Dans le séminaire de gastronomie moléculaire d'hier, nous avons testé l'effet éventuel de l'ajout de vinaigrette sur les pommes de terre chaudes ou sur des lentilles chaudes, plutôt que sur les pommes de terre froides ou des lentilles froides.
Nous avions déjà considéré plusieurs fois la question, mais de façon un peu secondaire. Là, nous avons le voulu refaire la chose, non pas seulement sur les pommes de terre comme par le passé, mais aussi sur les lentilles puisque c'est une indication que nous avions trouvé dans des ouvrages professionnels.
Nous avons donc au moins pour une partie du séminaire, cuit des lentilles et des pommes de terre, dans de l'eau, départ à froid ; puis nous avons divisé les lentilles cuites en deux moitiés, et divisé les pommes de terre en deux moitiés. Dans une des deux moitiés de chaque lot, nous avons ajouté immédiatement la vinaigrette, laquelle avait été réalisée à partir de vinaigre et d'huile. Évidemment, les quantités de lentilles, de pommes de terre et de vinaigrette étaient pesées pour chaque cas. Et nous avons ensuite organisé un test triangulaire pour détecter d'éventuels effets.
Je suis heureux de vous dire que nous avons le résultat : il y a très peu de différence, et la seule que nous ayons pu établir un peu était une perception un peu supérieure du vinaigre quand la vinaigrette était ajoutée à froid.
Mais en réalité, on conservera à l'idée que les différences étaient absolument minimes et en tout cas inférieures à ce que je nommerais l'effet sauce : c'est-à-dire que la quantité de sauce ajoutée, quand elle diffère dans un lot dégusté, est prépondérante. C'est cette quantité différente éventuelle qui conduisait à des reconnaissances éventuellement erronées entre les lots à froid et à chaud.
Tout cela est donc bien clair : il y a très peu de différence entre l'assaisonnement à froid et l'assaisonnement à chaud pour les pommes de terre comme pour les lentilles.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
Affichage des articles dont le libellé est lentilles. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est lentilles. Afficher tous les articles
jeudi 17 octobre 2024
Salades de lentilles, salades de pommes de terre
lundi 13 avril 2020
A propos de lentilles et de dureté de l'eau
1. Un jeune collègue italien m'interroge à propos de cuisson de légumes, et, plus particulièrement, de cuisson de lentilles. Je propose de commencer par une expérience... puisque l'expérience a toujours raison, disait déjà Galilée :
Un bon moyen pour atteindre la vérité, c'est de préférer l'expérience à n'importe quel raisonnement, puisque nous sommes sûrs que lorsqu'un raisonnement est en désaccord avec l'expérience il contient une erreur, au moins sous une forme dissimulée. Il n'est pas possible, en effet, qu'une expérience sensible soit contraire à la vérité. Et c'est vraiment là un précepte qu'Aristote plaçait très haut et dont la force et la valeur dépassent de beaucoup celles qu'il faut accorder à l'autorité de n'importe quel homme au monde.
2. Cette expérience consiste à cuire des lentilles dans trois casseroles, où l'on met de l'eau du robinet, si celle-ci n'est pas trop "dure" (mais j'ai fait l'expérience dans des lieux si différents que je sais l'expérience "robuste") :
- dans la deuxième casserole, on ajoute du vinaigre
- dans la troisième casserole, on ajoute du "bicarbonate".
On chauffe les trois casseroles jusqu'à ce que les lentilles dans l'eau "pure" soient cuites, et l'on compare alors les lentilles des trois casseroles :
- dans l'eau "pure", les lentilles sont cuites comme il faut (par définition)
- dans l'eau avec le vinaigre, les lentilles sont dures comme des cailloux
- dans l'eau avec bicarbonate, les lentilles sont complètement défaites, en purée.
3. Ce fait étant établi, il nous faut des données pour interpréter les résultats, et il y a notamment :
- le fait que la dureté des légumes est due notamment à la cellulose
- le fait que la dureté des légumes est due notamment aux pectines
- le fait que les lentilles contiennent des grains d'amidon
4. La cellulose est inerte chimiquement : et la preuve en est que nos chemises de coton, en cellulose quasi pure, peuvent être bouillies des centaines ou des milliers de fois sans se "dissoudre" dans l'eau de lavage.
5. Mais les molécules de celluloses sont tenues par les molécules de pectine, qui sont commes des cables autours de piliers de cellulose. Or les pectines peuvent se dégrader par une réaction d'"hydrolyse" particulière, nommée élimination bêta. Elles perdent de petits morceaux, et les piliers de cellulose ne sont plus tenus : c'est pour cette raison que les légumes cuits ordinairement (casserole 1) s'attendrissent. Il y a nombres d'articles scientifiques à propos, et je renvoie vers mon texte 66. Hervé This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking. Accounts of Chemical Research, May 2009, vol 42, N°5, pp. 575-583, Published on the Web 05/19/2009 www.pubs.acs.org/acr, doi10.1021/ar8002078. , qui donne des pistes.
6. Les pectines sont sensibles à l'acidité du milieu, car ces "cordes", ou "cables", sont en réalité des chaînes moléculaires qui portent de nombreux groupes acide carboxylique (-COOH). Lorsque le milieu est peu acide, une partie de ces groupes est sous la forme "déprotonée", ce qui signifie qu'ils ont perdu l'atome d'hydrogène H, et sont donc électriquement chargés. D'une part, ces charges se repoussent... ce qui explique d'ailleurs que les confitures ne prennent pas quand elles ne sont pas assez acides : les pectines se repoussent, et ne s'associent donc pas. D'autre part, les milieux "basiques" favorisent l'hydrolyse des pectines.
7. On comprend ainsi que les lentilles cuites en milieu acide restent dures, alors qu'elles sont défaites en milieu basique.
8. Mon correspondant parle un français difficile à comprendre (ce n'est pas un reproche que je lui fais), de sorte que je ne suis pas certain de bien comprendre ce qu'il me dit à propos du bicarbonate, mais je le renvoie vers mon cours en ligne sur les calculs de pH pour voir ce qui se passe quand on ajoute du bicarbonate dans l'eau (https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=GM&curdirpath=/Des_cours_de_niveau_universitaire).
D'abord, disons plutôt hydrogénocarbonate de sodium.
Ensuite, ce composé de formule NaHCO3 se dissocie en Na+ et HCO3-, qui se dissocie lui-même en proton et ion carbonate CO32-
9. Pour comprendre maintenant la complication supplémentaire due au calcium, il faut savoir que ces ions Ca2+ sont abondants dans les eaux "dures".
10. Or les ions calcium gênent la réaction de dégradation des pectines, en "pontant" des molécules de pectine. En effet, les ions calcium sont doublement chargés, avec la charge électrique opposée des groupes carboxylates (souvenez-vous : les groupes acides déprotonés). Et ils forment des édifices difficiles à détruire avec ces groupes. Cela durcit les lentilles.
11. D'ailleurs, une autre expérience consiste à cuire des légumes dans de l'eau additionnée d'ions calcium (par exemple, du chlorure) : les légumes deviennent très durs.
On voit aussi cet effet quand on chauffe des légumes (faisons l'expérience avec des carottes) à seulement 40-50 °C : on active des enzymes qui provoquent la fuite du calcium intracellulaire, lequel vient durcir les légumes, au point qu'on ne parvient plus, ensuite, à les amollir... avec deux conséquences :
- surtout pas de légumes dans les cuissons à basse température
- utilisons cette méthode pour affermir des cornichons, afin qu'ils restent bien croquants.
12. Ajouter du bicarbonate, c'est libérer des ions négativement chargés (hydrogénocarbonates et carbonates), qui peuvent conduire à la précipitation de carbonate de sodium, ou calcaire !
Autrement dit, le bicarbonate a une double action : il précipite le calcium, ce qui contribue à ne pas durcir les lentilles, et il amollit, par l'effet "anti-acide".
Est-ce clair ?
dimanche 25 novembre 2018
Le salage de l'eau de cuisson des lentilles
Une question m'est posée, ce soir, et, comme j'en ai pris l'habitude, je donne la réponse à tous.
D'abord la question :
Bonjour Monsieur,
Je vous ai posé récemment une question sur votre blog, en commentaire d’un article publié en décembre 2016 au sujet de la cuisson des lentilles.
Mais je ne vois pas ma question dans les commentaires. Du coup je ne sais pas si elle vous est parvenue et je me permets de vous la poser par e-mail.
Ma question concerne le salage de l’eau de cuisson pour les lentilles. On lit souvent qu’il ne faut pas saler l’eau de cuisson des lentilles, au risque qu’elles restent dures.
Or dans un article de son site https://www.seriouseats.com/2016/09/salt-beans-cooking-soaking-water-good-or-bad.html, Kenji Lopez démontre le contraire, expliquant que les ions sodium se substitueraient aux ions calcium et assoupliraient les pectines, ce qui non seulement permettrait à la peau de se détendre mais aussi éviterait que les lentilles n’éclatent.
Et par ailleurs, le salage de l’eau permet de le saler de l’intérieur, comme pour les pâtes ou les pommes de terre.
Cette explication vous paraît elle correcte, et valide-t-elle la pertinence de saler l’eau de cuisson des lentilles ?
Tout d'abord, je suis bien confus de ne pas avoir répondu... mais je n'ai pas vu ce commentaire. Le mieux, pour m'interroger : icmg@agroparistech.fr.
D'autre part, pour bien comprendre la question de la cuisson des légumes secs -et d'ailleurs des légumes en général-, il faut savoir que les végétaux sont composés de "cellules" (de petits sacs), qui sont cimentés les uns aux autres par des molécules de pectine, qui sont comme de longs fils entourés autours de piliers que sont les molécules de cellulose.
La cellulose ? Pensons à du coton hydrophile, ou à tous ces résidus solides qui restent dans les centrifugeuses, ou extracteurs à jus : ce sont des "fibres", non digestibles.
Les pectines ? Ce sont des molécules comme des fils, qui font prendre les confitures.
Cela étant posé, il faut encore savoir que la cuisson ne modifie pas les molécules de cellulose : et la meilleure preuve, c'est que nos chemises en coton subissent de nombreux cycles de lavage sans de dissoudre ! En revanche, les pectines sont dégradées, et, ne pouvant plus tenir les cellules entre elles, elles laissent le tissu végétal amolli.
Le sodium et le calcium, dans cette affaire ? Le calcium est un "ion" (pensons un atomes qui veut se lier à certains voisins) à deux "bras" : il peut ponter deux molécules de pectines, ce qui, d'une part, renforce le ciment intercellulaire, et, d'autre part, bloque la dégradation des pectines ! Voilà pourquoi il y a certaines eaux calcaires où les lentilles ne cuisent jamais !
Le sel ? Si le sel n'apportait que du sodium, tout irait bien... mais il y a sel et sel : par exemple, le sel gris contient parfois beaucoup de calcium (et même certains sels blancs).
De toute façon, rien ne vaut une pincée de bicarbonate, car ce dernier fait précipiter le calcium, laissant une eau à la fois adoucie et un peu basique : tout pour amollir. Et si le goût final vous déplait (avec une pincée, pas de risque), vous "neutralisez" avec un acide : vinaigre blanc, jus de citron, etc.
Enfin, le salage permet-il de saler l'intérieur des pâtes ou des pommes de terre ? Pour les pommes de terre, nous avions fait un séminaire sur la question, et nous n'avons pas vu de goût. Pour les pâtes, il faut bien y regarder, car l'étude n'est pas faite. Il faudrait cuire dans l'eau salée, puis rincer à l'eau pure, puis goûter... ou, mieux, analyser correctement.
Mais je ne veux pas terminer sans vous inviter à faire une expérience que j'ai faite pour la première fois (en conférence) en 1990 : on part de trois casseroles identiques, avec la même eau, en même quantité, et l'on ajoute : rien dans la première ; du vinaigre blanc dans la deuxième ; du bicarbonate dans la troisième. On met alors la même quantité de lentilles, pois, haricots secs... et l'on porte à ébullition simultanément.
De temps en temps, on goûte les lentilles dans l'eau pure : quand elles sont cuites, on regarde dans les deux autres casseroles. Les lentilles dans l'eau vinaigrées sont dures comme du bois, tandis que, avec le bicarbonate, on a une purée. J'adore ce type d'expérimentations qui parlent mieux qu'un long discours ! Comme disait Michael Faraday : ce n'est pas tout de comprendre les bons principes, il faut expérimenter !
D'abord la question :
Bonjour Monsieur,
Je vous ai posé récemment une question sur votre blog, en commentaire d’un article publié en décembre 2016 au sujet de la cuisson des lentilles.
Mais je ne vois pas ma question dans les commentaires. Du coup je ne sais pas si elle vous est parvenue et je me permets de vous la poser par e-mail.
Ma question concerne le salage de l’eau de cuisson pour les lentilles. On lit souvent qu’il ne faut pas saler l’eau de cuisson des lentilles, au risque qu’elles restent dures.
Or dans un article de son site https://www.seriouseats.com/2016/09/salt-beans-cooking-soaking-water-good-or-bad.html, Kenji Lopez démontre le contraire, expliquant que les ions sodium se substitueraient aux ions calcium et assoupliraient les pectines, ce qui non seulement permettrait à la peau de se détendre mais aussi éviterait que les lentilles n’éclatent.
Et par ailleurs, le salage de l’eau permet de le saler de l’intérieur, comme pour les pâtes ou les pommes de terre.
Cette explication vous paraît elle correcte, et valide-t-elle la pertinence de saler l’eau de cuisson des lentilles ?
Tout d'abord, je suis bien confus de ne pas avoir répondu... mais je n'ai pas vu ce commentaire. Le mieux, pour m'interroger : icmg@agroparistech.fr.
D'autre part, pour bien comprendre la question de la cuisson des légumes secs -et d'ailleurs des légumes en général-, il faut savoir que les végétaux sont composés de "cellules" (de petits sacs), qui sont cimentés les uns aux autres par des molécules de pectine, qui sont comme de longs fils entourés autours de piliers que sont les molécules de cellulose.
La cellulose ? Pensons à du coton hydrophile, ou à tous ces résidus solides qui restent dans les centrifugeuses, ou extracteurs à jus : ce sont des "fibres", non digestibles.
Les pectines ? Ce sont des molécules comme des fils, qui font prendre les confitures.
Cela étant posé, il faut encore savoir que la cuisson ne modifie pas les molécules de cellulose : et la meilleure preuve, c'est que nos chemises en coton subissent de nombreux cycles de lavage sans de dissoudre ! En revanche, les pectines sont dégradées, et, ne pouvant plus tenir les cellules entre elles, elles laissent le tissu végétal amolli.
Le sodium et le calcium, dans cette affaire ? Le calcium est un "ion" (pensons un atomes qui veut se lier à certains voisins) à deux "bras" : il peut ponter deux molécules de pectines, ce qui, d'une part, renforce le ciment intercellulaire, et, d'autre part, bloque la dégradation des pectines ! Voilà pourquoi il y a certaines eaux calcaires où les lentilles ne cuisent jamais !
Le sel ? Si le sel n'apportait que du sodium, tout irait bien... mais il y a sel et sel : par exemple, le sel gris contient parfois beaucoup de calcium (et même certains sels blancs).
De toute façon, rien ne vaut une pincée de bicarbonate, car ce dernier fait précipiter le calcium, laissant une eau à la fois adoucie et un peu basique : tout pour amollir. Et si le goût final vous déplait (avec une pincée, pas de risque), vous "neutralisez" avec un acide : vinaigre blanc, jus de citron, etc.
Enfin, le salage permet-il de saler l'intérieur des pâtes ou des pommes de terre ? Pour les pommes de terre, nous avions fait un séminaire sur la question, et nous n'avons pas vu de goût. Pour les pâtes, il faut bien y regarder, car l'étude n'est pas faite. Il faudrait cuire dans l'eau salée, puis rincer à l'eau pure, puis goûter... ou, mieux, analyser correctement.
Mais je ne veux pas terminer sans vous inviter à faire une expérience que j'ai faite pour la première fois (en conférence) en 1990 : on part de trois casseroles identiques, avec la même eau, en même quantité, et l'on ajoute : rien dans la première ; du vinaigre blanc dans la deuxième ; du bicarbonate dans la troisième. On met alors la même quantité de lentilles, pois, haricots secs... et l'on porte à ébullition simultanément.
De temps en temps, on goûte les lentilles dans l'eau pure : quand elles sont cuites, on regarde dans les deux autres casseroles. Les lentilles dans l'eau vinaigrées sont dures comme du bois, tandis que, avec le bicarbonate, on a une purée. J'adore ce type d'expérimentations qui parlent mieux qu'un long discours ! Comme disait Michael Faraday : ce n'est pas tout de comprendre les bons principes, il faut expérimenter !
Inscription à :
Articles (Atom)