Un groupe d'académicien produit un texte qui donne des recommandations pour les politiques publiques. C'est truffé d'injonctions, de "on doit" et de "il faut", ces termes que j'interdis dans mon laboratoire. Il n'y a pas de justification, il n'y a pas de références, mais seulement l'énoncé de conseils donnés avec toute l'autorité des signataires du texte.
Certes, ces personnes sont (peut-être) compétentes ou prétendent l'être, mais comment une personne raisonnable pourrait-elle accepter des idées sans justification ?
L'argument d'autorité fait le lit de tyrannie, si l'on pousse les choses un peu loin, et je ne crois pas que l'on soit gagnant à l'utiliser dans aucune circonstance.
Certes, ce n'est pas économique d'un certain point de vue car cela impose chaque fois de repartir de zéro, de rebâtir l'argumentation... Mais inversement, c'est aussi la possibilité de tester nous-même que nos idées ont quelques fondements, c'est l'occasion de resserrer nos raisonnements, de nous assurer de ce que nous présentons comme des certitudes.
Bref je ne suis prêt jamais à accepter de telles injonctions sans justification !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 15 juin 2024
Je déteste les injonctions
mercredi 25 août 2021
Pourquoi je propose d'être prudent
Pour quelqu'un qui fait la différence entre des opinions et des idées,pour quelqu'un qui sait que les affaires humaines sont compliquées et qu'il y a lieu de les regarder avec circonspection avant de prendre des décisions qui risque d'engager des collectivités, pour quelqu'un qui veut un comportement rationnel, il y a la question du raisonnement, de la déduction.
Si l'on veut être rationnel, alors il y a lieu de bien manier la logique, et, notamment, de commencer par connaître le syllogisme, cette figure logique identifiée dès l'Antiquité grecque et résumée dans "Si tous les hommes sont mortels et si Socrate est un homme, alors Socrate est mortel".
Il s'agit là de déduction logique, imparable, et non pas d'un vague sentiment. Or, comme je l'ai dit, les affaires humaines sont compliquées et j'ai senti le besoin d'expliquer à des amis pourquoi il fallait se méfier des prémisses manquantes. Au fond, cela s'apparente à reprendre la question du philosophe Alain : "Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?".
Je viens de trouver deux exemples pour expliquer ce point.
Tout d'abord, supposons que nous voulions reconnaître des champignons et que nous utilisions une clé de reconnaissance insuffisante. Par exemple, supposons que l'on dise :
- prémisse 1 : j'ai un champignon,
- prémisse 2 : il a un chapeau et un pied,
- prémisse 3 : il est décurrent,
- prémisse 4 : la couleur du chapeau est marron.
Avec cette description - qui est, je m'empresse de le dire- insuffisante, on peut conclure soit que le champignon considéré est un bolet des bouviers, soit que c'est une girolle, soit que c'est une fausse girolle : ici, la conclusion est impossible à obtenir, parce qu'il manque des informations, des prémisses.
Ce n'est pas grave, dans ce cas précis, parce que les deux champignons sont comestibles, mais on serait fautif de conclure. Il manque, en l'occurrence, l'information de la présence soit de pores, qui dirigeraient vers le bolet des bouviers, soit de lamelles, qui orienteraient vers la girolle ou la fausse girolle.
Et l'exemple précédent n'est pas gravissime comme pourrait l'être une confusion entre un champignon comestible et un champignon vénéneux !
On voit bien que l'absence d'une information, d'une prémisse peut conduire soit à une hésitation, soit à une conclusion fausse.
Considérons maintenant un deuxième exemple, pour lequel nous allons utiliser la théorie des ensembles.
Soit un ensemble A (par exemple celui des nombres entiers dont l'écriture commence par 1, soit 1, 10, 11, 12...), et un ensemble B (celui des nombres terminant par 3, soit 3, 13, 23...). L'ensemble A⋂B (cela se lit "intersection de A et de B") désigne les nombres qui commencent par 1 et finissent par 3, soit 13, 113, 123, etc.
Mais ajoutons une condition, une prémisse : nous considérons non seulement l'intersection de l'ensemble A et B, mais aussi avec l'ensemble C, qui sera celui des nombres dont le chiffre des dizaines est 2. Alors les nombres concernés sont 123, 1123, 1223, etc.
On voit sur ce second exemple que l'intersection A⋂B⋂C est bien plus restreinte que A⋂B : l'ajout d'une prémisse a conduit à un résultat bien différent du résultat initial.
Ce second exemple, comme le premier, montre combien il est imprudent de tirer des conclusions avant d'avoir toutes les prémisses, et voilà pourquoi s'imposait la phrase d'Alain :
combien il est imprudent de tirer des conclusions à partir de prémisses insuffisantes et l'on voit pourquoi la phrase d'Alain s'imposait : l'avatar de son "Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?" est ici "Quelle est la prémisse que j'ai oubliée pour raisonner correctement ?"
C'est une question éminemment politique !