Ne pas confondre les faits et les interprétations : le
conseil fut donné il y a quelques décennies par Hubert Beuve-Méry, un
des fondateurs du journal
Le monde, mais elle s'impose évidemment en
sciences de la nature (en plus de s'imposer, plus que jamais, pour le
journal de Beuve-Méry).
Pour Beuvre-Mery, le bon journaliste sait
faire la part des choses : il est honnête (ne fait certainement pas ce
qui est décrit dans
Le président, à la suite de la séquence
https://www.youtube.com/watch?v=o6pcBGpag2o ), et présente d'abord les
faits, avant les interprétations.
Oui, même pour un journal d'opinion,
il est honnête de donner les faits. Ensuite, on peut utiliser ces
derniers pour asseoir des opinions, des valeurs, des jugements.
D'où
mon étonnement (pour ne pas dire plus), il y a quelques mois, quand
j'ai assisté à une
conversation où un journaliste (je le savais détestable, mais j'en ai eu
la preuve) d'un grand quotidien (hélas), parlant à
auditoire dans une soirée, se disait parfaitement vertueux, selon lui,
parce que, dans un de ses articles (doit-on nommer cela "article", ou
bien tract de propagande?) avait fait état de travaux qui étaient
opposés à ses propres
idées (en matière d'écologie).
Sur le coup, j'avais été intrigué,
parce que je savais l'homme idéologiquement malhonnête... mais qu'il
semblait y avoir une certaine honnêteté dans cette affaire. Toutefois,
quand on y pense bien, notre homme n'aurait-il pas mieux pas fait de
changer ses idées, puisqu'elles étaient contredites par les faits ? Oui,
finalement, je vois moins de la vertu que de la bêtise ou de la
malhonnêteté, dans ce comportement dont le journaliste se vantait.
Passons... en tirant des leçons sur le crédit que l'on doit accorder au
journal où cet homme travaille.
Plus positivement,
donc, cette question des faits et des interprétations, qui donc a été
énoncée pour le journalisme, est essentielle en sciences, où nous
cherchons les mécanismes des phénomènes, c'est-à-dire des
interprétations des faits.
Le scientifique observe un phénomène, le
quantifie, obtient des données, et il ou elle doit ensuite chercher des
régularités, des mécanismes.
Sans des données fiables, nos
recherches de régularités et mécanismes ne valent rien, ce qui justifie
qu'un de mes amis chimiste répète à l'envi, et très justement, que
"donnée mal acquise ne profite à personne".
Oui, il nous faut des
faits bien établis, validés, et validés encore, afin que nous ne
bâtissions pas des châteaux sur le sable, que ce soit sur un sol
parfaitement ferme que nous érigeons nos théories. Sans quoi nos idées
ne valent rien, et elles s'écrouleront au moindre coup de vent. Il faut
donc d'abord les faits, puis les interprétations. Des faits bien
établis, et des interprétations qui n'aillent pas au-delà de ce que les
faits nous font penser.
Bien sûr, l'induction qui est au coeur du
travail scientifique, dépasse les faits en ce qu'elle propose des
prévisions de faits qui ne sont pas établis. C'est même là l'intérêt des
théories scientifiques que de recouvrir d'innombrables situations par
un même cadre théorique, de mieux décrire le réel, les phénomènes, mais
il y a précisément ce risque d'aller élucubrer.
Nous devons chercher les
interprétations, les tester, avec prudence. Avec audace, mais avec
raison, en ce que nous devons, quand nous avons fait une proposition
théorique, chercher à la tester… en vue de la réfuter, car la science
honnnête sait bien que nos théories ne sont que des descriptions
approximatives, que nous devons donc améliorer sans cesse, pour nous
approcher d'une meilleure description du monde.
La description
parfaite n'existe pas, mais nous sommes dans cette description de
meilleure en meilleure, et, chemin faisant, nous décrivons des objets,
notions, concepts, phénomènes, qu'il était impossible de voir
auparavant.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes
de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la
cuisine)