Quelle différence entre un blanc et un jaune d' œuf ?
La question semble évidente : le blanc est blanc, et le jaune est jaune. Mais déjà cette réponse est mauvaise, car le blanc d'oeuf est en réalité transparent, et légèrement jaune verdâtre, alors que le jaune est plutôt jaune orangé (on dit qu'il peut même être vert quand les poules ont mangé des scarabées, ce que je n'ai pas encore réussi à vérifier).
Et puis, il y a une différence de consistance : le blanc est plus collant que le jaune, plus gélifié en quelques sorte. Et une différence considérable de goût : alors que le jaune a beaucoup de goût, le blanc n'en a presque pas, quand il n'est pas cuit.
Mais, en réalité, ce n'est pas bien répondre à la question qui m'était personnellement posée : mon interlocuteur voulait que je réponde de façon "chimique". Et là, il y a des différences essentielles.
Au premier ordre, disons que le blanc est composé de 90 % d'eau et de 10 % de protéines (dont les molécules sont comme des pelotes repliées sur elle-même et dispersés parmi les molécules d'eau). Le jaune, lui, est fait de 50 % d'eau seulement, de 15 % de protéines et de 35 % de lipides. Les lipides ? Une immense catégorie de composés, qui contient aussi bien les "phospholipides", que certains nomment de façon erronée des lécithines, que des triglycérides, les composés que l'on trouve par exemple dans l'huile.
Il faut assortir cette description de précisions. Par exemple, l'eau est toujours l'eau, composée d'une seule sorte de molécules qui sont toutes identiques : n'importe quelle molécule d'eau, est un assemblage d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène.
En revanche, le terme de "protéines", au pluriel, indique qu'il y a des sortes de protéines très différentes, et mêmes si celles qui sont dans l'eau sont souvent repliées sur elles-mêmes (on parle de protéines globulaires), elles ont des caractéristiques parfois très disparates. Il en va ainsi de la température de coagulation, par exemple : certaines protéines coagulent dès 61 degrés et d'autres seulement à 80 degrés. Certaines transportent des atomes de fer, et d'autres pas. Certaines, tel "lysozyme", ont des effets bactériostatiques, et d'autres pas.
Tiens, et puis je vous invite à observer un oeuf frais que l'on casse dans une assiette : le blanc forme des "marches" autour du jaune, qui montrent que le blanc est "gélifié", avec des compositions différentes selon les parties. D'ailleurs, cela ne se voit pas à l'oeil nu, mais le jaune, aussi, est structuré, avec des couches concentriques, de compositions différentes, que l'on jaune clair et jaune profond, lesquelles sont déposées le jour ou la nuit.
Et il en va de même pour les "lipides" : nous avons vu plus haut qu'il y a donc des phospholipides et des triglycérides, mais il y a en réalité bien d'autres possibilités de variation, et, surtout, je n'ai pas expliqué que, dans le jaune, les lipides peuvent-être dans une sorte de sérum, en solution dans l'eau, ou bien réunis en granules, visibles au microscope.
Bref, il y a beaucoup de différences entre le jaune et le blanc... sans compter que la couleur et le goût ne sont pas rien. Les protéines, les phospholipides et les triglycérides n'ont ni couleur ni goût. Pour la couleur, celle du jaune est due à de nombreux composés de la famille chimique des xanthophilles, et cette couleur change d'ailleurs selon l'alimentation des poules, tout comme change la couleur des saumons d'élevage, quand on leur ajoute du carotène bêta (un composé qui donne la couleur aux carottes) dans leur alimentation.
Pour le goût, il y a dans le jaune un très grand nombre de composés odorants, mais là il faut rentrer dans plus de détails et donner des listes de noms indigestes. J'ai peur que cela ne dépasse le cadre de ces billets, et je préfère dire à mes amis que je tiens de la bibliographie à leur disposition !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 24 août 2021
Quelle différence entre un blanc et un jaune d' œuf ?
samedi 31 juillet 2021
Blanc et noir
Je dois à cet extraordinaire écrivain qu'était Jorge Luis Borgès l'idée de l'envie blanche et de l'envie noire : l'envie noire détruit ce que l'on n'a pas, tandis que l'envie blanche conduit à faire mieux.
Pendant des années, j'ai ainsi propagé l'idée... mais je suis un âne, qui s'est fait éblouir, car comment n'ai-je pas pensé que, entre le noir et le blanc, il y a le gris ? Et bien plus de gris que de noir ou de blanc !
Oui, entre l'envie noire et l'envie blanche, il y a l'envie grise, qui ne fait rien qu'avoir de l'envie, ou qui pousse à détruire, ou qui aurait envie de faire mieux mais ne fait rien, que sais-je ?
Oui, décidément, j'avais bien raison de dire à mes enfants, quand ils me proposaient pile ou face, que je voulais la tranche. Refusons le manichéisme, gardons les extrêmes, mais n'oublions pas que nous ne sommes pas toujours condamnés aux alternatives que l'on nous tend.
vendredi 29 décembre 2017
Rien de plus facile que des financiers, s'il vous reste des blancs d'oeufs
Le fruit, cela peut être des fraises en saison, ou bien des pommes cuites au beurre (avec du gingembre, du poivre, le jus d'un citron, du sucre…). Pour le sabayon, nous verrons cela une autre fois, et il suffit de dire ici que nous utiliserons les jaunes d'oeufs. Il reste donc les blancs, dont on peut faire bien sûr des macarons, si à la mode aujourd'hui. Mais les macarons sont longs à préparer, alors que les financiers se font en un petit quart d'heure.
Pour les financiers, c'est la simplicité et la rapidité même : dans une jatte, on met du beurre fondu, du sucre, de la poudre d'amandes, un peu de farine, une pincée de sel et du blanc d’œuf. On cuit pendant environ dix minutes à four assez chaud, c'est-à-dire environ 200 degrés. C'est tout, c'est fait, c'est délicieux. Pourquoi s'en priver ?
Évidemment, il y a lieu d'en faire une rapide théorie, afin de produire des variations à volonté. La théorie est simple : quand on cuit la masse décrite précédemment, les protéines du blanc d’œuf coagulent, formant une structure qui se tient, où sont dispersés les autres ingrédients. En surface, on a formé une mince croûte qui s'oppose au tendre de l'intérieur : comme il y a de l'eau dans la préparation, celle-ci s'est évaporée partiellement, ce qui a légèrement alvéolé les financiers.
Pour la modélisation, il y a donc lieu de considérer les différents ingrédients.
Un peu plus de farine fera un financier qui tendra plus vers le quatre quarts, le gâteau. Si le beurre n'est pas du beurre fondu, mais du beurre noisette, alors le goût sera augmenté, évidemment. Et je dois avouer que pour mes financiers personnels, j'utilise du beurre noisette, ce qui n'est pas difficile à faire, puisqu'il suffit de chauffer du beurre jusqu'à ce qu'il prenne une légère couleur marron. Le sucre ? Rien à en dire, sauf que sa proportion change le goût des financiers, mais aussi leurs consistance, et le croustillant externe.
L’œuf mérite un commentaire spécial. Certaines recettes proposent d'utiliser directement les œufs, sans les battre. D'autres recettes proposent de mettre la moité des blancs d’œuf directement et l'autre moitié battus en neige. Évidemment un esprit versé dans l'expérimentation voudra tester des blancs tous battus en neige… et il s’apercevra alors qu'il obtient des préparations qui gonflent beaucoup, un peu comme des soufflés, de sorte que les gâteaux débordent des moules et qu'ils n'ont peut-être pas cette densité appropriée des financiers. A ce jour, pour ce qui me concerne, je me suis résolu à ne pas abuser des blancs battus en neige (pas plus d'un tiers des blancs).
La question des merveilleuses préparations fautivement nommées "arômes"
Qu’ajouter ? On pourrait allonger ce billet en décrivant la composition de la poudre d'amandes, faite de lipides, de fibres, de sucres… mais cela n'éclairerait pas davantage nos amis, et je propose plutôt de considérer que la poudre d'amandes est une sorte de charge inerte, un peu comme des cailloux dans un béton.
C'est surtout son goût, qui est extraordinaire… et le fait que les amandes aient un goût… d'amandes m'a immédiatement incité à tester l'ajout d'une composition aromatique amandes. Je vous laisse juge du résultat (il est très bien, selon moi !), et j'ajoute seulement que ces compositions aromatiques amandes sont principalement faites d'un composé nommé benzaldéhyde, dont je me souviens avoir fait la synthèse chimique alors que j'étais adolescent, preuve qu'elle est évidemment facile à faire. Oui, une synthèse chimique permet de fabriquer, de synthétiser, ce composé qui est présent dans l'odeur d'amandes naturelle, qui en est la caractéristique principale. Le benzaldéhyde est un composé à l'odeur d'amande, ce qui explique que les parfumeurs et aromaticiens vendent des préparations de benzaldéhyde pour donner le goût d'amandes. On pourra mêler ce composé à d'autres, mais peu importe.
Est-ce mal ? Le produit, en lui-même, n'est pas critiquable, puisqu'il donne d'excellents résultats. Ce qui est en jeu, une fois de plus, c'est la loyauté du commerce. Il est vrai que le benzaldéhyde est le composé essentiel de l'odeur d'amandes, et des professionnels verront mal la différence entre une solution de benzaldéhyde et une odeur d'amandes. Pour autant, le benzaldéhyde n'est pas de l'amande, tout comme la vanilline n'est pas le seul composé odorant de la vanille. Se pose donc la question d’étiqueter les préparations à base de benzaldéhyde, et qui sont vendues pour donner l'odeur d'amandes.
Comment les nommer ?
Préparations aromatisantes à l'amande ? Ce serait déloyal, car sans amandes, elles ne méritent pas le « à l'amande ». Arôme amande ? C'est quand même trompeur, d'autant que les amandes ne sont pas des aromates, et qu'elles n'ont donc pas d'"arôme", mais seulement une odeur. D'ailleurs, j'ai expliqué souvent que je crois que le gauchissement du mot « arôme » est une cause de l'opposition des « consommateurs » aux préparations odoriférantes, parfois merveilleuses par ailleurs.
La question est générale et lancinante : si l'on utilise le mot « amande » (ou vanille, ou fraise…) dans la dénomination d'un produit, il y a un risque de confusion, une ambiguïté. Mais comment, alors, dire simplement que l'odeur ressemble à celle de l'amande ? Bien sur, la question est discutée depuis longtemps, notamment par mes amis des syndicats professionnels, mais je vois mal la solution loyale, sauf à dire « composition odoriférante de type amande ». Faut-il utiliser cette solution ? En tout cas, je suis bien certain qu'il y a lieu de faire évoluer la réglementation pour plus de loyauté.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
samedi 9 décembre 2017
Où est le jaune, dans un oeuf ? Pas où on a toujours dit qu'il était : changeons vite les enseignements !
Je me souviens de mon effarement quand, entrant dans un établissement d'enseignement culinaire, le chef des travaux m'a accueilli avec un "Nous ne sommes pas content de vous".
- Ah bon, pourquoi ?
- Parce que vous dites aux élèves le contraire de ce que nous disons.
- Bon, je veux bien me réformer, mais ne croyez vous pas que l'essentiel soit de dire quelque chose de juste ? Soit ce que je dis est faux, et je dois me réformer ; soit ce que vous dites est faux, et ce serait bien pour vos élèves que vous modifiiez votre enseignement, non ? Au fait, c'est quoi, ce que je dis ?
- Vous dites que, dans les oeufs, le jaune n'est pas au centre.
- Oui, et je le maintiens : il est toujours dans la partie supérieure, parce que le jaune, avec la matière grasse qu'il contient, est moins dense que le blanc. Et voici la preuve :