l'on a vérifié soi-même ce que l'on dit, ou que l'on rapporte ce que quelqu'un d'autre a bien vérifié.
Hier encore, je voyais une publication mauvaise où l'auteur disais que le café est la boisson la plus consommée dans le monde. C'est évidemment faux, car la boisson la plus consommée, c'est l'eau !
Si l'auteur avait bien regardé les consommations, il n'aurait pas écrit une ânerie pareille.
Il y a donc lieu, quand on donne des références accompagnant chaque phrase de notre texte, de bien s'assurer de ce que l'on dit, et les références ne sont pas là seulement pour justifier ce que l'on dit, mais aussi pour donner des informations complémentaires qui établissent correctement ce que l'on dit.
Il y a donc une règle simple à s'appliquer, quand on rédige une publication : chaque phrase doit être assorti d'une bonne référence. On a le droit de faire des phrases non justifiées pour commencer une rédaction, mais finalement, elles devront toutes être assorties d'une référence, et je le répète, d'une bonne référence !
jeudi 18 mars 2021
Mon invention de l'oeuf parfait ?
Alors que je reçois ceci :https://www.europe1.fr/emissions/delice-in-extremiste/loeuf-parfait-4032122
il faut que j'évoque mon invention de l' "oeuf parfait".
L'invention de l' œuf parfait ? Je vois encore le jour où je l'ai faite : c'était dans mon laboratoire au Collège de France et je discutais au téléphone avec un ami à qui j'expliquais mon expérience de décuisson des oeufs. Lui parlant, j'évoquais le fait que les oeux durs cuits plus de dix minutes sont caoutchoutexu. Je lui disais donc, dans mon quasi soliloque, que la théorie ancienne de la coagulation était insuffisante... parce que les théories scientifiques sont toujours insuffisantes par principe.J'imaginais alors, dans mon discours, ce schéma où l'on voyait les protéines coaguler les unes à la suite des autres, ce qui correspondait à des réseaux de protéines de plus en plus nombreux, donc à une consistance de plus en plus ferme.
Et je lui disais, que, sans avoir fait l'expérience, j'étais quasi certain que si cuisait un œuf à 65 degrés, alors on devrait obtenir un œuf très tendre.
Le lendemain, je reprenais cette analyse et je cherchais dans les bibliographies les températures de coagulation, confirmant que c'était à 65 degrés que l'on devrait avoir un bon résultat.
Mais je croisais cette analyse avec celle d'un très mauvais oeuf dur : un blanc caoutchouteux, une odeur de soufre, un jaune sableux, et cetera.
A contrario, cette analyse du pire permettait de viser le meilleur. Et c'est ainsi que j'ai donné le nom de parfait pour l'oeuf à 65 degrés.
Ultérieurement, j'ai bien vu que l'on obtient des résultats différents à des températures différentes, et mieux, j'ai observé que j'aime beaucoup l'oeuf à 67 degrés, qui n'a pas démérité par rapport à l'oeuf à 65 degrés.
Hélas, j'avais déjà fait le mal puisque mon expression "œuf parfait" avait été diffusée, notamment quand j'avais fait une conférence à la Cité des sciences.
L'expression a été retenue, et j'ai pourtant essayé d'introduire l'expression œuf à 6X degrés, mais rien n'y a fait : aujourd'hui encore on parle d'eux parfait.
mercredi 17 mars 2021
Il faut "documenter" !!!!!
Au fond, certains étudiants qui balancent à la figure de leurs professeurs des suite de calculs dont il faut s'échiner (perdre son temps) à comprendre ce dont il s'agit sont des malappris (au sens littéral du terme) : ils n'ont pas appris que, quand on s'adresse à quelqu'un, on lui dit d'abord "bonjour", on lui dit l'objet de ce qui nous amène, on lui explique la chose...
Et c'est donc une faute hélas courante et grave que de ne pas expliquer en mots ce que l'on fait, quand on calcule.
D'ailleurs, souvent, les calculs sont faux... parce que les étudiants ne savent même pas ce qu'ils veulent calculer.
Bref, un calcul se fait avec des phrases en français (pour les Français), avec sujet, verbe, complément. Il doit commencer par l'exposé de l'objectif, et l'on doit expliquer tout le raisonnement.
Ce qui, je l'observe régulièrement, permet à ceux qui calculent de savoir ce qu'ils font !
D'ailleurs, quand je dis "calcul", je pense tout aussi bien à des programmes informatiques, et, là, cela se nomme "documenter".
Une bonne idée : penser, quand on fait des calculs, non pas à soi-même mais à quelqu'un qui ne serait pas au courant de la chose, et à qui l'on voudrait lui expliquer. Penser à un enfant qui ne saurait pas nager et à qui l'on voudrait l'enseigner. Penser à une histoire que l'on raconte, penser à une chanson que l'on chante, penser à un chemin que l'on parcourt.
Mais, surtout, DOCUMENTER !
Des Masterclass à l'Ecole Le Cordon bleu
TRES HEUREUX de vous annoncer une série de Masterclass enregistrées à l'Ecole Le Cordon Bleu !
Science et art culinaire 1/6 : https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do
Science et art culinaire 2/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=5AoQmjnFu6Q
Science et art culinaire 3/6 : https://www.youtube.com/watch?v=XX8P9z5GSlY
Science et art culinaire 4/6 : https://www.youtube.com/watch?v=Hr63mY20cKM
Science et art culinaire 5/6 : https://www.youtube.com/watch?v=H-LDhGWGE1I
Science et art culinaire 6/6 : https://www.youtube.com/watch?v=zNAshHEWoZc
dimanche 14 mars 2021
A venir
Et voici une série d'événements où la gastronomie moléculaire trouve sa place :
A l'occasion de la parution du livre, les éditeurs (Roisin Burke, Dublin; Alan Kelly, Cork ; Christophe Lavelle, MNHN et Hervé This, INRAE-AgroParisTech, membre de l'Académie d'agriculture de France) organisent une conférence scientifique pour présenter les divers aspects du livre.
jeudi 11 mars 2021
La représentation des données
Des amis en stage m'interrogent sur la représentation des données, puisqu'ils en sont à ce stade de leur travail de recherche. Doivent-ils faire des courbes ? des histogrammes ? quels textes faut-il porter sur les images ? de quelles couleurs ? dans quelle taille ?
La première réponse à faire, la plus importante, c'est celle de l'objectif : toujours commencer par l'objectif ! Que veut-on faire et pourquoi ?
Et, d'autre part, quand il est question de communication (à soi-même ou aux autres), je ne saurais trop conseiller de distinguer la composante intrinsèque de la question, de la question extrinsèque et des questions concomitantes.
J'explique en prenant une comparaison (utile par ailleurs) : l'intérêt intrinsèque d'une profession, c'est combien l'exercice de ce métier nous intéresse ; l'intérêt extrinsèque, c'est de savoir combien on va gagner ; et l'intérêt concomitant, c'est par exemple la reconnaissance sociale. A vous de transposer, maintenant, en revenant à la question des affichages de données ;-).
Ca y est ? Non ? Alors je vous invite à chercher d'abord pourquoi on affiche des données. Et cela nous impose de nous remettre dans le fil de la recherche scientifique : cette recherche consiste à suivre des étapes qui sont :
1. identifier un phénomène
2. le caractériser quantitativement
3. réunir les données en "lois", c'est-à-dire en équations
4. induire une théorie, quantitativement compatibles avec les lois, et en introduisant des concepts nouveaux
5. chercher des conséquences logiques, testables, de la théorie
6. tester expérimentalement ces prévisions théoriques.
Ici, nous en sommes au point (3), à savoir que nous avons des données, et nous voulons des équations.
Et c'est un fait que, de surcroît, on se repère très difficilement dans d'immenses tableaux de nombres (les résultats des mesures de caractérisations quantitatives).
Autrement dit, ce que l'on voudrait, avec cet affichage, c'est avoir une idée de la formes des équations : proportionnalité, augmentation exponentielle, que sais-je.
Et évidemment, pour cette recherche, il y a lieu de faire des représentations les plus simples possibles.
Notamment des représentations dans un espace à deux dimensions (ce qui est une "coupe" d'un espace qui aurait possiblement plus de dimensions).
Par exemple, considérons une série de spectres d'absorption UV-visible : là, les données sont des courbes... et s'il a plusieurs courbes, on peut les superposer, et regarder l'ordonnée des diverses courbes a une valeur particulière de l'abscisse (une longueur d'onde particulière, choisie pour de vraies raisons scientifiques).
On peut aussi -mais c'est plus compliqué- dessiner une sorte de paysages, avec toutes les courbes, car si ces courbes s'ordonnent, pourquoi ne pas les faire apparaître comme des coupes de l'espace ?
Après tout, les deux dimensions de l'espace des courbes, plus une dimension pour la succession des courbes, cela fait trois dimensions, n'est-ce pas ?
Ou encore, imaginons que l'on ait des données colorimétriques, par exemple dans un espace nommé L*a*b*. Pour cette mesure, on a des triplets de points, c'est-à-dire en réalité des points dans un espace à trois dimensions. Si l'on a plusieurs mesures, on aura plusieurs points dans cet espace. Comment représenter s'il y a un ordre pour les points ? Car ici, il faudrait un espace à quatre dimensions ? Une couleur peut être ajoutée, par exemple.
Et ainsi de suite : ce que l'on cherche à ce stade, ce n'est pas d'épater la galerie, de faire du "beau", de l'extrinsèque, mais de l'intrinsèque, de l'efficace du point de vue de la production scientifique.
C'est seulement plus tard, quand le travail scientifique aura été fait, que l'on pourra se préoccuper de produire de belles représentations. Là, tel le génial mathématicien Carl Friedrich Gauss, on pourra effacer les traces de ses propres hésitations, et afficher un travail d'orfèvre, superbe, ciselé... mais cela ne doit venir que quand le contenu aura été parfaitement déterminé : on ne peut pas mettre des habits mêmes superbes sur un corps inexistant.
D'abord le message, le contenu, avant sa forme.
PS. Connaissez vous le livre The quantitative display of scientific information ?
mardi 9 mars 2021
A quoi bon essayer de comprendre la science si ce n'est pas pour s'en servir ensuite ? c'est la question que je me pause.[sic]
"À quoi bon essayer de comprendre la science si ce n'est pour s'en servir ensuite ? C'est la question que je me pose" : voilà une remarque qui me vient par email et que je propose ici de bien analyser.
Il y a d'abord la question des mots, qui va d'ailleurs avec la question de l'orthographe (la faute dans la question qui m'était adressée) et de la pensée : j'ai la conviction que si les mots ne sont pas bons, la pensée n'est pas juste.
Et, d'ailleurs, ici, je suis immédiatement alerté par le mot "science"..., car je sais qu'il est miné : j'ai fini par comprendre
- que certains nomment "science" des savoirs (la science du maître d'hôtel, la science du cuisinier...)
- qu'il existe des sciences de la nature, d'une part, et des sciences de l'humain et de la société, d'autre part. Les activités de ces deux types sont bien différentes, très "étrangères les unes aux autres".
Et comme je ne connais pas suffisamment les sciences de l'humain et de la société, d'une part, et que mon interlocuteur fait en réalité référence aux sciences de la nature, je préfère réécrire sa question pour bien la comprendre sous la forme suivante : "comprendre les sciences de la nature".
Mais, là, que cela signifie-t-il ? Comprendre les sciences de la nature ? C'est bien vague ! Mon interlocuteur veut-il dire "comprendre la nature des sciences de la nature", ou "comprendre la méthode des sciences de la nature", ou "comprendre les théories des sciences de la nature ?
Et puis, de quelle science de la nature me parle-t-il ? De toutes ? Ou bien seulement de physique ? De chimie ?
Bref, je ne sais pas ce qu'il veut dire par "comprendre la science".
Plus simplement, j'ai fini par comprendre que les sciences de la nature sont des activités dont l'objectif est la recherche des mécanismes des phénomènes, à l'aide d'une méthode qui passe par :
1. l'identification d'un phénomène,
2. sa caractérisation quantitative,
3. la réunion des résultats de mesure en équations nommées lois,
4. l'induction d'une théorie, avec le regroupement de ces lois et l'introduction de nouveaux concepts,
5. la recherche de prévisions théoriques, c'est-à-dire de conséquences logiques de la théorie,
6. les tests expérimentaux de ces prévisions théoriques.
Alors "comprendre la science"... S'agit-il de se limiter à comprendre cette méthode ? Ou s'agit-il de connaître (j'insiste : connaître) les "lois" ? De connaître les concepts (j'insiste, connaître) ?
Mais un exemple s'impose. Considérons l'effet de composé phénoliques sur la constitution d'émulsions, le phénomène étant que des émulsions faites en présence de ces composés font immédiatement deux couches, alors qu'elles n'en font qu'une sans ces composés.
Un travail scientifique peut vouloir explorer ces phénomènes, et il aboutit à l'hypothèse selon laquelle les composés phénoliques puissent se mettre à l'interface eau-huile, au milieu des phospholipides. Une telle hypothèse s'établit notamment par résonance magnétique nucléaire, laquelle permet de voir des couplages, c'est-à-dire des modifications des signaux de résonance de certains atomes en fonction de leur "environnement chimique", à savoir la présence d'autres atomes. Dans un tel cas, le travail scientifique produit donc une théorie sur la répartition des composés phénoliques parmi les phospholipides, autour des masses liquides de lipides.
A quoi bon savoir cela ?
Pour un/e scientifique, avoir cette connaissance ne sert peut-être à rien, sauf à connaître le fonctionnement du monde, ou à utiliser ces résultats dans des études analogues, où l'hypothèse pourrait être "utile" pour produire une autre hypothèse : autrement dit, la connaissance de résultats scientifiques peut "servir" à poursuivre le travail scientifique.
D'ailleurs, la connaissance et la description du monde ne sont-ils pas de qui nous sépare des animaux ?
Pour un ingénieur ou un technologue, d'autre part, un tel résultat peut être utilisé pour stabiliser une émulsion, par exemple, ou éviter une déstabilisation.
Pour un enseignant, une telle connaissance peut servir à changer des mentalités (pensons à ces séismes intellectuels qui ont suivi le remplacement du géocentrisme par l'héliocentrisme, à la révolution copernicienne... on a même brûlé ceux qui soutenaient ce qui était contraire à la Bible !), mais, aussi, à enseigner de la saine méthodologie, ou de la méthode, par exemple.
Le fait que mon interlocuteur ne voit pas l'intérêt de la science pour elle-même montre bien qu'il n'est pas scientifique. Et que faisons-nous de l'honneur de l'esprit humain ?
Et j'insiste un peu, parce que, en ces temps de plomb où l'argent tient lieu de valeur morale, l'"utilité" est une notion bien difficile, qui mérite que l'on y pense un peu. Je ne dis pas qu'il soit mal de penser aux applications, mais je dis surtout que des scientifiques qui s'occuperaient à cela ne feraient pas leur "mission", à savoir produire des connaissances scientifiques.
vendredi 5 mars 2021
Comment réussir un soufflé
Comment réussir un soufflé
La question de la réussite des soufflés est aujourd'hui posée dans la culinosphère, et l'on se reportera sans hésiter au travaux de la gastronomie moléculaire.
En effet, les souffléss sont les préparations que j'ai commencé à explorer dans les années 1980 et pour lesquelles j'ai fait mes premières découvertes.
Tout tient en trois points
Pour réussir des soufflés, l'essentiel est de :
1. battre les blancs en neige très ferme
2. passer le soufflé sous le grill avant la cuisson afin d'avoir une surface non seulement d'un joli aspect mais qui de surcroît retient les bulles de vapeur et augmente le gonflement
3. troisièmement, et c'est là le plus important, chauffer le soufflé par le fond, par exemple en plaçant le ramequin sur la sole du four, sa partie inférieur, et en chauffant le four par le fond seulement si l'on peut.
Avec ça, le soufflet gonfle sans aucune difficulté, mais pourquoi ?
Pour comprendre pourquoi les soufflés gonflent, il faut abandonner l'idée fausse de naguère, selon laquelle les soufflés auraient gonflé en raison d'une dilatation des bulles d'air à la chaleur. La preuve que c'est faux, c'est que, au séminaire de gastronomie moléculaire, j'ai montré des soufflés qui gonflaient parfaitement avec des blancs d'oeufs qui n'avaient pas été battus !
Non, en réalité, j'ai découvert que les soufflés gonflent parce que l'eau de l'appareil s'évapore. Un ordre de grandeur : un soufflé de 100 grammes perd 10 grammes à la cuisson, ce qui correspond à 10 litres de vapeur ! De quoi faire largement gonfler les soufflés, non ?
Et c'est évidemment au fond que la vapeur doit se former : elle pousse alors les couches du soufflé vers le haut.
La fermeté des blancs ? Les blancs fermes retiennent mieux les bulles de vapeur. Le passage sous le grill ? Il donne un joli aspect, en même temps qu'il retient des bulles.
Après, il y a bien des détails : la préparation du moule, la convection éventuelle, la température, la durée... Mais ce sont des détails.
jeudi 4 mars 2021
La gastronomie moleculaire n'a jamais été aussi active
mercredi 3 mars 2021
Aujourd'hui je vous présente la solanine et ses cousines.
Quand Augustin Parmentier explora la pomme de terre, voulant la faire consommer aux Français qui mouraient alors parfois être faim, juste avant la Révolution de 1789, il l'explora du point de vue physico-chimique et publia le résultat des travaux dans un ouvrage scientifique. Dans ce livre, naturaliste au sens d'une chimie naturaliste, il signale que les décoctions de peaux de pomme de terre ont un goût brûlant.
Ce que Parmentier ne savais pas, c'est que ce goût brûlant et dû notamment à des composés qui ont pour nom solanine, solanidine, chaconine. Ces composé sont naturellement présents dans les peaux de pommes de terre, et ils sont toxiques.
Bien sûr, on dira que c'est la dose qui fait le poison, de sorte que la question est de savoir si ces composés sont, ou non, en quantités excessives dans l'alimentation.
Mais restons d'abord sur les composés eux-mêmes. je vais pas rentrer dans le détail de la constitution moléculaire de chacun, mais je commence par observer que le nom "solanine" (ou solanidine) est bien apparenté au nom de la famille botanique à laquelle appartiennent les pommes de terre : les "solanacées".
Et cela est juste, car c'est bien dans les pommes de terre que l'on a découvert ces composés.
D'autre part, j'ajoute que les solanines et leurs cousines sont des "alcaloïdes", à savoir que leurs molécules ont notamment un atome d'azote, et, comme la strychnine, la nicotine, etc., elles ont une action pharmacologique ou toxique.
Le risque que font courir solanine et consorts ? Il dépend à la fois du danger, c'est-à-dire la toxicité intrinsèque, et de l'exposition.
Dès lors, il faut se demander combien on consomme de ces composés et savoir si l'on dépasse de la dose journalière admissible.
Observons tout d'abord que certains d'entre nous mangent très souvent des pommes de terre, et notamment dans des pays où les frites sont vendues dans les rues, comme ils le sont dans des enseignes françaises de restauration rapide.
Dans une étude assez récente, il a été montré que pour un pays où la restauration de rue laissait la peau des pommes de terre, alors la population dépassait la dose journalière admissible.
Et pour la France ? Cette fois, l'Agence nationale de sécurité des aliments a été récemment saisie, car la solanine n'est pas présente seulement dans les pommes de terre, mais aussi dans les aubergines, par exemple, qui est de la même famille végétale que les pommes de terre. Il a aussi, il faut faire un peu attention et ne pas multiplier les consommations.
J'ai juste pour terminer : la solanine, la solanidine, la chaconine ne doivent rien, absolument rien à l'intervention de l'être humain. Ce sont les plantes qui les produisent naturellement, quelles que soient les conditions de culture. La nature n'est pas bonne, et il y a du génie humain chaque fois que notre espèce parvient à prendre dans la nature ce qui lui faut sans s'exposer à tous ses dangers.
PS. Voici le résumé d'un avis de l'Agence européenne de sécurité des aliments :
The European Commission asked EFSA for a scientic opinion on the risks for animal and human health related to the presence of glycoalkaloids (GAs) in feed and food. This risk assessment covers edible parts of potato plants and other food plants containing GAs, in particular, tomato and aubergine. In humans, acute toxic effects of potato GAs (a-solanine and a-chaconine) include gastrointestinal symptoms such as nausea, vomiting and diarrhoea. For these effects, the CONTAM Panel identifed a lowest-observed-adverse-effect level of 1 mg total potato GAs/kg body weight (bw) per day as a reference point for the risk characterisation following acute exposure. In humans, no
evidence of health problems associated with repeated or lon g-term intake of GAs via potatoes has been identifed. No reference point for chronic exposure could be identifed from the experimental animal studies. Occurrence data were available only for a-solanine and a-chaconine, mostly for potatoes. The acute dietary exposure to potato GAs was estimated using a probabilistic approach and applying processing factors for food. Due to the limited data available, a margin of exposure (MOE) approach was applied. The MOEs for the younger age groups indicate a health concern for the food consumption surveys with the highest mean exposure, as well as for the P95 exposure in all surveys. For adult age groups, the MOEs indicate a health concern only for the food consumption surveys with
the highest P95 exposures. For tomato and aubergine GAs, the risk to human health could not be characterised due to the lack of occurrence data and the limited toxicity data.
mardi 2 mars 2021
A propos des accords mets-vin
Ce soir, je reçois ce message :
Je travaille actuellement sur un sujet de science alimentaire sur les accords mets et vins.
Je suis aujourd'hui en recherche d'informations scientifiques sur les accords mets et vins, à savoir quelles sont les composantes chimiques et/ou organoleptiques qui régissent ces accords ? Avez-vous déjà étudié ces relations, si oui auriez-vous des articles à me suggérer ?
Et ma réponse
Merci pour votre message amical.
La question est d'autant plus intéressante qu'elle est plombée par des gens (je connais au moins un sommelier dont les dents rayent le parquet) qui disent n'importe quoi, parce que :
1. ils cherchent à paraître savants (ce qu'ils ne sont pas)
2. ils le font parce qu'ils vendent leurs compétences
3. ils ne "cadrent" pas bien la question.
Il faut commencer par observer que l'appréciation gustative (mets ou boissons, ou les deux) est d'abord une question sociale, ensuite une question artistique, et seulement enfin une question technique.
Par exemple, l'appréciation de l'amertume est une question de culture, ces saveurs étant rejetées par les jeunes enfants. Et c'est ainsi que certains en viendront à aimer le durian, et d'autres la boulette d'Avesnes.
Donc surtout pas ne pas mélanger les phénomènes physico-chimiques avec les questions du "j'aime" ou du "je n'aime pas". Et ne pas chercher du côté de la théorie du "food pairing", qui est très pourrie (à venir, dans le Handbook of molecular gastronomy, parution avril, un chapitre qui fait le constat de façon serrée, scientifique).
Ensuite il y a la question artistique : on aurait fait entendre du Debussy à Mozart qu'il serait sauté au plafond d'effroi. Là encore, une question difficile, culturelle... et qui était à l'origine de mon meilleur livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", lequel est à ma connaissance le premier traité d'esthétique culinaire jamais publié.
Enfin, il y a la question technique, et là, il y a des faits :
- par exemple, la complexation des protéines salivaires par des tanins (seulement certains des polyphénols)
- par exemple, des phénomènes à base de pH
- par exemple, la force ionique qui provoque le relarguage des composés les plus hydrophobes
- par exemple...
Et c'est ainsi que j'avais fait une quotidienne sur ce thème, il y a plus de dix ans, sur France Inter, l'été, avec Philippe Faure Brac.
Cela étant, vous avez vu que j'ai mis le social et l'art avant la technique... car on a le droit d' aimer la sensation bizarre du bordeaux tannique avec de la salade bien vinaigrée (et je connais des gourmands qui l'aime).
Autrement dit, il n'est pas nécessaire de vouloir justifier des accords, mais, surtout, il y a lieu de bien séparer les faits et les interprétations. Ce qui signifie poser les faits physiologiques, biologiques, sociaux... et ne pas aller plus loin.
Tout cela, bien sûr, doit être fondé sur une bonne appréciation de ce qu'est le goût : saveur (un nombre infini de saveurs), odeur (ne parlez svp pas d'arôme mais de composés odorants), trigéminal, oléogustation, sensation du calcium, couleur, nom (pour les réflexes conditionnés type acidité, gras ou amidon), consistance, température, et autres.
Un point de méthode, maintenant : comment allez vous faire pour trouver les bonnes sources ? A la réflexion, je partirai de l'analyse de la question, avec (pour les professeurs qui en sont bien ignorants), un état de la perception sensorielle du goût ; puis un état des phénomènes connus sur des influences en bouche (température, pH, salinité, etc) ; puis un état des influences mutuelles ; puis une rechercher de l'évolution artistique de la question (un travail difficile, jamais fait), et enfin un état des effets sociaux (pour ce que l'on en sait, sans jamais dépasser les faits, et, surtout, sans vouloir des conclusions quie ne sont pas accessibles).
Pas opposé à vous aider à bien faire, car cela serait utile que quelqu'un pose tout ce que je vous ai dit par écrit.
bien à vous
Si l'on ne sait pas ce qu'il y a sous le capot, quel individu sommes-nous ?
J'ai déjà évoqué cet "ilchimisme" que je crois être un fléau de notre temps, et les déclarations atterrantes de députés (idiots ? malhonnêtes ? démagogues ? autre ?) disant qu'ils traitaient sans pesticides les végétaux afin de tuer les insectes est une nouvelle occasion de nous interroger sur cette difficulté démocratique : comment prendre des décisions rationnelles quand on ne comprend pas les termes de la question ?
Commençons par insister : oui, des députés (mais le peuple élit aussi les plus bavards, ou les plus prétentieux, et pas toujours les plus compétents) ont bien dit qu'ils traitaient leurs plantes à l'aide de composés qui n'étaient pas "chimiques", qui n'étaient pas des pesticides, et qui tuaient les insectes. Quoi, ils se moquent de nous : des produits qui tuent des insectes ? En français, cela a un nom : pesticide. Quelle honte !
Mais passons. Réfléchissant à cette difficile question de l'ilchimisme, j'ai évidemment la réponse : c'est à l'école que se construit la connaissance, que s'élabore la citoyenneté, sur une connaissance intime du monde où nous vivons, et pas seulement par le maniement du langage, ou des relations sociales. Rien de nouveau : Platon critiquait déjà la rhétorique politicienne, et ses méfaits.
Mais, m'interrogeant sur les causes de l'ilchimisme qui afflige certains de nos concitoyens, je viens de trouver une comparaison amusante : quelqu'un qui refuserait de connaître la composition d'un aliment ou d'une boisson, n'est-ce pas comme quelqu'un qui refuserait de savoir qu'il y a un moteur dans une voiture.
Serait-ce bien raisonnable ? Bien intelligent ? Bien civique ?
Bien sûr l'idée n'est pas d'imposer à chacun de savoir exactement comment marche le moteur, mais quand même, il y a une limite à l'ignorance, non ? Et voilà pourquoi il nous faut des cours de chimie dès l'école ! Il en va de la démocratie.
lundi 1 mars 2021
A propos de pâtes
Cela fait longtemps que nous étions dans l'incompréhension, avec divers amis du séminaire de gastronomie moléculaire, à propos des pâtes : les pâtes à tarte, mais qui servent souvent à autre chose que ces dernières, par exemple pour faire des tourtes, des rissoles, des pâtés chauds, etc.
Comment les nommer ? Le monde amateur ou professionnel est encombré de dénominations plus ou moins cohérentes, avec notamment celles de pâte sablée, pâte brisée, pâte sucrée, pâte à foncer, etc. Et, d'autre part, on nous parle d'émulsion, de sablage, de crémage...
Or les enseignements culinaires s'étant déjà montrés incohérents par le passé, avec les théories fautives des cuissons dites (fautivement) "par concentration" ou "par expansion", j'aurais dû me méfier bien plus tôt, mais il a fallu qu'un formateur m'interroge sur la cuisson des légumes pour que je puisse le faire vraiment.
Et quand j'ai mis mon nez dans la question des pâtes, j'ai effectivement retrouvé la plus grande incohérence.
Du point de vue physico-chimique, les choses sont simples, en cela que si l'on travaille de la farine avec de l'eau, alors cette dernière vient ponter des protéines et former un réseau qui est nommé classiquement "gluten". Cela durcit la pâte, mais, aussi, la fait tenir.
S'il y a du sucre, le réseau peut se faire de façon limitée voire pas du tout, et la pâte devient bien plus friable.
Mais reste la question de la dénomination, et, là, les travaux terminologiques de ces derniers mois m'ont fait comprendre qu'il n'y avait de légitimes que les définitions qui avaient de l'antériorité.
Autrement dit, il fallait aller chercher dans les livres de cuisine anciens les dominations des pâtes pour pouvoir choisir un nom juste.
Et finalement j'ai trouvé d'abord des pâtes fines, avec de la farine blanche, et des pâtes bises, avec de la farine moins fine, moins blanche ou de seigle : "bis" signifie grisâtre.
Plus tard, dans l'histoire de la cuisine, on trouve des pâtes à foncer (on fonce effectivement un moule à tarte) ou des pâtes à dresser, qui étaient bien plus utilisées naguère, pour la production des pâtés, quand on n'avait pas de moule.
Mais, finalement, pour ces pâtes, la principale caractéristique, c'est bien d'être soit friables, soit fermes. N'est-ce pas une dénomination suffisante ? Selon que l'on a du sucre ou non, c'est ou non une pâte sucrée, qui, comme dit plus haut, est souvent - mais pas toujours- plus friable.
Le procédé de fabrication doit-il être pris en compte dans la dénomination ? Sablage, émulsion, crémage, et j'en passe... Ma réponse est simple : il n'y a lieu de stipuler le procédé que s'il donne des résultats particuliers. Sans quoi, c'est juste une idiosyncrasie de plus, qui doit donc être mise de côté.
Or d'anciens séminaires avaient comparé les mêmes pâtes par sablage et par "crémage" (un mot mal choisi), sans qu'on ait vu de différence.
De sorte que je conclus que le procédé est sans intérêt et que nous devons nous résoudre à parler de pâte à foncer friables ou fermes. C'est moins prétentieux... et tellement plus simple, pour les amateurs comme pour les jeunes professionnels !
Je vous présente la tyrosine
Ah, le comté, merveilleux fromage, au goût frais et corsé quand il est jeune, puissant quand il s'affine... Et ses petits cristaux, dont la saveur ajoute au goût total !
Des cristaux de sel ? Non, des cristaux d'un composé nommé "tyrosine". D'ailleurs, il est amusant de voir l'étymologie de ce nom chimique... le fromage.
Le composé ? C'est un acide aminé, à savoir que ses molécules ont :
- un atome de carbone lié à un groupe acide carboxylique, avec un atome de carbone lié à un atome d'oxygène, d'une part, et à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène, d'autre part ;
- un groupe amine, avec un atome d'azote lié à deux atomes d'hydrogène.
Pourquoi le trouve-t-on dans le fromage, comme d'ailleurs dans des jambons secs ? Parce que ces produits contiennent beaucoup de protéines, qui, lors d'un affinage, se dissocient en libérant des acides aminés. Or la tyrosine n'est pas très soluble... de sorte qu'elle cristallise facilement.
Mais je me hâte d'ajouter que les choses sont plus compliquées que ne le dirait la phrase "les cristaux du comté ou du parmesan sont de la tyrosine"... car il y a des cristaux variés dans les fromages, et pas seulement de tyrosine.
Au fait (pour les moins avancés en chimie), oui, ces cristaux sont des empilement réguliers de molécules de tyrosine. Oui, nous mangeons des molécules.
dimanche 28 février 2021
Les craintes sont fondées sur l'ignorance. Vite, de la chimie à l'Ecole !
Dans les discussions publiques à propos des dangers ou des risques des aliments, ou des bienfaits potentiels d'ailleurs, il est donc question de "chimie", puisque les aliments sont faits de composés, c'est-à-dire de molécules de diverses catégories : eau, protéines, acides aminés, lipides, sucres...
Aux tissus végétaux ou animaux, qui sont donc des assemblages de molécules, les cuisiniers -à domicile, dans des restaurants ou dans l'industrie- ajoutent des "produits" qui peuvent être des composés (pensons au sucre, par exemple) ou des mélanges de composés (pensons aux additifs, auxiliaires techniques, aromatisants).
Pour les composés, il s'agit donc encore de composés, c'est-à-dire de catégories de molécules, qu'il s'agisse de molécules d'origine naturelle ou artificielle.
Bref, dans tous les cas, il y a des molécules dans l'affaire, qu'il s'agisse d'eau, de protéines, de lipides, de sucre, et cetera. Et ces molécules sont les mêmes, qu'elles soient d'origine naturelle ou artificielle.
Oui, une molécule ne dépend pas de son origine, parce qu'elle est toujours faite d'atomes, qui sont de différentes sortes (on parle des "éléments"), et qui ont pour nom : hydrogène, hélium, lithium, béryllium, bore, carbone, azote, oxygène, et ainsi de suite (il y a environ 200 éléments).
Or une molécule, assemblage d'atomes, est la même que les atomes aient été liés en molécule spontanément, dans l'univers, ou bien que l'on ait fait la chose dans un laboratoire : sauf des cas tordus, rarissimes, on ne peut pas distinguer une molécule naturelle d'une molécule synthétisée, qu'elle le soit dans un laboratoire ou dans une casserole, par l'action inconsciente d'un cuisinier (aucun cuisinier ne pense à faire des dianhydrides de fructose quand il fabrique du caramel !).
Ces molécules que nous mangeons se moquent bien de notre santé, et la "nature" se moque de l'être humain, de ce qui est bon ou mauvais pour l'être humain, contrairement à ce que pensent quelques naïfs, quelques ignorants, quelques idéologues, ou quelques personnes délirantes. La nature produit tout aussi bien la girolle que l'ammanite phalloïde, et c'est notre humanité qui nous conduit à sélectionner ce qui nous est utile.
Mais, j'y revient, on voit trop souvent dans les débats publics, l'idée selon laquelles les molécules d'origine naturelle ou artificielle seraient différentes : elle ne le sont pas !
Prenons l'exemple de l'eau. A Paris, l'eau de pluie est loin d'être pure, d'être seulement faite de molécules d'eau : avons-nous oublié les "pluies acides" qui attaquaient les forêts ? Et dans l'eau "minérale", en bouteille, ne savons-nous pas lire, sur l'étiquette, la présence, parmi les molécules d'eau, de nombreuses espèces moléculaires ou ioniques : des ions magnésium, sodium potassium, nitrates, sulfates, etc. ?
En revanche, pour de l'eau qui serait synthétisée à partir de dihydrogène et de dioxygène, la pureté serait quasi parfaite... ce qui ne signifie pas que cette eau serait meilleure pour la santé : il faut craindre les chocs osmotiques quand on boit de la neige fondue !
Il faut arriver au cœur du sujet, à savoir que la molécule d'eau, quelle que soit son origine, naturelle ou artificielle, est faite d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène. Ces atomes d'oxygène et d'hydrogène viennent tous de la nature, car nous ne faisons que les utiliser, les réarranger, et les réactions qui se font dans les laboratoires ne sont que des réarrangements d'atomes.
Bien sûr, la physique nucléaire parvient à changer un élément en un autre (très difficilement d'ailleurs), mais, pour ce qui concerne la cuisine, on en est loin.
Allez, j'insiste encore : une molécule d'eau de la pluie, ou une molécule d'eau synthétisée dans un laboratoire, c'est toujours une molécule d'eau.
Cette information serait utile dans les débats publics... où je vois à la fois de l'ignorance des faits et des confusions avec l'idéologie. Pourtant, le créateur du journal Le Monde ne recommandait-il pas, très justement, de ne pas confondre les faits et les interprétation?
Là, c'est fait : vous avez des faits, et j'espère que vous en ferez bon usage, dans les débats publics, surtout si ces débats déterminent des choix collectifs.
Bref, pour être un bon citoyen, il ne faut pas dire n'importe quoi, agiter sa langue de façon incohérente, mais commencer à comprendre de quoi l'on parle : un vaste programme... qui doit commencer dès l'Ecole !
La critique de la science, c'est souvent le refus infantile des faits, de l'idéologie
Dans le texte d'un gauchiste, je lis l'expression "démiurges scientistes", et je propose de voir cela comme un symptôme.
Mais commençons par savoir bien de quoi nous parlons, en faisant l'hypothèse (osée, quand on connaît l'auteur de la phrase) que celui qui a écrit savait le sens exact des mots qu'il utilisait. Un démiurge, tout d'abord, c'est une divinité qui donne forme à l'univers. On voit donc déjà que notre auteur critique les scientifiques avec un argument ad hominem un peu camouflé. Puis il mélange cette affaire avec le scientisme, à savoir l'attitude consistant à considérer que toute connaissance ne peut être atteinte que par les sciences, particulièrement les sciences physico-chimiques, et qui attend d'elles la solution des problèmes humains.
D'ailleurs, un peu plus loin, notre auteur parle d' "univers scientiste"... mais, au fait, qu'est-ce que cela ? On est encore dans l'insinuation. Et cela s'enchaîne avec "elle peut s'appuyer sur des études produites par des chaires universitaires, des laboratoires de recherche". Là, on a une attaque sournoise, en passant, des "chaires universitaires", comme si l'enseignement universitaire était toujours mandarinal.
J'ai omis de signaler que tout cela venait à charge contre des faits, avec, d'ailleurs, de surcroît, une confusion fréquente entre la science et la technologie.
Détestable critique, refus des faits, confusion des idées et des opinions... Notre homme a tout faux !
samedi 27 février 2021
Les alcools : tous ne sont pas égaux. Donc ne pas confondre
Aujourd'hui, je veux délivrer une information pour mes amis vignerons qu'ils ont pas toujours de formation poussée en chimie : il s'agit de discuter la question les alcools.
Car le produit merveilleux qu'ils produisent, c'est-à-dire le vin, contient effectivement en abondance un alcool qui a pour nom "éthanol"... mais il contient également, en moindre quantité, de nombreux composés différents de l'éthanol mais qui sont des "cousins", en ce sens que ce sont également des "alcools".
Il y a par exemple le méthanol avec un m. Certes, l'éthanol est toxique... mais le méthanol est bien pire, parce qu'il rend fou et aveugle pour dire les choses simplement.
L'éthanol, lui, donne un goût merveilleux à des liquides variés, mais il provoquer de l'ébritété, des anomalies du comportements, sans compter les différentes affections qui vont du cancer au diabète, etc. Et le composé est d'autant plus dangereux que c'est une "drogue", qui provoque donc accoutumance et dépendance.
Donc oui, boire avec modération est essentiel... mais pas suffisant : je propose surtout de boire avec culture : d'où vient ce vin, qui l'a produit, comment, quand, à partir de quoi, sur quel sol, avec quel climat ?
Revenons la question des alcools. Ce sont des composés qui sont faits de molécules toutes identiques pour chaque catégorie. Par exemple, "éthanol" est le nom d'une catégorie de molécules identiques, et "méthanol" est le nom d'une autre catégorie. Les molécules de méthanol sont toutes identiques, mais elles diffèrent des molécule d'éthanol.
Pourquoi ces composés sont-ils des alcools ? Parce que leurs molécules, différentes donc pour les divers alcools, comportent toutes au moins un atome de carbone qui est lié à un atome d'oxygène, lequel est lui-même à un atome d'hydrogène.
Ce groupe d'atomes, avec un atome d'oxygène et atome d'hydrogène, est nommé groupe hydroxyle, et c'est lui qui fait que les molécules sont des alcools.
Bien sûr, les molécules des alcools ne sont pas limitées à ce groupe, et il peut y avoir plein d'autres atomes, de carbone, d'hydrogène, d'oxygène, etc. Et les molécules sont plus ou moins grosses, ce qui signifie qu'elles ont plus ou moins d'atomes.
Le méthanol, lui, est le plus petit des alcools, avec un seul atome de carbone.
Puis vient l'éthanol, avec deux atomes de carbone, puis le propanol, le butanol, le pentanol, l'hexanol, l'heptanol, et ainsi de suite avec des noms comportant le suffixe "ol" qui désigne les alcools et un préfixe en grec qui dit le nombre d'atomes de carbone.
C'est tout simple non ?
Ajoutons que tous les alcools ont des propriétés très différentes : des températures d'ébullition différentes, des actions physiologiques différentes, des odeurs différentes...
Et, en tout cas, il faut boire avec modération : nous ne sommes pas des bêtes, n'est-ce pas ?