mercredi 27 décembre 2017

Tuer la cuisine moléculaire pour faire naître la cuisine note à note ?

Retour de discussion avec des amis.

Je leur  disais que je cherche  à faire "mourir" la cuisine moléculaire (pas la gastronomie moléculaire, en revanche), afin de faire grandir la "cuisine note à note", bien plus intéressante.
Mes amis me disent : "Non, la cuisine moléculaire ne meurt pas ; elle est en plein essor... et c'est tant mieux".

A la réflexion, oui, la cuisine moléculaire est en plein essor... et la preuve en est que les chefs -même ceux  qui sont "réfractaires"- ont tous des siphons. Tous utilisent maintenant les divers gélifiants, et si tous n'ont pas encore de l'azote liquide, si tous n'ont pas des évaporateurs rotatifs, de plus en plus cuisent à basse température.
Bref, même les chefs qui ne "font pas de cuisine moléculaire" en font, en réalité.

Je rappelle des faits : la définition de la "cuisine moléculaire", c'est "cuisiner avec des matériels modernes", c'est-à-dire des matériels que n'avait pas Paul Bocuse en 1976, quand il écrivit la cuisine du marché.

Il faut donc être soit ignorant (cela n'est pas grave : on peut sortir de son ignorance), soit malhonnête (là, c'est plus grave : et je ne sais pas s'il y a une issue), soit idiot (je ne fais jamais à mes interlocuteurs l'injure de penser qu'ils sont bêtes)  pour penser ou dire que la cuisine moléculaire puisse être une nuisance : à nouveau, je le redis, il s'agit de faciliter le travail des cuisiniers.
Bien sûr, il y a beaucoup de désinformation, à propos de la cuisine moléculaire, mais ne doit-on pas conserver la définition de celui qui l'a donnée (moi) ?

Enfin, oui, je voudrais que la cuisine note à note se développe encore plus qu'elle ne le fait, et je suis impatient, raison pour laquelle je voudrais faire mourir la cuisine moléculaire... mais je suppose que ceux qui sont réfractaires à la cuisine moléculaire ne seront pas vraiment enchantés de la suite, la cuisine note à note.

Enfin, oui, comme le dit mon ami Pierre Gagnaire, pas besoin de tuer la cuisine moléculaire pour faire advenir la cuisine note à note. Laissons la première vivre, avec des artistes produisant de belles oeuvres, pendant que d'autres développeront la secondes.


















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

En cuisine, le traditionnel est-il  bon ?

Il y a deux difficultés, dans cette question.

D'abord, le traditionnel des uns n'est pas le traditionnel des autres.

Le traditionnel des Alsaciens n'est pas celui des Provençaux, et, même, le traditionnel des Haut-Rhinois n'est pas celui des Bas-Rhinois. Mieux encore, dans mon village, il y  a une tradition des crécelles (Ratscha)  d'avant Pâques, qui n'existe pas dans les villages voisins, mitoyens. Bref, "le" traditionnel n'existe pas. De sorte qu'il ne peut être bon (les carrés ne sont pas ronds, de sorte que leurs "angles" ne sont pas de 90 degrés, par exemple).
Supposons, pour simplifier que le traditionnel soit notre traditionnel à nous, individu. Qu'il soit bon ou non, peu importe, car il est traditionnel, et cela fait des millénaires que l'on sait qu'il est inutile de discuter des goûts, car chacun a les siens,  qui n'ont aucune valeur universelle. A quoi... bon en discuter ?

Cela étant, dans la question, il y a aussi la difficulté du mot "bon". 
 Dans le bon, il y a le sain, le non toxique, mais il y a aussi le « ce que j'aime ». Or nous aimons souvent ce que nous avons appris à manger quand nous étions plus jeunes, que cela soit sain ou non. Pour l'Alsacien, le munster est bon, mais il ne l'est pas pour certains de nos amis asiatiques. Pour certaines populations, les scorpions grillés sont un régal, mais l'expérience m'a montré que mes collègues parisiens n'étaient pas prêts à en manger. D
'un point de vue toxicologique, le munster ne présente pas de risque quand il a été « « bien fait », pas plus que les scorpions grillés quand ils ont été bien grillés.
Reste alors la question  toxicologique : manger sain. Là, encore, difficile de généraliser. Il est vrai que certains groupes humains ont appris à rendre comestible des ingrédients qui ne l'étaient pas. Par exemple, les haricots blancs contiennent des composés toxiques que la cuisson détruit. Le manioc, également, est toxique, quand il n'est pas préparé, et les êtres humains ont trouvé une façon traditionnelle d'assainir le tissu végétal. En revanche, il est de nombreux cas où l'humanité croit manger sainement parce qu'elle mange traditionnellement, mais s'intoxique sans le savoir. Dans nombre de remèdes dits fautivement "naturels", il est proposé des ingrédients dangereux.


Mais cela, personne ne veut le savoir. Et il y a aussi les cas où l'on mange du malsain en ne voulant pas le savoir (barbecue, par exemple).

Bref, bien des difficultés pour une simple question !









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 26 décembre 2017

Puis-je mettre la gélatine chaude dans le liquide ?

On veut faire une gelée, en dissolvant de la gélatine dans un liquide (qui a du goût), puis en mettant au froid.

On dit qu'il ne faut pas mettre de la gélatine (feuille ou poudre) dans le liquide chaud. Que penser de cette prescription ?


La question est discutée dans mon livre "Casseroles et éprouvettes" (édition Belin).

La gélatine, qu'elle soit en feuilles ou en poudre, c'est un groupe de "fils" moléculaire : les molécules de gélatine sont des enchaînements de résidus d'acides aminés. Comptons-en un millier.
Pour produire de la gélatine, on part d'une solution de ces molécules dans l'eau : pensons à des spaghettis qui flotteraient dans la masse de l'eau.
Puis, quand on concentre et qu'on sèche, les molécules font comme des fibres, lors de la fabrication du papier.
Et quand on redissout, les molécules se redissolvent.

Le problème de mettre dans un liquide chaud ?
On le découvre quand on chauffe de la gélatine à sec dans un verre, quelques secondes, au four à micro-ondes : la gélatine fond (au lieu de se dissoudre), ce qui signifie que les molécules ont assez d'énergie pour glisser les unes contre les autres, ce qui fait des fils collants.
De fait, quand on met la gélatine dans un liqude chaud, le même mécanisme se produit : la gélatine fond au lieu de se dissoudre, et l'on a la gélatine qui fait des fils qui collent au fond de la casserole.
Cela n'est pas grave si l'on ne chauffe pas la casserole... mais si l'on cuit, le fond de la casserole couvert de gélatine fondu chauffe excessivement, comme si l'on chauffait à sec, et la gélatine brunit et attache, au lieu de se dissoudre.


Bref, il n'est pas interdit de mettre de la gélatine dans un liquide chaud, mais il faut chauffer ensuite doucement.


























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Surtout considérer les faits, avant les interprétations !


Ne pas confondre les faits et les interprétations : le conseil fut donné il y a quelques décennies par Hubert Beuve-Méry, un des fondateurs du journal Le monde, mais elle s'impose évidemment en sciences de la nature (en plus de s'imposer, plus que jamais, pour le journal de Beuve-Méry).


Pour Beuvre-Mery, le bon journaliste sait faire la part des choses : il est honnête (ne fait certainement pas ce qui est décrit dans Le président, à la suite de la séquence https://www.youtube.com/watch?v=o6pcBGpag2o ), et présente d'abord les faits, avant les interprétations.
Oui, même pour un journal d'opinion, il est honnête de  donner les faits. Ensuite, on peut utiliser ces derniers pour asseoir des opinions, des valeurs, des jugements.

D'où mon étonnement (pour ne pas dire plus), il y  a quelques mois, quand j'ai assisté à une conversation où un journaliste (je le savais détestable, mais j'en ai eu la preuve) d'un grand quotidien (hélas), parlant à auditoire dans une soirée, se disait parfaitement vertueux, selon lui, parce que, dans un de ses articles (doit-on nommer cela "article", ou bien tract de propagande?) avait fait état de travaux qui étaient opposés à ses propres idées (en matière d'écologie).
Sur  le coup, j'avais été intrigué, parce que je savais l'homme idéologiquement malhonnête... mais qu'il semblait y avoir  une certaine honnêteté dans cette affaire. Toutefois, quand on y pense bien, notre homme n'aurait-il pas mieux pas  fait de changer ses idées, puisqu'elles étaient contredites par les faits ? Oui, finalement, je vois moins de la vertu que de la bêtise ou de la malhonnêteté, dans ce comportement dont le journaliste se vantait.

Passons... en tirant des leçons sur le crédit que l'on doit accorder au journal où cet homme travaille.

Plus positivement, donc, cette question des faits et des interprétations, qui donc a été énoncée pour le journalisme, est essentielle en sciences, où nous cherchons les mécanismes des phénomènes, c'est-à-dire des interprétations des faits.
Le scientifique observe un phénomène, le quantifie, obtient des données, et il ou elle doit ensuite chercher des régularités, des mécanismes.
Sans des données fiables, nos recherches de régularités et mécanismes ne valent rien, ce qui justifie qu'un de mes amis chimiste répète à l'envi, et très  justement,  que "donnée mal acquise ne profite à personne".
Oui, il nous faut des faits bien établis, validés, et validés encore, afin que nous ne bâtissions pas des châteaux sur le sable, que ce soit sur un sol parfaitement ferme que nous érigeons nos théories. Sans quoi nos idées ne valent rien, et elles s'écrouleront au moindre coup de vent. Il faut donc d'abord les faits, puis les interprétations. Des faits bien établis, et des interprétations qui n'aillent pas au-delà de ce que les faits nous font penser.

Bien sûr, l'induction qui est au coeur du travail scientifique, dépasse les faits en ce qu'elle propose des prévisions de faits qui ne sont pas établis. C'est même là l'intérêt des théories scientifiques que de recouvrir d'innombrables situations par un même cadre théorique, de mieux décrire le réel, les phénomènes, mais il y a précisément ce risque d'aller élucubrer.
Nous devons chercher les interprétations, les tester, avec prudence. Avec audace, mais avec raison, en ce que nous devons, quand nous avons fait une proposition théorique, chercher à la tester… en vue de la réfuter, car la science honnnête sait bien que nos théories ne sont que des descriptions approximatives, que nous devons donc améliorer sans cesse, pour nous approcher  d'une meilleure description du monde.

La description parfaite n'existe pas, mais nous sommes dans cette description de meilleure en meilleure, et, chemin faisant, nous décrivons des objets, notions, concepts, phénomènes, qu'il était impossible de voir auparavant.










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 25 décembre 2017

Les ganaches

La tradition pâtissière veut que l'on produise des ganaches en :
 - fondant du chocolat
 - faisant bouillir de la crème
 - versant la crème au centre du chocolat fondu
 - mélangeant les deux masses à l'aide d'une cuiller que l'on passe en tournant autour de la crème.


Il y a maintenant 30 ans, j'ai proposé d'y réfléchir en termes physico-chimiques. Le système final est une émulsion, ce qui doit déterminer la pratique de préparation.

En effet, le chocolat est fait de sucre et de matières  végétales dispersés dans de la matière grasse. Quand on fond du chocolat, on forme une dispersion liquide, avec le sucre et les particules de matière végétale dispersées, cette fois, dans la matière grasse à l'état liquide.
La crème, d'autre part, est une émulsion, avec des gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l'eau. Faire bouillir l'ensemble ne change guère le système, au premier ordre : la crème bouillie reste une émulsion.
Quand on mêle le chocolat à la crème, le chocolat est comme l'huile que l'on ajoute à une mayonnaise : on augmente la proportion de matière grasse de l'émulsion, tandis que le sucre se dissout dans l'eau de la crème ; les particules végétales restent dispersées.
Finalement, on aura une émulsion qui refroidira, ce qui signifie que les gouttelettes de matière grasses cristalliseront en partie, restant émulsionnées. Le système sera mou, puisque la phase "continue", celle qui disperse les gouttelettes de matière grasse, sera faite d'un mélange des graisses du chocolat et du beurre : si les graisses du chocolat durcissent en refroidissant, celles du beurre restent partiellement liquides.

 Tout cela étant dit, on comprend que l'on puisse "savoriser" ou "odoriser" les ganaches de deux façons : soit en dissolvant des composés dans l'eau (de la crème), soit en dissolvant des composés dans la matière grasse. Le plus souvent, les composés solubles dans l'eau donnent de la saveur, tandis que les composés solubles dans ce que l'on nomme "l'huile" donnent de l'odeur.
Faut-il l'un, ou faut-il l'autre ? C'est mieux d'avoir les deux ! Par exemple, un caramel sera soluble dans la crème, mais des odeurs délicates iront dans la matière grasse. Bien sûr, si l'on infuse la crème avec des matières qui donnent du goût, les deux dissolutions se font simultanément.

 Enfin, une pratique rénovée sur la base de la compréhension précédente : pourquoi ne pas ajouter le chocolat fondu à de la crème chauffée, en fouettant comme pour une mayonnaise ? On est alors sûr de bien faire l'émulsion de type "huile dans eau".























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Tué par une friteuse !

On m'envoie un lien : un homme est mort, "tué par sa friteuse".

A l'analyse, c'est l'huile qui s'est enflammée, et qui s'est renversée sur lui, sans doute parce qu'il tentait d'éteindre l'incendie. Au-delà du drame, qu'il faut déplorer, il y a la nécessité de donner quelques informations importantes, pour tous ceux qui font chauffer de l'huile.


1. Chauffer de l'huile à 180 °C, voire plus, c'est faire quelque chose de très dangereux, qu'on ne ferait sans doute pas dans l'environnement contrôlé d'un laboratoire, ou alors avec les plus grandes précautions  !
D'autant que, quand on utilise  des casseroles pour  faire chauffer de l'huile, on ne mesure pas la température, de sorte que la température peut monter bien plus qu'il n'est voulu.
Il y a donc le danger de brûlures, mais, aussi, le danger d'inflammation. Et s'il y a danger, il faut donc éviter les risques.


2. Quand l'huile est chauffée très fortement, elle peut s'enflammer spontanément. Et il faut donc absolument éteindre l'incendie.

3. Surtout, jamais d'eau pour éteindre un incendie de friteuse... sans quoi il y a en plus le risque d'une explosion, et de catastrophe absolue.
J'analyse :
- quand on verse de l'eau sur de l'huile (A NE PAS FAIRE !!!), elle est plus dense que l'huile, donc tombe sous l'huile
- mais quand l'eau est chauffée à plus de 100 °C, elle s'évapore
- or un petit gramme d'eau liquide  fait environ un litre de vapeur ; pour une quantité d'eau qui serait de l'ordre du kilogramme (un litre), l'évaporation conduirait à la formation de mille litres, soit un mètre cube
- l'apparition soudaine d'un tel volume de vapeur conduirait à la projection de toute l'huile qui serait sur la vapeur (on se souvient : de l'huile brûlante, et enflammée de surcroît)
- et la formation d'une grande quantité de gaz, soudainement, ferait un souffle  analogue à celui d'une explosion.
Bref, jamais d'eau sur de l'huile enflammée !

4. Que faire, alors ? Le mieux, prendre une grande casserole, ou un moule très large, et le poser sur la casserole enflammée, en même temps que l'on coupe la source de chaleur. Laisser l'objet posé au dessus de l'huile pendant quelque temps, sans toucher à rien. L'absence d'oxygène conduira à l'extinction des flammes, et l'on pourra alors attendre le refroidissement.


Bref, il y a des cas qu'il vaut mieux anticiper, et je me demande si tous les cuisiniers ne devraient pas bénéficier d'un exercice d'extinction d'huile enflammée (sur de très petites quantités), avant d'être autorisés à "conduire une cuisine".

A nouveau : quand il y a du danger, réduisons les risques !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)




dimanche 24 décembre 2017

Un soufflé ce soir ? Les règles pour ne pas le rater !

Faut-il démarrer les soufflés au bain-marie ? La question m'est posée par un correspondant... et elle me ramène trente ans en arrière, quand je faisais mes études de soufflés.
La réponse à la question posée est... Vous la trouverez en fin de billet.







La question

Voyons donc la question : classiquement on produit un soufflé en mêlant une préparation pâteuse à des blancs d'oeuf battus en neige. La préparation pâteuse peut être une béchamel au fromage, ou une purée de fruits, ou encore une crème anglaise ou pâtissière aromatisée, par exemple. Mais on peut tout aussi bien utiliser une pâte faite de viande ou de chair de poisson broyés avec un liquide qui détend. Les proportions ? Peu importe : il suffit que la préparation puisse être mélangée aux blancs d'oeufs battus en neige (les jaunes peuvent être utilement mêlés à la préparation pâteuse, car ils donnent un goût parfois apprécié).
Puis on met le mélange de la pâte et de la mousse dans un ramequin beurré (et fariné ou sucré, selon les cas). On enfourne dans un four préchauffé (par exemple à 180 degrés), et l'on cuit pendant un temps qui varie entre 10 et 60 minutes, selon la taille des ramequins.

En réalité, rien de plus simple !

Pour les soufflés, mes études anciennes ont établi les conseils suivants, qui ont été recueillis par un journaliste américain sous le nom des "trois règles de Hervé", auprès de l'équipe de Pierre Gagnaire :
- battre les blancs en neige bien ferme
- faire une croûte sur le dessus de la préparation (au grill, à la salamandre, au chalumeau) avant d'enfourner
 - poser les ramequins sur la sole du four (la partie inférieure.
De ces trois règles, c'est la dernière qui est la plus importante, comme je l'ai montré dans un de mes séminaires de gastronomie moléculaire : nous avons fait gonfler des soufflés dont les blancs n'avaient même pas été battus, et pour lesquels nous n'avions pas fait de croûte : les soufflés ont parfaitement gonflé, parce qu'ils étaient chauffés par le fond.
Pourquoi chauffer par le fond est-il la clé du succès ? Parce que, alors, l'eau de l'appareil s'évapore au fond du ramequin. Or un gramme d'eau qui s'évapore fait un litre de soufflé ! Si l'évaporation se fait au fond de la préparation, alors les couches supérieures sont soulevées en même temps qu'elles soufflent et cuisent elles-mêmes.

Et c'est ainsi que les soufflés gonflent. Progressivement, la chaleur coagule les protéines du blanc et du jaune, ce qui stabilise relativement la structure foisonnée. Mais, évidemment, quand on ouvre les soufflés, la vapeur formée s'échappe, et les soufflés retombent un peu. Evidemment, quand on comprend le mécanisme, on peut éviter que les soufflés retombent... mais la préparation s'apparente alors plus à un gâteau. Un soufflé doit retomber, en quelque sorte.

Alors, finalement, la réponse : faites-le si ça vous amuse... mais c'est bien inutile si vous avez les trois règles !



Pour d'autres conseils : voir "Mon histoire de cuisine", aux éditions Belin. 











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Ne nous contorsionnons pas avec les pois chiches ;-)

Ces temps-ci, alors qu'un certain végétarianisme ou véganisme attaque la viande (personnellement, je propose un "droit des plantes à vivre dans la dignité, et je revendique que les agriculteurs soient beaucoup plus doux quand ils arrachent les carottes de terre), une certaine presse bobo promeut les mousses au chocolat sans oeuf, mais avec du jus de pois chiche.

Oui, ça mousse, parce que les légumineuses sont promues jusqu'à la FAO, qui a fait de 2016 l'année internationale des légumineuses, pour des raisons qui, elles, sont peu contestables.
Mais la question est surtout que ni l'oeuf ni le jus de pois chiche ne sont nécessaires pour faire des mousses au chocolat ! Dans la recette de "chocolat Chantilly", que j'ai introduite en 1995, il s'agit s'implement de mettre du chocolat avec de l'eau, de chauffer pour faire une émulsion analogue à la crème, puis de fouetter en refroidissant... pour obtenir comme de la crème Chantilly, mais sans crème, bien sûr.
Les proportions pour ceux qui n'ont jamais essayé : 200 grammes d'eau (eau pure, jus d'orange, thé, café, etc.), 250 grammes de chocolat à croquer. Et c'est tout  !

Un jeu d'enfant, comme le montre https://www.youtube.com/watch?v=Yu6dSd7wH1s






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On me demande des éclaircissements, une fois de plus, à propos du mot "goût"

Pardonnez-moi, donc, d'y revenir, et soyez assurés, quand même (pour ceux qui ne me connaissent pas), que j'ai fait une recherche bibliographique solide, mais pas seulement dans les publications scientifiques, également dans les dictionnaires, et surtout les dictionnaires étymologiques.

En français (langue sur laquelle les scientifiques français doivent s'aligner), il y a depuis longtemps le mot "goût", pour désigner ce que l'on sent quand on mange ou quand on boit.
On mange du poulet rôti ? Il y a le goût de poulet rôti. On mange du chocolat ? Il y a le goût du chocolat. On boit du vin ? Il y a le goût du vin.

Bref, le goût est une sensation synthétique, et non pas divisée en ses différentes composantes. 

Les travaux de physiologie sensorielle ont progressivement bien établi que cette sensation synthétique est donc fondées sur divers perceptions élémentaires, en interaction.

Ainsi, le goût a une composante de saveur  : on perçoit des saveurs sucrées, salées, acides, amères, les saveurs des acides aminés (20 différentes), les saveurs de l'éthanol, de l'acide glycirrhizique (de la réglisse), du bicarbonate, etc. Il n'y a pas quatre saveurs plus élémentaires que les autres, mais une infinité, et elles sont perçues par des cellules "réceptrices" situées notamment dans les papilles. On dit parfois papilles gustatives, mais il faut insister : ces papilles, que l'on pourrait utilement et plus précisément dire "sapictives", détectent les saveur.

Puis le goût a une composante d'odeur : quand on mâche un aliment, des molécules volatiles plutôt hydrophobes passent dans l'air de la bouche avant de monter vers le nez, en empruntant les fosses rétronasales de l'arrière de la bouche. C'est la raison pour laquelle on dit que ces molécules sont odorantes, et, d'ailleurs, ce sont les mêmes que celles que l'on perçoit quand l'aliment passe sous le nez avant d'être introduit en bouche.
Il faut insister sur le fait ce que l'odeur rétronasale est l'odeur rétronasale, et ce n'est pas de l'arôme, puisque, en français, le mot arôme désigne l'odeur des aromates.

Quand on mange, on perçoit aussi des composés piquants et frais, qui stimulent les terminaisons du nerf "trigéminal.

Et l'on perçoit le chaud et le froid.

Et l'on perçoit le dur et le mou.

Et l'on perçoit bien d'autres choses : les ions calcium, les acides gras insaturés à longue chaîne.

Toutes les informations recueillies par divers récepteurs sont mêlées et envoyées au cerveau, lequel a plusieurs "missions" :
- reconnaître ce que l'on mange, afin d'éviter les dangerrs
- préparer la digestion spécifique des aliments ingérés
- tenir un compte de ce que l'on mange en vue d'établir l'état de rassasiement
- etc.


Voilà, tout simple, non ?


NB : ici, j'avais prévu de discuter toutes les erreurs qui traînent à propos du goût, les prétendues flaveurs et autres... mais pourquoi compliqué inutilement. Restons à quelque chose d'aussi simple que juste !

















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Comment colorer des aliments avec les pigments des végétaux ?

On m'interroge sur la  couleur des fruits. 

Fruits, légumes... Il s'agit de tissus  végétaux, et la réponse est identique.

Commençons par observer que certains composés sont plutôt solubles dans l'eau, et d'autres dans l'huile. C
'est vrai pour les composés de toutes sortes, qu'ils soient par ailleurs odorants, sapides... ou colorants. Et un composé insoluble dans l'eau ne colorera jamais de l'eau, tandis qu'un composés soluble dans l'eau ne colorera jamais de la matière grasse.

Pour les végétaux, les couleurs sont principalement dues à des espèces chimiques appartenant aux familles des chlorophylles, des caroténoïdes, des composés phénoliques, mais aussi à  quelques autres classes, telles les bétalaïnes, dans les betteraves.
Si les chlorophylles et de nombreux caroténoïdes sont insolubles dans l'eau, les composés phénoliques, eux, sont solubles.

Quelles conséquences ? Que l'eau de cuisson des carottes ne sera que peu colorée, tout comme celle de cuisson des haricots, par exemple.
Les caroténoïdes des carottes, ou les chlorophylles et les caroténoïdes des haricots reste dans le tissu végétal, sans pouvoir se dissoudre dans l'eau.
En revanche, l'eau de cuisson de cerises ou de fraises, elle, prend une couleur, parce que les couleurs des fruits et fleurs est souvent due aux composés phénoliques, notamment les anthocyanes.

Parfois, les résultats expérimentaux sont moins faciles à interpréter. Par exemple, les tomates sont rouges principalement en raison de la présence de particules de tissu végétal contenant les pigments insolubles dans l'eau, de sorte que si l'on filtre bien une purée de tomate, l'eau que l'on récupère n'est pas rouge, mais simplement dorée.
Il en va de même pour les chlorophylles. Inversement, on pourrait colorer de la matière grasse avec des gouttelettes d'eau  où des composés phénoliques seraient dissous.







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samedi 23 décembre 2017

A propos d'huiles essentielles

Les appels à la prudence sont rarement entendus par les plus fougueux d'entre nous. Surtout quand, en réalité, cette fougue est un moyen de se distinguer.

Imaginons, par exemple, un cuisinier qui fasse des macérations de grappes de tomates grappes dans de l'huile, qu'il servirait comme un moyen original de donner un goût original.
Si on lui dit  que ces macérations sont très dangereuses (ce qui est vrai), il est très improbable qu'il cesse sa pratique fautive... parce qu'il a trouvé un moyen de se distinguer. Idem pour des pommes de terre servies avec leur peau, laquelle contient des glycoalcaloïdes toxiques.
Ou pour des macérations de cannelle dans de l'huile, ou bien encore des macérations d'estragon ou de basilic dans l'eau de vie (je renvoie à d'autres billets pour les raisons de ces dangers).

Bref, inutile de vouloir réformer ceux qui ne veulent pas l'être, de sorte que faut-il vraiment que je fasse ce billet sur les huiles essentielles ? Ceux qui en vendent assureront qu'il n'y a aucun danger... alors qu'ils n'en savent en réalité rien.
 Pourtant, ce ne serait pas bien de ne pas discuter la question, car, à côté des marchands mercantiles, il y a tous les autres, qui souhaitent des informations de bon aloi, pour en faire bon usage.

Disons alors que, dans les huiles essentielles, il  y des concentrations considérables de composés odorants.
Par exemple, dans l'huile essentielle de basilic ou d'estragon, il y a jusqu'à 85 % d'un composé nommé méthylchavicol (qui est cancérogène et tératogène).
Pour de l'huile essentielle de lavande, il y a environ 30 % de linalol, 1 % d'alpha terpinéol, 4 % de terpinène-4-ol, 32 % d'acétate de linalyle, 7 % d'ocimène, et d'autres composés. Pour ce cas, on se méfiera, car on a vu les seins de petits garçons pousser quand leur mère mettait cette huile essentielle dans leur bain, jour après jour.

Plus généralement, c'est la concentration des composés organiques qui fait leur danger, de sorte que l'on peut se demander si le législateur ne serait pas avisé de n'autoriser que des dilutions de ces huiles essentielles ?

En tout cas, j'invite mes amis cuisiniers, domestiques ou de restaurant, à être très prudent avec ces produits. Oui, il y a des odeurs merveilleuses, mais il y a des dangers. Diluons, et employons des dilutions !


Des références pour ceux qui en demandent :
- le site Toxicologie alimentaire d'AgroParisTech
-  Aziz et al., Journal of Food Science r Vol. 77, Nr. 3, 2012
- Jean Bruneton, Plantes Toxiques, Lavoisier Tec et Doc
- AFSSAPS : Recommandations relatives aux critères de qualité des huiles essentielles, 2008
- McDonald et al, Evidence of the carnogencity of estragole, nov 1999, Reproductive and Cancer Hazard Assessment Section Office of Environmental Health Hazard Assessment California Environmental Protection Agency
- Safety assessment of botanicals and botanical preparations as ingredients in food supplements intended for use. Guidance document of the Scientific Committee (Question No EFSA-Q-2005-233)
- et mille autres !




















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Eradiquons le mot flaveur, puisque nous avons le mot goût



Goût, arôme, saveur… Trop souvent, le monde culinaire ne fait pas bien la différence… ce qui est d'autant plus excusable que le monde scientifique, aussi, est parfois bien confus, avec des spécialistes qui ne s'accordent pas sur les mots pour désigner des modalités sensorielles.

Certains évitent le débat en se focalisant sur les structures anatomiques ou biologiques, mais cette position a l'inconvénient de laisser courir des mots confus, imprécis. Inversement, le centre de l'Inra spécialisé dans l'exploration du goût, à Dijon, est très justement nommé « Centre européen des sciences du goût ».


Lors de séances publiques de l'Académie d'agriculture de France, nous avons discuté cette question, en partant de l'observation simple selon laquelle un aliment que l'on mange a un goût : une banane a un goût (de banane), le jus d'une orange a un goût (d'orange), et ainsi de suite. Quoi que l'on fasse, quoi que l'on dise, la consultation des dictionnaires du passé montre que le mot « goût » désigne la sensation complète que l'on a quand on met un aliment en bouche.

De ce fait, le mot « flaveur », qui avait été proposé dans les années 1950, est complètement inutile, puisque redondant (et copié sur l'anglais). Le goût est ce que l'on perçoit : c'est une sensation complète, complexe, synthétique.

Sensation complète : dans le goût, on peut avoir des composantes particulières. Par exemple, quand on boit du vin, on peut « percevoir » (j'évite le mot « sentir », ici, pour des raisons que l'on verra plus loin) de la banane, du lila, de la rose, du salé, du piquant… Le vin a son goût, et ce goût a plusieurs dimensions… sans compter qu'il peut évaluer en cours de dégustation (une attaque, une finale…).


Sensation complexe : ce que l'on ignore parfois, c'est que la perception du goût relève de plusieurs voies nerveuses, avec pour chacune des « récepteurs » et des nerfs qui montent vers le cerveau, où se fait l'intégration des perceptions. Par exemple, le nez porte des « récepteurs olfactifs », qui transmettent l'information sur les molécules odorantes qui se sont liées à ces récepteurs (pensons à des clés qui viennent dans des serrures). Par exemple, la langue portent des récepteurs « sapictifs », associés aux papilles. Par exemple, la bouche a des capteurs de pression (associés aux dents), de température, etc. Le goût est la résultante de toutes les perceptions élémentaires.

Sensation synthétique : quand on mange un aliment, les diverses voies sensorielles de la bouche et du nez sont stimulées, et des signaux sont donc envoyés au cerveau : là, se fait la synthèse de toutes les sensations, et c'est pour cette raison que l'on peut finalement « reconnaître » le goût d'une banane, d'un poulet rôti, d'un poisson grillé.

Quelles sont les sensations élémentaires ? Ce sera l'objet de billets à suivre.















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Qu'est-ce qu'un arôme ?




Arôme ? Le mot est employé à tort et à travers, et même la réglementation a tout faux.


Le mot « arôme », en bon français, désigne l'odeur d'un aromate, d'une plante aromatique. Mieux, étymologiquement, c'est une odeur agréable.

Il y a quelques décennies, quand des technologues de l'industrie des parfums ont appris à isoler des composés odorants, ils ont produit des mélanges de tels composés, avec lesquels l'industrie alimentaire (principalement) a appris à donner du goût à ses produits.
Quel nom donner à ces mélanges de composés ? L'industrie et les institutions d'état ont décidé d'utiliser le mot « arôme », confondant une odeur et un produit qui peut la donner.
C'était une grave erreur, voire une faute, parce que le public a bien compris que le gauchissement des mots s'assortissait d'une tromperie. Dans un yaourt « aromatisé à la fraise », il n'y a pas de fraise, et l'on n'aurait jamais dû la réglementation accepter ces dérives terminologiques.


Car quand un mot est dévoyé, tout part à vau-l’eau. C'est ainsi que l'on s'est mis à parler de l'arôme d'une viande, ou d'un vin, alors qu'il y avait le mot « odeur », ou le mot « bouquet », pour le vin.
Certains scientifiques se sont mis, très idiosyncratiquement, à désigner par « arôme » l'odeur rétronasale, dues aux molécules odorantes qui remontent par l'arrière de la bouche, dans le canal qui la relie au nez (ce que l'on perçoit quand on boit la tasse).
Ce sont pourtant les molécules odorantes que l'on sent quand on approche l'aliment sous le nez. Certes, on les sent différemment, parce que la mastication les libère davantage, et parce que les aliments sont chauffés par la bouche, ce qui augmente la libération des composés odorants, mais ce sont les mêmes composés.

Raison pour laquelle je propose plus justement de parler d'odeur, quand on sent par le nez, et d'odeur rétronasale, quand on sent par l'arrière du nez.


C'est tout simple, n'est-ce pas ? Alors réservons le mot « arôme » aux odeurs de plantes aromatiques, des aromates !


















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 22 décembre 2017

Non, les réactions de Maillard ne sont pas partout !

Dans d'autres lieux, j'ai expliqué que j'étais un peu  fautif d'avoir exagérément promu  les "réactions de Maillard", au point que, aujourd'hui, des personnes des métiers de bouche, ignorant toute l'histoire, m'expliquent que les réactions de  Maillard sont responsables de tous les brunissements que l'on observe en cuisine. On met  dit aussi que ces réactions n'ont lieu qu'à haute température.




Pourtant... Pourtant, les réactions de Maillard n'incluent pas les caramélisations, qui ont également lieu à haute température. Pourtant les réactions de Maillard ont également lieu (hélas)  à température ambiante, étant notamment responsables de l'opacification du cristallin des personnes souffrant de diabète !

Et puis, qu'est-ce qu'une réaction de Maillard ? Même le milieu des sciences de la nature, notamment des sciences et technologies des aliments, ont des idées parfois bien vagues à propos des réactions de Maillard.
Là, à l'occasion du Colloque du 4 février 2016, consacré aux  "réactions et produits de Maillard", j'ai refais une histoire chimique des  réactions de  Maillard, et je crois que tout est clair : alors que les réactions des sucres et des acides aminés étaient connues dès Schiff, Maillard n'a découvert qu'une chose, à savoir que les mêmes réactions avaient lieu avec des  peptides ou des  protéines à la place des acides aminés.

Un texte précis est en ligne sur http://www.academie-agriculture.fr/publications/n3af/n3af-2016-3-maillard-products-and-maillard-reactions-are-much-discussed-food. 


Ref : Hervé This, 2016.  “Maillard   products”   and “Maillard reactions” are much discussed in food science and technology, but do such products   and   reactions   deserve   their name? Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France / Academic Notes from   the   French   Academy   of   Agriculture , 3, 1-10.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

On ne doit plus parler d'albumine, mais éventuellement d'albumineS

Albumine ? On entend des cuisiniers dire qu' « elle coagule », dans diverses circonstances, telles que pâtés, terrine, quenelles, viandes cuites à basse température, poisson braisé… (je donne une liste de ce que j'ai très rapidement trouvé sur internet).

Pourtant, il faut dire, redire, enseigner que l'albumine n'existe pas ; qu'elle n'existe pas plus que n'existe « la chlorophylle ».


Pour comprendre, il faut reprendre les choses historiquement.

Tout a commencé avec les pharmaciens (qui ont développé les sciences chimiques, avec les chimistes) : au dix-huitième siècle, ils avaient observé que les viandes, les poissons ou les oeufs se distinguaient des végétaux, parce qu'ils putréfiaient, avec une odeur ammoniaquée, bien différente de celle des végétaux qui pourrissent.
Plus précisément, ils observèrent la formation d'ammoniaque, qui faisait changer de couleur le « sirop de violette », cet ancêtre des « papiers pH » que l'on utilise pour mesurer l'acidité, et qui ne sont en réalité que des bandes de papier imbibées de composés tels ceux qui donnent la couleur aux fruits et aux fleurs.

Bref, nos chimistes se mirent à tester des tas de produits, et ils découvrirent que le blanc d'oeuf était le prototype de ces matières animales coagulantes, d'où le nom d'albumen, pour le blanc d'oeuf, et d' « albumine », pour la partie du blanc d'oeuf qui était responsable à la fois de la coagulation et du changement de couleur.


Puis, au tout début du dix-neuvième siècle, le pharmacien Antoine François de Fourcroy découvrit de l' « albumine » dans les végétaux : dans les lentilles et d'autres légumineuses riches en ce que nous nommons aujourd'hui des protéines, il y a des « substances » qui coagulent à la chaleur, qui putréfient en libérant de l'ammoniac, et qui teintent le sirop de violette.

Puis vint l'analyse chimique et la chimie moderne, qui permirent notamment de reconnaître dans la gélatine la même composition chimique que dans l'albumine… alors que la gélatine ne coagule pas à la chaleur.
Et, d'autre part, on découvrit des « substances » qui contenaient aussi de l'azote, putréfiaient en teintant le sirop de violette, mais qui ne coagulaient pas.


Bref, progressivement, les sciences de la chimie comprirent que certains composés seulement entraient dans une catégorie qui fut nommée « protéines » au début du vingtième siècle.

 Les molécules de toutes les protéines sont principalement faites de chaînes dont les maillons sont des résidus d'acides aminés.
La gélatine, par exemple, est une forme dégradée (par la cuisson) de la protéine nommée « collagène », qui se trouve dans les tissus animaux ; comme on le sait bien, elle ne coagule pas.
Le lait contient des « caséines », à côté d'autres protéines ; certaines caséines coagulent… quand on acidifie ou qu'on ajoute de la présure.
Les viandes sont des tissus musculaires, dont la contraction est assurée par deux sortes de protéines, nommées « actines » et « myosines », qui coagulent, et le sang contient une protéine qui coagule également (d'où le boudin).
L'oeuf, enfin, contient une vingtaine de sortes de protéines différentes, et l'ovalbumine, dans le blanc, n'est que l'une d'entre elles (qui coagule, comme on le sait). Elle est l'homologue, bien que différente, de la protéine du sang nommée albumine sérique.


Très généralement, la catégorie est albumines est très vaste, puisqu'elle désigne aujourd'hui des protéines solubles dans l'eau, qui coagulent à la chaleur. Cela n'a plus aucun sens de parler de « l'albumine », et il faut, selon les cas, parler soit des protéines, soit des albumines… mais je doute que la seconde dénomination soit très utile, en cuisine. Parlons donc plutôt des protéines, et laissons l'albumine aux historiens ou aux scientifiques.











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Parlons des chlorophylles, et pas de chlorophylle !




Naguère encore, on parlait de la préparation du « vert d'épinard ». Aujourd'hui, on entend parler de « chlorophylle ». 
Dégringolade terminologique : on disait quelque chose de juste, et l'on dit maintenant quelque chose qui a une apparence scientifique… mais qui est faux.



Expliquons : le vert d'épinard est une préparation ancienne, que l'on obtient en broyant des épinards, puis en chauffant doucement le jus, dans une casserole ; se séparent une mousse d'un beau vert, en surface, et un liquide brun, qui décante.
On récupère la partie verte pour colorer en vert diverses préparations, telle la mayonnaise, en vue de donner une fraîche couleur.
Il y a quelques siècles, quand la religion catholique était plus forte, en France, le vert avait l'intérêt d'être associé au printemps, et, de ce fait, à la résurrection de Jésus.

Le mot «chlorophylle» fut introduit en 1818 par les pharmaciens français Joseph Bienaimé Caventou (1795–1877) et Pierre Joseph Pelletier (1788-1842), de l'Ecole de pharmacie de Paris, pour désigner le  « pigment » extrait des végétaux verts, et que l'on croyait constant.
Nos deux pharmaciens et chimistes reconnaissaient toutefois que le changement de mot n'était pas grand-chose :

« Nous n'avons aucun droit pour nommer une substance connue depuis longtemps, et à l'histoire de laquelle nous n'avons ajouté que quelques faits ; cependant nous proposerons, sans y mettre aucune importance, le nom de chlorophylle... ».

Puis, progressivement, les physico-chimistes apprirent à séparer les différents  composés présents dans cette matière verte : Georges Gabriel Stokes (1864), H. C. Sorby (1873), Mikhail Tswett (1906), et Richard Willstätter (1872-1942) découvrirent que la couleur des végétaux verts est due à la fois à des composés verts ou bleus, et à des composés jaunes, orange ou rouges.
On conserva le nom de « chlorophylle » pour les premiers, mais ce mot fut donné à l'ensemble de la famille, et chaque composé fut désigné par une lettre : a, a', b, b', c…
On connaît aujourd'hui une foule de chlorophylles, et parler de « la chlorophylle » n'a plus aucun sens. Il faut parler « des chlorophylles ».




















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Je redonne cette information que l'on me demande



Permettez-moi de vous raconter l'aventure extraordinaire de la sauce mayonnaise, afin que nous comprenions mieux ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas.

Je commence l'histoire en 1740, avec Louis-Auguste de Bourbon, qui écrit dans Le Cuisinier gascon : « Vous avez une rémoulade chaude, faite avec toutes sortes de fines herbes & beurre de Vamvre, finir de bon goût, jus de citron ».

On observe ainsi qu'il y a des rémoulades chaudes, et des rémoulades froides, ce que confirme Menon en 1755, dans Les soupers de la cour, ou l’Art de travailler toutes sortes d’aliments pour servir les meilleurs tables, suivant les quatre saisons : sa rémoulade chaude est composée d'oignons, huile, vin blanc, bouillon, herbes, et sa rémoulade froide de « persil, ciboule, échalotte, une gousse d’ail, capres, anchois, le tout haché très fin, délayez avec une cuillerée de moutarde, huile, vinaigre, sel, gros poivre ».

Quoi de commun entre ces sauces ? Cela figure dans d'autres passages, mais il y a le mot « rémoulade », que l'on trouve aujourd'hui encore dans « rémouleur », « rémouler » : il s'agit de faire un geste répétitif, et, pour une sauce, on sait que les liaisons par émulsion imposent ce type de gestes. La rémoulade, c'est une sauce que l'on dirait aujourd'hui travaillée, maniée, rémoulée.

Passons au XIXe siècle, avec Le cuisinier national de la ville et de la campagne : « Rémolade verte. Ayez une petite poignée de cerfeuil, la moitié de pimprenelle , d’estragon, de petite civette, vous ferez blanchir ces herbes que l’on appelle Ravigote ; quand elles seront bien pressées, vous les pilerez, ensuite vous y mettrez du sel, du gros poivre, plein un verre de moutarde : vous pilerez ensuite le tout ensemble, puis vous y mettrez la moitié d’un verre d’huile que vous amalgamerez avec votre ravigote et moutarde ; le tout bien délayé, vous y mettrez deux ou trois jaunes d’oeufs crus, et quatre ou cinq cuillerées à bouche de vinaigre ; vous mettrez le tout ensemble et vous le passerez à l’étamine comme si c’était une purée ; il faut que votre rémolade soit un peu épaisse ; en cas qu’elle ne soit pas assez verte, vous y mettrez un peu de vert d’épinard ».

Ici, on retrouve le fait que, dans la rémoulade, il y a de la moutarde. A cette base, on ajoute du jaune d'oeuf, parce que les cuisiniers savent bien que le jaune donne beaucoup de goût. Puis on travaille pour obtenir la sauce épaisse : à une époque où l'on ignorait la raison de la fermeté des émulsions (on se souvient qu'une émulsion n'est pas une mousse!), on voit qu'il y avait quelque merveille à obtenir cette liaison. On voit surtout que la rémoulade était d'abord la moutarde ; le jaune d'oeuf n'est qu'un raffinement ultérieur, important du point de vue gustatif.

Tout allait pour le mieux… jusqu'à ce que, au dix-huitième siècle, quelqu'un se passe de moutarde, et obtienne une sauce d'un goût bien plus fin que celui de la rémoulade, en émulsionnant de l'huile dans un mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre : la mayonnaise était née.

Les histoires abondent, sur la découverte de cette sauce merveilleuse, mais ce qu'il faut observer, c'est que la mayonnaise n'a pas de moutarde… sans quoi c'est une rémoulade. Le cuisinier Philéas Gilbert le disait d'ailleurs justement «  la moutarde est le savorisme particulier de la rémoulade ».

Aujourd'hui, je vois de nombreux cuisiniers faire un saut en arrière, avec des sauces qu'ils nomment fautivement des mayonnaises, et qui sont en réalité des rémoulades. Les deux sauces ont des goûts différents, des usages différents, mais l'histoire de la cuisine est claire : il ne faut pas confondre les deux, et, surtout, je crois que c'est une erreur (ou une faute, selon les cas) que de régresser, du point de vue de la technique culinaire.

Décidément, les mots justes sont essentiels, en cuisine ; n'est-ce pas ?














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ravigote et rémoulade




J'ai vu parfois des sauces faites de vinaigrette et d'oeuf dur qui étaient nommées « sauces ravigotes ». Erreur !

 Depuis au moins la Renaissance, la sauce ravigote est un mélange d’herbes aromatiques ou de salades travaillées (hachées, ciselées, broyées), après un éventuel blanchiment.









Mais reprenons calmement. Ce que l'on nomme "ravigote", sans ce que cela soit une sauce, c'est un mélange d'herbes aromatiques ou de salades hachées, après blanchiment éventuel.



Ce mélange, nommé ravigote, donc, peut être introduit dans toute sauce, qu’elle se nomme mayonnaise, ou tartare, ou vert-pré, ou... simplement ravigote, quand les herbes sont la base essentielle de la sauce, et que cette dernière ne tombe pas dans une autre catégorie.



Quand il y a de la moutarde, à la base, pour faire la liaison (avec émulsion d’une matière grasse liquide éventuelle), alors la sauce devient une rémoulade... puisqu’il y a de la moutarde, et que celle-ci est le savorisme particulier des sauces rémoulades, que ces dernières contiennent des herbes ou non.

Dit plus succinctement, une rémoulade est une sauce bien travaillée, à base de moutarde ; une ravigote est un mélange d’herbes, qui peut donner son nom à une sauce.



Sauce dont il existe des versions chaudes ou froides.

Par exemple, on obtient une ravigote chaude à partir de beurre et de farine chauffés, puis additionnés de bouillon et d’herbes hachées menu, avec du jus de citron.



L'auteur d'un livre de cuisine célèbre, Menon (c'est le pseudonyme d'un personnage que l'on ne connaît pas), au 18e siècle, donne la recette d’une « Sauce bachique à la ravigotte" : "Faites bouillir deux grands verres de vin blanc avec un peu de blond de veau, estragon, cresson alénois, cerfeuil, une gousse d’ail, deux échalottes, persil, ciboules, sel, gros poivre, faites réduire au point d’une sauce ».

Et c'est ainsi, par l'usage juste du mot « ravigote », que la cuisine est encore plus belle !


















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Würtz, liebig et mayonnaises collées

Pourquoi les liebigs ne sont pas des mayonnaises collées, ni des würtz ?


Les "liebigs" ?
Ce sont des préparations que l'on obtient en dissolvant de la gélatine dans une solution aqueuse (vin, vinaigre, bouillon, thé, café, jus de fruit, etc.), puis  en ajoutant de l'huile goutte à goutte en fouettant comme quand on prépare une mayonnaise.
J'ai inventé cette préparation il y a plusieurs dizaines d'années, et l'on obtient d'abord une émulsion... qui gélifie physiquement, ce qui permet de produire une couche brillante, avec du goût, sur une pièce, comme une sauce chaud-froid.


Il y a une parenté avec la sauce mayonnaise collée, qui s'obtient avec une sauce mayonnaise à laquelle on ajoute une gelée fondue : on pose alors le récipient sur glace, et l'on fouette jusqu'à la prise. Dans ce second cas, on obtient une sorte de mousse émulsionnée et gélifiée... qui se distingue également des "würtz", que j'avais inventés il y a encore plusieurs dizaines d'années.


Pour les würtz, pas d'émulsion, mais seulement une mousse gélifiée physiquement que l'on obtient de la façon suivante : à une solution aqueuse, on ajoute de la gélatine, puis on fouette sur glace.


Pour être bien clair, je propose les schémas suivants :


La partie en bleue est la solution aqueuse. Les gouttelettes d'huile sont en jaune, et les disques blancs représentent des bulles d'air.

Le goût ? Il peut être celui que l'on veut ! 

Voulez vous des recettes ? Le mieux que je puisse faire, c'est de vous engager à aller les prendre sur le site de mon ami Pierre Gagnaire, à qui je donne une invention chaque mois depuis plus de quinze ans : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve









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jeudi 21 décembre 2017

On oublie trop souvent que l'on est protégé

On lit dans Aaron J. Ihde, The Development of Modern Chemistry (Dover, New York, USA, 1984, p 440) :

"Pendant 30 ans, après la publication d'Accum, la seule demande d'une réforme, en Angleterre, fut celle qui fut exprimée dans un tract à sensation publié anonymement en 1830. En 1850, Alphonse Normandy publia un livre qui eut du succès, Handbook of Commercial Analysis, qui recommendait une inspection au microscope des aliments et médicaments. Peu après, Arthul Hill Hassall raporta que, au microscope, on pouvait distinguer le café de la chicorée, du blé grillé, des poussières et des divers adultérants. Il fut chargé par Thomas Wakley, éditeur d'un journal médical indépendant, The Lancet, de diriger une Commission sanitaire analytique pour examiner les autres aliments. Des rapports furent publiés régulièrement. Sur 36 échantillons de café, seuls 3 étaient purs ; de l'alun était présent dans 49 échantillons de pain. Sur 28 échantillons de piment de Cayenne, 4 seulement étaient purs ; 13 contenaient du  minium (oxyde de plomb) et l'un contenait du vermillon (du sulfure de mercure). La quasi totalité des bonbons étaient colorés avec du chromate de plomb, du minium, du vermillon, de l'arsenate de cuivre, de la céruse (carbonate de plomb).

Qui a dit que des agences d'état telle que la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) étaient inutiles ?
Faisons confiance à nos experts, et ne laissons pas le commerce vendre n'importe quoi.








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A propos de pot au feu

On trouve dans Ginette Mathiot (Je sais cuisiner , Nouvelle édition revue et augmentée, Albin Michel 1990 , p. 724 n°2082) cette indication à laquelle je ne crois guère :


« Pour attendrir le pot-au-feu. Si la viande de bœuf apparaît dure malgré deux heures trente de cuisson, introduire dans le bouillon deux cuillères d'eau de vie (à 40°). La viande deviendra tendre. »

Le test n'est pas difficile à faire, mais nous ne pourrons pas le faire lors des séminaires de gastronomie moléculaire, car ces derniers ne durent que deux heures.

Qui s'y met ?






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mercredi 20 décembre 2017

Pains et crêpes

Avec l'apparition de l'agriculture et la consommation du blé et d'autres céréales, les conditions ont été réunies pour la confection de pains d'abord azymes (non fermentés), de bouillies, et, aussi, de crêpes et de galettes. Le feu a été important, car il a permis une meilleure digestibilité des produits amylacés, en même temps qu'il améliorait le goût : la cuisson de farine dans de l'eau chauffée conduit assez rapidement (en quelques minutes) à la dégradation partielle des molécules  de ces composés que sont les amyloses et les amylopectines, avec notamment la libération de glucose, qui donne de la longueur en bouche, de la douceur, en même temps qu'un « coup de fouet », le glucose étant le composé rapidement absorbé par l'organisme et qui sert de carburant à ce dernier.
La digestibilité était également augmentée, car la cuisson attendrit les grains, les amollit, libère dans l'eau des molécules qui conduisent à la « bouillie », de sorte que les molécules sont plus facilement dégradées et assimilées. Et il a suffi que l'on oublie un peu longtemps une bouillie sur le feu pour que se forme une crêpe, à partir de la farine de froment, ou une galette à partir de la farine de blé noir, ou sarrasin. Avec des pâtes contenant moins d'eau, on a obtenu des pains, c'est-à-dire que les masses pas complètement liquides ne s'étalaient pas entièrement, de sorte que l'on obtenait des couches épaisses, avec des croûtes extérieures, ce qui a dû séduire nos ancêtres, qui percevaient un croustillant extérieur et un coeur tendre.

Mais, pour toutes ces préparation, une modélisation est bienvenue. Dans la farine de blé, il y a des grains d'amidon, et d'autres composés, telles les protéines de la matière que l'on a nommée gluten en 1742.
Quand on travaille de la farine avec un peu d'eau, les protéines sont pontées par les molécules d'eau, formant un grand réseau « visco-élastique » : cela signifie qu'il est à la fois visqueux, qu'il s'étire, et élastique, reprenant sa forme après qu'il a été relâché après avoir été étiré.
Dans cet espèce de grand filet à trois dimensions sont dispersés de petits grains, qui ont été nommés « grains d'amidon ». Cette fois, il s'agit  de couches concentriques de diverses proportions de deux composés, à savoir les amyloses et les amylopectines : dans chaque couche, il y a des sortes d'arbres minuscules -les amylopectines-, entre lesquels se trouvent des fils minuscules, les amyloses.

La pâte à pain, c'est cela : un grand filet de protéines où sont enchâssés des grains d'amidon.

Lors d'une cuisson, la chaleur permet à l'eau de migrer, de sorte que  les grains d'amidon peuvent gonfler, que des grains voisins et gonflés peuvent s'interpénétrer, tout en libérant les molécules d'amylose.
Puis, en surface, il y a une évaporation de l'eau, ce qui conduit à la formation d'une croûte, où l'on perçoit bien moins bien les distinctions entre les grains. De même qu'un grain de blé sec est dur, la croûte est dure, parce que les molécules ne peuvent plus bouger beaucoup, sont enchevêtrées.
De surcroît, des liaisons chimiques fortes s'établissent entre les molécules, ce qui contribue à rigidifier les croûtes. Les crêpes, elles, restent souples quand elles ne sont pas trop cuites, car il reste beaucoup d'eau ; pas les crêpes dentelles, qui deviennent croustillantes parce que l'eau est évaporée.
Finalement, on comprend que la pate à crêpe, assez liquide s'étale quand on al verse que la soudure des grains d'amidon contribue à la formation d'une couche de croûte continue, de sorte qu'il n'y a pas besoin d'oeuf pour solidariser les grains d'amidon et former les crêpes. D'ailleurs, pas d'oeuf dans les galettes de blé noir !

On voit ainsi que l'on peut obtenir de très nombreux systèmes différents selon la quantité de protéines, selon la proportion d'amyloses et d'amylopectines dans les grains d'amidon, selon la quantité d'eau et selon la vivacité de la cuisson.

 J'ai omis d'ajouter ce détail que les croûtes sont d'autant plus minces que le feu est vif, car on est limité par le brunissement des systèmes, de sorte qu'une cuisson à feu vif durera moins longtemps, et que, de ce fait, moins d'eau sera évaporée, ce qui fera une croûte plus mince. Un autre détail : j'ai omis de signaler que la mie du pain, l'intérieur des crêpes un peu épaisses, etc, est ce que l'on nomme un gel, les molécules d'amyloses et d'amylopectines étant dispersées dans de l'eau, ce qui forme donc comme une sauce blanche refroidie.

Et notre question initiale ?

C'est une question de viscosité de l'appareil à pain ou de l'appareil à crêpes. Quand on fait une pâte à pain, elle ne s'étale pas, conserve de l'épaisseur. De ce fait, la cuisson forme une croûte sur l'extérieur. Si l'on retourne le disque de pâte après que la première face a été cuite et qu'il commence à brunir excessivement, c'est une couche avec de l'eau qui est en contact avec l'ustensile de cuisson. L’évaporation de cette eau engendre un grand volume de vapeur d'eau. Ce gaz peut s'échapper en partie par dessous, mais monter aussi dans l'épaisseur, comme dans les crêpes, où l'on voit de petits trous. Mais dans les pâtes à pain, la vapeur reste piégée par la croûte de la face supérieure, qui a été initialement formée.
Au contraire, avec des pâtes à crêpes ou des pâtes à galette, la viscosité faible conduit à un étalement qui engendre un disque mince, avec de surcroît la vapeur qui forme de petites cheminées dans la couche assez liquide. Puis, quand on retourne la crêpe, la vapeur forme des cloques qui soulèvent les crêpes, en même temps qu'une partie s'évapore par les petites cheminées.

Finalement, nous avons en main tous les ingrédients théoriques pour guider la cuisson de disque de pâte faits de farine et d'eau.






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Puis-je sourire (moquerie) ?

On se souvient qu'il faut de la parfaite bonté, bienveillance, gentillesse... mais, parfois, les prétentions sont ahurissantes. Surmontons nos (petites) indignations, donc, pour conserver un état d'esprit parfaitement positif... sauf quand nous pouvons profiter de la chose pour dire des choses justes et utiles.

En l'occurrence, je combe sur  le paragraphe suivant :

"Les découvertes, au sens où je l'entends, résultent des travaux de recherche fondamentaux correspondant aux efforts faits par les chercheurs pour comprendre le monde qui nous entoure. Les inventions techniques sont des dispositifs nouveaux qui fonctionnent, mais n'ont pas forcément trouvé une application  grand public. Les innovations technologiques correspondent à des inventions pouvant résulter de découvertes et qui ont tuvé leur marché et leurs applications grand public."
 

Pourquoi ce paragraphe est-il risible ?
D'abord, parce que le mot "découverte" n'a guère a être défini par notre homme, surtout si mal. La découverte est à la fois l'acte de découvrir et l'object découvert, mis à la connaissance.
Et la "découverte scientifique", dans la seconde acception, est le fruit de la "recherche scientifique", terminologie qui est quand même plus précise que "recherche fondamentale". D'ailleurs, à ce sujet, on observe que le paragraphe n'utilise pas cette expression, mais plutôt "travaux fondamentaux de recherche" (je réorganise pour mieux faire sentir la chose).

Surtout, il y a cette distinction entre innovation technique et innovation technologique. Là, notre auteur dit le contraire de la langue, très illégitimement. Nous n'avons pas besoin de lui pour redéfinir les termes, même s'il appartient à une de nos académies. 
Une innovation est d'abord le fait d'innover, avant d'être le résultat de cette action, une chose nouvelle introduite. Bref, une innovation est une nouveauté, qu'elle ait ou non des applications dans un champ technique.
Pour la "technique", c'est le faire. Par exemple, la cuisine est une technique, ainsi que la plomberie, l'analyse chimique, la médecine, la confection de routes... Et "innovation technique" est  une expression un peu ambigüe pour signifier innovation de la technique. Par exemple, le siphon, en cuisine, est une innovation de la technique (culinaire), puisqu'il remplace le fouet.
Pour l'innovation technologique, c'est une innovation qui concerne le domaine de la technologie, donc du perfectionnement des techniques. Par exemple, quand un logiciel de conception des puces microélectroniques remplace le dessin des puces par des dessinateurs industriels dans des bureaux d'étude, c'est une innovation qui concerne la technologie, donc techonologique.
Bien sûr, on pourrait arguer que les dessinateurs industriels font un travail technique, de sorte que le logiciel serait une innovation technique. OK, passons alors au travail de l'ingénieur proprement dit : un logiciel qui lui permet de mieux connaître des flux de matière dans son usine facilite et transforme son travail. Innovation technologique.

Bref, les mots ont des sens qui ne nous appartiennent pas, et il faut beaucoup de stature pour avoir la moindre chance de bouleverser les mots... en supposant qu'il y ait un vrai besoin de le faire.
Mais, surtout, si l'on introduit des concepts nouveaux, pourquoi ne pas introduire des mots nouveaux ?

La pâte à brioche : comment y mettre le beurre ?

Pour faire une brioche, prenons 200 g de farine (de force, au minimum type 55), puis 30 g de sucre, 2 oeufs, du sel, de la levure, et pétrissons jusqu'à ce que la pâte se détache des parois.

Puis il faut ajouter le beurre : certains préconisent de l'ajouter par petites parties, d'autre d'un coup.

Ensuite, on fait fermenter (ça gonfle).

On rabat, on met dans un moule beurré, et quand c'est regonflé, on cuit à 200 °C pendant environ 30 minutes.


La question : y a-t-il une différence entre l'ajout du beurre par parties, ou tout d'un coup (à ingrédients et procédés égaux) ?



Merci d'envoyer vos résultats expérimentaux, assorties des "matériels et méthodes" à icmg@agroparistech.fr

mardi 19 décembre 2017

Dieu vomit les tièdes?

On se souvient que des phrases sont affichées sur les murs de mon bureau, en très gros caractères.
Certains visiteurs croient que ces mots sont écrits pour eux, mais ils se trompent : ces monitions sont pour moi, d'abord pour moi, car dans cette entreprise de la recherche scientifique, il faut que je n'oublie pas des idées importantes.



"Dieu vomit les tièdes" : ici, c'est une phrase de la Bible qui est face à moi.

Évidemment, si elle figure ainsi, ce n'est pas pour des raisons religieuses, mais scientifiques.
Car  les sciences de la nature sont si belles que je ne peux même pas penser que nous puissions être tièdes (pour la science) et que nous devions être encouragés. Le grand Michael Faraday, qui manqua de peu de rester toute sa vie relieur, était immensément heureux de contribuer à la "philosophie naturelle". Il garda toute sa vie, pour les sciences de la nature, un enthousiasme d'enfant.

Ne nous complaisant jamais dans une tiédeur trop confortable, trop paresseuse, je ne vois vraiment plus pourquoi j'ai cette phrase en face de moi.
Une idée ?



















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)