Dans le séminaire de gastronomie moléculaire d'hier, nous avons testé l'effet éventuel de l'ajout de vinaigrette sur les pommes de terre chaudes ou sur des lentilles chaudes, plutôt que sur les pommes de terre froides ou des lentilles froides.
Nous avions déjà considéré plusieurs fois la question, mais de façon un peu secondaire. Là, nous avons le voulu refaire la chose, non pas seulement sur les pommes de terre comme par le passé, mais aussi sur les lentilles puisque c'est une indication que nous avions trouvé dans des ouvrages professionnels.
Nous avons donc au moins pour une partie du séminaire, cuit des lentilles et des pommes de terre, dans de l'eau, départ à froid ; puis nous avons divisé les lentilles cuites en deux moitiés, et divisé les pommes de terre en deux moitiés. Dans une des deux moitiés de chaque lot, nous avons ajouté immédiatement la vinaigrette, laquelle avait été réalisée à partir de vinaigre et d'huile. Évidemment, les quantités de lentilles, de pommes de terre et de vinaigrette étaient pesées pour chaque cas. Et nous avons ensuite organisé un test triangulaire pour détecter d'éventuels effets.
Je suis heureux de vous dire que nous avons le résultat : il y a très peu de différence, et la seule que nous ayons pu établir un peu était une perception un peu supérieure du vinaigre quand la vinaigrette était ajoutée à froid.
Mais en réalité, on conservera à l'idée que les différences étaient absolument minimes et en tout cas inférieures à ce que je nommerais l'effet sauce : c'est-à-dire que la quantité de sauce ajoutée, quand elle diffère dans un lot dégusté, est prépondérante. C'est cette quantité différente éventuelle qui conduisait à des reconnaissances éventuellement erronées entre les lots à froid et à chaud.
Tout cela est donc bien clair : il y a très peu de différence entre l'assaisonnement à froid et l'assaisonnement à chaud pour les pommes de terre comme pour les lentilles.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 17 octobre 2024
Salades de lentilles, salades de pommes de terre
mercredi 3 mars 2021
Aujourd'hui je vous présente la solanine et ses cousines.
Quand Augustin Parmentier explora la pomme de terre, voulant la faire consommer aux Français qui mouraient alors parfois être faim, juste avant la Révolution de 1789, il l'explora du point de vue physico-chimique et publia le résultat des travaux dans un ouvrage scientifique. Dans ce livre, naturaliste au sens d'une chimie naturaliste, il signale que les décoctions de peaux de pomme de terre ont un goût brûlant.
Ce que Parmentier ne savais pas, c'est que ce goût brûlant et dû notamment à des composés qui ont pour nom solanine, solanidine, chaconine. Ces composé sont naturellement présents dans les peaux de pommes de terre, et ils sont toxiques.
Bien sûr, on dira que c'est la dose qui fait le poison, de sorte que la question est de savoir si ces composés sont, ou non, en quantités excessives dans l'alimentation.
Mais restons d'abord sur les composés eux-mêmes. je vais pas rentrer dans le détail de la constitution moléculaire de chacun, mais je commence par observer que le nom "solanine" (ou solanidine) est bien apparenté au nom de la famille botanique à laquelle appartiennent les pommes de terre : les "solanacées".
Et cela est juste, car c'est bien dans les pommes de terre que l'on a découvert ces composés.
D'autre part, j'ajoute que les solanines et leurs cousines sont des "alcaloïdes", à savoir que leurs molécules ont notamment un atome d'azote, et, comme la strychnine, la nicotine, etc., elles ont une action pharmacologique ou toxique.
Le risque que font courir solanine et consorts ? Il dépend à la fois du danger, c'est-à-dire la toxicité intrinsèque, et de l'exposition.
Dès lors, il faut se demander combien on consomme de ces composés et savoir si l'on dépasse de la dose journalière admissible.
Observons tout d'abord que certains d'entre nous mangent très souvent des pommes de terre, et notamment dans des pays où les frites sont vendues dans les rues, comme ils le sont dans des enseignes françaises de restauration rapide.
Dans une étude assez récente, il a été montré que pour un pays où la restauration de rue laissait la peau des pommes de terre, alors la population dépassait la dose journalière admissible.
Et pour la France ? Cette fois, l'Agence nationale de sécurité des aliments a été récemment saisie, car la solanine n'est pas présente seulement dans les pommes de terre, mais aussi dans les aubergines, par exemple, qui est de la même famille végétale que les pommes de terre. Il a aussi, il faut faire un peu attention et ne pas multiplier les consommations.
J'ai juste pour terminer : la solanine, la solanidine, la chaconine ne doivent rien, absolument rien à l'intervention de l'être humain. Ce sont les plantes qui les produisent naturellement, quelles que soient les conditions de culture. La nature n'est pas bonne, et il y a du génie humain chaque fois que notre espèce parvient à prendre dans la nature ce qui lui faut sans s'exposer à tous ses dangers.
PS. Voici le résumé d'un avis de l'Agence européenne de sécurité des aliments :
The European Commission asked EFSA for a scientic opinion on the risks for animal and human health related to the presence of glycoalkaloids (GAs) in feed and food. This risk assessment covers edible parts of potato plants and other food plants containing GAs, in particular, tomato and aubergine. In humans, acute toxic effects of potato GAs (a-solanine and a-chaconine) include gastrointestinal symptoms such as nausea, vomiting and diarrhoea. For these effects, the CONTAM Panel identifed a lowest-observed-adverse-effect level of 1 mg total potato GAs/kg body weight (bw) per day as a reference point for the risk characterisation following acute exposure. In humans, no
evidence of health problems associated with repeated or lon g-term intake of GAs via potatoes has been identifed. No reference point for chronic exposure could be identifed from the experimental animal studies. Occurrence data were available only for a-solanine and a-chaconine, mostly for potatoes. The acute dietary exposure to potato GAs was estimated using a probabilistic approach and applying processing factors for food. Due to the limited data available, a margin of exposure (MOE) approach was applied. The MOEs for the younger age groups indicate a health concern for the food consumption surveys with the highest mean exposure, as well as for the P95 exposure in all surveys. For adult age groups, the MOEs indicate a health concern only for the food consumption surveys with
the highest P95 exposures. For tomato and aubergine GAs, the risk to human health could not be characterised due to the lack of occurrence data and the limited toxicity data.
lundi 16 novembre 2020
A propos des alcaloïdes des peaux de pomme de terre
J'ai fait la promesse publique de ne plus parler de toxicologie et de nutrition, parce que, d'une part, je ne suis pas spécialiste de ces disciplines (même si je suis attentivement les publications scientifiques, avec plusieurs alertes dans des journaux de bonne qualité), et, d'autre part, je crains que ce soit un peu inutile : je ne suis pas sûr que mes interlocuteurs changent de comportement quand ils ont des données juste qui contrarient leurs opinions alimentaires personnelles.
Voici ce que j'avais écrit : https://hervethis.blogspot.com/2019/10/ni-nutrition-ni-toxicologie.html.
De ce fait je suis vraiment embarrassé quand on m'interroge sur des questions de toxicologie ou de nutrition, et la seule chose que je puisse faire est de donner des informations.
En l'occurrence, aujourd'hui, on m'interroge sur la solanine des pommes de terre et, chimiste, je peux commencer par observer que ce composé, cet alcaloïde, n'est pas le seul qui soit présent dans la peau des pommes de terre : il y a également la chaconine et la solanidine,k notamment.
Ces composés ont des toxicités (comme tous les composés) qui sont connues depuis longtemps, puisque déjà, Parmentier avait observé un goût brûlant quand il avait consommé une décoction de peau de pomme de terre (voir mon article sur Parmentier à l'Académie de Pharmacie).
À l'époque, on ignorait tout de ces alcaloïdes, mais on en sait plus aujourd'hui et je renvoie mes amis vers l'immense masse de publications scientifiques à ce propos : il suffit d'ouvrir Google Scholar et de taper "potatoes alcaloïds" : https://scholar.google.com/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=potatoes+alcaloids&btnG=.
Mais je veux quand même signaler plusieurs points que j'ai relevés dans les publications que j'ai lues.
Tout d'abord, les alcaloïdes de la pomme de terre se trouvent dans les trois premiers millimètres sous la peau.
Ensuite, ils résistent à des température de 285 degrés Celsius, de sortes qu'ils ne sont pas détruit par la cuisson.
Il y a, en ligne, une publication qui a considéré la quantité d'alcaloïdes des pommes de terre consommé dans les nourriture de rue au Pakistan : les frites sont faites à partir de pommes de terre qui n'ont pas été pelées... et la "dose journalière admissible" est dépassée (Aziz et al., Journal of Food Science ! Vol. 77, Nr. 3, 2012).
Enfin l'Agence européenne de sécurité des aliments, l'Efsa, vient de publier un rapport que j'invite tous mes amis à consulter : Risk assessment of glycoalkaloids in feed and food, in
particular in potatoes and potato-derived products, doi: 10.2903/j.efsa.2020.6222.
Et voici le résumé :
Abstract
The European Commission asked EFSA for a scientific opinion on the risks for animal and human health related to the presence of glycoalkaloids (GAs) in feed and food. This risk assessment covers edible parts of potato plants and other food plants containing GAs, in particular, tomato and aubergine. In humans, acute toxic effects of potato GAs (a-solanine and a-chaconine) include gastrointestinal symptoms such as nausea, vomiting and diarrhoea. For these effects, the CONTAM Panel identified a lowest-observed-adverse-effect level of 1 mg total potato GAs/kg body weight (bw) per day as a reference point for the risk characterisation following acute exposure. In humans, no evidence of health problems associated with repeated or long-term intake of GAs via potatoes has been identified. No reference point for chronic exposure could be identified from the experimental animal studies. Occurrence data were available only for a-solanine and a-chaconine, mostly for potatoes. The acute dietary exposure to potato GAs was estimated using a probabilistic approach and applying processing factors for food. Due to the limited data available, a margin of exposure (MOE) approach was applied. The MOEs for the younger age groups indicate a health concern for the food consumption surveys with the highest mean exposure, as well as for the P95 exposure in all surveys. For adult age groups, the MOEs indicate a health concern only for the food consumption surveys with the highest P95 exposures. For tomato and aubergine GAs, the risk to human health could not be characterised due to the lack of occurrence data and the limited toxicity data. For horses, farm and companion animals, no risk characterisation for potato GAs could be performed due to insufficient data on occurrence in feed and on potential adverse effects of GAs in these species.
dimanche 3 novembre 2019
Essayer d'être charitable
Il y a quelque temps, j'ai fais la promesse de ne plus parler publiquement de nutrition, de toxicologie, et encore moins de diététique. Aujourd'hui c'est un engagement différent que je prends : essayer d'être charitable.
Il ne s'agit pas d'une grande conversion, mais de répondre à une remarque que me fait un ami à propos de la peau des pommes de terre.
Car c'est un fait que les trois premiers millimètres sous la peau des pommes de terre contiennent des glycoalcaloïdes toxiques, qui ont pour nom solanine, solanidine ou chaconine, par exemple. Et, c'est un fait que, de tout le temps, on a donc pelé les pommes de terre pour éviter de s'empoisonner. Augustin Parmentier, quand il a promu l'utilisation alimentaire des pommes de terre, peu avant la Révolution, avait bien observé que les infusions de peaux de pommes de terre faisaient un liquide "brûlant", manifestement parce qu'il était chargé de glycoalcaloïdes. Naguère encore, on savait bien qu'il fallait conserver les pommes de terre à l'obscurité et dans un lieu frais, afin d'éviter qu'elle ne verdissent et que ne s'accumulent ces glycoalcaloïdes toxiques.
Bref je disais donc à mon ami que cela me paraissait être le comble de l'incohérence que de servir des pommes de terre bio avec leur peau, comme c'est la mode aujourd'hui, mais mon me répondit que personne n'avait l'information pour comprendre cela.
Comment cela, cette information n'est-elle pas partout dans les campagnes ? Oui, mais peut-être plus dans les villes : l'urbanisation à fait des déracinés qui ont oublié à la fois la boue sur les chaussures quand il pleut, mais aussi des données importantes à propos de leur alimentation.
Certes, je sais bien, puisque je le répète partout, que la France n'est pas réduite au 5e arrondissement de Paris, mais je ne dois certainement pas oublier que tous ne lisent pas les bonnes publications scientifiques. Et d'ailleurs, c'est peut-être une mission des scientifiques que de traduire les résultats de ces publications en informations que l'on peut proposer aux citoyens, afin que la science ne soit pas une aristocratie que l'on décapite.
Oui, nous devons ouvrir nos laboratoires, présenter nos travaux, en faire des traductions technologiques tout autant que des traductions citoyennes. Je crois moins à l'idée de sciences participatives -terminologie que je juge démagogique- qu'à des efforts soutenus et constants par les institutions scientifiques, afin que les citoyens comprennent que leurs impôts ne sont pas dépensés en pure perte.
Oui, il y a lieu de ne pas être supérieur, et d'être charitable : certains n'ont pas fait le chemin qui aurait pu les mener à des connaissances que nous jugeons élémentaires. Et puis, d'ailleurs, avons-nous nous-mêmes toutes les informations que d'autres jugeraient élémentaires ?
dimanche 17 décembre 2017
Eviter l'huile dans les frites
Or dans un régime, la matière grasse est vraiment à éviter : c'est le composé le plus énergétique de notre alimentation, et, pis encore, plus on en mange, mieux on la stocke dans nos tissus adipeux. Combien y a-t-il d'huile dans les frites ? Essayons de le savoir par une expérience.
Taillons un bâtonnet de pomme de terre et plaçons-le dans de l'huile très chaude, par exemple à la température de 180 degrés Celsius. Immédiatement, nous voyons des bulles sortir du bâtonnet, avec un bruit de crépitement qui correspond à l'éclatement des bulles. Si nous plaçons un verre froid dans la fumée blanche qui s'élève au-dessus de l'huile, nous voyons la fumée se condenser, former une buée sur le verre, un liquide, et nous pouvons, en goûtant, nous assurer que c'est bien de l'eau. Autrement dit, la chaleur évapore l'eau des pommes de terre, et parce que un gramme d'eau fait environ un litre de vapeur, le volume considérable de la vapeur formée éjecte les bulles en dehors du bâtonnet de pomme de terre, ce qui repousse l'huile. Autrement dit, pendant la cuisson, l'huile n'entre pas dans les frites.
On peut corroborer cette observation avec l'enregistrement de la pression dans une frite : on voit la pression augmenter lentement, et, quand on sort la frite du bain, la pression cesse d'augmenter, avant de diminuer, après une minute environ. Diminuer ? Cela signifie donc que la vapeur se recondense, de sorte que la frite absorbe alors certainement l'huile qui adhère à la pomme de terre, en surface.
D'où l'expérience qui consiste à prendre un des bâtonnets de pomme de terre, à les mettre dans l'huile chaude, puis à cuire comme on cuirait des frites. Quand elles sont cuites, on les sort de l'huile et on les divise en deux lots. L'un des lots est laissé en l'état, tandis que l'on éponge soigneusement les frites de l'autre lot, afin d'éliminer l'huile en surface.
A la suite de quoi on pèse... et l'on s'aperçoit que la quantité d'huile en plus ou en moins, est de 25 g pour 100 g de pommes de terre ! Vous avez bien lu : un quart de la masse des frites est de l'huile ! Décidément, il est judicieux d'éponger les frites au sortir du bain. Et nous savons maintenant que nous avons une minute pour le faire.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
samedi 16 décembre 2017
En cuisine comme en musique, il y a une question d'interprétation... mais il faut connaître la grammaire !
Il est étonnant, du moins je propose que l'on s'étonne, que le même plat préparé par deux cuisiniers différents puisse être si différent.
Pour examiner cette question, je propose de partir de très simple : des pommes de terre sautées.
A priori, on prend des pommes de terre, on les pèle pour bien retirer les alcaloïdes toxiques qui sont dans les trois premiers millimètres sous la surface (OK, ici, je milite), puis on coupe en dés, et l'on fait sauter, c'est-à-dire que l'on cuit avec de la matière grasse dans une sauteuse (on ne poêle pas, parce que cela signifierait que l'on a cuit dans un poêlon, et non dans une poêle, comme on le croit fautivement).
Finalement, on récupère des pommes de terre sautées, qui, idéalement, doivent avoir un petit croustillant extérieur et être bien cuites à l'intérieur. Évidemment, si on ajoute des quantités considérables de matière grasse, on obtient un beau croustillant, mais les convives sortent alors de table avec une désagréable sensation de lourdeur.
En Alsace, la recette est bien supérieure : pour la confection des Roigebrageldi (toujours une majuscule sur les noms communs alsaciens), les dés de pomme de terre sont mis directement dans une cocotte, mais on alterne des couches de pommes de terre émincées, des oignons émincés et des lardons. Ces derniers apportent encore de la matière grasse, mais moins, et, surtout, ils apportent une matière grasse qui a du goût, de sorte qu'au lieu de faire manger de la graisse, on fait manger du goût, ce qui est l'objectif, n'est-ce pas ?
On ferme la cocotte, et on met au four à 180 degrés pendant une bonne heure. Le résultat est alors très différent, bien supérieur. Bien supérieur pour de nombreuses raisons, à commencer par le fait que les pommes de terre ont du goût, surtout si le lard a été bien fumé.
De surcroît, les pommes de terre n'attachent pas, deviennent croustillantes, et, on a la différence de contraste et de goût entre les cubes de pomme de terre et les oignons, ces derniers apportant une sorte de "légèreté".
Bien sûr, j'écris "légèreté" entre guillemets, car c'est un sentiment, mais il est vrai que le contraste est bienvenu.
Bref, il y a pommes de terre sautées et pommes de terre sautées : le résultat change considérablement selon la recette, tout d'abord. Mais surtout, je peux attester pour avoir souvent mangé des Roigebrageldi que deux cuisiniers alsaciens différents obtiennent des résultats bien différents, parce qu'il y a dans cette affaire une question de soin, de qualité des pommes de terre, de découpe des oignons, d'ustensile...
Ainsi, jusqu'ici, je me suis laissé aller à écrire "pomme de terre", mais cela manque considérablement d'intelligence, car il y a des différences considérables selon les variétés, et selon les terroirs. Et même à ingrédients égaux, il y a la question de l'interprétation artistique des mets.
Pour les musiciens, une comparaison : si une ronde est écrite sur une portée, la joue-t-on d'égale intensité, ou bien en l'attaquant et en réduisant le son sur la fin, ou bien en enflant le son progressivement, ou bien... Surtout, si l'on se décide pour une manière particulière, pourquoi le fait-on ainsi ? (réponse : il faut attaquer si elle commence au premier temps, qui est un temps fort, puis... suivre les conseils de Xavier Gagnepain)
On le voit, la question artistique, la question du style s'introduit immédiatement, qu'on le veuille ou non, et la désinvolture ne semble être qu'un manque d'intelligence, de finesse.
Oui, on peut jouer de la musique en jouant les notes, mais l'expression "tirer son bois" que l'on applique aux mauvais violonistes décrit alors bien le manque de sensibilité qui caractérise la mauvaise musique. Pour la musique, comme pour la cuisine, tout compte, et l'on semble être bien avisé de reprendre la recette et de la discuter.
Par exemple, nous sommes rapidement passés sur la taille des dés de pomme de terre. Quelle taille ? Cette taille dépend-elle de la nature des pommes de terre (oui, bien sûr). Et les oignons : émincés comment ? Et la répartition des oignons et des pommes de terre : aléatoire ? en couches ? de quelle épaisseur ? Et le lard : en dés, en lamelles, en bâtonnets ? Et du sel ? Gros ou fin ? Et du poivre : noir ou blanc ? Du piment de Cayenne ? De la noix de muscade ? Du genièvre ? Du clou de girofle ? Une feuille de laurier ?
Tout cela étant dit, fallait-il vraiment s'étonner que le même plat soit si différent, sous la patte de deux cuisiniers différents ? Il y a les artistes... et les autres.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
dimanche 21 juin 2015
Je voudrais...
Le monde ? Je vois nos concitoyens manger des pommes de terre bio... avec la peau. Ici, j'aurais volontiers mis un point d'exclamation, mais je ne suis pas certain que l'on m'aurait compris. Alors j'explique : le bio est censé éviter l'emploi de composés de traitement des plantes, et conduire à des ingrédients culinaires plus "sains". Toutefois les pommes de terre contiennent -naturellement- des glycoalcaloïdes toxiques, dans les trois premiers millimètres sous la surface. Et ces alcaloïdes sont résistants aux cuissons, même aux fritures. Autrement dit, des pommes de terre avec la peau, c'est vraiment contradictoire, voire incohérent !
Bref, passons en observant toutefois que nos choix alimentaires sont souvent étranges, parfois par ignorance, parfois par idéologie. Mais le fait est qu'ils sont pour le moins étranges. Cela dit, on peut s'interroger : pourquoi certains laissent-ils la peau des pommes de terre ? Parce qu'ils ont la flemme de peler les tubercules ? Parce qu'on leur a dit (qui ? en se fondant sur quelle données ?) que la peau des végétaux était plein de bonnes choses (la preuve que non, avec les pommes de terre) ? Parce que la peau a -effectivement- un petit goût qui plait à certains ? Parce que...
Qu'importe : je n'ai pas à juger, mais c'est vrai que, moi qui ne suis pas paresseux, je trouve fastidieux de peler les pommes de terre, et j'aimerais des pommes de terre que l'on puisse éviter de peler.
Et si des amis biologistes me faisaient des pommes de terre sans glycoalcaloïdes ? La sélection classique n'a pas réussi ce tour de force, mais pourquoi la génétique moderne, la génétique moléculaire, celle des plantes génétiquement modifiées, n'y parviendrait-elle pas ? Ce serait merveilleux, n'est-ce pas ?
dimanche 28 mars 2010
La peau des pommes de terre
On a déjà vu, dans ce blog, combien il faut se méfier du "bon pour la santé", mais, ici, l'ignorance dépasse les bornes, et il faut plutôt se demander si l'on ne devrait pas faire à la radio en question un procès pour empoisonnement... car les peaux de pomme de terre, si elles contiennent des fibres, contiennent aussi des glycoalcaloïdes, dont la solanine, qui sont largement toxiques.
Un tour sur Internet montre en réalité pire que l'ignorance de la radio : quand on cherche "peau des pommes de terres", on arrive sur des sites qui recommandent de manger les légumes crus, ignorant que les lectines des haricots blancs sont hématoagglutinantes et que des haricots verts crus sont à l'origine d'accidents (bien répertoriés par le pharmacien Jean Bruneton, dans un des ses livres ; voir par exemple http://www.inra.fr/fondation_science_culture_alimentaire/les_travaux_de_la_fondation_science_culture_alimentaire/les_divisions/division_hygiene_securite_reglementation/quelles_plantes_sont_elles_comestibles_quelles_parties_de_plantes_sont_elles_comestibles)
Prenons un peu de hauteur, par rapport à ce que le peintre chinois Shitao nommait "la poussière du monde" : on a dit, notamment dans les milieux pédagogiques, que Wikipédia était plein de bêtises, mais la radio? mais la télévision? mais les journaux? Je préfère mettre en valeur des sites où les informations sont justes, et je ne saurais trop vous recommander le "compendium des plantes toxiques" établi par l'Agence européenne de sécurité des aliments.
Et si l'Education nationale se donnait pour mission de distribuer une information fiable, vérifiée? Montrons l'exemple, en donnant des références :
Safety assessment of botanicals and botanical preparations intended for use as ingredients in food supplements, Guidance document of the Scientific Committee, Question No EFSA-Q-2005-233)
Potato Glycoalkaloids and Metabolites: Roles in the Plant and in the Diet, Mendel Friedman, J. Agric. Food Chem., 2006, 54 (23), 8655-8681 • DOI: 10.1021/jf061471t
Vive la gourmandise éclairée!
La peau des pommes de terre
On a déjà vu, dans ce blog, combien il faut se méfier du "bon pour la santé", mais, ici, l'ignorance dépasse les bornes, et il faut plutôt se demander si l'on ne devrait pas faire un procès à la radio en question... car les peaux de pomme de terre, si elles contiennent des fibres, contiennent aussi des glycoalcaloïdes, dont la solanine, qui sont largement toxiques.
Un tour sur Internet montre en réalité pire que l'ignorance de la radio : quand on cherche "peau des pommes de terres", on arrive sur des sites qui recommandent de manger les légumes crus, ignorant que les lectines des haricots blancs sont hématoagglutinantes et que des haricots verts crus sont à l'origine d'accidents (bien répertoriés par le pharmacien Jean Bruneton, dans un des ses livres ; voir par exemple http://www.inra.fr/fondation_science_culture_alimentaire/les_travaux_de_la_fondation_science_culture_alimentaire/les_divisions/division_hygiene_securite_reglementation/quelles_plantes_sont_elles_comestibles_quelles_parties_de_plantes_sont_elles_comestibles)
Prenons un peu de hauteur, par rapport à ce que le peintre chinois Shitao nommait "la poussière du monde" : on a dit, notamment dans les milieux pédagogiques, que Wikipédia était plein de bêtises, mais la radio? mais la télévision? mais les journaux? Je préfère mettre en valeur des sites où les informations sont justes, et je ne saurais trop vous recommander le "compendium des plantes toxiques" établi par l'Agence européenne de sécurité des aliments.
Et si l'Education nationale se donnait pour mission de distribuer une information fiable, vérifiée? Montrons l'exemple, en donnant des références :
Safety assessment of botanicals and botanical preparations intended for use as ingredients in food supplements, Guidance document of the Scientific Committee, Question No EFSA-Q-2005-233)
Potato Glycoalkaloids and Metabolites: Roles in the Plant and in the Diet, Mendel Friedman, J. Agric. Food Chem., 2006, 54 (23), 8655-8681 • DOI: 10.1021/jf061471t
Vive la gourmandise éclairée!