Affichage des articles dont le libellé est amélioration. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est amélioration. Afficher tous les articles

vendredi 14 juin 2024

Accueillir un stagiaire ? Une question d'amélioration, comme toujours

Alors qu'arrive dans notre groupe de recherche un nouveau stagiaire, ce que nous nommons un nouvel ami, se pose une fois de plus la question de son accueil : comment l'équiper pour qu'il puisse correctement faire son stage, ce qui,  d'après les textes officiels, consiste à transformer ses connaissances en compétences ?

Dans un laboratoire de chimie, c'est un fait d'expérience, sur des décennies, que les stagiaires les plus jeunes ont eu très peu de séances de travaux pratiques et sont très ignorants (adjectif factuel, non critique) non seulement des règles de sécurité mais des conséquences des gestes qu'ils peuvent faire.

On peut croire qu'il y a des évidences, telles que ne pas pipeter en aspirant les liquides avec la bouche, mais que fait-on quand on ignore l'existence des "pipettes pasteur" ou des autres systèmes inventés pour éviter les risques associés à la pratique ancienne ?
On peut croire qu'utiliser une verrerie, c'est comme utiliser un verre à table, mais il n'y a pas n'y a-t-il pas lieu d'être un peu plus prudent quand la verrerie est emplie d'un acide concentré ou d'un solvant organique dangereux ?

En réalité, chaque geste doit être réfléchi du point de vue de la sécurité, de la qualité, toutes choses qui n'ont jamais été ni enseignées (connaissances) ni mises en œuvre dans des séances préparatoires (compétences). Bref, nos jeunes amis sont quasi ignorants de la chimie telle qu'elle se pratique dans un véritable laboratoire, et je ne parle pas des questions de microchimie qui ne sont quasiment pas évoqués dans les établissements d'enseignement secondaire ou supérieur ;  je ne parle pas de l'utilisation des cahiers de laboratoires, que nos amis n'ont jamais rencontré, je ne parle pas de l'usage des balances de précisions, qui sont notre pain quotidien, je ne parle pas du maniement des blouses, et ainsi de suite.

On a compris que mon constat n'est pas une critique mais simplement un ensemble de faits, un constat donc sur lequel doit s'ériger l'accueil que nous préparons : il s'agit dans un temps assez bref de rendre nos amis capable de se lancer dans des travaux expérimentaux, puisque c'est ça qui est réclamé par les textes officiels.

En outre, nous voyons nous arriver de jeunes amis qui n'ont pas toujours reçu ou entendu des conseils méthodologiques essentiels sans lesquels ils ne feront jamais rien de bon, qu'il s'agisse de la pensée, de la communication écrite, de la communicationorale, du calcul...  S'ils doivent faire des travaux un peu intelligents, de qualité, il y a lieu qu'ils soient équipés également de ce point de vue.

Au total il y a une foule d'information à leur donner avant qu'ils puissent faire quoi que ce soit et j'ai évidemment bon espoir, car certains d'entre eux sont avides de bien faire, sont avides de documents qui les aident, de conseil qu'ils peuvent mettre en œuvre.
Là, il n'est pas question de se livrer à des injonctions mais au contraire il faut donner beaucoup d'explications, beaucoup de justifications, pour faire accepter non pas des règles mais des idées qu'il décideront eux-mêmes de mettre en œuvre mieux que des règles qu'on leur imposerait.

Tout ce qui précède, c'est le socle sur lequel je bâtis l'accueil de nos nouveaux amis mais l'accueil de l'un d'entre eux aujourd'hui me conduit à m'interroger sur cette manière de faire. Est-elle raisonnable ? Est-elle censée ? Est-elle intelligente ?
Ou plus exactement comment pourrions-nous l'améliorer ?

Pour répondre à cette question, il faut identifier ce qui a coincé par le passé. Bien sûr, nous n'avons pas eu toujours des interlocuteurs capables de bien tout comprendre ce qui leur était transmis... mais je donne là une mauvaise excuse, car j'ai une obligation de résultats, et pas de moyens.

Je suis bien conscient que la masse  d'information qu'ils reçoivent à leur arrivée est excessive, et là,  je comprends qu'il y a lieu de ne pas tout grouper en une seule fois, mais qu'il faut sans doute y revenir en distillant un peu plus les informations.
Naguère je prenais une journée complète pour tout expliquer mais je comprends que ce n'est pas une bonne façon de faire et qu'il faudra répartir sur plusieurs jours l'ensemble des explications. Et il me reste à aller consulter nos anciens amis pour qu'ils me donnent des idées supplémentaires que je  pourrais ensuite analyser afin de rénover mes pratiques.

Une amélioration doit être constante !

lundi 8 juillet 2019

Contextualiser les cours ?

De jeunes collègues (que d'aucuns nomment "étudiants" critiquent les enseignements qu'ils reçoivent, et font des propositions :

Tout d’abord, problématiser les cours et les remettre dans un contexte défini (en somme, expliciter clairement leur utilité), seraient un moyen assez simple de les rendre plus vivants et moins rébarbatifs.

 Mes collègues plus âgés ne devraient pas avoir de difficultés à régler cette question, car si un cours a été choisi par l'institution, c'est que cette dernière a jugé qu'il était important : sauf au Collège de France, où la liberté d'exposition est complète, les cours des professeurs s'inscrivent dans des cursus bien discutés.
Donc dire pourquoi on fait ce cours-là est pas un autre. Cela mérite d'être dit, et redit... au point que ceux qui verront mes "Cours en ligne", et plus particulièrement celui celui que je fais pour les collègues du Master Erasmus Mundus Plus "Food Innovation and Product Design", seront amusés de voir que tout exercice se termine par : "Deviner pourquoi cette question est essentielle dans le contexte du master". Et cela date d'avant que je reçoive le message des jeunes collègues que j'évoque plus haut.
De même, ceux qui liront mon "Comment déterminer de la matière séchée" seront heureux de discuter précisément cette question : les convergences de série sont utiles pratiquement. Bien plus généralement, il y  mille occasions où l'on se sert des mathématiques, de la physique, de la chimie... pour peu que l'on décide de s'en servir, et la liste des utilités complètes serait à la fois fastidieuse... et nuisible.

Un exemple amusant : quand j'étais élève à l'ESPCI Paris, nous avions un projet qui consistait à faire léviter une bille dans l'entrefer d'un aimant, en jouant de rétroactions. Quel intérêt ? Vingt ans après, l'un de mes camarades réalisa un type nouveau de microscope à force atomique en faisant léviter une bille sur des surfaces. Imprévisible, non ?
Ou encore, l'excellent ouvrage de Nicolas Piskounov intitulé Calcul différentiel et intégral contient un petit segment consacré à un changement de variable un peu amusant, dû à Clairaut, et qui consiste à utiliser comme nouvelle variable la dérivé de la fonction précédemment considérée. On voit rarement l'utilité... mais un jour, voulant calculer l'effet "radiateur" d'une petite cuiller dans une tasse de café, j'ai (enfin) vu pourquoi ce changement de variable était utile.
Plus généralement, ne devrions-nous pas inviter nos jeunes collègues à imaginer des utilisations  de ce qui est  discuté par les professeurs ? On m'objectera que cela justifierait toutes les dérives possibles de la part des professeurs... mais je reviens à une discussion faite ailleurs : à quoi servent les "cours" ?  Je maintiens que l'on ne peut pas enseigner, mais seulement aider les étudiants à apprendre, quand ils le souhaitent. De sorte qu'ils auront la responsabilité de leurs études... Mais pourquoi ne pas dire, aussi, que si les "cours" sont un guide, alors c'est précisément le choix des matières qui peut être discuté en chaire ?

J'arrive maintenant à la lettre elle-même du message envoyé. Notamment , il y a ce mot "utilité", qui est terrible. Évidemment nos jeunes collègues, s'ils se destinent à des carrières d'ingénieurs, ont raison de se poser la question, mais s'ils se destinent à des sciences de la nature ?
Puis  nos amis évoquent des cours "vivants" : de quoi s'agit-il vraiment ? De professeurs qui font du cirque, de l'humour ? De séances de théâtre où les professeurs manifesteraient de la passion pour les sujets traités ? J'ai des amis dont la sobriété apparente est parfaite, et la beauté intellectuelle superbe : ils paraissent glacés à ceux qui ne voient pas cette beauté, laquelle n'est pas "vulgaire", ne s’embarrasse pas d'effets de manche. Alors ?
Enfin, il y a le mot "rébarbatif" : là encore, ne pouvons-nous pas considérer qu'est rébarbatif un sujet dont nous ne voyons pas la beauté, par notre faute ? Bien sûr, vox populi vox dei : si tous les étudiants d'une promotion sont rebutés par un cours, il y a lieu de s'interroger.
Mais c'est là ma conclusion : quel que soit l'accueil fait par des collègues, il y a TOUJOURS lieu de s'interroger. Et les jeunes collègues comme les collègues plus vieux. Soyons tous dans un mouvement collectif et individuel d'amélioration !





jeudi 4 juillet 2019

Plus, à propos de travaux pratiques

On fait difficilement bien du premier coup, et il faut organiser les apprentissages
Dans un autre billet, je discute les séances de travaux pratiques et de la nécessité d'acquérir des automatismes par la répétition des gestes. Je signale notamment qu'il est bien difficile d'apprendre le piano en mettant à la fois la main gauche, la main droite, la lecture des notes, des intonations, et les pédales. En conséquence, je revendique que les séances de travaux pratiques mettent en place des compétences les unes la suite des autres, et non pas toutes ensemble  :  la conception de l'expérience, les gestes,  l'analyse des résultats, etc.
Je comprends la volonté d'une grande efficacité voulu par le système d'instruction, qui considère souvent que ces séances pratiques  coûtent cher, mais  je rétorque que, si l'on s'y prend mal, on risque de ne rien faire bien du tout.

Ici, c'est une autre idée que je veux discuter à savoir que l'on ne peut pas demander aux étudiants de faire bien du premier coup, puisqu'ils sont là précisément pour apprendre. S'impose alors absolument une séquence qui tient dans  :
- préparation,
- mise en œuvre,
- analyse du résultat,
- nouvelle mise en œuvre améliorée... avec peut-être une autre répétition.

Tout d'abord, il y a la préparation, parce que il est bien impossible de faire ce qu'on ne sait pas qu'on veut faire. Pour la mise en œuvre, il s'agit maintenant de faire les gestes qu'on a planifiés et de mieux voir les difficultés éventuelles de la séquence pratique complète. Vient alors l'analyse de ce que l'on a fait, puisqu'il ne s'agit pas de faire, mais d'améliorer, et qu'on ne saurait en conséquence savoir quoi améliorer si on a pas analysé ce que l'on peut améliorer. Et enfin, seconde mise en œuvre parce que s'il en a bien identifié ce qu'il faut améliorer, alors il faut le faire pour savoir le faire.
J'ai écrit d'ailleurs "seconde", mais on aurait pu dire deuxième, en imaginant une autre répétition, et encore une autre, etc. jusqu'à ce que le travail soit très bien fait.

J'observe pour terminer que cette analyse vaut pour toutes les séances de travaux pratiques, de la séance de course à pied de l'école primaire jusqu'à la synthèse d'un composé organique dans un laboratoire de chimie.
D'ailleurs, pourquoi s'arrêter à l'instruction alors que notre pratique professionnelle gagne à connaître le même cycle ? Par exemple, quand on fait une première expérience, au cours d'un travail scientifique, on obtient un premier résultat. Puis une répétition conduit soit au même résultat, ce qui semble montrer que notre méthodologie est bonne, soit un résultat différent, qui révèle une faille méthodologique. Une deuxième répétition, c'est-à-dire une troisième expérience, permettra de trancher. D'ailleurs, les répétitions des expériences n'ont pas que cet avantage de nous donner de l'assurance sur le résultat obtenu. Elles permettent également de mieux faire des gestes expérimentaux, parce que nous imaginons à l'avance ce que nous allons obtenir.



jeudi 10 mai 2018

Il faut tendre avec effort à l'infaillibilité sans y prétendre



Je citais naguère, jusqu'en exergue d'un de mes livres, la devise du chimiste Michel-Eugène Chevreul : "Il faut tendre avec effort vers la perfection sans y prétendre". J'aimais cette idée d'un travail qui n'a pas de prétention, mais qui veut seulement - au fond, comme les séances d'amélioration de l'esprit de Michael Faraday- un petit mieux de la pensée. Et puis, j'aimais aussi cette idée qu'un travail acharné vient à bout de tout... ce qui est humain, sachant par ailleurs que la perfection n'est pas de ce monde, de sorte que l'on aurait été dans l'erreur de penser que l'on puisse atteindre la perfection. D'ailleurs, qui dit que l'imperfection n'est pas une caractéristique de la beauté ?


Tout cela était bien... mais je trouve, dans le livre Chevreul, un savant des couleurs, que cette devise que j'attribuais à Chevreul est prise à Malebranche, avec une variante : "On doit tendre avec effort à l'infaillabilité sans y prétendre".

J'y suis allé voir de plus près, et j'ai trouvé, dans Nicolas Malebranche (La Recherche de la Vérité, Livre Premier : Des Sens. https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_recherche_de_la_v%C3%A9rit%C3%A9/Livre_I) :
"S’il est donc vrai que l’erreur soit l’origine de la misère des hommes, il est bien juste que les hommes fassent effort pour s’en délivrer. Certainement leur effort ne sera point inutile et sans récompense, quoiqu’il n’ait pas tout l’effet qu’ils pourraient souhaiter. Si les hommes ne deviennent pas infaillibles, ils se tromperont beaucoup moins, et s’ils ne se délivrent pas entièrement de leurs maux ils en éviteront au moins quelques-uns. On ne doit pas en cette vie espérer une entière félicité, parce qu’ici-bas on ne doit pas prétendre à l’infaillibilité ; mais on doit travailler sans cesse à ne se point tromper, puisqu’on souhaite sans cesse de se délivrer de ses misères. En un mot, comme on désire avec ardeur un bonheur sans l’espérer, on doit tendre avec effort à l’infaillibilité sans y prétendre.
"Il ne faut pas s’imaginer qu’il y ait beaucoup à souffrir dans la recherche de la vérité ; il ne faut que se rendre attentif aux idées claires que chacun trouve en soi-même, et suivre exactement quelques règles que nous donnerons dans la suite. L’exactitude de l’esprit n’a presque rien de pénible ; ce n’est point une servitude comme l’imagination la représente ; et si nous y trouvons d’abord quelque difficulté, nous en recevons bientôt des satisfactions qui nous récompensent abondamment de nos peines ; car enfin il n’y a qu’elle qui produise la lumière et qui nous découvre la vérité."

Il est donc question ici d'infaillibilité, et non de perfection. C'est bien plus intéressant, car l'infaillibilité est accessible ; disons plus accessible que la perfection. Mais nos efforts, dit Malebranche, ne doivent pas nous rendre présomptueux, prétentieux...
D'ailleurs, il n'est pas anodin que cette discussion soit d'un prêtre, et qu'il soit en réalité question non pas de sciences de la nature, mais sans doute bien plus de position théologique ou morale.


jeudi 18 août 2016

Les six conseils de Michael Faraday

Vérifier ce que l'on nous dit.
Ne pas généraliser activement.
Avoir des collaboration.
Entretenir des correspondances.
Avoir tout sur soi un soin calepin pour noter les idées
Ne pas participer à des controverses.
Voilà les six conseils que le physicien anglais Michael Faraday avait trouvé dans un traité d'amélioration de l'esprit du clergyman Isaac Watson. Ces six conseils furent essentiels, pour lui, dont le père était mort quand il était encore jeune.

On n'a pas assez dit l'importance des groupes de réflexion, et je ne suis pas sûr que tous les élèves, dans les écoles, connaissent l'existence de ces groupes. Voilà pourquoi, parmi mille autre raison, l'histoire de Michael Faraday est importante. Le mercredi soir, ce jeune apprenti relieur qu'était Faraday rejoignait un groupe de personnes du même âge que lui, dans la City, à Londres, et ils discutaient de divers sujets, un peu comme cela se fait dans les loges maçonniques. Chacun devait travailler un thème et l' exposer aux autres, qui en discutaient la qualité, l'intérêt et la pertinence...
Personnellement, j'ai eu la chance de voir mes parents faire de même, le soir, après le travail, après le dîner, partir en ville retrouver des collègues devenus des amis pour discuter de leur métier, mais non plus dans la pratique de ce dernier  ; plutôt dans son analyse. C'est ce qui fait toute la  différence entre la technique et la technologie, entre  le technicien et le technologue.
À l'époque de Faraday, la science était en vogue, parce qu'elle était encore accessible à n'importe qui dans sa pratique. C'était la grande mode de l'étude de l'électricité, pour laquelle il suffit d'une boussole, pour détecter un champ magnétique, d'une pomme de terre et de deux fils métalliques pour faire une pile... Et c'est ainsi que Faraday, ayant entre les mains le livre The improvement of the  mind, en tira des règles de vie qu'il s'appliqua toute la vie. L'histoire de Faraday montre comment l'application de ces règles fut à l'origine de son immense succès. 

1. Ne pas généraliser hâtivement :  c'est  bien là une règle essentielle en sciences, où, certes, il faut voir la généralité à partir de cas particulier, ce qui se nomme induction, mais où il faut prendre garde à ne pas prendre ses  désirs pour des réalités. La nature a ses voies, qui ne sont pas celles de nos désirs. La science  explore les phénomènes, et elle ne confond pas ces derniers avec nos idées sur le monde. Cela fait toute la différence entre la science et la pensée magique, exposée dans d'autres billets. Oui, il faut généraliser, mais non, il ne faut pas généraliser hâtivement. En sciences, il faut des répétitions,  des expériences, des répétitions des mesures, des répétitions des observations, l'accumulation d'un très grand nombre de données pour finalement arriver à quelques conclusions,  qui permettront de bâtir des théories.

2. Avoir toujours sur soi un calepin pour noter les idées :  cette fois, il y a un conseil absolument essentiel. Dans cette proposition, l'objectif semble de noter les idées. Mais pourquoi noter les idées ?  Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les idées sont fugaces, et il arrive bien souvent qu'une idée qui n'est pas notée disparaisse. C'est vraiment dommage si cette idée est bonne, si l'on s'est échiné à la trouver. D'autre part, nous devons avoir l'esprit libre pour penser, et une difficulté que j'analyse chez certains étudiants, c'est que leur vie est pleine de complexités (familiales, sentimentales, financières...), ce qui les  gêne pour manier les idées qui sont au centre de leur travail. Quand les parents divorcent, quand on n'a pas assez d'argent pour payer le loyer, quand on a des problèmes de coeur…, comment avoir l'esprit libre pour penser ? Il se trouve que le simple fait de noter les choses permet à la fois de s'en vider la tête et de les avoir ensuite sous les yeux à volonté. Aristote, le grand Aristote, disait que l'écriture était la mort de la pensée, et je ne suis pas d'accord avec cette proposition, car sa généralité est excessive. Bien sûr, écrire et penser sont deux choses différentes, mais précisément poser par écrit est une bonne façon de conserver les idées pour plus tard. Il y a la question de la production de la pensée, et celle de sa conservation.  De surcroît, écrire les idées impose de les formuler,  et, là, on doit penser au mathématicien Henri Poincaré, qui a clairement expliqué que sa difficulté n'était pas de produire des nouveautés mathématiques, mais de trouver les mots pour décrire ces nouveautés qui étaient spontanément nées en lui.
On retrouve avec une telle déclaration le grand débat agité par Condillac et Lavoisier sur les rapports entre la science le langage, avec cette idée selon laquelle on ne peut pas améliorer les sciences sans perfectionner le langage et vice versa. On le voit, les grands anciens se sont préoccupés de cette question des mots, car il est bien vrai que nos  théories scientifiques s'expriment en équations c'est-à-dire in fine en mots,  puisque ce fut l'apport de penseurs comme Descartes et Leibnitz que de forger  un langage plus facilement manipulable que les mots du langage naturel ; mais un langage quand même. Ce fut d'ailleurs la grande question de la création de la chimie moderne avec Lavoisier que de savoir les relations entre les dénominations et  les objets de la chimie, question qui fut reprise avec brio par le chimiste français Auguste Laurent quelques décennies plus tard.

3. Ne pas participer à des controverses : dans la mesure ou la science n'est que proposition de théories et évocation de mécanismes, on comprend qu'il puisse y avoir des théories concurrentes, des mécanismes différents pour décrire le même phénomène. Et l'on comprend que certains individus qui sont dans l'acte de création puissent parfois avoir une fierté (on aurait pu dire ego) qui déborde un peu. Après tout certains ont besoin de s'affirmer avant de pouvoir affirmer, prétendre,  proposer des idées. Le monde scientifique, fait de créateurs comme le monde artistique, est composé de beaucoup d'individus à l'ego  puissant. Il faut faire avec, mais il est vrai que la rencontre de deux théories concurrentes risque de tourner à la controverse. Pourtant, les belles  personnes qui se préoccupent avant tout d'étendre le royaume du connu, plutôt que de s'affirmer personnellement, n'ont pas de raison de participer aux controverses. Si le but est véritablement de trouver les mécanismes des phénomènes, alors il vaut bien mieux considérer avec intérêt des  théories concurrentes avant de trancher abruptement et de se faire des ennemis. Nous avons beaucoup trop besoin d'amis, et surtout d'amis merveilleux (pléonasme ?) pour en perdre quelques uns en route. Nous avons besoin de discuter avec nos amis, d'analyser les propositions, d'en peser les intérêts et les failles, en vue de trouver finalement celles qui s'imposeront, parce qu'elles conduiront à des meilleures descriptions du monde. On doit  se rappeler avant tout que voilà l’objectif : ne pas s'affirmer, mais plutôt identifier les mécanismes des phénomènes, mieux comprendre le monde. De là l'idée de Faraday : ne pas participer à des controverses, mêmes si l'on participe à des discussions scientifiques. Mieux encore, nous devrions être capables de préférer être réfuté à voir nos théories s'imposer si elles sont par trop insuffisantes.
Pour ce qui est de Faraday, il avait résolu la question en travaillant seul ou avec un technicien qui l'aidait. Mais  il n'allait guère dans les cercles scientifiques après avoir été nommé directeur de la Royal Institution. Certes il assistait à toutes les conférences du vendredi qu'il avait initiées, mais il invitait les collègues à les faire. Là, il ne discutait pas de théories opposées, mais il voyait des expériences et les choses de façon plus détachée. Et puis il y avait les faits… car les expériences montraient les faits. C'était sa façon, parfaitement respectable, et qui allait avec cette phrase.

4. Avoir des collaborations. Là Faraday a retenu cette idée, mais il l'a peu mise en pratique. En réalité, il a peu collaboré. Sa timidité, sa gentillesse, ou peut-être sa sagesse l'ont éloigné des collaborations, et il travaillait dans le calme, se parlant à lui même, notant ses idées dans ses carnets, pouvant passer des jours dans son laboratoire, tout entier consacré à sa recherche, sans un mot. Pour autant, on peut aussi également  imaginer l'inverse : des travaux d'équipe. Cela est aujourd'hui très à la mode : le mot "collaboratif" est partout, peut-être trop.
Dans bien des travaux de science moderne, nous avons besoin de collaborations, ou nous pensons en avoir besoin. Nous en avons besoin, par exemple, pour la détection du boson de Higgs  ou des ondes gravitationnelles. Mais il y a toute une place où ces collaborations ne sont pas nécessaires. Bien sûr, les scientifiques confirmés ont un devoir de transmission (ce qui n'est pas une « collaboration »), à savoir que, ayant bénéficié d'une formation par de plus anciens, nous avons le devoir de former de plus jeunes, ou, disons le mieux, d'aider de plus jeunes à se former, car pourquoi penserons nous que notre modèle est bon ? Surtout, dans cette discussion, je propose de ne pas perdre de vue l'idée qu'il existe divers sports : individuels comme la gymnastique, ou collectifs comme le rugby. Il y a des individus qui se sentent mieux à jouer au rugby, et d'autres à faire de la gymnastique. Les divers sports nécessitent différentes capacités, et il n'y a pas de raison pour laquelle nous devrions tous faire du rugby, ou tous faire de la gymnastique. Après tout, des Faraday, Einstein, Planck, ont été très individualistes, et je ne vois pas en quoi on pourrait leur reprocher,  vu les résultats admirables qu'ils ont obtenus.  Donc, avoir des collaborations, pourquoi pas, mais cela n'est pas une obligation,et, j'y reviens, Faraday donnait ce conseil sans se l'appliquer à lui-même.

5. Vérifier ce que l'on  nous dit : là,  Faraday donne  encore une règle générale de vie, mais  je ne peux m'empêcher de la prendre dans le cadre scientifique, ce qu'il fit également. Pour la gastronomie moléculaire, il a  été essentiel, au début, de savoir résister aux arguments d'autorité, et ne pas accepter des idées qui n'étaient pas testées. Le monde  de la cuisine est plein d'idées fausses qui se sont propagées avec les siècles. Il a été très important, en de nombreuses circonstances,  d'apprendre à tester les idées avant d'en chercher des interprétations. Parfois, nous avons été heureusement surpris de voir que des idées qui semblaient fausses étaient en réalité justes, mais nous avons aussi vu de nombreux cas où des idées qui semblaient justes, ou simplement plausibles,  était très fausses. Tout cela, c'est le groupe des "précisions culinaires", ces ajouts techniques à ce que j'ai nommé des définitions. Il y a des précisions culinaires de toutes sortes, et, avec les années, j'ai bien appris à ne jamais chercher  d'interprétations à des phénomènes qui n'avaient pas été avérés préalablement grâce à  des expérimentations, car que je me mords encore les doigts de cette expérience que j'avais faite en 1992 et qui consistait à emporter une bouteille de diazote gazeux jusqu'en haut d'une montagne où nous avions un colloque, afin de voir pourquoi les blancs  d’œufs montés en neige et redescendus ne remontaient pas. J'avais cru, à cette idée qui m'avait  été donnée par des chefs triplement étoilés, et j’avais fait  l'expérience de battre des blancs neiges sous diazote, de les laisser  redescendre, et de les battre à nouveau ensuite. Il étaient remonté, de sorte que j'avais hâtivement conclu que c'était l'oxygène qui étais responsable du fait que des  blancs de battus en neige et redescendus ne remontent pas. Pourtant, de retour au laboratoire, au calme, j'ai simplement battus  des blancs, je les ai laissé redescendre, et ils ont parfaitement remonté, de  sorte que tous les ennuis associés au transport d'une grosse bouteille de diazote en haut d'une montagne auraient été évités si le phénomène avait été d'abord testé simplement. Avec les années, j'ai vu se multiplier les réfutations des idées écrites par des chefs étoilés, et aujourd'hui je sais combien la phrase de Michael Faraday est juste.

 6. Entretenir des correspondances : on retrouve ici la discussion sur  l'emploi des mots, et le petit calepin que l'on a sur soi pour noter les idées. Les correspondances sont un autre moyen d'exprimer clairement les choses, et cela peut être une aide que de s'adresser à autrui, au lieu de se parler à soi même en prenant pour acquis des choses qui ne sont pas assurées. Mais ce n'est pas le seul intérêt des correspondances. Les échanges scientifiques sont aussi une façon de partager le bonheur de la recherche scientifique, de se convaincre quotidiennement que la recherche scientifique est quelque chose de merveilleux, d'avoir des amis à qui l'on peut parler de ce bonheur, ce qui l'augmente encore, et d'avoir parfois un regard critique sur nos propres travaux.
Dans mon cas, j'ai toujours considéré comme important d'avoir quelqu'un qui me donne des coups de pieds aux fesses. Pendant longtemps, ce fut Nicholas Kurti, puis quand il est mort, Georges Bram, chimiste de l'Université d'Orsay, avait accepté de jouer ce rôle. C'est un rôle amical, évidement, puisqu'il faut l'attention d'un ami qui observe nos travaux avec bienveillance, qui y passe du temps. Bien sûr, avec les années, j'ai appris à me donner à moi-même des coups de pied aux  fesses. Reste que la correspondance, c'est aussi un moyen de dire les choses de formuler des concepts, d'expliciter les notions, de décrire les méthodes.

jeudi 14 juillet 2016

Un billet macaronique... puisqu'il est question de perfection

Puisque tout est toujours perfectible, que vais-je améliorer aujourd'hui ? Puisque tout est toujours perfectible (d'accord, c'est un postulat), que vais-je perfectionner aujourd'hui ? La phrase est... perfectible ;-), non, disons améliorable : si n'est de parfait ne peut exister dans ce monde, on ne peut  pas perfectionner, mais seulement améliorer.

Bref, si tout est toujours perfectible, que vais-je améliorer ?  Ici, il y a  une résonance avec une autre maxime qui est « Tout ce qui est humain est imparfait, de sorte que si nous ne sommes pas paresseux, nous devons chercher des améliorations ». Un écho se trouve également dans cette phrase du chimiste Michel Eugène Chevreul, qui découvrit la constitution chimique des graisses et la loi du contraste simultané des couleurs, notamment : « Il faut tendre avec efforts à la perfection sans  y prétendre ».

A la base de tout cela, il y a l’hypothèse selon laquelle  tout ce qui est humain est imparfait. Je ne veux pas chercher à discuter cette hypothèse, que je préfère prendre comme un postulat, car ce dernier me conduit presque automatiquement à chercher des améliorations.
Dans cette discussion, qu'il y ait perfection ou pas,  il y a un critère de valeur. Or, au minimum, la recherche de l'amélioration   conduira, si l'on est un peu attentif, à une analyse des critères retenus pour juger de la perfection ou de l'amélioration, de sorte que l'on pourra légitimer notre hypothèse ou, au contraire, affiner les critères pour ensuite obtenir de nouvelles idées.

Car c'est bien là l’objectif : trouver de nouvelles idées  méthodes, concepts, notions… Il y a une dynamique extraordinairement positive dans cette phrase, qui, au minimum, induit la possibilité de validation.
Validation : le mot est insuffisamment dit aux étudiants en sciences de la nature, qui confondent souvent une vérification avec une validation. La validation, cela consiste à trouver une autre méthode, un autre calcul, différent d'un premier qui nous a donné un résultat, pour obtenir le même résultat, pour valider le premier résultat. Souvent, dans un calcul un peu difficile, on est déjà bien content d'avoir trouvé une solution, et l'on s'arrête à ce contentement, mais, en sciences de la nature,  le contentement n'est pas suffisant, et il faut y revenir, et y revenir encore, afin de trouver des validations, d'autres manières d'obtenir le résultat.

Plus généralement, dans la phrase « Puisque tout ce qui est humain est imparfait, il ne faut pas être paresseux et chercher à améliorer ; que vais-je améliorer aujourd'hui ? », il y a  cette dynamique très positive du « aujourd'hui ». Il nous faut de bonnes raisons de nous lever le matin ; il nous faut chaque jour un objectif bien particulier, et cette phrase propose effectivement un tel objectif : chaque jour, je me lève afin, au minimum, d'aller améliorer le travail que j'ai déjà fait. Nul doute que, ce faisant, je serai conduit à des résultats nouveaux.

Enfin, nous n'avons pas épuisé la question d’améliorer ou de perfectionner. Perfectionner, cela signifierait rendre plus parfait. Je ne crois pas que ce soit un objectif bien tenable, de   sorte que je préfère parler d'améliorer, qui signifie rendre meilleur. Plus généralement je m’interroge vraiment sur ce mot de « perfectionner',  et j'ai  peur qu'il fasse partie de ces termes qui n'ont pas grand sens comme « carré rond », par exemple. Peut-on vraiment perfectionner ? On est ramené à la discussion sur les critères, et je m'arrête là en me promettant de faire bien attention à l'emploi de ce mot pour le remplacer plus modestement par un « améliorer », qui sera à la hauteur de mes compétences… et de mes efforts.