mercredi 31 août 2016

Quel bonheur !

Ce matin, j'avais publié un billet où je disais :




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Chers Amis

Depuis plusieurs mois, les messages amicaux se multiplient, et beaucoup me remercient d'aider les métiers de bouche.

Voici un exemple reçu hier matin :

Je tiens une nouvelle fois à vous remercier pour ce que vous avez apporté à notre métier et ce que vous m'avez apporté à titre personnel. Grâce à vous, j'ai progressé et perfectionné ma technique de cuisine, j'ai appris à comprendre les éléments et leur interaction. Aujourd'hui, je le retransmet à mes collaborateurs avec plaisir et passion.  

Suite à vos conseils, je vais m'intéresser à la cuisine note à note et je ne manquerais pas de revenir vers vous. 

Je suis évidemment très ému,  très sensible à tous ces remerciements, que je vois comme des encouragements à poursuivre cet effort inlassable d'épaulement technique et de formation.

Je viens de prendre la décision d'intensifier ma production de billets de blog à usage technique.

Je vais réserver mes billets les plus moraux au blog "Hervé This", et réactiver le blog "gastronomie moléculaire", ainsi que le blog technique du Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra (avec des précautions : étant fonctionnaire, donc agent de l'état au service du contribuable, je dois m'empêcher de publier, sur un site institutionnel, des remarques personnelles déplacées sur un tel site ; dans ce cas, je mets les billets sur mes blogs personnels).

Bref, j'ai commencé ce matin avec un billet qui explique qu'il n'existe pas de gélatine végétale, mais plutôt des gélifiants d'origine  végétale. On trouvera la chose ici : http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2016/08/il-nexiste-pas-de-gelatine-vegetale.html

Pour autant, très exceptionnellement, je donne le billet en clair, pour vous donner une idée de la chose, et, qui sait, l'envie de vous abonner au blog où les informations techniques seront données quasi quotidiennement (c'est public et gratuit, puisque les services de l'état sont au service des citoyens qui financent ces services)  :

Vive la Connaissance produite et partagée !
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En effet, lors d'un repas important qui réunissait des centaines de chefs, lundi soir dernier, un très grand nombre de cuisiniers, jeunes ou moins jeunes, sont venus me donner le même message, en substance. J'étais heureux, car j'avais le sentiment que mon épouse ne devait pas avoir honte de son mari.


Puis, il y a eu en début d'après midi un ami qui m'a demandé pourquoi la République ne me décorait pas et pourquoi  les associations de cuisinier ne me faisaient pas Membre d'honneur.
Je n'ai su que lui répondre, à part le remercier.





Mais la journée n'était pas finie... et  voici ce que je reçois :
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Mon cher Hervé

Bravo pour ce courrier d'un professionnel (je pense) qui te remercie de tous tes efforts consacrés à la recherche culinaire et en particulier à une cuisine du futur, la cuisine "note à note" la bien nommée.

J'en suis heureux pour toi mais les compliments sont minces par rapport à tout ce que tu fais pour notre profession

J'insiste aussi et te remercie également pour remettre sur les rails certains points sur les " i " concernant les nombreuses appellations déformées par nos grands de ce Monde. sur les techniques culinaires. C'est essentiel pour la formation de nos jeunes afin de les guider "déjà" dans le bon sens et dans le vrai nom des produits. Le chemin sera tellement plus facile pour eux.
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Merci beaucoup pour cette information et d'une façon plus générale pour le regard que vous me permettez de porter sur quelques uns de vos travaux.
J'apprécie !
Bonne soirée.

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Ce n'est pas du bonheur à l'état pur ?

Pâte feuilletée directe ou inversée ? C'est si facile !


Pour les amateurs de cuisine, il y a des monstres sacrés, et la pâte feuilletée en est un. Je sais d'expérience, notamment par les séminaires de gastronomie moléculaire que nous  tenons tous les mois, que beaucoup de mes amis s'effraient  à la perspective de produire des pâtes feuilletées : ce serait long, ce serait difficile, ça raterait…

Long ? Si l'on veut faire dans les règles de l'art, il y a  lieu  d'y passer, montre en main, dix minutes au total, mais, dix minutes réparties sur quelques heures. De surcroît, la pâte feuilletée se congèle très bien, de sorte qu'il n'est pas nécessaire, même, de passer ces dix minutes chaque fois.

La pâte feuilletée inversée ? J'en ai même produit dans l'urgence, en mettant bien moins que dix minutes ! Bien sur, mes amis pâtissiers me feront reproche de vanter un travail mal fait, c'est-à-dire qui ne produit pas des feuilletages aussi soufflés qu'ils pourraient l’être. Il y aura des discussions interminables à propos des diverses phases de repos (éventuelles), mais, ce qui est amusant, c'est que j'ai rarement vu publiées des comparaisons des diverses pratiques ;  j'entends beaucoup de baratin, mais où sont les résultats expérimentaux fiables ?  Oui, il est probable (j'ai dit probable seulement) qu'une pâte feuilletée rapidement faite ne lèvera pas autant qu'une pâte feuilletée faite dans les règles de l'art (d'où sortent-elles, ces fameuses règles de l'art). Mais probable combien ? Le temps de repos est-il vraiment le paramètre essentiel ? Ou la température ? A ce jour, je ne connais pas de compte rendu d'expérience qui l'établisse, de sorte que je ne peux pas le garantir à mes amis.

Faisons donc rapidement, pour commencer, une pâte feuilletée classique, dite « directe et à six tours », ou, plus exactement, à trois fois deux  tours simples. On va voir que cela n'est pas compliqué.
On commence par prendre de la farine, de l'eau, un peu de sel, et l'on fait une boule de pâte lisse. C'est donc un jeu d'enfant. Puis on prend du beurre (entre la moitié de la masse de farine, et une masse égale), que l'on malaxe afin qu'il soit bien mou, qu'il n'y ait pas ces sortes de morceaux  durs qui, cela est certain pour le coup, nuiraient à la réalisation. On étale le pâton en un disque un peu épais, puis on étale le beurre en un disque plus petit, que l'on pose sur le pâton. On referme le pâton sur le beurre, afin de faire une enveloppe, et, là, certains préconisent  un temps de repos au réfrigérateur  ou au frais.
Vient alors le premier « tour » :  à l'aide d'un rouleau, on étale la masse totale de sorte qu'elle en vienne à être trois fois plus longue que large, et on replie en trois. Puis on tourne l'ensemble d'un quart de tour, on étale à  nouveau trois fois plus long que large, et l'on replie encore en trois. Là, encore une étape au frais est parfois conseillée. Il faut ainsi faire trois fois deux tours simples, et l'on a compris qu'un tour simple consiste à étendre trois fois plus long que large et à replier en trois.
Vient alors le moment d'abaisser la pâte,  c'est-à-dire de l'étaler pour la mettre dans le moule, puis de la cuire, plutôt par la sole, c'est-à-dire par la base du four, pas trop chaud, afin que la cuisson soit un peu longue, car cette dernière est lente, même à 170 degrés (les pâtes insuffisamment cuites sont un peu indigestes, même si j'en connais qui les aiment). Le tour est joué : à la cuisson, la pâte va gonfler, et l'on aura  ainsi produit une pâte feuillée.

Passons maintenant à la pâte feuilletée inversée, qui semble le summum de l'audace, de la difficulté. Pensons : inversée !
Ici, on part encore de deux masses, mais celles-ci sont produites de la façon suivante. Pour un « pâton farine », on prend trois parties de farine pour une partie de beurre. Quand on malaxe, le beurre se disperse dans la farine. D'autre part, pour un « pâton beurre », c'est l'inverse, à savoir que on prend trois parties de beurre pour une partie de farine, et, cette fois, c'est la farine  qui vient se disperser dans le beurre. Je passe sur les étapes de repos au frais qui sont parfois conseillées, et j'en arrive à l'étape qui  consiste à poser le pâton farine sur le pâton beurre, après les avoir chacun étalés en disques un peu épais. On replie encore en enveloppe, mais, cette fois, on fait deux tours doubles et un tour simple.
Un tour double, cela consiste à étendre en une forme quatre fois plus longue que large et à replier comme un portefeuille, c'est-à-dire d'abord les deux quarts extérieurs sur les deux quarts intérieurs, puis l'ensemble en deux. On cuit comme précédemment, et, selon mon expérience, on obtient souvent des feuilletages qui gonflent  mieux que les feuilletages directs, mais je ne peux pas l'affirmer car je n'ai pas fait d'expériences sérieuses, quantitatives, validées…  Ce n'est qu'une impression. En revanche, ce que je sais de façon certaine, c'est que  le nombre de feuillets n'est pas le même dans les deux préparations, que l’épaisseur de ces feuillets n'est pas la même, et que le gonflement et la dégustation ont donc des raisons théoriques d'êtres différents.

En tout cas, on l'a vu : rien de tout cela n'est difficile, et j'engage tous mes amis à vaincre leur peur et à faire leurs propres feuilletages,  à partir de bon beurre et de belle farine, et, surtout, avec cet ingrédient qui fait que nos hôtes apprécient notre cuisine : beaucoup de soin fondé sur beaucoup d'amour.

mardi 30 août 2016

A propos de l'administration de la recherche scientifique

Dans le livre Hommes de science (Marian Schmidt, Hermann, 1990), le physico-chimiste français Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie en 1987) donne son idée du fonctionnement de la recherche :

"On peut déplorer que partout, et pas seulement en France, l'organisation de la recherche soit devenue très lourde, en raison de son coût. Il est malheureusement vrai que cette pesanteur administrative conduit souvent un chercheur à passer son temps à d'autres choses qu'à son travail scientifique : on ne peut pas y échapper. Ce serait de l'utopie, par exemple, de dire : "On peut faire de la chimie actuellement sans s'occuper d'obtenir le financement permettant d'acheter les produits et les appareils dont on a besoin".
L'administration de la science est inévitable, mais elle pourrait être réduite. Une plus grande légèreté de l'organisation et une plus grande initiative rendue aux scientifiques, et non à ceux qui administrent la science, sont nécessaires pour un meilleur fonctionnement de la recherche. Malheureusement, on a souvent l'impression que l'administration de la science est devenue sa propre justification, oubliant en fait qu'elle existe seulement parce que la science existe, et non l'inverse. [...] Il y a aussi  les réunions trop nombreuses de comités, commissions, conseils, etc., où l'on oublie que discourir n'est pas découvrir. Je n'aime pas y aller, et j'ai acquis une assez mauvaise réputation de ce côté ! Cela ne veut pas dire que je sous-estime le rôle de l'administration et de la gestion, mais il faut les alléger au maximum pour permettre au chercheur de passer plus de temps dans son laboratoire ou sa bibliothèque. Par ailleurs, à certains qui se plaignent d'avoir à consacrer trop de temps aux tâches administratives, on pourrait objecter que, souvent, cela ne tient qu'à eux: il pourrait bien s'agir d'un prétexte pour échapper au labeur, à la discipline, aux incertitudes du laboratoire ou de la table de travail".

A méditer, n'est-ce pas ?

lundi 29 août 2016

Une vision de la recherche

Dans le livre Hommes de science (Marian Schmidt, Hermann, 1990), le physico-chimiste français Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie en 1987) donne son idée de la recherche scientifique :

 "L'important est de poser des concepts et de résoudre des problèmes, et non d'étudier un sujet : la méthode n'est pas la même. Les études approfondies, minutieuses, sont nécessaires, mais il faut essayer d'éviter de se laisser enfermer dans la spécificité d'un sujet. Par ailleurs, quand il s'agit de résoudre un problème, tous les moyens sont bons : il convient donc d'utiliser une approche beaucoup moins stricte, d'autant plus que si certains problèmes n'ont qu'une seule solution, il y en a aussi beaucoup qui peuvent être abordés par des voies différentes. Il s'agit de garder l'esprit extrêmement ouvert. Le plus important est de ne pas se spécialiser dans ce que l'on sait, ou ce que l'on envisage de faire, de n'avoir pas peur d'entrer dans un autre domaine, même - et surtout !- si l'on n'y connaît rien et s'il faut tout réapprendre. [...] La découverte ou l'invention peuvent être le fruit du hasard ou d'un cheminement rigoureux, mais l'esprit y est d'autant mieux préparé qu'il est plus ouvert, plus disposé à aborder la nouveauté et l'inconnu, plus accessible à une nouvelle vision du problème."

dimanche 28 août 2016

Regarder avec les yeux de l'esprit

Dans les phrases écrites sur les murs de notre laboratoire, il y a celle-ci : "regarder avec les yeux de l'esprit".
Regarder avec les yeux de l'esprit ? Regarder, c'est généralement avec les yeux. Il y a d'ailleurs lieu de distinguer  regarder et voir, mais quand même, il s'agit d'un acte qui, normalement, conduit à percevoir à l'aide des yeux. Autrement dit, regarder avec les yeux de l'esprit  doit être interrogé. Et puis, l'esprit n'a pas d'yeux, puisque les y
eux sont ces  globes que nous avons sur l'avant visage. Mais la proposition invite à y penser  mieux et, surtout, elle invite à utiliser notre esprit comme nous utilisons  nos yeux. Il faut braquer notre intellect sur des objets et la comparaison a l'intérêt que l'on peut imaginer un faisceau lumineux soit focalisé soit diffus. il y a les yeux, il y a également la lumière.

La métaphore est intéressante, parce qu'elle permet d'y penser un peu plus.

jeudi 25 août 2016

Ce matin, une question :


Bonjour, je suis étudiant en licence de chimie et passioné de gastronomie moéculaire. Je me permet de vous écrire à nouveau car je ne trouve pas la réponse à une question que je me pose:
Pourquoi la majorité des cartouches de gaz pour siphon contiennent du protoxyde d'azote ?
J'ai remarqué qu'il en existait aussi au dioxyde de carbone, cependant elles semblent moins répandues.


Et ma réponse :
Bonjour et merci de votre intérêt... mais est-ce pour la gastronomie moléculaire ou la cuisine moléculaire ? Et si c'est pour la cuisine moléculaire (très dépassée), pourquoi ne vous intéressez-vous pas plutôt à la "cuisine note à note" ?
Pour votre question, il y a une réponse simple, et, ce qui est mieux, expérimentale : si vous prenez un siphon et que vous y mettez quelques groseilles, grains de raisin, mirabelles, framboises, etc, à sec, et avec une cartouche de dioxyde de carbone. Après un bon moment, vous évacuez le gaz et vous ouvrez : vous récupérez des fruits pétillants ! Le protoxyde d'azote évite cette sensation, qui peut être désagréable, d'autant qu'elle modifie l'acidité, en plus d'autres phénomènes.

mercredi 24 août 2016

Les "bons" livres

Nous sommes bien d'accord : il y a des auteurs  précis, des auteurs intelligents, des auteurs enchanteurs, des auteurs attrayants, des auteurs instructifs... et les autres.
Dans une optique très positive, de partage de nos émerveillements avec nos amis, je décide aujourd'hui (24 août 2016) de commencer une liste :

https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/de-l-emerveillement-partage/de-bons-livres

L'art troublerait et la science rassurerait ?


On a dit que l'art trouble, mais que la science rassure. Plus exactement, c'est le peintre Georges Braque qui a dit cela. « L'art trouble, mais la science rassure ». Je me méfie toujours des formules, parce qu'elles sont souvent des affirmations qui nous tombent dessus, des façons de nous obliger à gober les idées sans y penser. Pensez : un Artiste comme Georges Braque !

L'art trouble ? Pourquoi pas, puisque l'art, au moins dans une certaine conception de l'art, consiste à susciter des sentiments, des émotions. De ce point de vue, un art qui ne troublerait pas ne serait pas de l'art. Et puis, « troubler » ne signifie pas nécessairement troubler de façon négative. On peut aussi dire : émouvoir. Si l'on suppose que Braque a correctement utilisé les mots, alors troubler est une métaphore qui décrit une modification d'un grand calme. Et ces modifications peuvent être de mille sortes. Il y a les friselis sur l'eau ou les tempêtes ; il y a le trouble du pastis, cette apparition d'un nuage laiteux, blanc ; il y a l'eau et sa boue. Bref, que l'art trouble est évident. Sans quoi il n'y a pas d'art.

La science rassure ? Cette fois, la question est plus difficile. Après tout, certains n'ont-il pas peur de technique, de la technologie et de la science ? La science qui a découvert la structure de l'atome n'a-t-elle pas, au contraire, suscité l'effroi en ouvrant la porte au nucléaire ? Reprenons de plus loin.
Au début des sciences, par exemple dans l'Antiquité grecque, on a cherché des explications du monde, face à des phénomènes qui étaient mystérieux en ce qu'ils échappaient à des causes identifiées. Pourquoi la formation des ombres, le bleu du ciel, la pluie, la périodicité de la Lune ? Les scientifiques ont été des explorateurs de ces mystères, et ils ont effectivement produits des théories qui visaient à prendre une position intellectuelle face à ce que l'on ne comprenait pas. De ce point de vue, on pourrait dire que la science rassurait, puisqu'elle ne laissait plus l'être humain démuni face aux phénomènes naturels.
En revanche, au début des sciences modernes, à partir de la Renaissance environ, il y eut cette position de scientifiques croyants qui considéraient que Dieu avait donné deux livres : la Bible et la nature. Chercher à comprendre ces deux livres, c'était chercher à comprendre le message de Dieu, et l'activité scientifique était ainsi une façon de célébrer le créateur. Rien de troublant non plus.
Plus tard, et notamment parce que la science arrivait à des conclusions différentes des textes sacrés, il y eut un immense trouble, et l’Église dut adopter une autre position, qui fut finalement entérinée par le pape, à savoir que la science ne dit rien de la foi, et vice versa. Deux mondes séparés, deux règnes séparés, en quelque sorte, mais la crise avait été grande. Elle avait commencé avec Galilée, et avait environ fini avec l'abbé Lemaître, ce physicien belge qui étudia la relativité générale et la cosmologie. A cette époque, la science troublait.
D'ailleurs, dans les dernières décennies du vingtième siècle, il y eut pire avec la relativité et la mécanique quantique. La relativité fit apparaître des paradoxes, tels celui des jumeaux qui naissent ensemble mais ont un âge différent quand l'un des deux voyage. En mécanique quantique, on ne savait plus si les objets étaient des ondes ou des particules. En réalité, il n'est pas difficile de comprendre que les objets puissent apparaître parfois comme des ondes, telles les rides à la surface de l'eau, les vagues, la houle, ou comme des particules, des billes, en quelque sorte, car les objets du monde nous sont perceptibles par des expériences. Dans certaines expériences, les objets (surtout quand ce sont des particules subatomiques) se comportent comme  des ondes, mais dans d'autres expériences, ils se comportent comme de petites billes, et l'on parle de comportement corpusculaire. Pour autant, ces objets ne sont ni billes ni ondes, mais des objets, qui ont leurs caractéristiques propres. Un verre cylindrique vu selon son axe de révolution apparaît comme un disque, mais il semble un rectangle si on le regarde de profil.
Bref la mécanique quantique fut à l'origine d'un grand trouble, et les esprits scientifiques les plus brillants du vingtième siècle avaient du mal à comprendre la nouvelle position qu'imposait leur propre travail scientifique ! Décidément, la science ne rassurait pas !
Et puis, au vingtième siècle, aussi, il y eut ces rapports étroits entre la science et la technique, par le moyen de la technologie, et toutes ces applications des sciences qui, quand elles étaient nuisibles à l'homme, conduisaient à considérer que la science était fautive. A la Première Guerre mondiale, il y eut des gaz de combat, et l'on accusa injustement les sciences chimiques, alors qu'il fallait  accuser les techniciens qui utilisaient les sciences pour faire ces gaz, ou encore les militaires  qui les employaient. Puis, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y eut la bombe atomique, et l'on accusa cette fois la physique, alors qu'on aurait dû accuser les ingénieurs qui faisaient les bombes, et, à nouveau, les militaires qui les utilisaient. Aujourd'hui, c'est la biologie qui est en cause, qui trouble, avec le génome, et la possibilité de cloner l'être humain.

En réalité, la science ou l'art ne sont pas en cause, mais l'individu est tout. Il y a ceux qui ont peur, et qui auront toujours peur, de la science ou de l'art, et ceux qui s'émerveillent des beautés du monde, parce qu'ils sont prêts à émerveiller. Pour ceux là, il n'y a pas de peur ; il y a de l'émerveillement ; il peut y avoir du trouble, mais cela n'est pas grave, car certains troubles ne sont pas des angoisses. Ces individus n'ont pas à être rassurés, parce qu'ils n'ont pas peur.

dimanche 21 août 2016

J'ai enfin compris...

J'ai enfin compris pourquoi on dit souvent qu'il faut éviter les guillemets dans les textes, sauf bien sûr quand il s'agit de citer un auteur : les guillemets, qui soulignent, ne sont pas clairs.

Depuis longtemps, j'avais dans les dents cette idée, à  savoir... "il ne faut pas mettre de guillemets dans les textes, sauf, etc.". Mais pourquoi ? Pourquoi n'aurais-je pas utilisé des guillemets ? La raison m'est clairement apparue en relisant un texte du physicien alsacien Alfred Kastler (prix Nobel de physique en 1966 : dans un de ses textes, il évoque la possibilité de "paramètres cachés "non locaux"". Ici, je mets des guillemets extérieurs parce que je cite Kastler, mais c'est Kastler lui-même qui met des guillemets autour  de "non locaux"... et c'est cela qui m'a alerté. Kastler ne citait personne, dans son texte, et  il faut alors se demander pourquoi il utilisa des guillemets ! Etait-ce parce que l'expression était de lui ? Etait-ce parce qu'il pensait à un sens particulier ? Nous ne le saurons jamais, sauf à trouver d'autres textes (où ?) où il l'expliquerait. En réalité, ces guillemets qui l'arrangent ne sont pas clairs. Et je m'aperçois que dans bien des occasions où j'utilise moi-même des guillemets, leur emploi n'est pas clair. Je vais donc me réformer sans attendre !

samedi 20 août 2016

Une phrase fausse trop souvent citée !

Voici une phrase très fausse,  hélas répétée sans critique : "La cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules à une méthode et une précision qui ne laisseront rien au hasard."

Cette phrase fut écrite par un restaurateur célèbre... mais n'ai-je pas vu assez de phrase fausses sous la plume de chefs triplement étoilés ? On m'a dit que l'eau salée met plus longtemps à bouillir... et c'est faux. On m'a dit que les soufflés gonflent mieux quand les blancs en neige ne sont pas fermes... et c'est faux. On m'a dit que masser les viande avec du beurre fait entrer le gras dans les chairs... et c'est faux. On m'a dit que des navets glacés se gorgent de beurre... et c'est faux. Vraiment, je déteste les arguments d'autorité, surtout quand ils sont faux.
Mais je déteste surtout être mis en position de réagir négativement, moi qui ne veux voir que du ciel bleu, qui veux toujours être positif. Je préfère discuter d'idées justes que d'idées fausses, mais à ce compte, on n'est jamais en position d'aider nos amis à bien voir les erreurs et les fautes. Je vais donc commencer par expliquer pourquoi la phrase précédente est fautive, puis je chercherai un moyen très positif de débattre de belles idées justes, histoire de me remettre le cœur d'aplomb.


Pourquoi cette phrase est erronée

Commençons par montrer pourquoi la phrase précédente est erronée.
Si on parle d'art culinaire, c'est bien que l'on parle d'art. Et l'on sait assez combien je milite pour qu'une partie de l'activité culinaire soit bien reconnue comme artistique. D'ailleurs, je propose de faire bien la différence entre les artisans et les artistes, mais c'est là un autre débat que j'ai longuement présenté dans un de mes livres (La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique), et sur lequel je propose de ne pas revenir.
Il y a donc l'art culinaire, qui est un art comme la peinture, la musique, la littérature... D'ailleurs, quand je dis "la peinture", je ne pense qu'à la peinture artistique, et non pas la peinture des murs et façades, qui relève  de l'artisanat. Même chose pour la musique ou pour l'écriture. N'importe qui muni d'un stylo peut raconter une histoire, mais ce ne sera pas un artiste pour autant.
Il y a donc l'art culinaire, qui est une activité artistique, à savoir qu'il est question de susciter, de partager des sentiments, des émotions... Bien sûr, on peut discuter à l'infini la notion d'art, mais ne jouons pas trop sur les mots  quand il s'agit d'aider nos amis : soyons clairs et simples. C'est pour cette raison que je me résous à réduire l'art culinaire à la production d'aliments qui nourrissent plus l'esprit que le corps.

Le second terme de la phrase fausse dénoncée ici est relatif à la science. Dans la phrase discutée, il ne s'agit pas simplement de savoir, mais de science de la nature. Nous mettons de côté les sciences de l'être humain et de la société, car, dans la phrase que nous critiquons, il est question de précision, de rigueur.
Immédiatement j'ajoute que précision et rigueur ne sont pas l'apanage des sciences de la nature, toutefois : toute activité  humaine peut être faite avec précision et rigueur, et l'art le plus grand (celui des Rembrandt, Bach, Mozart, Proust, Flaubert...) est tout fait de rigueur et de précision. Impossible de changer un mot dans une œuvre de Flaubert. Impossible de changer une note dans une œuvre de Bach.
D'autre part, les sciences de la nature ne se réduisent pas à la rigueur et à la précision, mais ce sont plutôt des activités qui ont un objectif et une méthode bien déterminés, que l'auteur de la phrase discutée ignorait manifestement  : l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, et la méthode a été discutée dans tant de mes billets précédents que je vous y renvoie.
On voit donc mieux maintenant  les deux termes de la phrase fautive que nous critiquons, à savoir l'art d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre, ce qui revient à mettre d'un côté l'activité qui suscite des  émotions, et de l'autre l'activité qui cherche les mécanismes des phénomènes. Rien à voir, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Non, l'art culinaire ne sera jamais scientifique !


Quelques précisions

Cela étant posé, on peut ajouter quelques précisions. Par exemple, les phénomènes qui surviennent lors de l'activité culinaire peuvent être explorés par les sciences de la nature, et l'activité scientifique qui fait cela a pour nom "gastronomie moléculaire". D'autre part, on peut espérer que le praticiens, artisans ou artistes culinaires, aillent progressivement vers plus de rigueur et de précision, et c'était d'ailleurs l'un des objectifs de la réflexion technologique qui a présidé à la proposition de la "cuisine moléculaire", dont la définition est de rénover les techniques culinaires. Par exemple, avec des œufs à 67 degrés, on est bien plus précis que quand on met des œufs à l'eau froide, qui est ensuite portée à ébullition. Pour autant, les œufs à 67 degrés n'ont rien de scientifique ! Il sont issus d'une réflexion technologique fondée sur les progrès de la gastronomie moléculaire, mais la production d’œuf à 67 degrés  est une activité entièrement technique, et non pas scientifique.
A me relire, je vois que les plus idolâtres viendront critiquer mon discours, avec l'argument ad hominem qui consiste à dire que je chipote, que je pinaille. Puisque l'argument ad hominem est moralement condamnable, je vais me laisser aller à répondre par un argument également fautif... puisque  ad hominem : ceux qui font un usage indistincts des mots en viennent vite à confondre les chats et les chiens, les tournevis et les marteaux ; aucun d'entre eux ne fera jamais de bon travail, parce que nos actes sont souvent accordés à nos mots (comme je l'ai récemment discuté à propos de crème fouettée). Quand nos mots sont erronés ou fautifs, alors il y a de fortes probabilités que nos actes conduisent à des résultats médiocres. Évidemment, il y a des génies intuitifs, des artistes qui ne savent pas les raisons de ce qu'il font, en termes de mots posés sur des actes, et qui font très bien. On peut même penser qu'il peut exister des personnes qui mettent des mots faux sur des actes qu'ils font très bien, mais imaginez qu'ils aient en outre les bons mots ! Et puis, l'enseignement consiste-t-il  à dire des choses fausses ou bien plutôt à aider nos jeunes amis avec des idées justes décrites par des mots justes ?

Finalement, non, mille fois non, un million de fois non !  L'art culinaire ne sera jamais scientifique !

Soyons positifs

Soyons maintenant positifs. Il y a  l'art culinaire, d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre. Il est exact que si Rembrandt n'avait pas su tenir un pinceau, que si Bach n'avait pas su le contrepoint, alors aucune œuvre d'art ne serait née ni de l'un ni de l'autre. L'artiste a une obligation technique terrible, supérieure ; non seulement il doit être un parfait technicien, mais il doit avoir en plus la capacité de parler à l'esprit des autres. Éviter des coulures sur un tableau, c'est bien, mais faire pleurer d'émotion c'est mieux. Même chose pour la musique, la littérature... et l'art culinaire.
Que mes amis cuisiniers me pardonnent, mais je me satisfais mal d'une cuisine simplement techniquement satisfaisante. En revanche, je chéris encore le souvenir de ces rares plats où des larmes me sont venues aux yeux, où j'ai eu cet éblouissement intérieur devant la beauté (en goût !) des mets qui m'étaient servis. Cela, c'est quelque chose que nos jeunes amis méritent de connaître, et, à défaut qu'ils l'aient vécu  eux-mêmes, nous avons une sorte d'obligation de leur en montrer l'existence. Oui, il y a des artistes culinaires, qui éblouissent, et pas seulement par l'usage de l'argument d'autorité, mais par l'exercice de leur art !

Maintenant, pour les sciences de la nature, il y a donc la gastronomie moléculaire, qui a été formellement créée en 1988, et qui se développe dans le monde entier, à la recherche des mécanismes des phénomènes : un soufflé gonfle, un viande brunit, une crêpe se perce de petits trous, un haricot vert jaunit un peu... Pour tous ces phénomènes, il y a des mécanismes, et, depuis quelques décennies maintenant, la gastronomie moléculaire explore ces phénomènes, à la recherche des mécanismes. Évidemment il faut commencer par établir les phénomènes. Par exemple, récemment, nous avons observé que des navets caramélisés à blanc perdaient 40  pour cent de leur masse, de leur eau : il y a lieu d'explorer ce phénomène, de l'établir pour des légumes de diverses sortes, et c'est quand cette première étape sera faite, laborieusement, que nous pourrons passer à la suite, à savoir l'établissement d'équations qui décriront le phénomène, avant de passer à la suite, laborieusement, à savoir la recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les équations. Puis viendra l'étape suivante, laborieuse encore, qui consistera à chercher des conséquences de notre théorie pour nous mettre nous-mêmes à en chercher une réfutation, et ainsi de suite.
On voit bien, à cette description, que la gastronomie moléculaire n'a en réalité que faire de l'art culinaire ; elle a suffisamment à faire avec la composante technique de la cuisine, tant le nombre de phénomènes inexplorés reste considérable. On a vu, d'autre part, combien les explorations sont longues, laborieuses, de sorte qu'avant d'avoir terminé l'examen des phénomènes, de la technique culinaire, il se passera sans doute des siècles. Aurons-nous fait quelque chose d'inutile ? Certainement pas, car tout fait établi est un fait établi, et constitue un socle sur lequel peuvent s'ériger science, technologie et technique. La gastronomie moléculaire est une  science merveilleuse, et les enjeux sont si grands (agrandir le territoire du connu) que cela vaut  la peine que nous nous y consacrions sans relâche.
Jamais cette activité ne se confondra pour autant avec l'art culinaire.

Vive la Connaissance (bien) produite et (bien)  partagée !

Une phrase fausse trop souvent citée !

Voici une phrase très fausse,  hélas répétée sans critique : "La cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules à une méthode et une précision qui ne laisseront rien au hasard."

Cette phrase fut écrite par un restaurateur célèbre... mais n'ai-je pas vu assez de phrase fausses sous la plume de chefs triplement étoilés ? On m'a dit que l'eau salée met plus longtemps à bouillir... et c'est faux. On m'a dit que les soufflés gonflent mieux quand les blancs en neige ne sont pas fermes... et c'est faux. On m'a dit que masser les viande avec du beurre fait entrer le gras dans les chairs... et c'est faux. On m'a dit que des navets glacés se gorgent de beurre... et c'est faux. Vraiment, je déteste les arguments d'autorité, surtout quand ils sont faux.
Mais je déteste surtout être mis en position de réagir négativement, moi qui ne veux voir que du ciel bleu, qui veux toujours être positif. Je préfère discuter d'idées justes que d'idées fausses, mais à ce compte, on n'est jamais en position d'aider nos amis à bien voir les erreurs et les fautes. Je vais donc commencer par expliquer pourquoi la phrase précédente est fautive, puis je chercherai un moyen très positif de débattre de belles idées justes, histoire de me remettre le cœur d'aplomb.


Pourquoi cette phrase est erronée

Commençons par montrer pourquoi la phrase précédente est erronée.
Si on parle d'art culinaire, c'est bien que l'on parle d'art. Et l'on sait assez combien je milite pour qu'une partie de l'activité culinaire soit bien reconnue comme artistique. D'ailleurs, je propose de faire bien la différence entre les artisans et les artistes, mais c'est là un autre débat que j'ai longuement présenté dans un de mes livres (La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique), et sur lequel je propose de ne pas revenir.
Il y a donc l'art culinaire, qui est un art comme la peinture, la musique, la littérature... D'ailleurs, quand je dis "la peinture", je ne pense qu'à la peinture artistique, et non pas la peinture des murs et façades, qui relève  de l'artisanat. Même chose pour la musique ou pour l'écriture. N'importe qui muni d'un stylo peut raconter une histoire, mais ce ne sera pas un artiste pour autant.
Il y a donc l'art culinaire, qui est une activité artistique, à savoir qu'il est question de susciter, de partager des sentiments, des émotions... Bien sûr, on peut discuter à l'infini la notion d'art, mais ne jouons pas trop sur les mots  quand il s'agit d'aider nos amis : soyons clairs et simples. C'est pour cette raison que je me résous à réduire l'art culinaire à la production d'aliments qui nourrissent plus l'esprit que le corps.

Le second terme de la phrase fausse dénoncée ici est relatif à la science. Dans la phrase discutée, il ne s'agit pas simplement de savoir, mais de science de la nature. Nous mettons de côté les sciences de l'être humain et de la société, car, dans la phrase que nous critiquons, il est question de précision, de rigueur.
Immédiatement j'ajoute que précision et rigueur ne sont pas l'apanage des sciences de la nature, toutefois : toute activité  humaine peut être faite avec précision et rigueur, et l'art le plus grand (celui des Rembrandt, Bach, Mozart, Proust, Flaubert...) est tout fait de rigueur et de précision. Impossible de changer un mot dans une œuvre de Flaubert. Impossible de changer une note dans une œuvre de Bach.
D'autre part, les sciences de la nature ne se réduisent pas à la rigueur et à la précision, mais ce sont plutôt des activités qui ont un objectif et une méthode bien déterminés, que l'auteur de la phrase discutée ignorait manifestement  : l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, et la méthode a été discutée dans tant de mes billets précédents que je vous y renvoie.
On voit donc mieux maintenant  les deux termes de la phrase fautive que nous critiquons, à savoir l'art d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre, ce qui revient à mettre d'un côté l'activité qui suscite des  émotions, et de l'autre l'activité qui cherche les mécanismes des phénomènes. Rien à voir, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Non, l'art culinaire ne sera jamais scientifique !


Quelques précisions

Cela étant posé, on peut ajouter quelques précisions. Par exemple, les phénomènes qui surviennent lors de l'activité culinaire peuvent être explorés par les sciences de la nature, et l'activité scientifique qui fait cela a pour nom "gastronomie moléculaire". D'autre part, on peut espérer que le praticiens, artisans ou artistes culinaires, aillent progressivement vers plus de rigueur et de précision, et c'était d'ailleurs l'un des objectifs de la réflexion technologique qui a présidé à la proposition de la "cuisine moléculaire", dont la définition est de rénover les techniques culinaires. Par exemple, avec des œufs à 67 degrés, on est bien plus précis que quand on met des œufs à l'eau froide, qui est ensuite portée à ébullition. Pour autant, les œufs à 67 degrés n'ont rien de scientifique ! Il sont issus d'une réflexion technologique fondée sur les progrès de la gastronomie moléculaire, mais la production d’œuf à 67 degrés  est une activité entièrement technique, et non pas scientifique.
A me relire, je vois que les plus idolâtres viendront critiquer mon discours, avec l'argument ad hominem qui consiste à dire que je chipote, que je pinaille. Puisque l'argument ad hominem est moralement condamnable, je vais me laisser aller à répondre par un argument également fautif... puisque  ad hominem : ceux qui font un usage indistincts des mots en viennent vite à confondre les chats et les chiens, les tournevis et les marteaux ; aucun d'entre eux ne fera jamais de bon travail, parce que nos actes sont souvent accordés à nos mots (comme je l'ai récemment discuté à propos de crème fouettée). Quand nos mots sont erronés ou fautifs, alors il y a de fortes probabilités que nos actes conduisent à des résultats médiocres. Évidemment, il y a des génies intuitifs, des artistes qui ne savent pas les raisons de ce qu'il font, en termes de mots posés sur des actes, et qui font très bien. On peut même penser qu'il peut exister des personnes qui mettent des mots faux sur des actes qu'ils font très bien, mais imaginez qu'ils aient en outre les bons mots ! Et puis, l'enseignement consiste-t-il  à dire des choses fausses ou bien plutôt à aider nos jeunes amis avec des idées justes décrites par des mots justes ?

Finalement, non, mille fois non, un million de fois non !  L'art culinaire ne sera jamais scientifique !

Soyons positifs

Soyons maintenant positifs. Il y a  l'art culinaire, d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre. Il est exact que si Rembrandt n'avait pas su tenir un pinceau, que si Bach n'avait pas su le contrepoint, alors aucune œuvre d'art ne serait née ni de l'un ni de l'autre. L'artiste a une obligation technique terrible, supérieure ; non seulement il doit être un parfait technicien, mais il doit avoir en plus la capacité de parler à l'esprit des autres. Éviter des coulures sur un tableau, c'est bien, mais faire pleurer d'émotion c'est mieux. Même chose pour la musique, la littérature... et l'art culinaire.
Que mes amis cuisiniers me pardonnent, mais je me satisfais mal d'une cuisine simplement techniquement satisfaisante. En revanche, je chéris encore le souvenir de ces rares plats où des larmes me sont venues aux yeux, où j'ai eu cet éblouissement intérieur devant la beauté (en goût !) des mets qui m'étaient servis. Cela, c'est quelque chose que nos jeunes amis méritent de connaître, et, à défaut qu'ils l'aient vécu  eux-mêmes, nous avons une sorte d'obligation de leur en montrer l'existence. Oui, il y a des artistes culinaires, qui éblouissent, et pas seulement par l'usage de l'argument d'autorité, mais par l'exercice de leur art !

Maintenant, pour les sciences de la nature, il y a donc la gastronomie moléculaire, qui a été formellement créée en 1988, et qui se développe dans le monde entier, à la recherche des mécanismes des phénomènes : un soufflé gonfle, un viande brunit, une crêpe se perce de petits trous, un haricot vert jaunit un peu... Pour tous ces phénomènes, il y a des mécanismes, et, depuis quelques décennies maintenant, la gastronomie moléculaire explore ces phénomènes, à la recherche des mécanismes. Évidemment il faut commencer par établir les phénomènes. Par exemple, récemment, nous avons observé que des navets caramélisés à blanc perdaient 40  pour cent de leur masse, de leur eau : il y a lieu d'explorer ce phénomène, de l'établir pour des légumes de diverses sortes, et c'est quand cette première étape sera faite, laborieusement, que nous pourrons passer à la suite, à savoir l'établissement d'équations qui décriront le phénomène, avant de passer à la suite, laborieusement, à savoir la recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les équations. Puis viendra l'étape suivante, laborieuse encore, qui consistera à chercher des conséquences de notre théorie pour nous mettre nous-mêmes à en chercher une réfutation, et ainsi de suite.
On voit bien, à cette description, que la gastronomie moléculaire n'a en réalité que faire de l'art culinaire ; elle a suffisamment à faire avec la composante technique de la cuisine, tant le nombre de phénomènes inexplorés reste considérable. On a vu, d'autre part, combien les explorations sont longues, laborieuses, de sorte qu'avant d'avoir terminé l'examen des phénomènes, de la technique culinaire, il se passera sans doute des siècles. Aurons-nous fait quelque chose d'inutile ? Certainement pas, car tout fait établi est un fait établi, et constitue un socle sur lequel peuvent s'ériger science, technologie et technique. La gastronomie moléculaire est une  science merveilleuse, et les enjeux sont si grands (agrandir le territoire du connu) que cela vaut  la peine que nous nous y consacrions sans relâche.
Jamais cette activité ne se confondra pour autant avec l'art culinaire.

Vive la Connaissance (bien) produite et (bien)  partagée !

jeudi 18 août 2016

Les six conseils de Michael Faraday

Vérifier ce que l'on nous dit.
Ne pas généraliser activement.
Avoir des collaboration.
Entretenir des correspondances.
Avoir tout sur soi un soin calepin pour noter les idées
Ne pas participer à des controverses.
Voilà les six conseils que le physicien anglais Michael Faraday avait trouvé dans un traité d'amélioration de l'esprit du clergyman Isaac Watson. Ces six conseils furent essentiels, pour lui, dont le père était mort quand il était encore jeune.

On n'a pas assez dit l'importance des groupes de réflexion, et je ne suis pas sûr que tous les élèves, dans les écoles, connaissent l'existence de ces groupes. Voilà pourquoi, parmi mille autre raison, l'histoire de Michael Faraday est importante. Le mercredi soir, ce jeune apprenti relieur qu'était Faraday rejoignait un groupe de personnes du même âge que lui, dans la City, à Londres, et ils discutaient de divers sujets, un peu comme cela se fait dans les loges maçonniques. Chacun devait travailler un thème et l' exposer aux autres, qui en discutaient la qualité, l'intérêt et la pertinence...
Personnellement, j'ai eu la chance de voir mes parents faire de même, le soir, après le travail, après le dîner, partir en ville retrouver des collègues devenus des amis pour discuter de leur métier, mais non plus dans la pratique de ce dernier  ; plutôt dans son analyse. C'est ce qui fait toute la  différence entre la technique et la technologie, entre  le technicien et le technologue.
À l'époque de Faraday, la science était en vogue, parce qu'elle était encore accessible à n'importe qui dans sa pratique. C'était la grande mode de l'étude de l'électricité, pour laquelle il suffit d'une boussole, pour détecter un champ magnétique, d'une pomme de terre et de deux fils métalliques pour faire une pile... Et c'est ainsi que Faraday, ayant entre les mains le livre The improvement of the  mind, en tira des règles de vie qu'il s'appliqua toute la vie. L'histoire de Faraday montre comment l'application de ces règles fut à l'origine de son immense succès. 

1. Ne pas généraliser hâtivement :  c'est  bien là une règle essentielle en sciences, où, certes, il faut voir la généralité à partir de cas particulier, ce qui se nomme induction, mais où il faut prendre garde à ne pas prendre ses  désirs pour des réalités. La nature a ses voies, qui ne sont pas celles de nos désirs. La science  explore les phénomènes, et elle ne confond pas ces derniers avec nos idées sur le monde. Cela fait toute la différence entre la science et la pensée magique, exposée dans d'autres billets. Oui, il faut généraliser, mais non, il ne faut pas généraliser hâtivement. En sciences, il faut des répétitions,  des expériences, des répétitions des mesures, des répétitions des observations, l'accumulation d'un très grand nombre de données pour finalement arriver à quelques conclusions,  qui permettront de bâtir des théories.

2. Avoir toujours sur soi un calepin pour noter les idées :  cette fois, il y a un conseil absolument essentiel. Dans cette proposition, l'objectif semble de noter les idées. Mais pourquoi noter les idées ?  Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les idées sont fugaces, et il arrive bien souvent qu'une idée qui n'est pas notée disparaisse. C'est vraiment dommage si cette idée est bonne, si l'on s'est échiné à la trouver. D'autre part, nous devons avoir l'esprit libre pour penser, et une difficulté que j'analyse chez certains étudiants, c'est que leur vie est pleine de complexités (familiales, sentimentales, financières...), ce qui les  gêne pour manier les idées qui sont au centre de leur travail. Quand les parents divorcent, quand on n'a pas assez d'argent pour payer le loyer, quand on a des problèmes de coeur…, comment avoir l'esprit libre pour penser ? Il se trouve que le simple fait de noter les choses permet à la fois de s'en vider la tête et de les avoir ensuite sous les yeux à volonté. Aristote, le grand Aristote, disait que l'écriture était la mort de la pensée, et je ne suis pas d'accord avec cette proposition, car sa généralité est excessive. Bien sûr, écrire et penser sont deux choses différentes, mais précisément poser par écrit est une bonne façon de conserver les idées pour plus tard. Il y a la question de la production de la pensée, et celle de sa conservation.  De surcroît, écrire les idées impose de les formuler,  et, là, on doit penser au mathématicien Henri Poincaré, qui a clairement expliqué que sa difficulté n'était pas de produire des nouveautés mathématiques, mais de trouver les mots pour décrire ces nouveautés qui étaient spontanément nées en lui.
On retrouve avec une telle déclaration le grand débat agité par Condillac et Lavoisier sur les rapports entre la science le langage, avec cette idée selon laquelle on ne peut pas améliorer les sciences sans perfectionner le langage et vice versa. On le voit, les grands anciens se sont préoccupés de cette question des mots, car il est bien vrai que nos  théories scientifiques s'expriment en équations c'est-à-dire in fine en mots,  puisque ce fut l'apport de penseurs comme Descartes et Leibnitz que de forger  un langage plus facilement manipulable que les mots du langage naturel ; mais un langage quand même. Ce fut d'ailleurs la grande question de la création de la chimie moderne avec Lavoisier que de savoir les relations entre les dénominations et  les objets de la chimie, question qui fut reprise avec brio par le chimiste français Auguste Laurent quelques décennies plus tard.

3. Ne pas participer à des controverses : dans la mesure ou la science n'est que proposition de théories et évocation de mécanismes, on comprend qu'il puisse y avoir des théories concurrentes, des mécanismes différents pour décrire le même phénomène. Et l'on comprend que certains individus qui sont dans l'acte de création puissent parfois avoir une fierté (on aurait pu dire ego) qui déborde un peu. Après tout certains ont besoin de s'affirmer avant de pouvoir affirmer, prétendre,  proposer des idées. Le monde scientifique, fait de créateurs comme le monde artistique, est composé de beaucoup d'individus à l'ego  puissant. Il faut faire avec, mais il est vrai que la rencontre de deux théories concurrentes risque de tourner à la controverse. Pourtant, les belles  personnes qui se préoccupent avant tout d'étendre le royaume du connu, plutôt que de s'affirmer personnellement, n'ont pas de raison de participer aux controverses. Si le but est véritablement de trouver les mécanismes des phénomènes, alors il vaut bien mieux considérer avec intérêt des  théories concurrentes avant de trancher abruptement et de se faire des ennemis. Nous avons beaucoup trop besoin d'amis, et surtout d'amis merveilleux (pléonasme ?) pour en perdre quelques uns en route. Nous avons besoin de discuter avec nos amis, d'analyser les propositions, d'en peser les intérêts et les failles, en vue de trouver finalement celles qui s'imposeront, parce qu'elles conduiront à des meilleures descriptions du monde. On doit  se rappeler avant tout que voilà l’objectif : ne pas s'affirmer, mais plutôt identifier les mécanismes des phénomènes, mieux comprendre le monde. De là l'idée de Faraday : ne pas participer à des controverses, mêmes si l'on participe à des discussions scientifiques. Mieux encore, nous devrions être capables de préférer être réfuté à voir nos théories s'imposer si elles sont par trop insuffisantes.
Pour ce qui est de Faraday, il avait résolu la question en travaillant seul ou avec un technicien qui l'aidait. Mais  il n'allait guère dans les cercles scientifiques après avoir été nommé directeur de la Royal Institution. Certes il assistait à toutes les conférences du vendredi qu'il avait initiées, mais il invitait les collègues à les faire. Là, il ne discutait pas de théories opposées, mais il voyait des expériences et les choses de façon plus détachée. Et puis il y avait les faits… car les expériences montraient les faits. C'était sa façon, parfaitement respectable, et qui allait avec cette phrase.

4. Avoir des collaborations. Là Faraday a retenu cette idée, mais il l'a peu mise en pratique. En réalité, il a peu collaboré. Sa timidité, sa gentillesse, ou peut-être sa sagesse l'ont éloigné des collaborations, et il travaillait dans le calme, se parlant à lui même, notant ses idées dans ses carnets, pouvant passer des jours dans son laboratoire, tout entier consacré à sa recherche, sans un mot. Pour autant, on peut aussi également  imaginer l'inverse : des travaux d'équipe. Cela est aujourd'hui très à la mode : le mot "collaboratif" est partout, peut-être trop.
Dans bien des travaux de science moderne, nous avons besoin de collaborations, ou nous pensons en avoir besoin. Nous en avons besoin, par exemple, pour la détection du boson de Higgs  ou des ondes gravitationnelles. Mais il y a toute une place où ces collaborations ne sont pas nécessaires. Bien sûr, les scientifiques confirmés ont un devoir de transmission (ce qui n'est pas une « collaboration »), à savoir que, ayant bénéficié d'une formation par de plus anciens, nous avons le devoir de former de plus jeunes, ou, disons le mieux, d'aider de plus jeunes à se former, car pourquoi penserons nous que notre modèle est bon ? Surtout, dans cette discussion, je propose de ne pas perdre de vue l'idée qu'il existe divers sports : individuels comme la gymnastique, ou collectifs comme le rugby. Il y a des individus qui se sentent mieux à jouer au rugby, et d'autres à faire de la gymnastique. Les divers sports nécessitent différentes capacités, et il n'y a pas de raison pour laquelle nous devrions tous faire du rugby, ou tous faire de la gymnastique. Après tout, des Faraday, Einstein, Planck, ont été très individualistes, et je ne vois pas en quoi on pourrait leur reprocher,  vu les résultats admirables qu'ils ont obtenus.  Donc, avoir des collaborations, pourquoi pas, mais cela n'est pas une obligation,et, j'y reviens, Faraday donnait ce conseil sans se l'appliquer à lui-même.

5. Vérifier ce que l'on  nous dit : là,  Faraday donne  encore une règle générale de vie, mais  je ne peux m'empêcher de la prendre dans le cadre scientifique, ce qu'il fit également. Pour la gastronomie moléculaire, il a  été essentiel, au début, de savoir résister aux arguments d'autorité, et ne pas accepter des idées qui n'étaient pas testées. Le monde  de la cuisine est plein d'idées fausses qui se sont propagées avec les siècles. Il a été très important, en de nombreuses circonstances,  d'apprendre à tester les idées avant d'en chercher des interprétations. Parfois, nous avons été heureusement surpris de voir que des idées qui semblaient fausses étaient en réalité justes, mais nous avons aussi vu de nombreux cas où des idées qui semblaient justes, ou simplement plausibles,  était très fausses. Tout cela, c'est le groupe des "précisions culinaires", ces ajouts techniques à ce que j'ai nommé des définitions. Il y a des précisions culinaires de toutes sortes, et, avec les années, j'ai bien appris à ne jamais chercher  d'interprétations à des phénomènes qui n'avaient pas été avérés préalablement grâce à  des expérimentations, car que je me mords encore les doigts de cette expérience que j'avais faite en 1992 et qui consistait à emporter une bouteille de diazote gazeux jusqu'en haut d'une montagne où nous avions un colloque, afin de voir pourquoi les blancs  d’œufs montés en neige et redescendus ne remontaient pas. J'avais cru, à cette idée qui m'avait  été donnée par des chefs triplement étoilés, et j’avais fait  l'expérience de battre des blancs neiges sous diazote, de les laisser  redescendre, et de les battre à nouveau ensuite. Il étaient remonté, de sorte que j'avais hâtivement conclu que c'était l'oxygène qui étais responsable du fait que des  blancs de battus en neige et redescendus ne remontent pas. Pourtant, de retour au laboratoire, au calme, j'ai simplement battus  des blancs, je les ai laissé redescendre, et ils ont parfaitement remonté, de  sorte que tous les ennuis associés au transport d'une grosse bouteille de diazote en haut d'une montagne auraient été évités si le phénomène avait été d'abord testé simplement. Avec les années, j'ai vu se multiplier les réfutations des idées écrites par des chefs étoilés, et aujourd'hui je sais combien la phrase de Michael Faraday est juste.

 6. Entretenir des correspondances : on retrouve ici la discussion sur  l'emploi des mots, et le petit calepin que l'on a sur soi pour noter les idées. Les correspondances sont un autre moyen d'exprimer clairement les choses, et cela peut être une aide que de s'adresser à autrui, au lieu de se parler à soi même en prenant pour acquis des choses qui ne sont pas assurées. Mais ce n'est pas le seul intérêt des correspondances. Les échanges scientifiques sont aussi une façon de partager le bonheur de la recherche scientifique, de se convaincre quotidiennement que la recherche scientifique est quelque chose de merveilleux, d'avoir des amis à qui l'on peut parler de ce bonheur, ce qui l'augmente encore, et d'avoir parfois un regard critique sur nos propres travaux.
Dans mon cas, j'ai toujours considéré comme important d'avoir quelqu'un qui me donne des coups de pieds aux fesses. Pendant longtemps, ce fut Nicholas Kurti, puis quand il est mort, Georges Bram, chimiste de l'Université d'Orsay, avait accepté de jouer ce rôle. C'est un rôle amical, évidement, puisqu'il faut l'attention d'un ami qui observe nos travaux avec bienveillance, qui y passe du temps. Bien sûr, avec les années, j'ai appris à me donner à moi-même des coups de pied aux  fesses. Reste que la correspondance, c'est aussi un moyen de dire les choses de formuler des concepts, d'expliciter les notions, de décrire les méthodes.

mardi 16 août 2016

« Comme chimiste, je passais cette oeuvre à la cornue, et il ne resta que ceci »...

« Comme chimiste, je passais cette oeuvre à la cornue, et il ne resta que ceci »...
Ici je donne une phrase extraite du livre intitulé La physiologie du goût de Jean-Anthelme Brillat-Savarin, et il y a lieu de la considérer avec amusement, car Brillat-Savarin n'était pas chimiste, mais juriste. Dans son livre, il se donne le titre de  docteur, de maître, de chimiste,  de physiologiste.. mais il n’était rien de tout cela  : je répète qu'il était juriste.
La physiologie du goût est un livre merveilleux pour les gourmands, mais souvent ennuyeux, parce que précisément, pour donner un air sérieux à cette œuvre légère, littéraire, Brillat-Savarin a habillé son discours, et les « tunnels littéraires techniques » sont nombreux, sans doute pour donner de la crédibilité au reste de l'ouvrage, qui est parfois à d'un léger extrême.

Cela dit,  Brillat-Savarin s'est beaucoup amusé, comme le montre son texte et s'il se dit  chimiste, c'est évidemment par jeu. Jeu littéraire, avec un registre lexicographique qui prend de la couleur, tant il est vrai que des termes comme distiller, infuser, alambiquer, purifier, etc. sont des termes de métier, concrets, qui ancrent  un discours dans du solide, du pratique, du sensuel.

Tout  cela étant dit, on ne  manquera pas de se souvenir que les Jésuites proposaient de ne pas se comporter en tant que chrétien, mais en chrétien.  De même, nous ne devons pas nous comporter en tant que physico-chimiste, mais en physico-chimiste. Brillat-Savarin, lui, se comportait en tant que chimiste ; d'ailleurs, il écrit « comme chimiste ». Qu'importe : il reconnut l'importance de cette merveilleuse  activité qu'est la chimie, que l'on voit d'ailleurs décrite  par de merveilleuses planches dans l'Encyclopédie de Diderot, où l'on perçoit bien l’importance de la technique, de la matière. La chimie a cela d'extraordinaire que des instruments très simples, qui s'apparentent à des casseroles, permettent d'effectuer des opérations de transformations de la matière. Il y a là de quoi éblouir les enfants, et je crois que nous ne devrions pas manquer cette occasion. Bien sûr en grandissant, il apprendront à passer de la chimie (les transformations) aux sciences  chimiques, de la technique à la technologie et à la science, mais il y a là un chemin qu'ils devront parcourir par du travail. Ce travail sera passionnant s'ils ont appris à en voir les beautés.

dimanche 14 août 2016

La Raison


Depuis des mois, des années, je fait l'apologie des Lumières, de la rationalité et de la Raison. La Raison ? Sutor non supra crepidam : le cordonnier, dit-on, ne juge pas plus haut que la chaussure, et je risque de ne pas aller bien loin, moi qui ne suis pas philosophe de profession.

Après cette introduction, je dois commenter ce que je viens de dire, en commençant par préciser que je ne veux évidemment pas mépriser le cordonnier, car l'homme n'est pas un ustensile, comme le disait  justement Confucius : nous ne sommes pas réductibles à notre métier, et tel "boulanger" sera également organiste, tel électricien sera chanteur d'opéra. La phrase latine me sert surtout à dire publiquement que, à un moment donné de mon existence, je ne peux que difficilement faire mieux que ce que je fais. Ou alors, au prix d'un effort particulier. Il faudra un travail de fond pour cesser d'être "cordonnier" pour devenir... chapelier ;-).
J'y reviens, d'autre part : je veux aussi me souvenir modestement que je ne suis pas philosophe, à moins d'être ce que le physico-chimiste britannique  Michael Faraday et d'autres nommaient un  "philosophe naturel", puisqu'ils désignaient par philosophie naturelle ce que nous nommons aujourd'hui les sciences de la nature.
Mais ce serait tordre le bras à la langue actuelle, et j'y reviens, je ne suis pas philosophe. De ce fait, je risque de pêcher par ignorance, quand j'utilise des mots que les philosophes ont connoté, détourné, accaparé... Par exemple, "expérimentalisme" : je ne peux plus l'utiliser pour désigner une façon de penser la science qui serait fondée sur l'expérience, puisque John Dewey, par exemple, lui donna un sens particulier, et que l'on risque de m'opposer ce sens (sans compter que le mot fut utilisé pour désigner un courant littéraire, notamment).

 Alors, raison ? Puis-je décemment en parler ? Je propose d'oublier que  les mots font aussi partie d'un corpus partagé, qui commence dans les (bons) dictionnaires.
Le mot raison vient du latin ratio, qui désigne une « mesure », un « calcul », la « faculté de compter ou de raisonner », une « explication ». En mathématiques, c'est le « rapport entre deux nombres ». Il s'agit donc bien du sens primordial de « mesure », de « comparaison. » L'homme doté de raison, de rationalité, est donc celui qui possède l'art de la mesure ou plus encore l'art de faire une comparaison mesurée avec précision. Cette comparaison s'opère au moyen de l'intellect, mais davantage encore, au moyen d'instruments de mesure.

samedi 13 août 2016

Comment faire d'un petit mal un grand bien ?


Dans les emails que chaque membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire envoie à  tous les autres, chaque soir, pour faire état des travaux effectués pendant la journée, il y a un tableau qui comporte des lignes. Par exemple,  nous décrivons  nos travaux, scientifiques ou de communication, nous décrivons ce que nous avons fait d'un point de vue administratif, nous disons ce que nous avons appris (connaissances) et appris à faire (compétences) ; nous disons ce que nous avons donné aux autres : un coup de main, un calcul, la correction d'un texte.

Mais la ligne la plus essentielle de ce tableau est intitulée "symptôme"  : nous décrivons ce qui a coincé. Cette ligne est essentielle, parce que l'analyse de ce qui a coincé est la possibilité de progresser. C'est parce que nous nous heurtons à un obstacle, si nous apprenons à le contourner, à l'escalader, que nous aurons des chances de progresser. Si nous identifions qu'une connaissance nous manquait, nous l'obtenons.  S'il nous manque une compétence, nous pouvons avoir l'objectif de l'acquérir.
Chaque fois, il y a ce mouvement très positif d'arriver à un état meilleur que l'état précédent. Il y avait un un petit mal, et nous en avons fait un bien. Tant qu'à faire, pourquoi pas un grand bien ?

Un bon exemple d'un tel mouvement eut lieu un jour, avant un banquet que je devais commenter, et où une sauce avait raté : la sauce était grumeleuse, impossible à servir...
Ce jour-là, j'ai eu l'idée d'analyser la question : la sauce était ratée ? Que cela signifiait-il ? Qu'il y avait un sédiment et un liquide clair. Clair ? Après tout,  les cuisiniers cherchent toujours à clarifier les bouillons, de sorte que cette clarification était un avantage. Nous pouvions donc produire un liquide clair à partir de cette sauce grumelée.
Effectivement la décantation de la  la sauce ratée conduisit à une sorte de purée, qui avait beaucoup de goût, et qui fut servie, et à un liquide parfaitement clair, qui avait le goût de la sauce visée.
Finalement ce petit mal de la sauce ratée a conduit non seulement à une sauce d'une limpidité absolue, qui fut servie dans un verre de cognac, mais aussi à me faire comprendre que nous aurions sans doute intérêt à toujours faire d'un petit mal un grand bien. A nous d'analyser le ratage, pour parvenir à ce grand bien. Ce n'est pas un grand bien obtenu par déduction, mais par induction, de sorte que si nous y avons pensé beaucoup, nous saurons faire preuve de créativité.
Là, j'entends nombres d'amis qui avouent leur insuffisance dans ce domaine : créativité, innovation... Toutefois j'ai fait un livre entier (Cours de gastronomie moléculaire N°1) pour expliquer comment la créativité n'est pas un don du ciel, mais plutôt la mise en œuvre active d'une méthode systématique que j'ai  détaillée dans ce livre. La méthode est systématique, donc infaillible. Elle ne demande qu'une chose : du travail... ce qui est donc merveilleux, au moins pour les individus  que j'estime le plus : ceux qui n'hésitent jamais à se retrousser les manches. Je ne doute pas que le travail leur donnera  la créativité, après un peu d'exercice, de sorte que, presque à coup sûr, ils sauront faire d'un petit mal un grand bien.

vendredi 12 août 2016

jeudi 11 août 2016

A propos de vulgarisation

Ce matin, on m'interroge sur la vulgarisation, ce que je préfère nommer "diffusion des connaissances scientifiques, technologiques et techniques".

Les questions sont essentielles, et j'y réponds donc publiquement... en commençant par expliquer pourquoi la terminologie "vulgarisation scientifique" ne me convient pas. Le TLIF définit la vulgarisation comme le "fait de diffuser dans le grand public des connaissances, des idées, des produits". Ce qui me gène, c'est ce "grand public", que l'on identifie mal. Je vois surtout que des amis professeurs de droit connaissent aussi mal les sciences de la nature que je connais le droit, par exemple. Font-ils partie du "grand public" ? Et moi, fais-je partie du "grand public" ? Certains utilisent le terme de "médiation", mais c'est une fonction spécifique, que de servir d'intermédiaire (sous-entendu entre les scientifiques et les non scientifiques). Et puis, dans "médiation scientifique" (comme d'ailleurs dans "vulgarisation scientifique", il y a cette faute, ou ambiguïté pour être plus indulgent, du partitif) : la médiation n'est pas "scientifique" : c'est une médiation entre le monde scientifique et le public.
Avec "diffusion de connaissances scientifique, technologiques et techniques", on a une terminologie bien meilleure de nombreux points de vue. D'une part, il est juste de dire que l'on diffuse des connaissances ; il est juste de reconnaître des différences entre les sciences de la nature, la technologie, la technique.


Pourquoi vulgarisez-vous ?

Pourquoi me suis-je astreint à cette diffusion qui prend du temps à ma recherche scientifique ? C'est mon action politique ! Depuis 1980, date à laquelle j'avais commencé à collaborer à la revue Pour la Science, j'ai cette idée que le monde a besoin de plus de rationalité, d'un idéal plus élevé que le panem et circenses méprisant qui fait la devise de media hélas trop nombreux, populistes, démagogues, honteux en un mot. Je veux que la bonne monnaie chasse la mauvaise, parce que je sais que chacun d'entre nous risque toujours d'être happé par son animalité : le sexe, la "bouffe", les drogues (alcools, tabac, gras, sucre, sel...), la socialité mal digérée... Être humain, cela s'apprend, cela se travaille, cela s'élabore, par un effort de tous les instants... Enfin, "effort".... Il faut surtout que des "amis" nous aident à découvrir les beautés du monde : j'aime le guide de musée qui nous fait voir la petite mouche peinte en bas à gauche d'un tableau (je ne prends pas l'exemple par hasard, mais ce serait trop long d'expliquer) ; j'aime le musicien qui me montre l'endroit où  la partition reprend la tonalité initiale, qui m'explique ce qu'est le contrepoint, sur des exemples simples... ; j'aime l'écrivain dont les mots me font chavirer le coeur ; j'aime le botaniste qui me montre, au bord du chemin, des fleurs sur lesquelles j'aurais marché  par mégarde... Le monde n'est pas ennuyeux par uniformité, mais par désinvolture et ignorance.
Pour les sciences de la nature, il en va de même, et c'est un des objectifs de mes billets de blogs, de mes articles, de mes livres, de mes vidéos, de mes podcasts audio que de chercher à montrer combien la vie est belle, combien le monde est beau.
On m'a offert comme cadeau, le jour de ma remise de Légion d'honneur, cette phrase "L'enthousiasme est une maladie qui se gagne"... que j'ai commentée ici : http://hervethis.blogspot.fr/2016/08/lenthousiasme-est-une-maladie-qui-se.html. Oui, à  moi de montrer que le trouble de l'eau de chaux par le souffle est quelque chose de merveilleux. C'est ce à quoi je m'astreins... sans prétention, avec un enthousiasme d'enfant, pas supérieur. D'ailleurs, je ne cesse de me lamenter de ce que je ne sais rien : je suis imparfait, mais je me soigne... en découvrant moi-même combien le monde est merveilleux. Ce fut la teneur de mon livre "La sagesse du chimiste".
Surtout je crois que le siècle des Lumières n'a pas encore vraiment commencé, si je puis dire. Il faut de la rationalité, il faut de la tolérance,  il faut abattre les idoles, les pouvoirs indus, il faut promouvoir de l'idéal et de la paix ! La diffusion des connaissances scientifiques, technologiques, techniques, en plus de contribuer au bien être de nos sociétés, vise à plus d'harmonie dans ce monde. Pardon d'être naïf, mais c'est un parti pris... qui va d'ailleurs avec l'une de mes devises : "Le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture". 


Que pensez-vous de la vulgarisation faite par des non-scientifiques ?

Qui peut distribuer des connaissances scientifiques ? Ceux ou celles qui le peuvent ! Tous... à condition de travailler. Chacun peut faire l'effort, mais il ne suffit pas de claquer des doigts, et, surtout, il vaut  mieux avoir fait le travail de savoir de quoi l'on parle, afin d'éviter de dire des choses fausses.
Cela fut le début d'une amitié avec le chimiste belge Jacques Reisse : lors d'un colloque organisé par Georges Bram et Alain Fuchs, j'avais été chargé d'une présentation sur cette question, et je soutenais que les scientifiques peuvent faire de l'excellente diffusion des connaissances... à condition de ne pas se raidir dans une rigueur excessive qui fait tomber à plat leur  discours (pour expliquer quelque chose à quelqu'un, il faut quand même s'assurer qu'il nous comprend, non ?), et que des non scientifiques peuvent effectivement faire de la diffusion des connaissances scientifiques... à condition de comprendre ce dont ils parlent.
C'est d'ailleurs l'idée de la revue Pour la Science, à laquelle j'ai contribué pendant 20 ans : il y a moins de "journalistes scientifiques" que d'éditeurs, à savoir que je préfère la position de celui ou celle qui  aide les scientifiques à produire des discours clairs, traquant les difficultés, les obscurités... Une sorte de maïeutique, comme je l'explique ici : http://www.agroparistech.fr/Une-presentation-scientifique-De-quoi-s-agit-il.html.
Pour en revenir à la question posée, je crois que tout est possible à deux conditions :
- il faut la volonté de bien faire
- il faut du travail (ne rien lâcher, jamais, et se souvenir de choses simples, à savoir que les mots ont un sens!)



Quel est selon vous le critère principal d’une bonne vulgarisation ? 

Qu'est-ce qu'une bonne diffusion de connaissances ? Celle qui donne du bonheur ! Il faut ce moment où l'esprit s'illumine. Et, notamment, ce sentiment de devenir capable. J'aime moins apprendre que la fusée à décollé, que de comprendre comment elle a décollé, comment des efforts importants ont fait décoller la fusée.
# Cela, c'est pour de la technologie, mais pour de la science, je veux comprendre l'idée de fond de la théorie de la renormalisation, je veux  voir les électrons s'échanger lors d'une réaction chimique, je veux comprendre la dualité onde-particule, je veux  comprendre la structure de la matière...
# Plus généralement, je veux devenir demain plus intelligent qu'aujourd'hui, et cela passe, me semble-t-il, moins par des données que par des notions, concepts, méthodes. C'est d'ailleurs la structuration de beaucoup de mes cours : je propose aux auditeurs de distinguer, dans mon discours, les informations (on le trouve sur internet, et l'on n'a pas besoin de moi), les notions et concepts (l'énergie, la température, l'électron, l'entropie...), les méthodes (essentielles ! ), les anecdotes, et les valeurs (j'y reviens : la diffusion des connaissances est politique, essentiellement politique).
Mais, surtout, je crois hélas que nous avons manqué notre but, pour l'instant, et l'un de mes billets de blog explique quelle devrait, je crois, être l'ambition de la diffusion des connaissances scientifiques et techniques, à savoir expliquer les calculs qui font que la science n'est pas réductible à un discours un peu poétique.
Surtout, je rappelle que les sciences de la nature progressent par la méthode suivante :
- observation d'un phénomène (il faut l'identifier, le circonscrire...)
- caractérisation quantitative du phénomène : d'innombrables mesures
- réunion des caractérisations quantitatives en "lois", c'est-à-dire en équations
- recherche des mécanismes par "induction" : les théories sont guidées quantitativement par les lois
- recherche de prévisions expérimentales déduites des théories proposées
- tests expérimentaux des prévisions
- et ainsi de suite.
Dans cette description (je renvoie vers mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires): quelles relations?"), on voit que le calcul est partout, que les équations sont partout, et que la science, sauf à n'être qu'une descriptive collection de papillons, n'est que du calcul. D'où mon idée que la "vulgarisation" fait rarement le vrai travail qu'elle devrait faire, à savoir donner l'idée de ces équations, de ces calculs. A ne donner que des mots pour décrire des résultats, on fait du dogme inutile.
D'où la difficulté de la bonne diffusion des connaissances scientifiques, technologiques ou techniques, dont l'ambition, je le répète, est de contribuer au développement de "l'intelligence".


Quelle est votre avis sur la communication scientifique institutionnelle ?

Je ne suis pas certain de bien comprendre la question

mercredi 10 août 2016

Emulsions de beurre noisette


Une question m'arrive ce matin, à propos d'émulsions de beurre noisette... ce qui me donne l'occasion de parler à nouveau de cette merveilleuse sauce  que j'avais introduite il y a de nombreuses années : la "sauce kientzheim" et, aussi, de rappeler des résultats obtenus lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire à propos de sauce hollandaise. Je  présente cela, avant de répondre à la question de mon correspondant.


D'abord, la sauce kientzheim

Cette invention que j'ai faite il y a de nombreuses années est une sorte de mayonnaise de matière grasse chaude. Voici le protocole, pour une des versions :
1. dans une terrine, mettre le jaune d'un ou deux oeufs
2. puis ajouter le jus d'un citron
 3. saler et poivrer vigoureusement (pour le poivre)
4. faire un beurre noisette (on chauffe du beurre jusqu'à ce que l'apparence des bulles de vapeur change et qu'une légère coloration se forme, avec une belle odeur
5. attendre que le beurre noisette refroidisse un peu (mais reste liquide : il faut  pouvoir poser la main sur le bord de la casserole, preuve que la température ne sera pas suffisante pour coaguler l'oeuf)
6. ajouter le beurre noisette refroidi goutte à goutte dans le mélange oeuf+citron, en fouettant comme pour une mayonnaise.
C'est absolument délicieux et, on le voit, c'est une émulsion de beurre noisette dans un liquide (jaune d'oeuf + citron). Je rappelle en passant qu'une émulsion n'est pas une mousse : la mousse, c'est obtenu par foisonnement (ajout de bulles de gaz), alors que l'émulsion correspond à la dispersion de gouttelettes de matière grasse dans un liquide avec lequel la matière grasse n'est pas miscible).


Puis notre séminaire

Dans notre séminaire, nous avons examiné, à une occasion, la question de la hollandaise que l'on rate : pouvait-on la rattraper en ajouter une goutte d'eau froide ? Et la réponse est oui : nous sommes devenus "champions du monde" de la hollandaise ratée (exprès) et rattrapée : il suffisait, une fois la sauce tournée, de mettre une ou deux cuillerées à soupe d'eau, et la sauce reprenait spontanément... comme je l'avais d'ailleurs signalé dès 1992 dans mon livre Les Secrets de la casserole (éditions Belin).
Après quatre ou cinq rattrapages, nous avons décidé d'en finir, et de pousser la cuisson de la sauce... jusqu'au beurre noisette. Et quand nous avons mis une cuillerée d'eau froide, la sauce s'est rétablie, preuve que nous avions retrouvé une émulsion de type huile dans eau.


Jusqu'à mon "beurre feuilleté"

On le voit, on peut parfaitement faire des émulsions de beurre noisette dans un liquide, mais on peut  faire aussi des émulsions d'un liquide dans du beurre noisette, et c'est ce qui m'a conduit à inventer, il y a plusieurs mois, le "beurre feuilleté". Dans cette préparation inspirée par la pâte feuilletée inversée, j'ai proposé qu'une des couches soit faite par une émulsion d'un liquide aqueux dans du beurre, et l'autre par une émulsion de beurre dans un liquide aqueux. Mon ami Pierre Gagnaire en a fait bon usage : http://www.pierre-gagnaire.com/#/pg/pierre_et_herve/travail_du_mois.
Disperser du beurre noisette dans un liquide est, on l'a vu, sans aucune difficulté, mais disperser du  liquide dans du beurre noisette ? Pas de problème non plus, et, de toute façon, si les protéines manquaient, il serait facile d'ajouter un blanc d'oeuf, ou un jaune d'oeuf, ou de la gélatine en solution dans le liquide, ou de la lécithine.


Bref, on n'a aucune difficulté  à émulsionner du beurre noisette !

lundi 8 août 2016

En salle, le beau geste est celui que l'on admire (sans y être obligé)

Quelque part, j'ai lu l'interview d'un maître d'hôtel qui déclarait que, "en salle, le beau geste est celui qui ne se voit pas". Ah bon ? Les maîtres d'hôtel ne doivent-ils être que des porteurs d'assiette invisibles ? A contrario, je me souviens pourtant d'une découpe de caille "à la volée" (l'oiseau était piqué sur une fourchette, et le maître d'hôtel en découpait les parties) qui  m'a coupé le souffle ; je me souviens de sourires aimables, d'accueils ; je me souviens d'informations techniques ; je me souviens de préparations de dernières minutes devant moi...

Pour analyser la question, n'est-ce pas une bonne idée que de se demander ce que l'on va faire au restaurant ?
Il y a autant de réponses que de personnes; et peut-être même que d'occasions d'aller dans ces endroits où il y a de la cuisine et du service. On peut vouloir découvrir la cuisine d'un "artiste culinaire". On peut avoir besoin d'un endroit hors de chez soi pour "passer un moment". Parfois, on n'a pas le temps ou la possibilité  de cuisiner, alors qu'on doit se nourrir. On peut vouloir manger mieux que ce que l'on sait préparer. On peut vouloir donner rendez-vous à des amis  ou à des relations... Pour chaque restaurant, il y a une cuisine appropriée... et un service adéquat, n'est-ce pas ? Par exemple, si l'on veut se rencontrer, on peut ne pas vouloir que le moment de la rencontre soit détourné par de l'art culinaire, mais, si l'on pressent qu'il faudra que les circonstances extérieures facilitent la discussion, il faudra au contraire que le service et la cuisine soient des supports à la discussion. Par exemple, si l'on veut découvrir la cuisine d'un artiste culinaire, on se moque (un peu) de la façon dont les mets sont servis.
Par exemple, si l'on a besoin d'être "entouré", alors le service est essentiel.
Par exemple, si l'on a simplement besoin de manger parce que l'on n'est pas chez soi, on veut quelque chose de simple et rapide. Et ainsi de suite.

De sorte que, en réalité, le bon service est celui qui a l'intelligence de s'adapter aux convives, n'est-ce pas ?

Et pour le bon geste ? Le geste n'est que la base du service. Par exemple, un bras tendu fera un bel accueil... et il se verra, bien sûr, contrairement à ce que l'on nous disait. Par exemple, une façon de marcher particulièrement élégante sera admirée  : après tout, on admire bien les mannequins, non ? Par exemple, une découpe à la volée se voit, s'admire. Par exemple... Le beau geste se voit, sans quoi il n'est pas beau  : après tout, un arbre qui tombe dans une forêt où personne n'est présent ne fait pas de bruit, non ? Mais c'est là une option philosophique.

dimanche 7 août 2016

Peut-on manger des viandes cuites au barbecue ?

Ce matin, un correspondant (amical) me demande des précisions sur la cancérogénicité des viandes cuites au barbecue, afin de ne plus en manger :

 "Vous dites que manger des aliments cuits au barbecue est cancérigène, pouvez-vous me préciser exactement ce qui l'est, est-ce le charbon ou autre chose ? J'aimerais en savoir plus avant d’arrêter définitivement ces moments plaisirs de l'été."


Je lui réponds  :

Je ne dis pas qu'il ne faut pas manger de viande cuite au barbecue, pour cette première et importante raison que je dis que chacun doit faire ce qu'il veut. Dans mon laboratoire, les "on doit" ou les "il faut" sont interdits, et nous invitons chacun à prendre des décisions responsables, après recherche.

Pour ce qui concerne le barbecue, je dis plus exactement (et j'ai des tas de références scientifiques à vous donner) que la viande mise au-dessus du feu ou de la braise se charge de benzopyrènes cancérogènes. Que le feu soit vif, avec des flammes, ou qu'il n'y ait que des braises, que l'on ait utilisé du bois ou du charbon de bois, peu importe.
En revanche, je propose de savoir que si l'on surélève la grille, la quantité de benzopyrènes diminue, mais, surtout, que si l'on met la viande à côté du feu, et non pas dessus, alors la quantité de benzopyrène devient indétectable (pour ne pas dire nulle) : en effet, les viandes cuisent tout  aussi bien, parce que les infrarouges se propagent dans toutes les direction ; mieux encore, on peut mettre derrière la viande un réflecteur, nommé "coquille", qui accélère la cuisson. Et dans cette configuration, évidemment, pas de benzopyrène !

Finalement, s'il est vrai que les benzopyrènes cancérogènes sont effectivement abondants dans les viandes au barbecue classique, je ne crois pas qu'il faille arrêter de cuire ainsi, quand cela n'a lieu que quelques fois. Car le risque n'est grand que par la répétition des expositions.

D'autre part, je prends souvent l'exemple de la viande au barbecue non pas pour empêcher mes amis de manger des préparations, mais surtout pour inviter à être de bonne foi, et à ne pas se préoccuper de dangers moins avérés, de risques plus faibles (les additifs, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, le gluten, que sais-je ?) quand on fait soi-même bien pire. Il y a d'autres exemples de ce type : fumer, boire, ne pas enlever la peau des pommes de terre, etc.
Je revendique surtout de la cohérence !
#

samedi 6 août 2016


Un jour à dix heures, lors d'un de nos « bonheurs du matin » (je ne parviens pas à nommer « réunion » ce qui est une sorte de récréation… studieuse), une étudiante merveilleuse de notre groupe de recherche présente le début de la théorie de l'arc-en-ciel. La question est de comprendre pourquoi il y a parfois des arc-en-ciel, avec des couleurs séparées, et parfois des arc-en-ciel secondaires, les deux arcs ayant une forme d'arc de cercle.
Notre amie expose la trajectoire de rayons lumineux dans les gouttes d'eau à l'aide de lois physiques simples ; puis elle calcule l'angle entre un rayon qui arrive sur une goutte d'eau et un rayon finalement réfléchi ;  puis elle identifie des résultats de calcul qui  lui servent à expliquer pourquoi il y a  de la lumière à certains endroits du ciel et pas à d'autres.
Tout cela est très propre, très bien fait, et  je n'ai aucune critique… sauf contre moi-même qui n'ai cessé de perturber sa présentation avec des remarques.

Toutefois, j'ai des excuses. Par exemple, notre amie parle de rayons lumineux, mais...

La suite sur  http://www.agroparistech.fr/Une-presentation-scientifique-De-quoi-s-agit-il.html

vendredi 5 août 2016

Le fantasme du Maître

Hier, des étudiants qui avaient participé à un concours d'innovation alimentaire ont reçu leur prix :  un voyage à Paris qui comprenait un cours de gastronomie moléculaire, un « repas moléculaire » et une journée passée dans mon laboratoire. En fin de journée, un des professeurs qui les accompagnait leur a demandé ce qu'ils avaient tiré de la visite. Évidemment il y a bien un qui a eu des mots convenus aimables, mais comment aurait-il fait autrement ?  On me connaît : je n'ai pas pu m'empêcher de réfléchir. In petto, je me suis  dit qu'il aurait été plus délicat d'interroger les élèves hors de ma présence, puisque l'on peut imaginer que ce qu'ils ont tiré de la visite était proportionnel à ce que je leur ai donné. Les interroger, c'était donc leur demander de m'évaluer.
Mais j'avais pris les devants. Pour ne pas mettre nos jeunes amis en défaut, j'ai pris immédiatement la parole pour dire à tous que l'intelligence est peut-être moins dans les objets du monde qu'en nous-même, et que le monde pourrait n'être qu'un substrat qui nous permet d'y mettre de l'intelligence : à nous de partir d'un fait, d'un objet, d'une idée, d'une parole qui nous sont « exposés » pour travailler et élaborer toute une série de pensées qui s'enchaînent et qui seront autant d'objets d'ameublement de notre esprit, ou bien d'outils intellectuels…

 En évoquant cela, je ne peux m'empêcher de penser à tous ces récits d'apprentissage, en Occident ou en Orient, où il est question de Maître. J'insiste : de Maître avec une majuscule, de personne supposée savoir, supposée sage… Il est amusant de voir dans les récits bouddhistes en particulier combien le Maître peut avoir d'influence avec une parole sibylline, et j'utilise le mot « sibyllin » avec intention, tant on sait que les paroles de la Pythie étaient ambiguës, et devaient être interprétées.
Ce qui me fait penser  à un autre billet où j'évoquais un livre de dialogue entre deux philosophes de pacotille qui s'échangeaient des idées fausses couvertes par des mots compliqués, inutilement compliqués ; l'examen précis du texte révélait à la fois l’imprécision de nos auteurs et, je crois, la volonté de tromper ou de paraître savants (philosophes, vous vous rendez compte ! Ce n'est pas rien, quand même...). Je déteste ces phrases ambiguës où chacun peut trouver ce qu'il veut, parce qu'elles laissent cette possibilité. Il est alors facile de se draper dans une prétendue sagesse, de laisser croire au monde qu'on est bien supérieur.
Oui, l’obscurité, dans le discours public, dans le discours de l'enseignement, et jusque dans le domaine privé, me semble une  double faute :  non seulement c'est la clarté que nous devrions chercher, et, de surcroît, les obscurités sont trop souvent des fraudes ou de la paresse.
Je me souviens d’ailleurs de discussions avec des enseignants en science dont le cours n'était pas clair et qui donnaient comme argument que cela conduisait les étudiants à travailler. C'est là la position de certains Maître, et si je ne suis pas opposé évidemment à l'idée d'inviter nos jeunes amis à travailler, à réfléchir, à penser, je me demande s'il n'est pas plus légitime de poser de vraies questions, tant elles abondent sans qu'il soit nécessaire d'inventer des questions rhétoriques, obscures, sans intérêt, qui s'ajoutent à toutes celles que nous avons déjà.
Et puis, les étudiants ont-ils vraiment besoin d'un Maître pour se  poser des questions inutiles ou obscures ? Et le Maître est-il vraiment supérieur aux élèves, voire aux « disciples », surtout quand il ne sait pas la réponse aux questions ? Nous voyons bien trop souvent des soi disant maîtres qui feraient mieux de travailler eux-mêmes, au lieu d'envoyer les élèves sur des  chemins hasardeux, car ces derniers  risquent de faire un long chemin pour s'apercevoir finalement qu'il ont été trompés. Bien sur, il y a ceux qui feront leur miel d'une parole anodine, mais alors il n'est pas nécessaire qu'un individu s'érige en Maître : doit-on se glorifier de paroles anodines ? D'ailleurs, ces individus-là auraient travaillé sans personne. Il y a aussi les autres,  qui sont lancés dans la brume par la parole absconse, qui demeurent dans l'obscurité, qui accumulent des obscurités, des incompréhensions : pour ceux-là, je n'arrive pas à penser que les paroles obscures soient utiles. Ne faut-il pas, au contraire, les aider à trouver un peu de clarté, et les méthodes pour la trouver ?

Donc… « Maître » ? On voit que la notion n'a pas d’intérêt, alors qu'elle est agitée partout. Parmi les amateurs de musique, qui en viennent à révérer tel pianiste ou flûtiste qui bouge les doigts plus rapidement que les autres, ou qui, éventuellement s'est interrogé sur l'interprétation des œuvres, ce qui est  bien, évidemment, mais ne les met pas au rang de surhomme, de génie. Dans des activités comme l'équitation, où des enfants, des adolescents et des adultes peu évolués mettent sur un piédestal des individus qui ont une capacité technique un peu supérieure à la leur. Et ainsi de suite. On voit surtout, en regardant clairement le monde, des individus qui acceptent d'être considérés et nommés comme des Maîtres. Et, évidemment, c'est là le pire : quelqu'un qui accepte qu'une communauté le juge quasi divin, disons seulement génial, est  déjugé de facto. Les plus sages refusent les titres, parce qu'ils savent bien qu'ils ne savent pas grand-chose, qu'ils ont tout à apprendre, et c'est précisément parce qu'ils sont dans ce mouvement d'apprentissage qui se moque de la réputation qu'ils progressent et qu'ils deviennent bien supérieurs aux prétendus maîtres auto proclamés ou simplement flattés qu'on les nomme ainsi.
Finalement on retrouve cette merveilleuse parole de frère Jean des Entommeures  à qui Gargantua proposait de dirger une abbaye et qui répondait : « « Car comment (disoit il) pourroy je gouverner aultruy, qui moy mesmes gouverner ne sçaurois ? ». Diriger : il s'agit d'indiquer aux autres une direction. En sciences,  puisque l'objectif est la découverte, la direction devrait être celle qui nous conduit à la découverte ; mais qui d'entre nous sait vraiment à l'avance dans quelle direction nous devons travailler pour faire une découverte. La découverte était inconnue, la direction qui y conduit est aussi inconnue (pensons  à une montagne dans une brume épaisse). On ne rappellera jamais assez  que Lord Rutherford avait déclaré, au tournant du vingtième siècle, que la physique était terminée et qu'il n'y  avait plus rien à découvrir. Quelle direction aurait-il pu légitimement indiquer ? Fallait-il que, malgré ses travaux passés, des étudiants lui fassent confiance ?
Alors, que faire, avec des Maîtres qui n'en sont pas, et une sagesse bien difficile à obtenir ? Je  suis optimiste, parce que je sais qu'il existe des jeunes étudiants qui feront leur miel de tout, même d'une parole fausse. Je me reprends : en réalité, je suis optimiste non pas parce que je sais cela, mais parce que je suis optimiste. Et je suis optimiste parce que je sais que je finirai par mourir, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de passer trop de temps à cette pensée lugubre, et que, surtout, le monde n'existe que par ce que j'en fais. Si je veux me  complaire dans le pessimisme, j'y me complais. Si je veux me prélasser dans l'optimisme, je m'y prélasse. On comprend que je préfère une vie heureuse et souriante à une vie de plaintes, qui sont en réalité une impolitesse vis à vis de nos proches.

Revenons donc aux mots,  aux idées, aux objets, aux phénomènes : il n'y pas de Maître qui tienne, mais nous avons la possibilité inouïe, merveilleuse, de nous emparer des ces objets par la pensée et d'élaborer des théories, des raisonnements, d'autres pensées, des discours, des actes… parce que nous aurons travaillé à le faire. Quel bonheur !

jeudi 4 août 2016

Quel est le mécanisme ?

 Quel est le mécanisme ? Ou bien,  quels mécanismes? C'est la question principale, celle qui est écrite sur le mur de mon laboratoire dans les caractères les plus gros.
C'est la question principale,  parce que c'est la question principale  des sciences de la nature : nous cherchons les mécanismes des phénomènes. Tout ce que nous faisons vise à identifier les mécanismes des phénomènes, et, alors que cette quête est très difficile, nous ne devons pas faiblir, c’est-à-dire nous arrêter aux  caractérisations quantitatives, ou à la réunion des données en lois. Non, il faut aller plus loin et passer des équations aux explications : quel est le mécanisme ?
Bien sûr, les propositions théoriques sont nécessairement suivies de recherche de conséquences des théories et de tests expérimentaux de ces conséquences, mais alors l'objectif restera encore de chercher un mécanisme mieux approprié que le précédent. Décidément, la question de sciences de la nature est : quel est le mécanisme ?
J'ai évoqué des faiblesses, des lassitudes … Et il est vrai que parfois,  il est bien difficile de produire des données expérimentales, puis de les réunir en lois. Après avoir lutté avec les matériels d'analyse, les échantillons, on est souvent heureux d'avoir enfin nos "lois", c'est-à-dire des équations qui relient les paramètres expérimentaux, et c'est pour cette raison que tant d'entre nous s'arrêtent à cela, mais la science ne vise pas seulement des caractérisations quantitatives, et c'est donc bien une difficulté que de passer de ces dernières à des théories,   des modèles, des explications du monde, en conséquence. Oui, quel est le mécanisme ?

Reprenons, en nous répétons un peu (pas trop quand même), comme si nous n'avions encore pensé à rien : quels sont les mécanismes ?
Cette question est la question centrale de la science, puisque la définition de cette dernière est de chercher les mécanismes ces phénomènes, par une méthode particulière qui consiste en l'observation, l'identification précise d'un phénomène, sa caractérisation quantitative (on "mesure" le phénomène), puis la réunion des  résultats de ces caractérisations (« mesures ») en lois synthétiques (c'est-à-dire en équations), puis, par induction, la recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois, puis la recherche de  conséquences théoriques de ces « théories », puis le tests expérimental de ces conséquences théoriques.
Au coeur de l'activité scientifique,  il y a donc les mécanismes, ces « explications » des phénomènes (on pourrait remplacer « explication » par « compte rendu »), par l'introduction de nouveaux concepts, notions, objets, qui découlent des lois.
Ces notions, concepts, objets sont « imaginés », mais pas  imaginés comme on imagine des fées ou des lutins. Non, en quelque sorte imaginés "obligatoirement", à savoir que les notions, concepts ou objets que nous introduisons (en nombre aussi petit que possible : il faut se souvenir du principe d'Occam, selon lequel les explications doivent être économes) doivent obéir aux lois identifiées.
 Par exemple, quand on explore le passage du courant électrique dans un matériau conducteur, on est conduit à imaginer l'existence d'entités nommées électrons, que l'on apprend à caractériser par une masse, une charge électrique, un spin…  Auparavant, on avait deux sortes d'électricités, positive et négative, mais on a réduit tout cela à la présence des électrons.
Plus profondément, l'activité scientifique est tout entière dans la recherche des mécanismes, parce que la recherche scientifique a pour but de comprendre comment le monde fonctionne, « comment ça marche ». Oui, alors que nous sommes engagés dans des travaux variés, de caractérisation quantitative des phénomènes, dans l'identification précise de ces derniers, dans la recherche de conséquences théoriques, que sais-je, il ne faut jamais oublier cette question centrale, « quels sont les mécanismes ? », sans quoi nous risquons de faire des identifications de phénomènes, des caractérisations « techniques » des phénomènes, etc. mais nous risquons d'oublier de faire une activité véritablement scientifique.
Notamment  on prendra garde de ne pas s'arrêter aux lois, même si l'on est heureux de les avoir trouvées, tant il est vrai, d'expérience, que nombre de nos amis passent bien plus de  temps aux caractérisations quantitatives qu'à la recherche difficile des mécanismes.