Puisque mes amis gourmands m'ont fait hier des compliments pour un plat que je leur servais... au point d'en reprendre trois fois (alors qu'il y avait précédement eu trois autres plats), je ne crois pas inutile de partager la recette.
Il s'agissait d'une royale de lapin, recette adaptée d'un lièvre à la royale, et à ma façon.
Cela ne coûte qu'un lapin, des oignons, quelques champignons de Paris, du pain, un œuf et du vin.
Le plus long, dans cette recette, c'est de désosser le lapin en essayant de le garder entier et, si possible, sans fendre la peau du dos.
Cela n'est pas difficile : il suffit d'aller lentement, avec un petit couteau bien affûté, et de couper la chair le plus près des os.
Quand le lapin est ainsi ouvert, et entièrement désossé, on met les os dans une casserole au four, très chaud et l'on fait brunir.
Puis on ajoute de l'eau à ces os brunis et l'on fait cuire à couvert pendant une heure afin de préparer un fond qui ait beaucoup de goût.
Pendant ce temps-là, on hache du persil, quelques champignons de Paris, deux échalotes, une gousse d'ail, un morceau de vieux pain trempé dans du lait, un oeuf, le foie du lapin.
Puis on étale le lapin à plat sur un grand film alimentaire, on le sale, on le poivre et l'on étale la farce par-dessus. On referme alors le film alimentaire, et l'on serre bien pour faire un joli cylindre.
Dans une cocotte, on fait revenir dans de la matière grasse une carotte et un oignon divisés. Puis, quad ils ont ainsi "sué", on ajoute deux cuillerées à soupe de farine ; quand cette dernière est brune, on met une bouteille de vin rouge, un verre de vinaigre, le fond de lapin, et une très grande quantité de gousses d'ail : jusqu'à plus que 50 ! Plus du thym, quelques feuilles de laurier, un peu de piment de Cayenne, du chocolat en poudre amer, une cuillerée de sucre, des clous de girofle et des baies de genièvre. Et il faut aussi une matière qui apporte de la gélatine : soit un fond que l'on a, soit des feuilles de gélatine, soit un pied de veau ou de porc.
On couvre et l'on fait cuire pendant une journée à 80 degrés.
En fin de cuisson, on récupère le liquide, on le mixe, et on le chauffe pour évaporer le liquide jusqu'à obtenir la consistance voulue, épaisse.
Une fois la sauce réduite, on peut la passer, si l'on veut quelque chose de très lisse. Et l'on ajoute une goutte de vinaigre et un demi verre de vin cru. Puis rectifie avec sel et poivre, et on émulsionne une large quantité de beurre.
Et on en nappe le lapin que l'on a sorti du film de cuisson et posé sur un joli plat, en accompagnant de confiture de cassis
La garniture ? Hier, j'ai fait des Hardapfelkiechla, c'est-à-dire des cylindres faits de pommes de terre râpées, avec un oignon finement émincé, beaucoup de persil finement ciselé, une cuillère de farine et un œuf entier. J'avais déposé cela sur une plaque, en utilisant des disques pour faire une belle forme, et j'avais cuit à 220 °C pendant un quart d'heure.
On le voit, il n'y a pas de produits excessivement coûteux mais seulement du temps passé à s'occuper de mes amis... et c'était un bonheur parfait que de les voir se resservir !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 6 septembre 2021
Une royale : de l'amusement, peu de coût... Puisque mes amis ont repris trois fois l'un de mes plats
samedi 4 septembre 2021
A propos de mixer : le prix s'oublie et la qualité reste
Il faut bien avouer que le prix s'oublie et que la qualité reste ! Et c'est particulièrement vrai pour les ustensiles culinaires !
Ayant à trouver un nouveau mixer plongeant, pour une maison qui n'est pas la mienne, je suis allé dans deux grandes surfaces voisines, où... je n'ai eu que ce que je méritais.
Pour la première, je cherchais donc un appareil pour faire mes bisques, par exemple : il faut alors un couteau qui ne casse pas quand il tombe sur une pince de langoustines, et qu'il soit possible de nettoyer sans trop de difficultés. Surtout, comme on sait la fragilité de certains plastiques, j'ai bien regardé comme les pieds des différents modèles s'inséraient dans le corps de l'appareil, qui contient le moteur... et je n'ai rien trouvé de satisfaisant. Il a fallu que je me rabatte sur un moulin à légumes... pour lequel j'ai longuement hésité.
Et, finalement... le récipient en verre supérieur a cassé presque à la première utilisation, quand j'ai mis un liquide chaud dedans !
Puis, comme j'avais besoin d'un produit équivalent, je me suis rabattu sur le mixer plongeant le moins cher... dont le corps s'est détaché du pied après quelques jours : une camelote ! Bien sûr, on peut faire marcher la garantie... mais c'est chaque fois fois du temps, des tracas...
A l'opposé, j'ai chez moi un Micromix de Robot Coupe depuis des années, et il est mis à rude épreuve... mais il est d'une robustesse extraordinaire... puisqu'il continue de bien fonctionner. Le corps est en métal, ainsi que le pied ; le système de liaison est sans défaut, le nettoyage est facile, puisque l'on peut détacher le couteau, et même si je ne l'utilise que pour couper finement, sans l'employer pour foisonner, il me rend parfaitement service.
Oui, il est plus cher que les camelotes du supermarché, mais on comprend que les Tontons Flingueurs avaient raison !
Un détail : il est livré avec deux outils, à savoir un couteau et une pale verticale plate, pour... Pour quoi faire, au juste ?
Dans nombre de cas, ces appareils permettent de faire des émulsions, qu'il ne faut pas confondre avec des mousses (certains, qui ignorent que le mot désigne un déchet, disent "écume"). Je répète qu'une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse fondue dans une "solution aqueuse". Par exemple, une mayonnaise est une émulsion, puisque l'huile est dispersée par le fouet dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et le vinaigre. Par exemple, un beurre blanc est une émulsion, puisque la matière grasse du beurre, fondu, vient se disperser dans l'eau apportée par le vinaigre, ou jus de citron, et par le petit lait du beurre. Par exemple, du chocolat à croquer chauffé dans de l'eau (du thé, par exemple) fait une émulsion de chocolat (dont on peut ensuite faire un "chocolat chantilly").
Voila pour les émulsions. Les mousses, c'est quand on introduit un gaz (le plus souvent de l'air) : avec un fouet, avec un siphon, ou avec un appareil comme ce Micromix dont je vous parlais, quand on y met la pale verticale, et que l'on n'enfonce pas trop.
En réalité, cette pale verticale permet de faire tout aussi bien des émulsions que des mousses, mais évidement, il ne faut pas confondre les deux résultats ! Hélas, je me suis encore vu servir dans un restaurant une "émulsion de citron", disait le maître d'hôtel, et qui était une mousse de citron. Je ne crois pas que le monde culinaire y gagne à confondre marteau et tournevis, chat et chien, bleu et rouge... Il faut les bons mots pour les bons objets, pour faire de la bonne technique.
Mais pour conclure :
1. Le prix s'oublie et la qualité reste : je conclus (pour moi) que je ne ferai plus les bêtises évoquées plus haut.
2. Se pose maintenant la passionnante question suivante : ayant un bon outil, à quoi l'utiliserons-nous ? Et notamment, sur la question du principe, quelles préparations nouvelles ferons-nous ? On sait que des mixers ont révolutionné la préparation des quenelles, par exemple : mes amis cuisiniers me disent que naguère, on les faisait au tamis et à la corne !
3. Comment la technique permet-elle de transformer un art tel que l'art culinaire ? Voilà encore une question passionnante, qu'il faudrait bien étudier, en vue de préparer le futur.
mercredi 1 septembre 2021
Les échaudés qui flottent
Un cuisinier m'interroge ce matin, à propos de gnocchis : pourquoi viennent-ils finalement flotter à la surface et sont-ils cuits à ce stade ?
Avant toute chose, il faut que je signale que l'appellation "gnocchis" est souvent usurpée et que nous avons en français, depuis le moyen-âge, le mot "échaudé" : déjà sur les ponts de Paris, on faisait tomber de petits tas de pâtes dans de l'eau bouillante et on servait ces échaudés aux passants comme on fait aujourd'hui avec les marrons chauds. Et il y a nombre d'échaudés différents, avec des noms particulier : par exemple, les cornuaux sont des échaudéet avec des formes de corne Bref, il est erroné de nommer gnocchi n'importe quelle préparation de ce type, car si ce sont tous des échaudés, ce ne sont pas des gnocchis, et la cuisine française n'a pas attendu la cuisine italienne de ce point de vue.
Cela étant dit, pour la question qui m'est posée, il est vrai que tous les échaudés tombent au fond de la casserole quand on les y met, avant de remonter finalement. J'ai exploré ce mécanisme il y a très longtemps et j'en ai fait un chapitre de mon livre Casseroles et éprouvettes.
En gros, cette remontée est due à de petites bulles de vapeur invisibles qui viennent se coller à la surface des échaudés, les faisant remonter comme le feraient des boués.
Là, le mécanisme est clair, et l'on peut passer maintenant à la seconde question, de savoir si des échaudés sont cuits quand ils flottent. Et là, aussi, mon livre fait état des expériences qui ont consisté à faire des échaudés de différentes tailles et à mesurer la température à l'intérieur.
Comme il faut une certaine température pour empeser l'amidon qui entre dans la compositions des échaudés, il faut que cette température soit atteinte dans les échaudés qui flottent pour que l'on puisse dire qu'ils sont cuits... de sorte que les gros échaudés ne sont pas cuits quand ils remontent, contrairement aux petites pièces.
Bref l'idée selon laquelle les échaudés seraient cuits quand ils flottent est donc fausse.
J'ajoute que, alors que j'ai critiqué l'usage du mot "pochage" dans de nombreuses situations où il est inapproprié, sur la base de l'observation juste selon laquelle le pochage doit faire une poche, comme dans les oeufs pochés, je suis heureux d'observer ici que les échaudés sont véritablement pochés.
En effet, soit ils contiennent de l' œuf qui vient bien coaguler d'abord en surface, assurant la cohérence des pièces, soit c'est l'amidon externe qui s'empèce, formant un gel qui évite les échanges entre l'eau de cuisson et l'intérieur des échaudés, tout en assurant la cohérence des pièces.
On trouvera cela décrit dans mes billets terminologiques des Nouvelles gastronomiques : https://nouvellesgastronomiques.com/terminologie-echaudes-gnocchis-et-cornuaux-par-herve-this/
samedi 28 août 2021
Pourquoi il n'y a pas de force centrifuge
La question me revient hier : pourquoi ne faut-il pas parler de force centrifuge, mais d'une force centripète pour un mouvement de rotation, tel celui que nous faisons quand nous sommes à l'intérieure d'une voiture, ou sur un manège ?
Je ne veux pas manquer de signaler ici le livre absolument extraordinaire, bien qu'un peu ancien, de Marie-Antoinette Tonnelat sur l'histoire du principe de relativité.
Je vois en particulier deux images essentielles qu'il me faudra discuter. L'une représente le mouvement d'une pierre lâchée du haut du mat d'un navire alors que ce dernier avance à vitesse constante devant un quai, et l'autre est une gravure qui montre ce que l'on pensait être la forme des trajectoires des boulets de canon, avant Galilée : d'abord une ligne droite inclinée, puis une chute verticale... ce qui est bien loin de notre représentation moderne, juste, qui est celle d'une parabole.
Certes, le livre de Marie-Antoinette Tonnelat est épais, et pas facile parce que sans beaucoup de concessions, mais il est clair. Et, je me limite à la question de la force centripète, qui est une victoire de la pensée de la Renaissance.
Mais il faut commencer par parler d'inertie
Considérons un bloc de glace sur la plate-forme arrière d'un camion qui roule à vitesse constante. Une notion essentielle, pour les études de mouvement, est l'inertie : un objet matériel ne change pas d'état de mouvement (de vitesse) tant qu'on ne lui applique pas de force. Et si on lui applique une force, on change son mouvement, ce qui correspond à lui communiquer une accélération
Bref un bloc de glace sur la plate-forme la camion qui roule à vitesse constante va en ligne droite, à vitesse constante, toujours dans la même direction, tout comme le camion (pour arriver dans cet état, il aura fallu maintenir le bloc de glace, lors de l'accélération initiale du camion).
A partir de la vitesse constante, supposons maintenant que le conducteur du camion freine, c'est-à-dire qu'il réduise la vitesse du camion. Alors le bloc de glace va foncer vers la cabine du conducteur, parce que sa vitesse n'a pas de raison de changer (s'il n'y pas de forces de frottement avec la plate-force). Sa vitesse reste constante, alors que celle du camion diminue.
Inversement, si le camion avait accéléré, le bloc de glace serait tombé par l'arrière, parce que la vitesse du camion aurait été supérieure à la vitesse du bloc de glace.
Voilà pour l'inertie : d'une part, un objet de matériel ne change pas de mouvement tant qu'on ne le fait pas changer de mouvement, ce qui a lieu par l'application de forces ; d'autre part, le changement de la vitesse est ce que l'on nomme l'accélération. Il y donc une merveilleuse logique à ce premier le principe de la dynamique, qui stipule que la somme des forces appliquées à un corps est proportionnelle à l'accélération, le facteur de proportion étant la masse inertielle.
Mais on se souvient que l'on voulait discuter la question des mouvements de rotation.
Considérons donc maintenant que le camion tourne. Le blog de glace continue d'avancer avec la même vitesse, dans la même direction.
Mais le camion tourne parce que le conducteur, par le volant qui agit sur les roues, éprovoqué un changement de sa vitesse.
Autrement dit, le bloc de glace sors du camion par le côté opposé à celui vers lequel le camion tourne.
Pour conserver le bloc de glace dans le camion, dans le mouvement circulaire voulu par le conducteur, il faut qu'il y ait une paroi sur le côté, qui exerce une force en direction du centre de rotation : c'est-à-dire donc bien une force centripète, vers l'intérieur.
D'ailleurs, quand on est en voiture, et que l'on tourne, on sent bien que la portière nous pousse versle centre de rotation.
Et, inversement nous-même poussons la portière vers l'extérieur... ce qui est un combat perdu, parce que généralement la voiture est plus lourde que nous.
De même, dans un manège, on n'est pas éjecté vers l'extérieur du manège en raison d'une force centrifuge, mais, au contraire, si l'on reste en rotation avec le manège, c'est que des forces centripètes sont appliquées.
On n'est éjecté qu'en raison de notre inertie, parce que la force centripète a été insuffisante.
Me reste à décrire l'idée de l'expérience du navire et de Galilée.
La pierre lâchée du navire qui passe devant le quai tombe verticalement pour un marin sur le navire : la pierre a initialement la même vitesse que le bateau et que le marin, de sorte que, si elle n'est pas ralentie par des frottements avec l'air, elle continue, lors de sa chute, son mouvement de translation horizontal à la même vitesse. Et comme le marin a cette même vitesse, il ne voit que la chute verticale.
Mais pour un observateur immobile, sur le quai, la pierre décrit une parabole, composée d'un mouvement de chute et d'un mouvement de translation.
Et nous pouvons maintenant revenir à la question balistique : ce fut d'un progrès extraordinaire que de comprendre que le mouvement d'un corps ne s'accompagnait pas d'une espèce de perte d'énergie de mouvement, que le mouvement ne s' "épuise" pas progressivement comme on le croyait quand on représentait les boulets comme partant en ligne droite avant de tomber verticalement.
Oui, au contraire, il y l'inertie, l'accélération, et éventuellement l'accélération de la pesenteur. En discutant avec les jeunes amis qui m'interrogent, je vois mieux la beauté extraordinaire de tout cela, et une fois de plus je leur suis reconnaissant de me donner cette occasion qui permet de partager mon enthousiasme avec d'autres.
jeudi 26 août 2021
Une page récapitulative
En vue de la séance de formation du 8 novembre 2021, à Colmar (réservée aux professionnels de l'hôtellerie restauration) on résume ici le "pour en savoir plus" qui doit conclure le document d'annonce :
Hervé This est chimiste, directeur du Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-INRAE.
Il est le co-créateur de la science nommée « gastronomie moléculaire », créateur de la technique culinaire nommée « cuisine moléculaire », créateur de la toute nouvelle tendance culinaire nommée « cuisine note à note ».
Il est l’auteur de nombreux livres qui analysent la cuisine :
Il produit une innovation culinaire chaque mois, qu’il communique en priorité à Pierre Gagnaire :
https://pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve
Il organise depuis 21 ans les « séminaires de gastronomie moléculaire :
http://www2.agroparistech.fr/-Les-Seminaires-de-gastronomie-moleculaire-
Il fait de nombreuses masterclass :
Comment regarder au microscope
Comment regarder au microscope ? En mettant son oeil devant l'oculaire, bien sûr. Mais cette réponse fait enrager les amis vraiment désireux d'apprendre, tout comme si je les renvoyais vers les manuels de microscopie, qui enseignent la pratique de la technique, en donnant les fondements, les bases, des développements, des indications précises...
Au fond, mes amis ne veulent pas cette question : ils aimeraient que je les aide de façon plus "aimable", avant de se lancer éventuellement dans la pratique du microscopie, d'une part, et, d'autre part, la découverte plus lente de la théorie. Bref, on voudrait que je fasse de la microscopie pour débutant. Pourquoi pas ?
Comme souvent, je propose de faire du simple avant le compliqué. Le plus simple, c'est de commencer par utiliser notre microscope comme "une brute", en regardant des objets de notre environnement... car je sais qu'il y a déjà lieu de les observer et de s'émerveiller.
Je me souviens ainsi d'avoir montré un cheveu à mes enfants tout jeunes... et je m'étais amusé qu'ils me disent qu'il "ne voyaient rien". En réalité, ils voyaient, mais ils ne savaient pas dire ce qu'ils voyaient.
Le fait est que, avec le grossissement utilisé, ils voyaient seulement une barre brune dans le champ. Ils la voyaient avec leurs yeux, mais ils n'étaient pas capables de le voir avec leur esprit, parce qu'il ne faisaient pas le rapport entre ce qu'il voyait et le cheveu qui leur était familier.
Pour leur expliquer, pour leur "faire voir", j'ai dû prendre un cheveu, le poser sur une feuille blanche, poser par-dessus une feuille blanche percée d'un disque et constater avec eux qu'il y avait un long segment noir. Puis avons réduit le disque, et nous avons continué à voir le segment noir. Nous sommes alors repassés au microscope - où l'on voyait un disque avec un segment noir-, et cette fois ils ont vu le cheveux.
Nous avons donc tout passé en revue : grain de sel, grain de sucre, farine... avant d'aborder la question des tissus animaux et végétaux... qui est quand même beaucoup plus difficile.
Si l'on veut regarder une pomme de terre, par exemple, on aura intérêt à faire simple, à savoir prendre un couteau pour retirer une mince couche que l'on pose directement sur la lame de microscope. On regardera plutôt le bord, plus mince, oui, avec des pommes de terre, en allant regarder sur les bords, et l'on verra des sacs emplis de petits objets ellipsoïdes : ce sont les grains d'amidon, dans les cellules de la pomme de terre. La limite des cellules de pomme de terre est visible, mais plus difficilement.
D'ailleurs, on pourra facilement colorer spécifiquement les grains d'amidon avec une gouttelette de teinture d'iode, pour "mieux voir".
Puis on ira vers des choses plus compliqué.
Si l'on est dans une cuisine, ce sera un merveilleux terrain de jeu microscopique : on commencera avec du blanc d'oeuf où l'on ne verra rien ; mais quand on regardera du blanc d' œuf battu en neige, alors on verra les bulles, circulaires au début du battage, puis de plus en plus nombreuses, petites et déformées quand on bat plus fort.
On pourra comparer un blanc d'œuf battu en neige avec un blanc d' œuf battu et sucré, où la taille des bulles est divisée par 10 à 100.
On pourra aussi regarder une mayonnaise, à divers stades de sa confection.
Puis une crème anglaise à toutes les étapes.
Une indication importante : les bulles d'air se voient à la présence d'un bord noir épais, alors que les gouttes d'huile sont transparentes, sans ce bord noir.
Je n'entre pas dans l'explication de ce phénomène qui tient à la réflexion et à la réfraction de la lumière, mais je me contente de dire qu'il y a là un moyen facile distinguer des bulles d'air et des gouttes d'huile.
Bien sûr, il y a lieu de ne jamais oublier ce que l'on est en train de regarder, car les grains d'amidon que j'ai évoqué plus haut sont également des formes transparentes et, sans aucune autre indication, on pourrait les confondre avec des gouttes d'huile si l'on se fondait uniquement sur leur transparence (d'où l'intérêt de la teinture d'iode).
Une information importante dans ses études qui font usage de microscopes de table : ne jamais oublier que l'on ne voit pas les molécules, et encore moins les atomes. Même les protéines individuelles, qui sont de grosses molécules, sont invisibles en microscopie optique élémentaire, et c'est seulement avec un fort grossissement que l'on verra les "granules" (agrégats de protéines et de lipides) dans le "sérum" du jaune d' œuf.
En tout cas, il y a lieu de s'amuser beaucoup avec un microscope en cuisine et je ne saurai recommander que les lycée hôteliers en aient toujours un sur le plan de travail de la cuisine, pour que les élèves ne manquent pas une occasion d'aller regarder ce qu'ils produisent.
Non seulement on évitera des confusions, entre mousses et émulsions, par exemple, mais, de surcroît, on entrera ainsi dans un monde merveilleux !
mercredi 25 août 2021
Pourquoi je propose d'être prudent
Pour quelqu'un qui fait la différence entre des opinions et des idées,pour quelqu'un qui sait que les affaires humaines sont compliquées et qu'il y a lieu de les regarder avec circonspection avant de prendre des décisions qui risque d'engager des collectivités, pour quelqu'un qui veut un comportement rationnel, il y a la question du raisonnement, de la déduction.
Si l'on veut être rationnel, alors il y a lieu de bien manier la logique, et, notamment, de commencer par connaître le syllogisme, cette figure logique identifiée dès l'Antiquité grecque et résumée dans "Si tous les hommes sont mortels et si Socrate est un homme, alors Socrate est mortel".
Il s'agit là de déduction logique, imparable, et non pas d'un vague sentiment. Or, comme je l'ai dit, les affaires humaines sont compliquées et j'ai senti le besoin d'expliquer à des amis pourquoi il fallait se méfier des prémisses manquantes. Au fond, cela s'apparente à reprendre la question du philosophe Alain : "Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?".
Je viens de trouver deux exemples pour expliquer ce point.
Tout d'abord, supposons que nous voulions reconnaître des champignons et que nous utilisions une clé de reconnaissance insuffisante. Par exemple, supposons que l'on dise :
- prémisse 1 : j'ai un champignon,
- prémisse 2 : il a un chapeau et un pied,
- prémisse 3 : il est décurrent,
- prémisse 4 : la couleur du chapeau est marron.
Avec cette description - qui est, je m'empresse de le dire- insuffisante, on peut conclure soit que le champignon considéré est un bolet des bouviers, soit que c'est une girolle, soit que c'est une fausse girolle : ici, la conclusion est impossible à obtenir, parce qu'il manque des informations, des prémisses.
Ce n'est pas grave, dans ce cas précis, parce que les deux champignons sont comestibles, mais on serait fautif de conclure. Il manque, en l'occurrence, l'information de la présence soit de pores, qui dirigeraient vers le bolet des bouviers, soit de lamelles, qui orienteraient vers la girolle ou la fausse girolle.
Et l'exemple précédent n'est pas gravissime comme pourrait l'être une confusion entre un champignon comestible et un champignon vénéneux !
On voit bien que l'absence d'une information, d'une prémisse peut conduire soit à une hésitation, soit à une conclusion fausse.
Considérons maintenant un deuxième exemple, pour lequel nous allons utiliser la théorie des ensembles.
Soit un ensemble A (par exemple celui des nombres entiers dont l'écriture commence par 1, soit 1, 10, 11, 12...), et un ensemble B (celui des nombres terminant par 3, soit 3, 13, 23...). L'ensemble A⋂B (cela se lit "intersection de A et de B") désigne les nombres qui commencent par 1 et finissent par 3, soit 13, 113, 123, etc.
Mais ajoutons une condition, une prémisse : nous considérons non seulement l'intersection de l'ensemble A et B, mais aussi avec l'ensemble C, qui sera celui des nombres dont le chiffre des dizaines est 2. Alors les nombres concernés sont 123, 1123, 1223, etc.
On voit sur ce second exemple que l'intersection A⋂B⋂C est bien plus restreinte que A⋂B : l'ajout d'une prémisse a conduit à un résultat bien différent du résultat initial.
Ce second exemple, comme le premier, montre combien il est imprudent de tirer des conclusions avant d'avoir toutes les prémisses, et voilà pourquoi s'imposait la phrase d'Alain :
combien il est imprudent de tirer des conclusions à partir de prémisses insuffisantes et l'on voit pourquoi la phrase d'Alain s'imposait : l'avatar de son "Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?" est ici "Quelle est la prémisse que j'ai oubliée pour raisonner correctement ?"
C'est une question éminemment politique !
Comment à continuer à se former quand on est déjà engagé dans la vie professionnelle ?
La question ne se pose pas seulement à ceux qui arrêtent leurs études au brevet, car il n'y a pas de réelle différence par rapport à ceux qui arrêtent au baccalauréat, ou à la licence, ou au master, où à la thèse, par exemple. La question est la même pour tous, et pour tous les métiers. D'ailleurs, dans mon énumération précédente, je me suis arrêté à la thèse, mais il faut évidemment poursuivre avec l'activité professionnelle : bien sûr, on peut exercer un métier et vouloir l'exercer toujours de la même façon, mais je ne parviens pas à penser que, dans nombre de cas, cela soit assez amusant pour qu'on y passe une vie. Certes on peut vouloir s'améliorer progressivement, tel le tailleur de pierre qui devient progressivement mieux capable de doser le coup de maillet, tel le peintre qui maîtrise de mieux en mieux la peinture...
Mais même ces métiers où l'habileté nécessite un entraînement constant ne peuvent échapper à un mouvement de transformation. Par exemple, le peintre ne broie plus ses couleurs, et les produits qu'il achète évoluent... sans compter des évolutions indispensables : le blanc de céruse, épouvantablement toxique, a été heureusement remplacé, interdit, et un peintre qui voudrait l'utiliser ne le pourrait plus et ne le devrais pas. Un tailleur de pierre ? Dans la mesure où il travaille en communauté, il est comme un laborantin qui expose les autres à ses propres actions, de sorte qu'il a une responsabilité : ne pas dégager des poussières comme jadis, à ne pas mettre en danger ses collègues par des pratiques ancestrales...
Bref, il y a donc la nécessité de connaître les transformations du monde, et c'est cela a minima, la formation continue.
Je sais, d'autre part, qu'il existe des personnes qui font leur travail, et cela seulement ; oui, des personnes qui travaillent, qui s'arrêtent à la fin de la journée et reprennent leur travail à l'identique le lendemain... mais que font-ils de cette citation de Brillat-Savarin "L'âme, cause toujours active de perfectibilité" ? Je ne parviens pas à penser que je puisse admirer les individus routiniers, et je préfère consacrer ce billet à la question méthodologique de la formation continuée : comment faire cette formation ?
Et là , je m'émerveille qu'au 21e siècle, le partage de l'information ne permette plus à des "castes" de préserver leur secret. Cette question des secrets techniques n'est pas ancienne, puisque Joseph Favre, auteur du Dictionnaire universel de cuisine, au 19e siècle, reçut des menaces de ses collègues parce qu'il donnait aux "ménagères" la possibilité d'évaluer le travail de leur cuisinier et d'éviter la valse de lance du panier. Il donnait de la connaissance, alors qu'une caste voulait protéger ses secrets.
Et ce que je dit d'hier demeure aujourd'hui, en cuisine notamment, comme je peux en témoigner.
Mais bref, il y a maintenant des possibilités merveilleuses de trouver de l'information... mais il y a la nécessité de savoir ce que vaut cette information à disposition de tous. Nombre de podcasts culinaires avancent des idées techniques fausses : cela va de la pincée de sel dans les blancs d'oeufs que l'on monte en neige à la réalisation de mayonnaise, et, toutes ces "précisions culinaires" que nous testons depuis des décennies. De même pour le jardinage, où n'importe qui pourra se rendre compte de la cacophonie : par exemple, à propos de bouturage de rosiers, on s'amusera de voir que certains proposent de l'hormone de bouturage, d'autres préconisent de ne pas en mettre, certains proposent d'enterrer à un oeil, d'autres à deux yeux, certains proposent de planter la tête en bas, d'autres pas, et ainsi de suite quasiment à l'infini. Comme en cuisine, chacun a sa recette... et personne ne donne de justification à l'exception d'une expérience très idiosyncratique, très limitée, sans référence, avec seulement des arguments d'autorité qui ne valent donc rien.
En réalité il y a lieu de prendre les choses de plus loin et de poser deux questions. Tout d'abord qu'apprendre ? Ensuite où trouver la bonne information ?
La nature de ce qu'on va apprendre est bien difficile à définir, comme je l'avais indiqué dans un billet précédent, sur les lois de la réfraction, mais on pourra quand même observer qu'il n'est peut-être pas nécessaire de refaire un travail de sélection qui a été fait par les inspecteurs de l'éducation nationale et les commissions des programmes : si l'on a arrêté ses études au brevet des collèges, alors on peut avoir l'envie d'apprendre ce qui a été donné à d'autres par la suite, au lycée. Là, la réponse à la seconde question est vite trouvée : le contenu des référentiels est public, sur le site de l'Education nationale, et la présentation des notions fait l'objet des manuels, qui ont été préparé par des équipes de professeurs qui ont longuement discuté la présentation, la façon didactique de transmettre les notions.
Cette analyse vaut tout aussi bien pour ceux qui sont arrêtés au baccalauréat et qui voudraient poursuivre : ils trouveront en ligne, sur les sites universitaires, les référentiels des licences, des masters, à savoir les informations qu'ils peuvent avoir à cœur d'apprendre, chacun selon leurs envies, leurs goûts, le temps disponible...
Dans ces formations continuées, les revues de vulgarisation sont importantes, parce qu'elle présente les notions les plus actuelles, mais assorties des informations nécessaires pour arriver à la compréhension des nouveautés.
Il y a là un travail très important et une grande responsabilité pour ces revues, et c'est la raison pour laquelle j'y ai travaillé pendant si longtemps, avec une volonté politique très ferme, très semblable à celle des philosophes des Lumières qui ont élaboré l'Encyclopédie.
À ce propos de la vulgarisation, il y en a deux sortes : celle qui vise à dire (en substance) "la fusée à décollé" et celle qui explique comment on a réussi à faire décoller une fusée.
On comprend que je préfère de beaucoup la seconde manière, car non seulement elle donne les moyens de la preuve, mais de surcroît elle donne des informations complémentaires, qui évitent de nous entraîner à supporter des faits plats et bêtes. Le fait qu'une fusée ait décollé relève surtout de la formation politique que technologique, et ne nous pas beaucoup grandir. D'ailleurs, je ne parviens pas à penser que la vulgarisation soit utile si elle ne donne pas aussi une "compétence", en plus des connaissances.
Bien sûr, toute cette réflexion doit être poursuivie !
mardi 24 août 2021
Quelle différence entre un blanc et un jaune d' œuf ?
Quelle différence entre un blanc et un jaune d' œuf ?
La question semble évidente : le blanc est blanc, et le jaune est jaune. Mais déjà cette réponse est mauvaise, car le blanc d'oeuf est en réalité transparent, et légèrement jaune verdâtre, alors que le jaune est plutôt jaune orangé (on dit qu'il peut même être vert quand les poules ont mangé des scarabées, ce que je n'ai pas encore réussi à vérifier).
Et puis, il y a une différence de consistance : le blanc est plus collant que le jaune, plus gélifié en quelques sorte. Et une différence considérable de goût : alors que le jaune a beaucoup de goût, le blanc n'en a presque pas, quand il n'est pas cuit.
Mais, en réalité, ce n'est pas bien répondre à la question qui m'était personnellement posée : mon interlocuteur voulait que je réponde de façon "chimique". Et là, il y a des différences essentielles.
Au premier ordre, disons que le blanc est composé de 90 % d'eau et de 10 % de protéines (dont les molécules sont comme des pelotes repliées sur elle-même et dispersés parmi les molécules d'eau). Le jaune, lui, est fait de 50 % d'eau seulement, de 15 % de protéines et de 35 % de lipides. Les lipides ? Une immense catégorie de composés, qui contient aussi bien les "phospholipides", que certains nomment de façon erronée des lécithines, que des triglycérides, les composés que l'on trouve par exemple dans l'huile.
Il faut assortir cette description de précisions. Par exemple, l'eau est toujours l'eau, composée d'une seule sorte de molécules qui sont toutes identiques : n'importe quelle molécule d'eau, est un assemblage d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène.
En revanche, le terme de "protéines", au pluriel, indique qu'il y a des sortes de protéines très différentes, et mêmes si celles qui sont dans l'eau sont souvent repliées sur elles-mêmes (on parle de protéines globulaires), elles ont des caractéristiques parfois très disparates. Il en va ainsi de la température de coagulation, par exemple : certaines protéines coagulent dès 61 degrés et d'autres seulement à 80 degrés. Certaines transportent des atomes de fer, et d'autres pas. Certaines, tel "lysozyme", ont des effets bactériostatiques, et d'autres pas.
Tiens, et puis je vous invite à observer un oeuf frais que l'on casse dans une assiette : le blanc forme des "marches" autour du jaune, qui montrent que le blanc est "gélifié", avec des compositions différentes selon les parties. D'ailleurs, cela ne se voit pas à l'oeil nu, mais le jaune, aussi, est structuré, avec des couches concentriques, de compositions différentes, que l'on jaune clair et jaune profond, lesquelles sont déposées le jour ou la nuit.
Et il en va de même pour les "lipides" : nous avons vu plus haut qu'il y a donc des phospholipides et des triglycérides, mais il y a en réalité bien d'autres possibilités de variation, et, surtout, je n'ai pas expliqué que, dans le jaune, les lipides peuvent-être dans une sorte de sérum, en solution dans l'eau, ou bien réunis en granules, visibles au microscope.
Bref, il y a beaucoup de différences entre le jaune et le blanc... sans compter que la couleur et le goût ne sont pas rien. Les protéines, les phospholipides et les triglycérides n'ont ni couleur ni goût. Pour la couleur, celle du jaune est due à de nombreux composés de la famille chimique des xanthophilles, et cette couleur change d'ailleurs selon l'alimentation des poules, tout comme change la couleur des saumons d'élevage, quand on leur ajoute du carotène bêta (un composé qui donne la couleur aux carottes) dans leur alimentation.
Pour le goût, il y a dans le jaune un très grand nombre de composés odorants, mais là il faut rentrer dans plus de détails et donner des listes de noms indigestes. J'ai peur que cela ne dépasse le cadre de ces billets, et je préfère dire à mes amis que je tiens de la bibliographie à leur disposition !
dimanche 22 août 2021
L'honnête homme, au 21e siècle ?
Ici, nous partirons d'une question anodine, pour arriver à un questionnement politique, donc essentiel.
1. Un jeune ami me demande si la lumière est réfléchie par les liquides, et je lui réponds en lui indiquant des expériences : d'une part, on voit les arbres se refléter sur l'eau quand on est près d'un lac ; d'autre part, on est parfois ébloui quand on regarde la mer agitée en direction du soleil, parce qu'il y a des réflexions de la lumières solaire sur chaque vaguelette.
2. Cela dit il y a la question de réfléchir "de la lumière", une partie donc, ou de réfléchir "la lumière", c'est-à-dire toute la lumière. A préciser, donc.
3. Surtout il y a lieu de se demander mieux que vaguement ce qu'est ce phénomène de réflexion, et il y a notamment lieu de le distinguer du phénomène de réfraction... que mon jeune ami ne connait pas non plus.
4. Evitons le cours d'optique pour dire simplement que c'est un fait d'expérience que certaines lumières, caractérisé par exemple par leur longueur d'onde, sont généralement réfléchies par les surfaces des liquides, à des degrés divers.
Par exemple, un liquide noir absorbera fortement la lumière, alors qu'un liquide métallique, tel le mercure, sera beaucoup plus réfléchissant. Pour chaque cas, la quantité de lumière peut-être mesureée, dans une direction différente de celle où la lumière a été mise.
5. Mais, plus généralement, si l'on émet de la lumière vers un liquide, alors il y aura une partie réfléchie par la surface, et une partie transmise dans le liquide, dans une direction qui est d'ailleurs différente, le plus souvent, de celle de la lumière émise. C'est là le phénomène de réfraction, qui a été notamment étudié par le Néerlandais Willebrord Snell et par René Descartes, lesquels ont introduit une merveilleuse équation qui fait intervenir le sinus de l'angle de réflexion et de l'angle de réfraction.
6. Je crois savoir ça de toute éternité ou plus exactement je ne me souviens pas du moment où, enfant, j'ai découvert cette merveilleuse loi de Snell-Descartes.
7. Mais, de toute façon, c'était indépendamment de ma scolarité, parce que j'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont toujours encouragé dans mes lectures de vulgarisation scientifique, quand j'étais enfant.
8. La vraie question, générale, est de savoir si cette loi de la réfraction est enseignée avant le brevet des collèges ou après. Car avant le brevet, pendant la scolarité obligatoire, cela signifie que l'on a jugé que les citoyens avaient besoin de cette notion. Si elle apparaît après, c'est donc qu'on a jugé qu'elle était superflue à l'ensemble des citoyens.
9. La question est en quelques sorte celle de la formation de l'honnête homme du 21e siècle.
10. "Honnête homme" ? Il ne s'agit pas de l'homme ou de la femme honnêtes, mais de ceux qui vivent en bon citoyens, intelligemment... au sens de l'intelligence du monde où nous vivons, de sa compréhension.
11. C'est un fait que nous sommes dans une société très technique, avec des voitures, des ordinateurs, des vaccins, les médicaments, etc. Et on peut vouloir se comporter en conducteur de voiture ou en mécanicien, vis à vis de tous ces artefacts... mais il faut quand même observer que le conducteur de voiture ne peut pas se contenter de savoir appuyer sur les pédales et tourner le volant : il doit savoir qu'il y a lieu de mettre de l'essence dans la voiture, il doit savoir qu'il y a lieu de mettre de l'huile sans quoi il coulera une bielle. De même, le mangeur doit savoir manger, sans quoi son "véhicule" (son corps) risque de tomber en panne.
12. Bref, il y a lieu d'avoir une connaissance minimale du monde où nous vivons, pour ne pas être démuni faces aux circonstances variées que nous rencontrons.
13. D'autant qu'il y a de l'imprévu : pensons, par exemple, à cette pandémie de covid qui nous est tombée dessus. Pour survivre, au sens littéral du terme, il faut avoir des connaissances sur les virus, la physiologie humaine, la prophylaxie...
14. Bien sûr, on ne peut pas tout connaître, mais tout ce temps passé "au bistrot" (une métaphore qui regroupe tous les moments où nous cédons à la poussière du monde) pourrait, tellement plus utilement, être employé à découvrir les phénomènes de notre environnement.
15. Et cette connaissance nous permet de mieux vivre, et de mieux vivre en citoyen, car on ne doit pas oublier que nos sociétés ne fonctionnent bien que si chacun d'entre nous a un comportement raisonnable, rationnel... en pljus d'être honnête, juste, social.
samedi 21 août 2021
La cuisson des "oeufs parfaits"
Un ami, excellent scientifique, m'avoue ne pas bien comprendre la cuisson des oeufs à basse température, ce que j'avais jadis inventé sous le nom d'"oeufs parfaits", mais que je propose de nommer plutôt "oeuf à 65 degrés" quand ils sont cuits à 65 degrés, ou "oeufs à 67 degrés" quand ils sont cuits à 67 degrés, etc.
Il me faut lui expliquer le mécanisme de la constitution de ces oeufs, puisque si lui ne comprend pas, bien d'autres, aussi, risquent de ne pas comprendre.
1. Commençons simplement par considérer le blanc d'oeuf, parce qu'il est plus simple chimiquement que le jaune.
Ce blanc d'oeuf, c'est 90 % d'eau et 10 % de protéines. Ce qui correspond à 20 000 fois plus de molécules d'eau que de molécules de protéines.
2. Pour comprendre l'effet de la cuisson, il faut savoir que quand on chauffe un matériau, les molécules du matériau s'agitent plus vite.
Or les molécules de protéines sont comme des pelote repliées sur elles-mêmes, dispersés parmi les molécules d'eau.
3. Quand on chauffe au-delà d'une certaine température, alors les protéines se déroulent, exposant la partie centrale qui, pour les protéines du blanc d'oeuf, contient un atome de soufre lié à un atome d'hydrogène.
4. Et quand deux molécules de protéines voisines sont ainsi déroulées, alors les atome de soufre peuvent se lier et former des liaisons que l'on nomme des "ponts disulfures".
5. L'ensemble des protéines attachées les unes aux autres forme une sorte d'échafaudage dans toute la masse du blanc d'oeuf, une sorte de filet où les molécules d'eau sont piégées, comme des poissons dans un filet.
Et comme l'eau est piégée, elle ne coule plus, de sorte que l'on obtient un solide mou, qui est ce que l'on nomme un gel.
6. À ce point , on ne comprends pas pourquoi la coagulation de l'œuf peut être différente à différentes température, mais c'est cela que j'ai découvert, proposant la théorie améliorée suivante : dans la précédente description, j'ai évoqué des "protéines" sans plus de précisions, mais, en réalité, dans le blanc d'oeuf, il y a plusieurs sortes de protéines, et ces dernières coagulent à des températures différentes.
7. Vers 62 degrés, il y a une sorte de protéines qui coagule et qui forme donc un réseau, le filet dont je parlais.
Avec un seul filet et beaucoup de choses à l'intérieur, on comprend que le gel formé soit très délicat, très fragile. Cela correspond d'ailleurs à la cuisson que l'on observe entre 62 et 65 degrés : le blanc devient à peine laiteux et encore presque liquide ; plus ou moins fragile en tout cas.
8. Puis, si l'on chauffe à 65 degrés, alors un deuxième filet se forme, avec une autre sorte de protéines. Ce deuxième filet s'ajoute au premier, et l'ensemble est mieux tenu : le gel est un peu plus opaque et un peu plus solide.
9. Et si l'on porte maintenant la température à 68 degrés, alors c'est un troisième gel qui s'ajoute et le blanc devient un peu plus ferme et un peu plus blanc.
10. Et ainsi de suite jusqu'à 100 degrés où l'on a un empilement de réseaux qui fait le blanc que l'on reconnaît comme être caoutchouteux dans les oeufs durs.
11. Il faut ajouter que tout cela se fait "immédiatement" : dès qu'une température de coagulation est atteinte, la coagulation se fait. Et une fois une coagulation faite, elle ne bouge plus. Autrement dit, si l'on a porté l'oeuf à une certaine température, on peut le refroidir et le réchauffer sans avoir de changement... tant que la température ne dépasse pas celle qui avait été atteinte.
vendredi 20 août 2021
Gravité et pesanteur
On m'interroge sur la différence entre gravité et pesanteur. La différence entre les deux ?
La pesanteur, c'est le phénomène qui correspond au poids. Sur la terre, un objet qui a une masse est "pesant", il a un poids, ce qui signifie que, lâché, il tombe.
Pour la gravité, c'est une révolution intellectuelle extraordinaire due à Isaac Newton, qui a compris que ce phénomène de pesanteur était universel, et qu'il correspondait à une attraction mutuelle des corps qui ont une masse. Il en a fait la théorie de la gravitation universelle, avec une force entre les corps qu'il a proposé être proportionnelle aux deux corps massifs en interactions, et inversement proportionnelle au carré de la distance entre ces deux masses.
Autrement dit, entre la gravitation et la pesanteur, il y a une des plus grandes découvertes scientifiques de tous les temps.
On doit s'émerveiller de la proposition de Newton, même si la loi proposée n'est probablement qu'approchée. À l'époque, l'idée d'action à distance été quelque chose aussi étrange que la notion de vide, par exemple. Et c'est seulement en 1798 que Henry Cavendish a utilisé des boules suspendues à un fil (comme une haltère) pour mesurer la constante de gravitation à partir de la torsion du fil où l'haltère était suspendue. L'expérience a été refaite à l'université d'Orsay il y a quelques décennies, et elle nécessite un savoir-faire expérimental tout à fait remarquables.
Emerveillons-nous de l'audace intellectuelle extraordinaire de Newton, de l'intelligence et du savoir-faire expérimentaux de Cavendish !
jeudi 19 août 2021
La chimie peut-elle être "de synthèse" ou "analytique" ? Non !
Il y a bien longtemps, quand j'ai déménagé le Groupe de gastronomie moléculaire, du Laboratoire de chimie des interactions moléculaires du Collège de France vers AgroParisTech, nous avons été accueilli par le "Laboratoire de chimie analytique". J'étais heureux de rencontrer des collègues intelligents, sympathiques, accueillants, mais... chimie analytique ? De quoi s'agit-il ?
D'abord, je pars de l'hypothèse que la chimie est une science de la nature, et non pas une technologie ou une technique. C'est ainsi qu'elle a été rénovée par des Lavoisier, par exemple : il s'agit d'utiliser la méthode scientifique pour explorer les phénomènes de la nature, et, notamment, les transformations de la matière.
Et, pour tous les travaux de chimie, il y a de l'analyse (il faut savoir de quoi l'on parle, connaître les objets que l'on explore), et il y a parfois de la synthèse moléculaire, pour explorer des mécanismes réactionnels.
Cela dit, c'est une faute de langage que de parler de chimie synthétique ou de chimie analytique ! D'autant, pour cette seconde expression, qu'il y a une confusion entre l'analyse chimique, l'étude -technologique- de mise au point de nouvelles méthodes d'analyse, et la chimie.
Bien sûr, je n'ai pas ennuyé mes amis avec ces déclarations, et j'ai fait le dos rond, avec un Groupe de gastronomie moléculaire et physique proprement nommé, dans un laboratoire de "chimie" : ce n'était pas si mal.
D'autant que, à l'époque, mon idée n'était pas si claire qu'aujourd'hui : j'avais hésité quant au statut de la chimie, qui aurait tout aussi bien pu être soit une technique, soit une technologie.
Mais on verra que, depuis quelques années, tout est clair : la chimie est une science de la nature, qui ne se confond pas avec ses applications. Il n'y a donc pas de "chimie analytique" ! Et même si l'on a fait, et si l'on fait encore des analyses, il est bien rare que l'on ait à identifier des nouveaux composés, aussi mystérieux que le benzène à l'époque de Michael Faraday, ou que les pectines à l'époque de Braconnot.
mercredi 18 août 2021
Des âneries naturopathiques
Ce matin, je lis un texte sur le barbecue, qui me fait sursauter tant il est bourré d'âneries. Il est intitulé "comment faire sainement des barbecues", et rien que ce titre m'interpelle, parce que le barbecue classiquement fait, avec la viande au-dessus des braises, dépose environ 2000 fois plus de benzopyrènes cancérogènes qu'il n'en est admis par la loi dans les produits fumés. Alors le barbecue sain : une rigolade !
En réalité, ma dernière phrase est abusive, parce qu'il y a un moyen de faire sain... mais ce moyen n'est pas donné dans le texte que je lis, ce qui montre combien l'auteur est ignorant !
Je propose de lire les phrases en discussion et de les commenter, afin d'aider mes amis à ne pas se laisser abuser par des charlatans :
"L’inconvénient majeur de la cuisson au barbecue est que les aliments sont saisis à très forte chaleur" :
1. Ce n'est pas vrai : dans un barbecue, la température à l'intérieur des viandes est toujours inférieure à 100 °C, selon le bon principe que, à pression ambiante, une matière qui contient de l'eau ne peut avoir une température qui dépasse 100 °C... et ce n'est pas de la théorie : je l'ai mesuré !
Pour l'extérieur, oui, la viande est saisie... mais moins fortement que dans certains sautés. Donc c'est faux, et encore faux.
2. L'inconvénient majeur n'est pas que les aliments soient "saisis à très forte chaleur" ; c'est que ce type de cuisson dépose sur les viandes des benzopyrènes cancérogènes... quand on ne sait pas cuire, à savoir quand on cuit la viande en la mettant au dessus des braises.
La bonne méthode, qui aurait dû être conseillée, est d'utiliser un barbecue vertical, auquel cas il n'y a pas de benzopyrènes du tout !
"ce qui dénature les éléments nutritionnels de la viande" :
La cuisson au barbecue ne dénature pas plus les "éléments nutritionnels de la viande" que les autres cuissons. Je rappelle que, dans la viande, quelle que soit le mode de cuisson, la température reste toujours inférieure à 100 ° C (comme dans le bouilli), et seule la surface (soit trois fois rien) est portée à haute température.
Au fait : qu'est-ce que cette prétendue "dénaturation des éléments nutritionnels de la viande" ? Je prends le pari que l'auteur de ces mots ne le sait pas, se limitant à réciter une sorte de dogme idiot. D'ailleurs "éléments nutritionnels" : veut-il parler de composés ayant un effet nutritionnel ?
Des protéines ? Des lipides ? Des saccharides ? Des polyphénols ? Des ions minéraux (là, aucun changement possible) ?
"(les acides aminés nécessaires à la fabrication de nos tissus, muscles)" :
Désolé, mais puisqu'il s'agit de chimie, le mot "dénaturer" s'applique seulement aux protéines, et pas aux acides aminés... qui n'existent pas dans la viande (à la marge, disons) sauf sous la forme de résidus (cela ne signifie pas "dégradé") dans les protéines.
Oui, ce sont les protéines qui peuvent être "dénaturées" : cela signifie que les molécules des protéines changent de forme, ce qui permet la coagulation (pensons à du blanc d'oeuf que l'on chauffe, dans un oeuf dur, par exemple).
"et cette forte cuisson provoque également une réaction chimique appelée « molécules de maillard » " :
Là, c'est le summum de l'ignorance : l'auteur confond une molécule avec une réaction. Même pas du niveau de la classe de Sixième ! Une honte.
On pourrait dire à la limite "la forte chaleur provoque des réactions de Maillard, qui engendrent des composés de Maillard"... sauf que ce n'est même pas vrai. Il y a surtout des pyrolyses, et les réactions de glycation (pas "de Maillard") engendrent des composés de glycation, et ils ne sont pas "hautement cancérigènes et toxiques pour le corps". Erreur, confusion, mensonge, ignorance : comment cet auteur peut-il se regarder dans la glace ?
D'autant que, je le rappelle parce que c'est utile, le danger principal du barbecue mal conduit, ce sont les benzopyrènes !
"A force de faire griller toutes ses viandes, on perd donc des éléments nutritionnels de taille" :
Du grand n'importe quoi, à nouveau. On ne perd quasiment rien.
"et on risque de développer des soucis digestifs" :
Ah bon ? En vertu de quoi ? D'ailleurs, "développer des soucis... digestifs ? Un souci, selon le dictionnaire, c'est "État d'esprit plus ou moins douloureux, permanent ou répété, de
quelqu'un qui s'inquiète à propos d'une personne ou d'une chose à
laquelle il accorde de l'importance".
"et notre corps s’encrasse fortement" :
Allons, continuons à être séditieux : combien ? Et puis, un corps humain, ce n'est pas un moteur automobile.
Allons, je termine en signalant que je vois cela sous la plume d'un "naturopathe", "expert en nutrition" (sic !), et qui a écrit un livre pour être en bonne santé, alors qu'il est maigre, avec une tête décavée ! Si seulement notre homme devait cette mauvaise mine à la mauvaise conscience qu'il a de dire n'importe quoi !
mardi 10 août 2021
De nouvelles questions de pâte à choux
Ce matin, ces questions, à propos de pâte à choux :
En quoi consiste réellement le "dessèchement" de la panade :
correspond-t-il un empesage optimal des grains d’amidon à 95 degrés, à la déshydratation partielle du mélange en vue de rajouter les œufs (eau+protéines), ou bien les deux ?
Au cours du dessèchement de la panade (température montée jusqu’à 95 degrés), les protéines de la farine ainsi que certaines protéines du lactosérum vont dénaturées. Je souhaiterais savoir si cette dénaturation est irréversible ou bien réversible avec l’ajout des l’oeufs (eau)?
Aussi, les protéines des œufs, sont-elles les seules responsables de la formation de la pellicule qui emprisonnera la vapeur d’eau, permettant ainsi le développement du choux?
Essayons de répondre, question après question
1. En quoi consiste réellement le "dessèchement" de la panade :
correspond-t-il un empesage optimal des grains d’amidon à 95 degrés, à la déshydratation partielle du mélange en vue de rajouter les œufs (eau+protéines), ou bien les deux ?
Avant tout, il faut indiquer à ceux qui ne le savent pas que la première opération de préparation d'une pâte à choux consiste à faire bouillir de l'eau avec sel et beurre, puis à jeter la farine dans ce liquide bouillant, puis à travailler la pâte qui se forme, éventuellement en chauffant ("désséchement"). C'est seulement quand elle a été ainsi travaillée que l'on ajoute des oeufs entiers, en travaillant bien, et jusque la consistance soit un peu molle, mais pas coulante. On cuit alors sur plaque.
Cela dit, on peut commencer à analyser. Certes, l'opération de "desséchement" fait perdre de l'eau, et la preuve en est que l'on voit une fumée blanche au-dessus de la casserole. Je n'a pas mesuré la perte de masse... mais des amis pourraient le faire facilement.
Un empesage "optimal" des grains d'amidon ? à 95 degrés ? Le terme "optimal" est un adjectif, qui n'a pas de sens, car optimal en vue de quoi ? Et pourquoi la température serait-elle seulement de 95 degrés, alors que l'on voit des bulles de vapeur se former, indication que la température est au moins de 100 degrés.
Mieux, je crois que le brunissement léger montre que la température est supérieure à 100 degrés, là où la pâte touche le fond de la casserole.
Ce dont on peut être raisonnablement certain, c'est que l'agitation mécanique conduit certainement à des modifications des grains d'amidon, lesquels sont empesés quand la farine est initialement déposée dans l'eau bouillante, un peu comme quand un risotto devient crémeux parce que le travail a libéré de l'amylose et de l'amylopectine, dans la solution entre les grains de riz.
Oui, aussi, le désséchement permet sans doute d'ajouter plus d'oeufs : il est bon de se souvenir que le blanc d'oeuf apporte 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines, et le jaune 50 pour cent d'eau ; d'ailleurs, on voit bien que l'ajout des oeufs conduit à une fluidification de la pâte, et l'on pressent qu'elle ne doit pas finalement être trop liquide, sous peine de s'étaler trop.
2. Au cours du dessèchement de la panade (température montée jusqu’à 95 degrés), les protéines de la farine ainsi que certaines protéines du lactosérum vont dénaturées. Je souhaiterais savoir si cette dénaturation est irréversible ou bien réversible avec l’ajout des l’oeufs (eau) ?
Là encore, mon correspondant signale une température de 95 degrés, que je conteste.
Les protéines de la farine ou du lactosérum dénaturées ? Tout tient dans le mot "dénaturé" : il s'agit tout aussi bien d'une petite modification des protéines qu'un déroulement complet. Et, pour répondre à la question, je propose de considérer une autre protéines que celles dont on discute ici : la gélatine. Dans l'eau chaude, les brins protéines qui font la gélatine sont certainement "dénaturés", mais c'est sans conséquence. Au contraire de protéines globulaires du blanc d'oeuf qui, elles, quand elles sont déroulées, s'attachent en un réseau : c'est la coagulation. Pour la gélatine, le réchauffage suffit à dissocier une gelée, à la faire fondre, mais le chauffage de blanc d'oeuf coagulé, lui, ne peut pas défaire le réseau (pour cela, il faut, comme j'ai été le premier à le montrer, ajouter un composé réducteur).
Et pour en revenir aux protéines de la farine ou du beurre, je dois dire que je n'ai pas la réponse. En tout cas, on voit que ce n'est pas une question de plus ou moins d'eau dans la pâte, qui fera le changement.
3. Aussi, les protéines des œufs, sont-elles les seules responsables de la formation de la pellicule qui emprisonnera la vapeur d’eau, permettant ainsi le développement du choux?
Je ne crois pas que la croûte autour des choux qui emprisonne (un peu) la vapeur d'eau soit due aux protéines, mais plutôt au croûtage dû à l'asséchement de la couche de farine superficielle, les grains d'amidon empesés perdant leur eau et se soudant. Les protéines de l'oeuf, elles, me semblent surtout utiles pour la coagulation de l'intérieur, et, surtout, pour le goût.
Et je ne peux m'empêcher de comparer avec les soufflés : là, au contraire, ce sont clairement les protéines qui font la croûte... et cette croûte n'est en tout cas pas imperméable, puisqu'un soufflé de 100 grammes seulement perd 10 grammes d'eau à la cuisson (voir mon livre "Révélations gastronomiques", ainsi que mon calcul plus "universitaire" dans les Cours en ligne d'AgroParisTech.
mardi 3 août 2021
Je viens de découvrir...
Quand on raconte l'histoire de Louis Pasteur, et notamment son travail de séparation de deux formes de l'acide tartrique, on dit souvent qu'il a fait cela à la pince, sous le microscope, et c'est là quelque chose de très difficile... mais je viens de découvrir dans les publications de Pasteur qu'il soignait les cristallisations, et obtenait "quelquefois des cristaux de plusieurs centimètres de longueur et d'épaisseur".
Là, c'est quand même plus facile !
samedi 31 juillet 2021
Blanc et noir
Je dois à cet extraordinaire écrivain qu'était Jorge Luis Borgès l'idée de l'envie blanche et de l'envie noire : l'envie noire détruit ce que l'on n'a pas, tandis que l'envie blanche conduit à faire mieux.
Pendant des années, j'ai ainsi propagé l'idée... mais je suis un âne, qui s'est fait éblouir, car comment n'ai-je pas pensé que, entre le noir et le blanc, il y a le gris ? Et bien plus de gris que de noir ou de blanc !
Oui, entre l'envie noire et l'envie blanche, il y a l'envie grise, qui ne fait rien qu'avoir de l'envie, ou qui pousse à détruire, ou qui aurait envie de faire mieux mais ne fait rien, que sais-je ?
Oui, décidément, j'avais bien raison de dire à mes enfants, quand ils me proposaient pile ou face, que je voulais la tranche. Refusons le manichéisme, gardons les extrêmes, mais n'oublions pas que nous ne sommes pas toujours condamnés aux alternatives que l'on nous tend.
dimanche 25 juillet 2021
De la chimie ? Oui, mais avec du calcul
Un ami me reproche (amicalement) de ne pas faire des travaux assez chimiques. Je sais que c'est une façon de me chatouiller, mais je retrouve dans un petit calcul que j'avais fait il y a longtemps une sorte de justification, de défense.
Ce calcul visait à connaître la taille des mailles du réseau dans un gel de gélatine. En effet, un gel de gélatine, ce sont des molécules de gélatine qui sont liées par trois, formant une sorte de grand filet où les molécules d'eau sont piégées.
On voit déjà que je suis dans une description moléculaire de la chose et, pour moi, c'est question de structure est essentielle, car je ne peux rien calculer sans cette description. C'est seulement quand j'ai mon modèle que je peux facilement faire un peu de calcul pour déterminer cette taille. Et je peux même faire ce calcul de plusieurs manières, parce que j'ai en tête cette description, d'une part, et, d'autre part, parce que je cherche toujours à valider les calculs, c'est-à-dire à trouver un autre calcul que le premier pour vérifier si j'obtiens le même résultat.
Dans mon calcul, certes, je calcule... mais c'est bien légitime, car la chimie est une science de la nature : elle doit expérimenter et calculer. Certes, calculer à propos de molécules, mais de calculer. On peut envisager des questions de structures, de réactivité, mais on calcule. Et puis, si l'on a en tête ce double point de vue de structure et de réactivité, on calculera de ce double point de vue.
Beaucoup de bonheur dans la chimie, par conséquent ! Et, finalement, je vois que je ne suis finalement pas chimico-physicien, ni physico-chimiste, mais simplement chimiste !
samedi 24 juillet 2021
Les matériels et les méthodes : avant les résultats !
Je suis très opposé à cette pratique de certaines publications scientifiques qui mettent les descriptions de matériels et de méthodes à la fin des articles.
En effet, il y a de nombreuses façon de présenter des résultats scientifiques, mais une des façons les plus courantes -ça n'a pas toujours été le cas- est de commencer par une introduction, pour poser le problème exposé, puis de présenter les matériels et les méthodes qui ont été mis en œuvre pour réaliser les expériences avant d'arriver aux résultats, et, enfin seulement, les discussions.
Cette méthode me semble tout à fait bonne, et en tout cas bien supérieure à plusieurs autres.
Par exemple, il y a des revues qui imposent la présentation des matériels et des méthodes en fin d'article. Mais comment pouvons-nous juger des résultats si nous ne savons pas comment ils ont été obtenus ?
Cela n'a guère de sens de sorte qu'en pratique, pour ce qui me concerne en tout cas, je vais toujours d'abord en fin d'article chercher les informations méthodologiques avant de revenir aux résultats... preuve que cette méthode est mauvaise.
Au fond, donner des résultats sans donner aux lecteurs la possibilité d'évaluer leur pertinence, c'est une forme d'argument d'autorité que je déteste absolument et qui n'a pas sa place dans les sciences de la nature.
Une autre manière criticable consiste à mêler les résultats et les discussions. Là, je trouve que c'est tout à fait mauvais, car on ne peut interpréter que des résultats qui ont été d'abord été donnés, et l'expérience prouve que le mélange les résultats et des interprétations conduit à des fautes. Il est tellement plus clair de présenter les résultats, et ensuite seulement la discussion de ces derniers : pourquoi s'en priver.
Ajoutons que même des journalistes qui font bien leur travail savent que l'on ne mêle pas les faits et les interprétations. Hubert Beuve-Méry, qui fut une grande figure du journal Le Monde l'avait mis en exergue alors qu'il était en activité.
vendredi 23 juillet 2021
La structure des articles scientifiques
C'est amusant de voir qu'aujourd'hui, pour les sciences de la nature, la structure conventionnelle des articles scientifiques est parfois considérée comme un carcan, alors que sa mise au point progressive a été un progrès extraordinaire, une innovation merveilleuse.
Jadis, les articles scientifiques étaient de très longues descriptions d'expériences, avec des mots, des phrases interminables, et chacun devait en quelque sorte inventer la structure de son récit.
Progressivement, on en est arrivé à une structure qui est la suivante : les articles ont un titre ; puis on indique les auteurs, assortis de leur affiliation ; suit un résumé, des mots clés, puis une introduction, une partie qui décrit les matériels et les méthodes, avant d'arriver aux résultats, ces derniers étant ensuite discutés avant que l'on conclue, que l'on imagine des perspectives, et que l'on termine par des références indispensables.
Je propose d'observer que cette structure est rationnelle.
Tout d'abord, il y a le titre, qui est "efficace" : on sait aussitôt ce que l'on pourra trouver, on sait si le sujet est celui qui nous intéresse.
Ensuite les indications des auteurs sont importantes, parce qu'elles reconnaissent la paternité d'un travail, qu'elles le remettent dans un contexte d'une oeuvre, qu'elles nous signalent un collègue intéressant, dont nous irons éventuellement lire d'autres articles.
Je ne saurais dénoncer assez énergiquement les revues qui indiquent les auteurs en fin d'article, ce qui force les lecteurs à s'y reporter avant de revenir lire le texte. Et puis, il y a un peu de mépris, en quelque sorte, à ne pas reconnaitre immédiatement les auteurs d'un travail.
Le résumé en début de document est utile, on s'en aperçoit quotidiennement, car il précise un peu le titre, de façon rapide, et permet d'éviter de se lancer dans des lectures qui nous intéresseraient pas vraiment.
Les mots clés aussi, sont importants, car ils permettent les indexations, les rangements dans des bibliothèques, mais leur place est de moindre importance, car ils correspondent maintenant à des objets numériques.
L'introduction est manifestement indispensable en début de texte, parce qu'elle annonce la question, le travail, la structure du texte : ne pas donner ces informations, ce serait comme tirer derrière nous des personnes sans leur expliquer où l'on veut les conduire et pourquoi.
Bref, il y a lieu d'expliquer le contexte, de situer la question étudiée dans un ensemble de connaissances plus vaste, de montrer des relations entre les expériences effectuées et la question posée, et ainsi de suite, mais je n'insiste pas ici, parce que j'ai déjà traité cela ailleurs.
Vient ensuite la partie qui dérit les matériels et les méthodes. Là, c'est tout à fait indispensable, parce qu'un résultat sans la description fine des matériels des méthodes qui y ont conduit ne vaut rien. Donner un résultat de mesure sans indication de l'incertitude de mesure, par exemple, c'est nul, et notamment parce que l'on ne pourra pas rapporter ce résultat à un autre, à le comparer.
Les résultats : il faut les donner, mais on aurait peut-être intérêt à le faire en deux fois : d'abord exposer rapidement, au premier ordre, les résultats, puis entrer ensuite plus dans les détails.
Les discussions ne peuvent venir qu'après, et être séparées des résultats, car ce sont des interprétations, d'un autre ordre que des résultats.
Là, c'est le moment de faire véritablement œuvre scientifique, et ne pas se contenter de dire que l'on retrouve des choses qui ont déjà été observées... sans quoi le travail ne sert pas à grand chose... mais je me suis exprimé à ce propos.
Vient alors le moment de conclure, ce qui se fait mieux si l'on envisage positivement des perspectives.
Et l'on termine avec les références qui doivent être nombreuses : chaque fait, chaque idée, chaque résultat qui est donné doit être parfaitement justifié, et part de bonnes références.
Je suis très opposé aux revues qui limitent le nombre des références que l'on peut donner, car si beaucoup de référence s'imposent, elle s'imposent ; et autant les questions de place, de papier à imprimer, étaient importantes naguères, autant elles sont devenues obsolètes aujourd'hui.
Bien sûr, on pourrait s'amuser à changer l'ordre de tout cela mais j'espère avoir montré qu'il y a une grande cohérence, un grand progrès. Il faut dire et redire que l'analyse des publications du passé montre combien notre structuration moderne est utile pour les lecteurs, efficace en terme de communication scientifique.
Je ne dis pas qu'on peut pas faire mieux, mais j'observe quand même que nos amis les plus originaux ont fort à faire avant de trouver mieux. Et s'ils trouvent vraiment mieux, je serai le premier a populariser leurs idées.
Car il y a des tas de questions que l'on peut se poser : à propos de la représentation des molécules, à propos de la communication des résultats d'un spectre... Au fond, pour chacune de ces questions, il faut de l'intelligence, afin de faciliter la lecture : pour nos amis qui nous lisent, déroulons le tapis rouge.
jeudi 22 juillet 2021
Notre repas de laboratoire
Nous venons d'avoir un repas de laboratoire pour le groupe de gastronomie moléculaire élargi. J'en profite pour donner les recettes que nous avons inventées pour l'occasion.
Tout a commencé par l'observation du fait que les stagiaires de notre groupe sont souvent interrogés par leurs amis ou famille à propos des activités qu'ils ont, avec ce fantasme que nous passerions notre temps à faire de la cuisine.
En réalité, nous passons notre temps à faire de la physico-chimie, c'est-à-dire à préparer des échantillons dont la masse ne dépasse pas le milligramme (cela ne nourrit pas son homme) et à les analyser par spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, par exemple.
Nos amis disent donc à leur entourage qu'il n'y a pas de cuisine dans le groupe de gastronomie moléculaire, sauf peut-être pendant deux heures par mois, lors des séminaires de gastronomie moléculaire.
Reste qu'ils m'interrogent sur les inventions que je donne chaque mois depuis plus de 20 ans à mon ami Pierre Gagnaire . Ne pourrions-nous pas faire un repas où nous réaliserions certaines de ces inventions ?
La réponse est évidemment oui, à cet inconvénient près que nous sommes très peu outillés, avec trois fois rien en matière de récipients ou de casseroles. Nous avons un four et cela nous sauve (en réalité, c'est un four expérimental, équipé d'un nez électronique).
Tout cela étant dit, pour faire plaisir à mes amis, j'ai donc accepté l'idée que nous fassions un repas de laboratoire. Et nous l'avons fait : les stagiaires ont cuisiné des plats fondés sur certaines de mes inventions.
Le menu comportait les plats suivants :
1. Un gaspacho surmonté d'une mousse de Bloody Mary.
2. Un œuf à 65 degrés assorti d'un debye de lait d'ail.
3. Un saumon à basse température, avec un gauss de sarrasin courgettes et champignons, accompagné d'une crème d'échalotes et de ciboulette.
4. Des sablés "plus que parfaits" avec un sorbet à la pêche, un gibbs au café et une mousse d'expresso etwhisky.
Donnons maintenant les recettes de toutes ces préparations
1. Premièrement, pour le gaspacho, nous avons simplement mixé des tomates avec une demi échalote, une demi gousse d'ail, du sucre, du sel, un peu de caramel, un peu d'acite tartrique, et de l'huile d'olive.
Pour le bBloody Mary, c'était effectivement un Bloody Mary, à savoir des tomates mixées additionnées de vodka, d'acide citrique, d'un peu de sucre, de sel... mais l'ensemble avait été mis dans un siphon, avec une demi cuillèrée de protéine (de blanc d'oeuf), secoué et ajouté sous la forme d'une mousse au-dessus du gaspacho, juste au moment de servir.
2. Pour les oeufs à 65 degrés, rien de plus simple : la boite d'oeufs, vaguement ouverte, a été mise dans un four à 65 degrés pendant deux heures. Puis, au dernier moment, on a cassé les oeufs dans les assiettes.
Pour le debye, nous avons commencé par faire bouillir longuement des gousses d'ail dans du lait. Nous avons assaisonné, et nous avons laissé refroidir avant d'ajouter 10 grammes par litre d'agar-agar. Puis nous avons de nouveau porté à ébullition, et quand, après le refroidissement, nous avons obtenu un gel ferme, nous l'avons mixé dans une bonne ville d'olive, en ajoutant quelques gouttes de l'évocation Hertzon de la société Iqemusu : il s'agit de 1-cis-hexèn-3-ol, qui a une merveilleuse odeur d'herbe fraîchement coupée.
3. Pour le saumon, il était mis dans le four, peau dessus (afin d'éviter de sécher) et cuit à la température de 70 degrés pendant également quelques heures. Peu de travail, donc, mais je peux vous assurer que le résultat était exceptionnel.
La crème d'échalotes et ciboulette était simplement obtenue par cuisson d'échalotes dans du vin blanc que l'on réduisait presque à sec ; puis, après ajout d'acide tartrique, de glucose, nous avons ajouté de la crème liquide, réduit à consistance, puis infusé de la ciboulette.
Le gauss, lui, était obtenu de la manière suivante : nous avons étalé un film plastique alimentaire sur le plan de travail, puis nous avons couvert le film avec des galettes de blé noir ; nous avons alors badigeonné les galettes de beurre noisette. Puis nous avons couvert avec de très minces lamelles de courgettes, badigeonné à nouveau de beurre noisette, couvert de lamelles très minces de champignon de Paris, badigeonné à nouveau. Enfin, nous avons replié le tout en deux, puis en deux, puis encore en deux une ou deux fois. Nous avons bien serré le film, et l'ensemble a été mis au grand froid pour durcir. Au moment de servir, nous avons coupé des tranches qui laissaient apparaître la succession de couches.
4. Pour le sorbet, peu de travail : un sirop de pêche additionné de vodka et un peu assaisonné, puis additionné d'azote liquide.
Pour les sablés, de la farine torréfiée (à sec, dans une poele), puis du caramel, du beurre noisette, du sucre, et très peu de blanc d'oeuf (en réalité, eau et protéines de blanc). L'ensemble a été formé en petites masses cuites pendant 14 minutes à 200 degrés.
Enfin, nous avons fait un gibbs de café en partant d'eau, de protéines d'oeuf, où nous avons émulsionné de l'huile que nous avions stockée pendant quelques jours avec du café moulu. L'émulsion était mise dans des verres, lesquels étaient passés quelques dizaines de secondes au four à micro-ondes, jusqu'à gonflement. Sucre, whisky, puis un expresso additionné de sucre et de protéines de blanc d'oeuf, dans un siphon, pour une mousse sur le gibbs.
Hopla, l'affaire est faite, et même si nous avons bien identifié les pistes d'améliorations, je vous invite à faire les recettes !
Pourquoi ne peut-on pas cuire une mousse au chocolat ? (si, on peut !)
Pourquoi ne peut-on pas cuire une mousse au chocolat ? Répondons d'abord rapidement que l'on peut cuire une mousse au chocolat, si l'on sait s'y prendre.
Mais pour la question initiale, elle est de celles qui montrent la supériorité d'une compréhension de la microstructure (la structure physique et chimique) des aliments.
Quand ne sais rien de la constitution physique et chimique des aliments, alors tout est incompréhensible.
En l'occurrence, on serait réduit à faire cuire une mousse au chocolat et à voir qu'elle s'effondre. On ne peut pas prévoir le résultat d'opérations que l'on n'a pas encore faites, sauf quand elle sont très semblables à des opérations qu'on a faites.
Inversement, en comprenant, je suis certain du résultat que j'aurais, et, mieux, je peux faire cuire une mousse au chocolat si je la construis de façon que je puisse la faire cuire.
Mais commençons par la mousse au chocolat on l'a produit généralement à partir de blanc d'oeuf que l'on bat en neige, et que l'on ajoute à du chocolat fondu (éventuellement additionné de beurre et de jaune d'oeuf).
Là, la phase "dispersante", c'est-à-dire la matière où l'on disperse quelque chose, c'est la matière grasse. A l'intérieur, il y a de la mousse qui a été divisée, et que l'on voit d'ailleurs à l'oeil nu quand la division n'a pas été parfaitement homogène.
Si l'on cuit cette préparation, la phase dispersante, le chocolat fondu, va fondre à nouveau ; il va donc couler comme la matière grasse fondue, et la mousse qui est à l'intérieur va donc s'effondrer.
Notons qu'on aurait pu s'y prendre très différemment en dispersant plutôt le chocolat fondu dans la mousse. Dans ce cas, on aurait pu cuire la mousse au chocolat et obtenir une sorte de gâteau : en effet, une mousse de blanc d'oeuf peut se cuire au four à micro-ondes, par exemple, parce que la phase dispersante est de l'eau : il y a des bulles d'air qui sont dispersées dans l'eau, entourées par des protéines. Or ces protéines peuvent coaguler et, lors d'une cuisson micro-ondes, l'ensemble des protéines coagule et fige la mousse.
Si l'on a dispersé du chocolat dans la mousse, il peut fondre localement, mais la mousse au chocolat continuera de se tenir, puisque le réseau global aura été formé.
Il en va de même npour une mayonnaise et plus généralement pour les gibbs que j'ai introduits il y a plusieurs années et qui sont des émulsions dans du blanc d'oeuf, que l'on passe au four pendant quelques instants pour faire comme des soufflés qui tiennent très bien... parce que les protéines autour des gouttes d'huile sont coagulées par la chaleur.
Décidément, c'est la compréhension de la microscopie des aliments qui permet de prévoir leur comportement, alors que se reposer sur des recettes nous laisse bien démunis !
N'hésitons pas : réfléchissons toujours à la microscopie des aliments que nous préparons.
mercredi 21 juillet 2021
Monter une mayonnaise
Quand on fait de la mayonnaise, on part de jaune d'œuf, de vinaigre, sel, poivre, et l'on ajoute de l'huile en fouettant.
Je ne reviens pas sur le fait que l'utilisation de moutarde conduit à la confection d'une rémoulade et non plus d'une mayonnaise, car je veux arriver au fait : monter une mayonnaise provoque-t-il une augmentation de volume ?
La réponse et oui, puisque, parti d'un petit volume d'oeuf et de vinaigre, on ajoute de l'huile. Le vague espoir de mauvaise foi de certains cuisiniers est que l'on ajouterait également de l'air, et qu'une mayonnaise bien monté serait foisonnée, c'est-à-dire pas aussi grasse que nos bourrelets ne le supportent.
Désolé : l'observation au microscope est absolument sans appel. Non, il n'y a pas de bulles d'air dans les mayonnaise, mais seulement des gouttelettes d'huile tassées les unes contre les autres dans la phase aqueuse faite du mélange de jaune d' œuf et de vinaigre.
On ne dira jamais assez qu'une mayonnaise c'est de l'huile, d'abord de l'huile, encore de l'huile. De l'huile déguisée en sauce ! D'ailleurs, si la mayonnaise retombe, alors on voit bien l'huile surnager, et personne ne mangerait cela ! C'est seulement parce que l'huile a été incorporée sous forme d'une sauce onctueuse que l'on se permet de manger de la mayonnaise, mais c'est quand même de l'huile, et pas de l'air.
Pour conclure, monter une mayonnaise, c'est augmenter son volume en dispersion de l'huile dans une phase aqueuse et le fort volume que l'on obtient est un volume d'huile, essentiellement. Un peu d'eau, pas d'air. De l'huile, de l'huile !
lundi 19 juillet 2021
Tomates séchées
Des tomates séchées ? J'en fais régulièrement, sans y prêter attention, mais on me reproche de ne pas avoir expliqué mon protocole.
Pourtant, c'est tout simple :
1. Plonger des tomates dans de l'eau bouillante pendant exactement 20 secondes : ce temps a été déterminé lors d'un de nos séminaires de gastronomie moléculaire comme le meilleur.
2. Fendre la peau et l'enlever.
3. Couper les tomates en deux perpendiculairement à leur axe.
4. Les presser, pour enlever jus et pépins.
5. Les déposer, face coupée par dessus, sur une plaque à four.
6. Par dessus, mettre ail en minces lamelles, thym émietté, sucre en poudre, sel, et une bonne rasade d'huile d'olives.
7. Mettre la plaque au four à 105 °C, et chauffer ainsi pendant plusieurs heures, en ouvrant parfois pour faire sortir la vapeur.
Evidemment, c'est mieux, en saison, quand les tomates sont abondantes et bon marché, car les tomates séchées se conserveront bien au congélateur.
dimanche 18 juillet 2021
À quelle température ajouter du lait à une farce pour faire un boudin blanc
Un boudin blanc, c'est de la chair de volaille et de porc broyée parfois avec de la mie de pain, de l'oeuf et du lait. L'appareil est travaillé, puis il est mis dans un boyau et il est ensuite poché.
Parmi les critères de qualité du boudin blanc, il y a notamment le fait que, à la cuisson, le boudin doit se tenir: il est considéré comme une faute qu'il s'émiette.
Bref, on part d'une farce avec de la viande, de l'oeuf, de la mie de pain, et on ajoute du lait qui, pour des raisons de sécurité sanitaire, est bouilli.
Se pose la question de la température maximale à laquelle on peut mettre le lait dans la farce.
Les éléments en présence
La farce c'est d'abord de la chair, c'est-à-dire du tissu musculaire : la masse du muscle est constituée de fibres musculaires alignées ; chaque fibre est comme un tuyau, avec une gaine de tissu collagénique (la protéine qui fait la gélatine quand la chauffe longtemps) et, à l'intérieur, comme du blanc d'oeuf, sauf que au lieu d'avoir de l'eau et des protéines du blanc d'oeuf, on a de l'eau les protéines de la viande, c'est-à-dire surtout des actines et des myosines.
Quand on coupe les fibres musculaires, on les divise, mais leur malaxage aide à libérer leur contenu, c'est-à-dire qu'on libère dans la mêlée de l'eau et des protéines.
D'autre part, les oeufs, c'est essentiellement de l'eau et des protéines, avec un peu de matière grasse.
Quant à la mie de pain trempée dans du lait, c'est une matière un peu inerte, puisque elle va faire un empois, c'est-à-dire une charge qui va donner un peu de moelleux.
Enfin, si l'on ajoute du gras, ce dernier est dispersé dans la phase aqueuse apportée précisément par la viande et par les oeufs.
L'ajout du lait
Si l'on chauffe trop cette préparation, avec le lait qui serait bouillant, avant la cuisson proprement dite des boudins blancs, alors les protéines de la chair et des oeufs vont coaguler localement, de sorte qu'elles ne sont plus disponibles ensuite pour assurer la gélification de l'ensemble. De ce fait, à la découpe de consommation, après la cuisson, le boudin blanc va s'émietter, les rondelles coupées ne se tiendront pas. Il faut donc éviter que le lait ne coagule les protéines quand on l'ajoute à la mêlée, avant la cuisson des boudins blancs.
Disons cela différemment. Supposons que j'ai des morceaux d'oignons dans une poêle, et que j'ajoute de l'oeuf battu ; si je cuis, je fais une omelette, donc une sorte de masse coagulée continue, comme un flan. Mais si je travaille ensuite l'omelette, alors elle se divisera... et si je cherche ensuite à la recuire, je ne récupérerai pas l'omelette bien homogène, d'un seul tenant. Avec notre mêlée, c'est pareil, mais les protéines qui coagulent sont celles de la viande et des oeufs.
Bref, pour éviter la coagulation intempestive due au lait chaud, il est bon de connaître la température de coagulation des protéines des oeufs et de la viande. Pour la viande, on aurait intérêt à garder une température de 55 degrés en mémoire, mais pour les oeufs, la température la plus basse à partir de laquelle il y a coagulation est environ 62 degrés.
Autrement dit, on aura toujours intérêt à ajouter le lait quand on peut mettre la main contre le flanc de la casserole de lait sans se brûler : c'est ainsi qu'on l'ajoutera à la mêlée sans la coaguler localement.
Y a-t-il une température minimale pour le lait ? Là je ne vois pas de d'inconvénient à mettre un lait très froid parce que le lait, c'est de l'eau de la matière grasse et quelques protéines. L'eau va s'ajouter, tant qu'elle n'est pas congelée. La matière grasse, elle, s'ajoutera à la matière grasse dispersée dans l'appareil.Quant aux protéines, elles ne risquent rien de spécial.
samedi 17 juillet 2021
L'intérêt de la théorie
"De la théorie"... L'expression est parfois péjorative, alors que ce sont bien les considérations théoriques qui permettent au praticien de progresser !
A ce propos, je me souviens des revendications d'élèves d'AgroParisTech, qui disaient qu'ils auraient préféré que leurs études soient des stages, puisque c'est là -disaient-ils- qu'ils apprenaient le plus.
Pour répondre métaphoriquement à ce propos, je propose de considérer la confection de sablés : j'espère que l'on me pardonnera d'être si prosaïque, en considérant que je sais au moins ce dont je parle.
Bref, restons au niveau pratique, et cherchons à faire des sablés. On trouve mille recettes, et d'autant plus que n'importe qui, aujourd'hui, fait un site et y met son "savoir". En matière de cuisine, il y a donc de tout, des amateurs, des étudiants qui valorisent des travaux, des professionnels, des institutions... Et finalement, on est bien perdu... d'autant que le nombre d'erreurs est considérable. A ce propos, on reviendra vers mon analyse des pâtes à foncer pour bien voir combien la cacophonie est assourdissante, avec des manuels... qui ne méritent pas d'être préconisés pour l'enseignement tant ils sont erronés.
Si l'on reste au niveau pratique, comment séparer le bon grain de l'ivraie ? L'expérience ? On ne pourra en faire que quelques unes, alors que la diversité des paramètres est considérable : la quantité de farine, la quantité de beurre, la quantité de sucre, la quantité d'oeuf, l'ordre d'incorporation des ingrédients, leur température, leur qualité, leur emploi, leur travail, leur cuisson... Manifestement, il y a trop de possibilités pour que les praticiens puissent s'y retrouver... sans théorie !
Or, en l'occurrence, les idées théoriques sont simples :
- de l'eau ajoutée à de la farine permet de ponter les protéines et de faire un réseau visco-élastique de "gluten"
- l'oeuf coagule à la chaleur
- le sucre permet de capter l'eau, jusqu'à défaire le réseau de gluten
- le sucre chauffé caramélise, brunit, prend du goût
- le beurre chauffé brunit (pensons au beurre noisette), parce que les protéines sont dégradées
- et quelques autres.
Muni de ce bagage théorique, on comprend que le travail de la farine avec l'eau, ou l'oeuf (puisque le blanc, c'est 90 pour cent d'eau, et le jaune 50 pour cent) produit ce réseau de gluten qui donne de la fermeté. Inversement, le travail de la farine avec le beurre permet d'éviter la formation de ce réseau, d'où une friabilité supérieure. On comprend que l'ajout de sucre contribue à la friabilité. Et l'on comprend que le chauffage peut donner du goût.
Bref, la théorie donne des possibilités d'actions rationnelles, qui, non seulement, permettent de faire le tri dans les prétentions des praticiens, mais, de surcroît, conduisent à des possibilités de choix.
Il en va de même pour les travaux de l'ingénieur. Certes, on pourrait se limiter à savoir utiliser un appareil d'analyse (spectroscopies UV-visible, infrarouge, de résonance magnétique nucléaire, chromatographies...), mais la capacité théorique permettra de faire meilleur usage de ces équipements. Ou encore, oui, on peut savoir confectionner une émulsion, en suivant un protocole, mais la connaissance des composés tensioactifs particuliers, des effets de stabilisation ou de déstabilisation (coalescence, déplétion...) permet de mieux faire, de gérer les cas difficiles, de mieux doser.
Au fond, il y a souvent, dans ces questions, à distinguer le conducteur de voiture et le mécanicien. On peut conduire... jusqu'à ce que la voiture tombe en panne, et, là, le mécanicien - celui qui a les connaissances "théoriques", en quelque sorte, s'impose !
vendredi 16 juillet 2021
Une réponse politique : l'étude
Nous discutions hier du remplacement d'un ouvrier par une machine, dans une usine de pâtisserie : est-ce "bien" ? est-ce "mal" ? quelle décision prendre ?
D'une part, cette question était sur un exemple, mais elle était générale : n'oublions pas les Canuts, par exemple.
D'autre part, je me sais parfois politiquement incorrect, mais je ne crois pas que nous devions éviter des graves questions, surtout quand nous les discutons entre amis de bonne volonté.
Bref, faut-il ou non remplacer un être humain par une machine sous prétexte que le geste qu'il effectue répétitivement lui abîme le dos, en plus du fait qu'il est sans intérêt ?
À cette question, un de mes amis a proposé de faire le remplacement, ce à quoi je lui ai fait observer que la personne remplacée serait au chômage.
Et mon ami de m'argumente alors qu'il suffirait de le mettre au poste d'une autre personne qui partirait en retraite.
On voit d'une part que c'était "botter en touche", parce que, d'une part, il n'y avait peut-être pas cette possibilité, dans une petite entreprise, et, d'autre part, c'était omettre que ma question était bien plus générale, et qu'elle invitait à considérer le remplacement général de personnel non qualifié par des machines.
Je suis bien conscient que ma propre réponse n'est pas pas locale, mais globale, à savoir que je propose surtout plus d'instruction.
Bien sûr, c'est une réponse un peu facile, mais, surtout, il n'est pas certain que tous souhaitent plus de formation, qu'ils souhaitent vraiment plus étudier. Je peux témoigner du cas, dans une société où j'ai travaillé, où des secrétaires n'ont pas voulu de formation qu'on leur proposait.
Au fond, la vraie question est celle de l'étude. Et là, le corollaire, c'est de se demander comment attirer vers l'étude des individus qui auront plutôt tendance à aller au bistrot ou dans les stades de foot (panem et circenses).
La réponse me semble être qu'il est de notre devoir
1. de rendre les matières théoriques aussi attrayantes que possible,
2. de bien les expliquer simplement
3. l faudra aussi se focaliser sur l'utilité de ces matières.
Au total, il y aura lieu certainement de ne pas faire apparaître l'abstraction (la théorie qui fera précisément l'humain difficilement remplaçable) comme quelque chose de difficile.
Je me souviens très bien de ces cours privés de mathématiques où la difficulté, pour mes jeunes élèves, était d'admettre qu'une lettre, x par exemple, puisse représenter n'importe quelle valeur. C'est évidemment cette généralisation qui fait la puissance du formalisme, et c'est simultanément l'abstraction qui rebute certains.
Il faut nous efforcer de faire passer cela, par l'exemple, par les exemples si un seul ne suffit pas.
Oui, nous devons d'abord dire des choses simples, nous devons mettre nos amis en confiance, et nous devons montrer qu'il y a un intérêt quasi immédiat à ces généralisations et à ces théorisations.
Il faut aussi montrer cette petite étincelle intellectuelle qui fait que certains d'entre nous, qui ont bien capté la beauté des matières abstraites, se lancent sans hésiter dans ces études théoriques qui leur seront ensuite profitables.
Mais je me propose de revenir un autre jour sur cette question de la "théorie".