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jeudi 8 février 2024

Soyons clairs, expliquons

Un médecin se plain à moi qu'un patient qu'il ne connaissait pas, mais qui avait pris rendez-vous plusieurs semaines plus tôt, lui demande une ordonnance pour un examen complémentaire, et je lui explique que la personne n'est peut-être pas en tort, et qu'il y a lieu de lui expliquer pourquoi cela n'est pas possible.
La raison en est que la prescription d'un examen complémentaire imposerait un décryptage des résultats lors d'une consultation qui devrait être peut-être très proche et qui n'a pas été programmée. 

Le même médecin m'explique qu'un autre patient a abusivement demandé une ordonnance pour un médicament  : abusivement puisqu'il n'a pas vu la personne en consultation depuis 2 ans.
Je lui demande de m'expliquer la difficulté et je reçois l'explication suivante, parfaitement juste :   prescrire un médicament nécessite de connaître l'état présent de la personne.
Le médecin a donc parfaitement raison de refuser cette ordonnance ou, plus exactement, de la conditionner à une consultation 

Mais dans les deux cas, le médecin a tort s'il n'explique pas les raisons de son refus. Car il ne s'agit pas de  refus arbitraires,  mais d'impossibilités médicales. En revanche,  du côté des patients, il n'y a pas de raison que cela soit connu, que cela soit su, et la réponse du médecin nécessite donc une explication. 

 

Je prends cet exemple médecin parce qu'il en va de même pour les enseignements de physico-chimie et plus généralement de méthodologie universitaire. Quand nous demandons aux étudiants de faire des synthèses bibliographiques, nous avons l'obligation de leur expliquer comment faire de telles synthèses, et une obligation de l'expliquer de façon pratique, concrète, détaillée. De même, quand nous demandons aux étudiants de rédiger un rapport, nous avons l'obligation de leur expliquer comment rédiger un rapport. Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur ces explications détaillées... ce qui évidemment nous conduit nous-même à disposer d'une méthodologie bien claire, explicite, et maîtrisée.


J'ajoute en souriant que nombre de mes collègues ne sont pas parfaitement aguerris à la rédaction et j'en prends pour preuve des décennies de rédaction en chef ancienne de la revue Pour la science, où les textes que nous recevions de scientifiques pourtant parmi les meilleurs étaient étaient souvent bien insuffisants. 

 

Bref, il y a lieu d'expliquer comment rédiger, il faut s'expliquer cela en détail, souligner les fautes les plus courantes, et c'est seulement à condition que nous ayons bien expliqué tout cela que nous pourrons faire remarquer à nos amis qui n'ont pas appliqué les règles qui leur ont été données. 

En revanche, une fois les règles données, avec une méthode facile à appliquer, celui ou celle qui écrit est tenu d'appliquer ces règles sous peine d'une évaluation défavorable. 

Il en va de même, au fond, pour les matières scientifiques. Par exemple, nous ne pouvons pas sanctionner un étudiant de ne pas savoir calculer un pH si le calcul de pH ne lui a pas été expliqué précédemment. Mais si cela a été fait, alors nous devons, dans le cas où il ne sait pas calculer le pH, le renvoyer à des études qu'il a déjà faites et ne pas perdre de temps à pallier les insuffisances de l'étudiant. 

 

Ce dernier cas m'amène à discuter le fait que nombre d'étudiants ont oublié ce qu'ils ont appris dans les années précédentes. Cela n'est pas extrêmement grave, mais dénote quand même un apprentissage insuffisant à l'époque.
Et pour pallier l'insuffisance actuelle, il y a lieu de les renvoyer vers l'étude qu'ils ont faite, les documents dont ils ont disposés, et nous ne devons pas à nouveau palier des insuffisances, perdre du temps à cela. 

En revanche, il n'y a pas de raison d'être particulièrement remonté contre ces étudiants et il suffit de leur dire qu'il y a lieu de se replonger dans des études anciennes. 


Tout cela, c'est ce que l'on nommerait de la pédagogie si nos interlocuteurs étaient des enfants et que l'on doit simplement nommer de la didactique quand ce sont des adultes.

samedi 18 septembre 2021

La rédaction "divisée"



1. Décidément, je crois que, pour beaucoup d'amis qui n'ont pas le temps de lire calmement, la rédaction en très petits paragraphes (jusqu'à une seule phrase), séparés par une ligne de blanc, & numérotés s'impose.

2. Nombre d'amis me disent qu'ils ont du mal à lire des paragraphes volumineux.

3. Et cette façon d'écrire montre mieux les enchaînements logiques.

4. En outre, à l'ère du numérique, on n'est plus à une ligne près. Ce qui faisait l'objet de réglages très fins de la part des maquettistes devient plus facile, avec la même fonction littéraire.

5. Et bien d'autres raisons.  Mais  la numérotation est une autre histoire : s'impose-t-elle vraiment ? Non, mais elle ne gêne pas.

6. Reste la coquetterie du &, qui était jadis utilisé dans les livres : il est exact que le "et" revient souvent, de sorte que le besoin de le représenter n'a pas changé. De même pour "ss",  que l'on peut utilement remplacer par un β, comme en allemand.

7. En tout cas, l'objectif est d'être efficace, parfaitement compris, en vue d'un dialogue intellectuel constructif.



jeudi 23 avril 2020

Censeur ? Au contraire !


1. Alors que je préparais une conférence pour expliquer que les réaction de Maillard ne méritent pas leur nom, que ce sont en réalités des réactions de glycation, je m'aperçois que, souvent, la rigueur intellectuelle risque de me mettre en position de censeur.

2. Pour la conférence sur les réactions de glycation, j'étais conscient du risque et j'ai tout fait -en préparant ma conférence- pour transformer cette apparence négative en une promesse de progrès : si l'on comprend que tout ce qui brunit en cuisine n'est pas pêle-mêle "des réactions de Maillard", on a quelque chance de finir par comprendre pourquoi les aliments brunissent, et, de ce fait, d'en tirer des conséquences techniques !

3. Mais les applications techniques, via les travaux technologiques, ne sont pas ma préoccupation première, comme on finit par le savoir autour de moi. Surtout, je suis bien persuadé, et Lavoisier l'a amplement démontré, que la pensée et les mots vont de pair, que la science ne peut se perfectionner sans des améliorations du langage, et vice versa.

4. De  sorte que l'on n'a jamais intérêt, si l'on vise plus de clarté, à utiliser de mauvais termes. Ce qui vaut pour les réactions de glycation vaut aussi pour l'utilisation de mots comme "flaveur" (oublions le terme sans attendre) ou "arôme", le premier n'ayant aucun sens et le second étant souvent dévoyé, car en réalité l'arôme est l'odeur d'une plante aromatique.

5. Du point de vue de la compréhension et la clarté, les choses sont claires : nous avons intérêt à utiliser des termes appropriés.
Mais perd-on quelque chose ?
Perd-on une capacité d'enthousiasme à utiliser des termes dévoyés, fautifs, erronés ? Je ne crois pas car c'est en voyant mieux le monde, en le voyant plus finement, que nous pouvons le mieux nous émerveiller.
Prenons la métaphore d'une pendule que nous pouvons regarder de loin. Nous pouvons l'appeler une horloge, une pendule : la littérature voudra que nous choisissions l'un ou l'autre terme en fonction d'assonances, d'allitérations, que sais-je ? Mais une horloge n'est pas une pendule, et les connotations qui vont avec ces mots risquent d'avoir une force qui contredit l'utilité littéraire fondée sur la confusion ou l'ignorance. De même, prêche ou sermon ? On aura beau faire : ce n'est pas la même chose puisque le sermon est catholique et le prêche protestant. Et même si une sorte de goût naïf nous poussait à utiliser l'un pour l'autre, nous aurions des catastrophes amicale à vouloir confondre les termes.

6. Oui c'est en voyant mieux le monde,  en appréciant mieux ses détails,  que l'on est le plus efficace en terme d'enthousiasme,  tel le guide du musée qui montre du doigt des particularités que personne ne voit,  sans se tromper.
Gardons l'image du guide, qui montre cet insecte en bas d'une nature morte, et qui explique que l'insecte symbolise... tout un ensemble de choses que   je vous invite à découvrir en regardant l'histoire de la peinture classique (je fais là une coquetterie, en ouvrant une parenthèse qui veut inviter mes amis à aller plus loin ; n'est-ce pas un peu lourdement didactique ?).

7. Mais revenons à l'idée principale : je me sentirai toujours mieux, toujours plus honnête, à être un guide clair, pas un guide qui cache son ignorance derrière de l'obscurité.
Car je le clame depuis longtemps : je suis insuffisant, insuffisamment compétent, insuffisamment savant. Je travaille pour pallier ces insuffisances, et j'implore la clémence de mes amis, car c'est pour eux que je fais ces travaux qui veulent éradiquer mes ignorances : tendre avec efforts vers l'infaillibilité, disait le chimiste Michel Eugène Chevreul.
Oui, je déteste les prétendus savants, les prétendus compétents, et l'obscurité du langage est souvent leur apanage, au point que mes incompréhensions, face à un quelqu'un qui me parle, me font presque aussitôt supposer que celui-là ou celle-là veulent me tromper. Trop de prétentieux, de malhonnêtes, d'autoritaires, de paresseux jouent à ce jeu de l'obscurité pour que je puisse l'accepter pour moi !

8. Et puis, quand même, le projet n'est-il pas de mettre  de la lumière partout, de combattre l'obscurité, cette obscurité qui se nourrit justement des confusions, et des confusions lexicales en particulier.

9. Enfin, je le répète, le merveilleux est dans le quotidien, et pas dans le fantasme ni dans l'obscurantisme. Je ne résoudrai jamais à me laisser aller à moins de rigueur  sous prétexte qu'il pourrait y avoir de plus de poésie. Car il n'y a pas plus de poésie ;  il y en a plutôt moins, car les grands voiles posés  sur le monde nous empêchent de voir, de l'admirer.
La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public, n'est-ce pas ?

vendredi 5 août 2016

Le fantasme du Maître

Hier, des étudiants qui avaient participé à un concours d'innovation alimentaire ont reçu leur prix :  un voyage à Paris qui comprenait un cours de gastronomie moléculaire, un « repas moléculaire » et une journée passée dans mon laboratoire. En fin de journée, un des professeurs qui les accompagnait leur a demandé ce qu'ils avaient tiré de la visite. Évidemment il y a bien un qui a eu des mots convenus aimables, mais comment aurait-il fait autrement ?  On me connaît : je n'ai pas pu m'empêcher de réfléchir. In petto, je me suis  dit qu'il aurait été plus délicat d'interroger les élèves hors de ma présence, puisque l'on peut imaginer que ce qu'ils ont tiré de la visite était proportionnel à ce que je leur ai donné. Les interroger, c'était donc leur demander de m'évaluer.
Mais j'avais pris les devants. Pour ne pas mettre nos jeunes amis en défaut, j'ai pris immédiatement la parole pour dire à tous que l'intelligence est peut-être moins dans les objets du monde qu'en nous-même, et que le monde pourrait n'être qu'un substrat qui nous permet d'y mettre de l'intelligence : à nous de partir d'un fait, d'un objet, d'une idée, d'une parole qui nous sont « exposés » pour travailler et élaborer toute une série de pensées qui s'enchaînent et qui seront autant d'objets d'ameublement de notre esprit, ou bien d'outils intellectuels…

 En évoquant cela, je ne peux m'empêcher de penser à tous ces récits d'apprentissage, en Occident ou en Orient, où il est question de Maître. J'insiste : de Maître avec une majuscule, de personne supposée savoir, supposée sage… Il est amusant de voir dans les récits bouddhistes en particulier combien le Maître peut avoir d'influence avec une parole sibylline, et j'utilise le mot « sibyllin » avec intention, tant on sait que les paroles de la Pythie étaient ambiguës, et devaient être interprétées.
Ce qui me fait penser  à un autre billet où j'évoquais un livre de dialogue entre deux philosophes de pacotille qui s'échangeaient des idées fausses couvertes par des mots compliqués, inutilement compliqués ; l'examen précis du texte révélait à la fois l’imprécision de nos auteurs et, je crois, la volonté de tromper ou de paraître savants (philosophes, vous vous rendez compte ! Ce n'est pas rien, quand même...). Je déteste ces phrases ambiguës où chacun peut trouver ce qu'il veut, parce qu'elles laissent cette possibilité. Il est alors facile de se draper dans une prétendue sagesse, de laisser croire au monde qu'on est bien supérieur.
Oui, l’obscurité, dans le discours public, dans le discours de l'enseignement, et jusque dans le domaine privé, me semble une  double faute :  non seulement c'est la clarté que nous devrions chercher, et, de surcroît, les obscurités sont trop souvent des fraudes ou de la paresse.
Je me souviens d’ailleurs de discussions avec des enseignants en science dont le cours n'était pas clair et qui donnaient comme argument que cela conduisait les étudiants à travailler. C'est là la position de certains Maître, et si je ne suis pas opposé évidemment à l'idée d'inviter nos jeunes amis à travailler, à réfléchir, à penser, je me demande s'il n'est pas plus légitime de poser de vraies questions, tant elles abondent sans qu'il soit nécessaire d'inventer des questions rhétoriques, obscures, sans intérêt, qui s'ajoutent à toutes celles que nous avons déjà.
Et puis, les étudiants ont-ils vraiment besoin d'un Maître pour se  poser des questions inutiles ou obscures ? Et le Maître est-il vraiment supérieur aux élèves, voire aux « disciples », surtout quand il ne sait pas la réponse aux questions ? Nous voyons bien trop souvent des soi disant maîtres qui feraient mieux de travailler eux-mêmes, au lieu d'envoyer les élèves sur des  chemins hasardeux, car ces derniers  risquent de faire un long chemin pour s'apercevoir finalement qu'il ont été trompés. Bien sur, il y a ceux qui feront leur miel d'une parole anodine, mais alors il n'est pas nécessaire qu'un individu s'érige en Maître : doit-on se glorifier de paroles anodines ? D'ailleurs, ces individus-là auraient travaillé sans personne. Il y a aussi les autres,  qui sont lancés dans la brume par la parole absconse, qui demeurent dans l'obscurité, qui accumulent des obscurités, des incompréhensions : pour ceux-là, je n'arrive pas à penser que les paroles obscures soient utiles. Ne faut-il pas, au contraire, les aider à trouver un peu de clarté, et les méthodes pour la trouver ?

Donc… « Maître » ? On voit que la notion n'a pas d’intérêt, alors qu'elle est agitée partout. Parmi les amateurs de musique, qui en viennent à révérer tel pianiste ou flûtiste qui bouge les doigts plus rapidement que les autres, ou qui, éventuellement s'est interrogé sur l'interprétation des œuvres, ce qui est  bien, évidemment, mais ne les met pas au rang de surhomme, de génie. Dans des activités comme l'équitation, où des enfants, des adolescents et des adultes peu évolués mettent sur un piédestal des individus qui ont une capacité technique un peu supérieure à la leur. Et ainsi de suite. On voit surtout, en regardant clairement le monde, des individus qui acceptent d'être considérés et nommés comme des Maîtres. Et, évidemment, c'est là le pire : quelqu'un qui accepte qu'une communauté le juge quasi divin, disons seulement génial, est  déjugé de facto. Les plus sages refusent les titres, parce qu'ils savent bien qu'ils ne savent pas grand-chose, qu'ils ont tout à apprendre, et c'est précisément parce qu'ils sont dans ce mouvement d'apprentissage qui se moque de la réputation qu'ils progressent et qu'ils deviennent bien supérieurs aux prétendus maîtres auto proclamés ou simplement flattés qu'on les nomme ainsi.
Finalement on retrouve cette merveilleuse parole de frère Jean des Entommeures  à qui Gargantua proposait de dirger une abbaye et qui répondait : « « Car comment (disoit il) pourroy je gouverner aultruy, qui moy mesmes gouverner ne sçaurois ? ». Diriger : il s'agit d'indiquer aux autres une direction. En sciences,  puisque l'objectif est la découverte, la direction devrait être celle qui nous conduit à la découverte ; mais qui d'entre nous sait vraiment à l'avance dans quelle direction nous devons travailler pour faire une découverte. La découverte était inconnue, la direction qui y conduit est aussi inconnue (pensons  à une montagne dans une brume épaisse). On ne rappellera jamais assez  que Lord Rutherford avait déclaré, au tournant du vingtième siècle, que la physique était terminée et qu'il n'y  avait plus rien à découvrir. Quelle direction aurait-il pu légitimement indiquer ? Fallait-il que, malgré ses travaux passés, des étudiants lui fassent confiance ?
Alors, que faire, avec des Maîtres qui n'en sont pas, et une sagesse bien difficile à obtenir ? Je  suis optimiste, parce que je sais qu'il existe des jeunes étudiants qui feront leur miel de tout, même d'une parole fausse. Je me reprends : en réalité, je suis optimiste non pas parce que je sais cela, mais parce que je suis optimiste. Et je suis optimiste parce que je sais que je finirai par mourir, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de passer trop de temps à cette pensée lugubre, et que, surtout, le monde n'existe que par ce que j'en fais. Si je veux me  complaire dans le pessimisme, j'y me complais. Si je veux me prélasser dans l'optimisme, je m'y prélasse. On comprend que je préfère une vie heureuse et souriante à une vie de plaintes, qui sont en réalité une impolitesse vis à vis de nos proches.

Revenons donc aux mots,  aux idées, aux objets, aux phénomènes : il n'y pas de Maître qui tienne, mais nous avons la possibilité inouïe, merveilleuse, de nous emparer des ces objets par la pensée et d'élaborer des théories, des raisonnements, d'autres pensées, des discours, des actes… parce que nous aurons travaillé à le faire. Quel bonheur !

dimanche 21 juillet 2013

Réclamons de la lumière !

Lu ce matin dans le tome 4 des Correspondances d'Einstein (CNRS/Le Seuil), une lettre à Solovine où je trouve  :

"Parmi les lectures que j'ai faites à ma soeur le soir, il y a eu celle d'écrits philosophiques d'Aristote. A vrai dire, cela a été une vraie déception ; si ce genre de philosophie n'était pas si obscur et si confus, il ne se serait pas maintenu aussi longtemps. Mais la plupart des gens ont justement un respect sacré des mots qu'ils sont incapables de comprendre ; quand ils peuvent comprendre un auteur, ils y voient un signe qu'il est superficiel."