Une question d'un correspondant, ce matin :
Quelle différence que peuvent avoir le beurre de cacao et la matière grasse
butyrique de la crème sur la stabilisation d une mousse au chocolat?
Hélas
mon correspondant fait des mousses au chocolat, et non pas des
chocolats chantilly
(https://www.agroparistech.fr/Le-chocolat-chantilly.html)... mais la
réponse vaut pour les deux.
Partons d'une mousse au
chocolat. C'est une matrice de chocolat fondu, additionné de beurre et
de jaune d'oeuf, où l'on a ajouté cette mousse qu'est un blanc d'oeuf
battu en neige.
Lors du refroidissement, le chocolat et le beurre recristallisent, ce qui fige l'ensemble... si la température est assez faible.
Dans
mon livre "Mon histoire de cuisine" (Belin, Paris, 2014), je donne les
domaines de stabilités de la matière grasse du chocolat (il fond entre
34 et 37 degrés) et de la matière grasse du beurre (la fusion commence à
-10 degrés et finit vers 55 degrés.
Autrement dit, le chocolat stabilise mieux la mousse... mais attention aux temps chauds !
Ce matin, une question :
"Je vous écris au sujet d’une question concernant une émulsion H/E
(huile dans l’eau) dont la phase continue est partiellement sucrée.
Dans le cas d’une préparation contenant 70% d’huile, 30% d’eau, 10%
de saccharose, et d’un tensioactif est-ce que le l’huile va
s’émulsionner avec les 30% d’eau ou avec 20% à 25% d’eau puisque le
saccharose est reconnu pour retenir une partie de l’eau (retenir je ne
sais pas si c’est le meilleur terme pour traduire le côté hygroscopique
du saccharose)".
Ma réponse n'est au fond qu'une sorte de légende du schéma suivant :
Ce
que j'ai d'abord représenté, c'est une émulsion de type huile (en
jaune) dans eau (en bleu). En pratique, faisons un "geoffroy", en
fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, par exemple : les protéines
et les autres molécules sont trop petites pour être représentées à
cette échelle, où la taille des gouttes d'huile est entre 0,001 et 0,1
millimètres.
Le schéma inférieur représente un fort grossissement du petit cercle :
- le fond est noir, parce que, entre les molécules, il n'y a rien, du vide
-
à gauche, les peignes à trois dents sont les molécules de triglycérides
; pour mieux faire, j'aurais dû les orienter dans toutes les
directions, mais c'est un détail
- à droite, on voit
les molécules de saccharose (en bleu) dispersées au milieu des molécules
d'eau (une boule rouge avec deux boules blanches)
- je
n'ai pas réprésenté les molécules de tensioactifs, mais elles seraient
sur le trait jaune, sous la forme de "cheveux" (pour les protéines).
Reste
à commenter le : "le saccharose est reconnu pour retenir une partie de
l'eau". Cette phrase est à la fois discutable et peu claire.
Le
"est reconnu" invite à demander : par qui ? Et à rappeler que, en
sciences, l'argument d'autorité ne joue pas. Les faits expérimentaux ont
toujours raison.
D'autre part, le saccharose "retient" l'eau : que cela signifie-t-il ?
Ce
qui est un fait, c'est que les molécules de saccharose sont "hérissées"
(ce n'est pas représenté sur mon schéma) de groupes "hydroxyle", avec
les atomes carbone du squelette liés à un atome d'oxygène lui-même lié à
un atome d'hydrogène. Cela donne au saccharose une structure chimique
très semblable à celle des molécules d'eau, au moins pour ce qui
concerne les interactions avec les molécules voisines.
De ce
fait, quand le sucre est dans l'air humide, il s'entoure de molécules
d'eau de l'atmosphère, parce que les forces sont donc notables entre les
molécules de saccharose et les molécules d'eau.
Dans de l'eau
liquide, les forces (nommées "liaisons hydrogène") permettent la
solubilisation du sucre dans l'eau, à des concentrations considérables.
Finalement,
on pourrait tout aussi bien dire que l'eau "retient" le sucre, ou que
le sucre "retient" l'eau, mais je crois que le mot "retient" est mal
choisi. Il suffit de dire qu'il y a des liaisons entre les molécules de
sucre et les molécules d'eau.
Et, finalement, je
reviens à l'expérience : si vous faites un geoffroy, en fouettant de
l'huile dans du blanc d'oeuf, vous pouvez ajouter autant de sucre que
vous voulez jusqu'à atteindre la limite de solubilité dans la petite
quantité d'eau (30 grammes pour un blanc environ) du blanc. Si l'on
compte un litre de sucre par kilogramme d'eau, on voit qu'on peut
facilement mettre 30 grammes de sucre pour un blanc émulsionné (soit un
volume d'huile maximal de 600 grammes d'huile environ). Si l'on ajoute
plus de sucre, ce dernier restera sous la forme de cristaux non
dissous.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes
de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la
cuisine)