dimanche 6 septembre 2015

Les « fous scientiques », les imposteurs, les erreurs

Il y a parfois des prétentions pseudo scientifiques vraiment ahurissantes. Par exemple, un ami vient de m'interroger à propos d'un site internet où est exposée une méthode prétendue miraculeuse pour améliorer la croissance et l'état de bon développement des plantes. Evidemment cette méthode est vendue très cher : son auteur, parfaitement inconnu des milieux agronomiques, propose des formations, des diagnostics, des remèdes... Qu'en penser ? Et que penser, plus généralement, des propositions qui heurtent le bon sens rationnel ?

Le remède miracle doit toujours nous rendre soupçonneux, car la panacée n’existe pas (sans quoi les individus qui la possèdent seraient immortels). De surcroît,  l'histoire de humanité a largement montré que des individus malhonnêtes ont toujours profité du désarroi des autres pour gagner de l'argent, malhonnêtement donc : cela allait du sorcier, auquel on confiait le soin de faire tomber la pluie, aux rebouteux variés et autres diseurs de bonne aventure.
Or un agriculteur, un vigneron, est quelqu'un d'exposé aux  intempéries, aux vicissitudes du climat, aux attaques des micro-organismes, champignons ou moisissures, et, quand il voit le fruit de son travail menacé ou ruiné, il s'interroge, évidemment, sur des moyens d'éviter la catastrophe. Des malhonnêtes cherchent à profiter de ce désarroi.
Le cas qui m'était soumis récemment est intéressant, puisque le site en question évoquait  des concepts scientifiques modernes inconnus (sauf le nom) de la majorité des agriculteurs. Or quand un  concept très spécialisé est évoqué, nous sommes démunis pour juger du discours qui nous est proposé, de sorte que nous sommes exposés à la fraude éventuelle.
Ici, les concepts étaient (en apparence seulement, comme on va le voir) ceux  de la mécanique quantique, ce qui n'est pas enseigné couramment dans les écoles d'agronomie : à beau mentir qui vient de loin). Et c'est pourquoi  j'ai pris un long moment pour aller  examiner les prétentions qui  m'étaient soumises.
Le site évoquait donc la mécanique quantique, que je connais puisque je l'enseigne en master de physico-chimie, et il commençait par indiquer que la physique moderne avait découvert la « dualité onde-corpuscule ». Jusque  là, je n'ai pas trop à redire, bien qu'une telle phrase soit « datée »  d'au moins d'un demi siècle et qu'elle traîne un peu partout, de sorte qu'il n'a pas dû  être difficile de faire un copier-coller. Ajoutons qu'un professeur de mécanique quantique, dans une université, pourrait prononcer une telle expression, mais il serait sans doute plus précis, puisque l'on comprend bien, aujourd'hui, que l'aspect sous lequel nous apparaissent les objets matériels (moléculaires, atomiques, sub-atomiques) sont déterminées par l'expérience que l'on fait sur lesdits objets : l'expression est datée d'au  moins un siècle. Observons aussi que si « dualité onde-corpuscule » impressionne quelques clients potentiels crédule, l'expression me rend méfiant : je propose depuis longtemps, à mon entourage et à moi-même, d'être circonspect quand on prononce devant nous des mots de plus de trois syllabes.
Puis le site nous explique que, puisque les molécules sont des ondes selon la mécanique quantique (je répète que la phrase, dite ainsi, est fautive), il y a une fréquence de ces ondes : tel l'espacement entre les rides à la surface de l'eau. Je choisis volontairement cet exemple des rides (il n'est pas dans le site, lequel ne donne aucune explication ; ben tiens !), car il y a une différence entre la longueur d'onde, qui est un espacement spatial, et la fréquence, qui correspond à un espacement temporel. Entre les deux, il y a la vitesse de propagation, et ce n'est  pas rien, mais il y a bien plus, comme on va le voir maintenant.
Bref, notre site nous dit que puisqu'il y a une possibilité d'associer une fréquence à  un objet matériel, on peut agir sur l'objet avec des fréquences. Jusque-là, pas de problème, sauf que  les phénomènes ondulatoires sont de nature très diverses, entre  la propagation du son dans l'air, qui correspond à une onde de pression, qui nécessite donc de l'air pour se propager (et il y a au  Palais de la découverte une expérience amusante où le son s'éteint quand fait le vide dans une cloche) et une onde électromagnétique, qui se propage même dans le vide. Ou encore, imaginons un groupe de personnes qui se donnent la main, et qui s'inclinent l'une après l'autre : une onde d'inclinaison se propagerait... mais émettre une lumière de longueur d'onde proportionnelle à la longueur d'onde de l'onde d'inclinaison permettrait-il d'agir sru  l'inclinaison ? Non, bien sûr... d'autant que pour une proportion, il faut une constante de proportionnalité : ici, laquelle ?
Tout cela est donc parfaitement arbitraire, et comme le site en question fait de même, on doit penser que c'est du grand n'importe quoi... ce dont on se doutait.  Pour en terminer sur ce point, selon les ondes, il y a une différence considérable, et la ressemblance entre les diverses ondes n'est qu' élémentaire, concernant l'ondularité du phénomène.
Le site, lui franchit allègrement le pas,  et prétend que faire entendre des sons de fréquence appropriée aux plantes permet d'activer des molécules particulières, de les faire synthétiser (je passe sur les détails qui sont donnés) et donc de stimuler leurs défenses, de stimuler leur croissance, etc.
Je vous épargne une série d'autres observations qui montrent à l'évidence que le sujet de la mécanique quantique n'est pas maitrisé par  les auteurs du site en question, pas plus  que la biologie moléculaire, qui constitue le second gros morceau de l'affaire. N'empêche que ce site prétend avoir des clients,  pour lesquels il prétend évidemment avoir obtenu des résultats spectaculaires. Tout cela doit nous faire immédiatement penser à Cyrano de Bergerac, le vrai, qui vécut au  17e siècle, qui disait que chaque fois qu'on lui avait parlé de sorciers qui avaient de bons résultats,  c'était à plus de 400 lieues de là ! Les prétentions de panacées sont de ce type, jamais vérifiables ou jamais vérifiées, et l'histoire des sciences montre que chaque fois que l'Académie des sciences pris la peine de tester les prétentions des charlatans, on a vérifié que l'or n'était que de la pacotille. C'était donc du temps perdu !
Se pose finalement la question essentielle, pour toutes les affaires de ce type : quand une prétention ahurissante est-elle du charlatanisme ?  quand une découverte  scientifique extraordinaire est-elle vraiment une découverte scientifique extraordinaire ?
La question est difficile et, dans le temps,  je proposais de "tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire",  que ce soit en science, ou en médecine ou en agronomie, etc. Si j'ai changé pour une formulation plus positive, l'idée me semble conserver son intérêt, notamment ici. Ajoutons que ce n'est pas à nous qui recevons l'information d'une action prétendument merveilleuse d'aller prouver qu'elle est justifiée ou non, mais c'est plutôt à ceux qui évoquent la chose d'établir la véracité de leurs dires.
En sciences, il a le mot essentiel de « validation », insuffisamment enseigné, et qui fonde la bonne science. Les validations sont bien difficiles,  au point que, ces dernières années, plusieurs découvertes faites par des scientifiques  raisonnables ont été finalement  réfutées, alors que la communauté se penchait avec bienveillance sur les possibilités de leurs découvertes. Au CERN, à Genève, on a cru voir une propagation plus rapide que la vitesse de la lumière, et la communauté s'est émue jusqu'à ce que, finalement, on s'aperçoive que les calculs étaient erronés, et que la vitesse de la lumière restait la vitesse limite ; de même, il y a plusieurs années, la fusion froide (pourtant décrite complaisamment par des journalistes médiocres d'un grand quotidien national) en est restée aux annonces (on me signale en commentaire que la chose aurait été confirmée, de sorte qu'il faut  voir très prudemment) ; la prétendue  mémoire de l'eau, aussi, a fait perdre beaucoup de temps (là, aucun doute), et ainsi de suite. Pour autant, il y a devant nous des découvertes extraordinaires qui nous attendent, et il nous faut donc bien séparer le bon grain de l'ivraie.
Je ne règle donc pas la question posée, mais je propose de ne  jamais accepter d'idées qui n'aient pas été testée, non pas par ceux qui  soutiennent des choses ahurissantes et qui nous disent ce qu'ils veulent bien nous dire, mais par des instances indépendantes, qui n'ont pas d'intérêt financier dans la mise en œuvre de ces propositions. En médecine,  la question se pose souvent, car les rapports entre le corps et l'esprit sont compliqués, et  l'effet placebo existe, sans que son mécanisme soit encore connu (il y a donc lieu d'explorer ce mécanisme, mais cela est difficile, car l'être humain n'est pas un  cobaye ; il faudra également apprendre à connaître les limites de cet effet, car il semble n'être que probabiliste contrairement à l'action d'un antibiotique sur des micro-organismes).
Je termine en signalant que j'ai encore, sous mon bureau, une caisse pleine de propositions délirantes qui m'ont été envoyées au fil des décennies : des théories du tout, de prétendues démonstrations du théorème de Fermat, de prétendues explications de l'attraction des corps célestes à l'aide de particules qui n'ont jamais été détectées, par des individus isolés, qui n'ont aucun moyen de le faire, des  théories entièrement imaginées, et qui s'apparentent à du délire…
Bref on cause beaucoup au café du commerce, mais ce ce n'est pas là que se construit le savoir,  et nous perdons notre temps à  considérer les élucubrations des désoeuvrés avec plus qu'un oeil désolé... ou furieux, quand des prétentions  malhonnêtes veulent gruger nos amis. 

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Cuisine et dérégulation

En ces temps de dérégulations, où n'importe qui prétend exercer le métier de taxi ou d'hôtelier sans passer par  la réglementation en place, cela vaut la peine de se poser la question de l'exercice du métier de restaurateur.
Cela fait longtemps que, personnellement, je me demande pourquoi n'importe qui peut tenir un restaurant,  alors qu'un certificat d'aptitude professionnelles (CAP)  est imposé pour tenir un salon de coiffure. Il y a évidemment le fait que nous cuisinons tous quotidiennement et que, si nous cuisinons pour notre famille, nous ne comprenons que difficilement pourquoi nous ne pourrions pas cuisinier pour autrui.
Toutefois ce raisonnement  ne m'a jamais convaincu, car je ne suis pas sûr que tous les cuisiniers familiaux cuisinent  correctement pour leur famille (on a compris que je manie l'euphémisme : je suis en réalité sûr que la majorité des cuisiniers familiaux ne cuisinent pas correctement).  Lesquels savent les dangers du cuivre, eux qui utilisent des bassine en cuivre pour faire des confitures, et cela de façon traditionnelle ... mais dangereuse ?  Lesquel ont une idée des micro-organismes et du développement de ces derniers lorsque les met sont chauds ?  Lesques savent que leur réfrigérateur devrait être à 4 degrés ? Lesquels savent les toxicités des ingrédients ou des parties de ces derniers ? On me répondra peut-être que  la tradition a sélectionné des recettes, des pratiques,  qui évitent les accidents, mais est-ce vrai ? Même perfectible, l'enseignement de la cuisine n'a de cesse de vouloir éviter protéger le mangeur. En outre, je réfute la « bonne tradition » : l'examen des pratiques culinaires du passé, notamment lors de nos séminaires de gastronomie moléculaire, montre combien les pratiques anciennes sont souvent mauvaises.
Lors des enseignements professionnels,  il y a des informations que les cuisiniers familiaux n'ont pas et n'auront sans doute jamais :  la marche en avant, la méthode HACCP, l'examen des points critiques pour la mise en œuvre des pratiques culinaires (si vous ignorez ces notions, c'est une démonstration supplémentaire de ce que j'avance). Il y a aussi des enseignement utiles, comme la gestion du restaurant, la gestion du personnel, etc. On peut bien sûr imaginer que des individus se renseignent sur tous ces points, mais je maintiens qu'il est bien difficile  de  savoir reconnaître le degré de cuisson particulier auquel on doit arriver, simplement avec une photo ou un film,  et un professeur qui vous  observe et qui vous  signale des fautes de procédure met une évaluation qui, si nous la faisions nous-même, serait très certainement trop complaisante. Et puis, un enseignement bien fait apporte une foule de compétences complémentaires qui, mieux que permettre une cuisine seulement saine,  permettent une cuisine qui soit bonne, ce qui n'est pas rien.
Il est amusant de voir qu'en science, cette question de la déréglementation ne se pose pas,  parce que la maîtrise du calcul -ce que le public nomme les mathématiques- fait une sélection immédiate. On objectera peut-être qu'il ne suffit pas de savoir calculer pour faire de la bonne science, mais je répondrai très volontiers que, a contrario, il n'y a pas de science du tout s'il n'y a pas de calcul. Certes la connaissance des objets spécifiques d'un champ est importante, mais c'est une base tellement faible qu'on ne peut imaginer exercer la recherche scientifique si on se limite à elle.
Finalement, ici comme dans d'autre billets, j'en arrive à une conclusion très optimiste, à savoir qu'une compétence s'obtient par une longue pratique doublée d'une réflexion appuyée, qui permet de dépasser la simple répétition des gestes ou des pensées, pour  mettre les objets d'étude dans un cadre plus vaste et plus cohérent, ce qui permet la floraison d'une véritable compétence, qui n'a donc pas de raison de ne pas être testée, si elle est vraiment acquise. Je propose de penser que des diplômes d'état bien attribués sont une garantie pour les citoyens, une protection, une nécessité, enfin. Au fond, c'est cela l'information essentielle que nous devons transmettre  aux étudiants  qui nous font confiance au point de penser que nous  pouvons les aider à marcher dans la voie professionnelle qu'ils ont choisie.

Cuisine et dérégulation

En ces temps de dérégulations, où n'importe qui prétend exercer le métier de taxi ou d'hôtelier sans passer par  la réglementation en place, cela vaut la peine de se poser la question de l'exercice du métier de restaurateur.
Cela fait longtemps que, personnellement, je me demande pourquoi n'importe qui peut tenir un restaurant,  alors qu'un certificat d'aptitude professionnelles (CAP)  est imposé pour tenir un salon de coiffure. Il y a évidemment le fait que nous cuisinons tous quotidiennement et que, si nous cuisinons pour notre famille, nous ne comprenons que difficilement pourquoi nous ne pourrions pas cuisinier pour autrui.
Toutefois ce raisonnement  ne m'a jamais convaincu, car je ne suis pas sûr que tous les cuisiniers familiaux cuisinent  correctement pour leur famille (on a compris que je manie l'euphémisme : je suis en réalité sûr que la majorité des cuisiniers familiaux ne cuisinent pas correctement).  Lesquels savent les dangers du cuivre, eux qui utilisent des bassine en cuivre pour faire des confitures, et cela de façon traditionnelle ... mais dangereuse ?  Lesquel ont une idée des micro-organismes et du développement de ces derniers lorsque les met sont chauds ?  Lesques savent que leur réfrigérateur devrait être à 4 degrés ? Lesquels savent les toxicités des ingrédients ou des parties de ces derniers ? On me répondra peut-être que  la tradition a sélectionné des recettes, des pratiques,  qui évitent les accidents, mais est-ce vrai ? Même perfectible, l'enseignement de la cuisine n'a de cesse de vouloir éviter protéger le mangeur. En outre, je réfute la « bonne tradition » : l'examen des pratiques culinaires du passé, notamment lors de nos séminaires de gastronomie moléculaire, montre combien les pratiques anciennes sont souvent mauvaises.
Lors des enseignements professionnels,  il y a des informations que les cuisiniers familiaux n'ont pas et n'auront sans doute jamais :  la marche en avant, la méthode HACCP, l'examen des points critiques pour la mise en œuvre des pratiques culinaires (si vous ignorez ces notions, c'est une démonstration supplémentaire de ce que j'avance). Il y a aussi des enseignement utiles, comme la gestion du restaurant, la gestion du personnel, etc. On peut bien sûr imaginer que des individus se renseignent sur tous ces points, mais je maintiens qu'il est bien difficile  de  savoir reconnaître le degré de cuisson particulier auquel on doit arriver, simplement avec une photo ou un film,  et un professeur qui vous  observe et qui vous  signale des fautes de procédure met une évaluation qui, si nous la faisions nous-même, serait très certainement trop complaisante. Et puis, un enseignement bien fait apporte une foule de compétences complémentaires qui, mieux que permettre une cuisine seulement saine,  permettent une cuisine qui soit bonne, ce qui n'est pas rien.
Il est amusant de voir qu'en science, cette question de la déréglementation ne se pose pas,  parce que la maîtrise du calcul -ce que le public nomme les mathématiques- fait une sélection immédiate. On objectera peut-être qu'il ne suffit pas de savoir calculer pour faire de la bonne science, mais je répondrai très volontiers que, a contrario, il n'y a pas de science du tout s'il n'y a pas de calcul. Certes la connaissance des objets spécifiques d'un champ est importante, mais c'est une base tellement faible qu'on ne peut imaginer exercer la recherche scientifique si on se limite à elle.
Finalement, ici comme dans d'autre billets, j'en arrive à une conclusion très optimiste, à savoir qu'une compétence s'obtient par une longue pratique doublée d'une réflexion appuyée, qui permet de dépasser la simple répétition des gestes ou des pensées, pour  mettre les objets d'étude dans un cadre plus vaste et plus cohérent, ce qui permet la floraison d'une véritable compétence, qui n'a donc pas de raison de ne pas être testée, si elle est vraiment acquise. Je propose de penser que des diplômes d'état bien attribués sont une garantie pour les citoyens, une protection, une nécessité, enfin. Au fond, c'est cela l'information essentielle que nous devons transmettre  aux étudiants  qui nous font confiance au point de penser que nous  pouvons les aider à marcher dans la voie professionnelle qu'ils ont choisie.

samedi 5 septembre 2015

On me signale un nouveau blog

Voir http://munsterregledevie.blogspot.fr/2015/09/le-munster-est-une-regle-de-vie.html

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.

Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un objet est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.
Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un object est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

Ayons un peu de modestie

Avec le  développement d'Internet, chacun peut s'exprimer : sur des blogs, sur des sites. S'affiche aujourd'hui « critique culinaire » toute personne qui, utilisant un téléphone portable, prend des photos de plats qui lui sont servis dans un restaurant et les assortit d'une description de son repas. Mais sait-on bien ce qu'est la critique culinaire ? Ou la critique artistique en général ? On relira Diderot ou Beaudelaire, à propos de peinture, ou Robbe Grillet à propos de littérature, par exemple. On ne deviendra pas plus bête en lisant le petit traité d'Anne Gauquelin, voire mon "traité" d'esthétique culinaire "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".
La question vaut  également pour la médecine, où se croit l'égal d'un médecin toute personne qui, intéressée par un sujet médical, est allé sur internet chercher des informations et a l'exorbitante prétention de  pouvoir décider d'un traitement, par exemple. Le mécanisme est le suivant  : le peuple (le bon peuple, bien sûr) qui refuse l'élite (coupons leur la tête, soyons tous égaux) consulte n'importe quel forum (mais comment juger de la qualité des informations qui s'y trouvent?) et arrive en consultation avec la réponse médicale qu'il s'est donnée (mais, alors, pourquoi consulter?).

En science, aussi, la mode de la science prétendument citoyenne sévit, et certaines institutions, dans le louable désir de rapprocher la science des citoyens, c'est-à-dire des contribuables, laissent croire, voire font penser, que la science est à la portée de tous… alors même que le public ne sait pas ce qu'est la science (comme je le vérifie avec mes conférences inlassables dans le monde entier).
Dans les trois cas, il y a un même mécanisme qu'il faut  dénoncer, sous peine de démagogie. Commençons par la questions scientifique. Dans plusieurs billets, j'ai expliqué que les sciences de la nature, qu'il ne faut pas confondre avec le savoir, tel celui du cuisinier, du maître d'hôtel, du plombier, de l’électricien, ou de tout métier technique, ces sciences de la nature donc ne sont que maniement d'équations, lesquelles sont très rarement à la portée des techniciens… sans quoi ces derniers exerceraient le métier de scientifique, au sens des sciences de la nature. Le citoyen,  très loin des  équations, ne peut donc pas contribuer aux sciences de la nature, et il y a une certaine hypocrisie à laisser penser qu'un enfant de quinze ans ou un adulte qui maîtrise seulement la règle de trois puissent contribuer à la découverte des particules subatomiques, tel le boson de Higgs. Bien sûr, pour des activités plus descriptives, telle l'observation d'objets célestes, quand un télescope d'amateur suffit, ou tels des recueils de données botaniques, les amateurs peuvent rendre des services extraordinaires, mais  je crois qu'il serait nuisible à la jeunesse de notre pays de laisser penser que la science se résume à cela. Comme je l'ai indiqué dans d'autres billets, la science est faite d'équations, avec le postulat que le monde est écrit en langage mathématique. Les sciences de la nature ne sont pas une activité technique qui serait plus précise (la cuisine où l'on pèserait les ingrédients, par exemple, comme l'a cru Auguste Escoffier), mais une activité très particulière,  qui consiste à chercher les  mécanisme des phénomènes non pas sous la forme de discours un peu poétique, mais sous la forme de système cohérent d'équations.
Revenons maintenant au cas précédent,  celui de la médecine. Si la capacité médicale se résumait à quelques heures passées sur Internet,  il n'y aurait  évidemment pas besoin de dix ans d'études pour devenir médecin. La question n'est pas l'attribution ou pas d'un diplôme, la réussite ou pas à un concours, mais l'obtention lente d'une capacité réelle à faire face à des cas où la vie des gens est en danger, alors que tout un chacun ne se doute de rien. Moi qui ne suis pas médecin, par exemple, je peux évidemment renouveler une pilule contraceptive si je sais ce qu'est une pilule, si je dispose d'une ordonnance précédemment émise, si je sais écrire et si je connais quelques règles simples comme vérifier que la personne qui me demande cette prescription ne fume pas, sans quoi des risques cardio-vasculaires graves existent. Mais ce n'est pas là un acte médical. C'est un acte automatique et naïf, et le bon médecin (je devrais dire simplement "le médecin") me semble être bien plutôt celui ou celle qui sait voir, après des années de clinique, après avoir forgé une intuition inégalée, après avoir longuement révisé des questions d'internat pour bien dépister les cas terribles qui peuvent se présenter, le bon médecin est  celui ou celle qui peut prescrire une pilule non pas parce que la loi lui en donne le droit, mais parce que la patiente peut avoir confiance dans toute cette compétence, qui évitera un acte médical dangereux.
Bien sûr, il peut exister  de mauvais médecins, mais ils sont très rares contrairement à ce que dit la rumeur, cette rumeur idiote qui transforme un gland en citrouille, ce bavardage de café du commerce. D'ailleurs, la presse a sa part de responsabilité quand nous en venons à penser que "les médecins" sont mauvais, elle qui ne  parle jamais des trains qui arrivent à l'heure, mais, au contraire, se focalise sur des cas  très rares. Je propose, donc, de ne pas juger le monde (notamment celui de la médecine, mais pas seulement) par le prisme de la presse, sans quoi nous n'avons pas de vision correcte du monde.
Enfin, pour revenir à la médecine, je crois que nous avons raison d'avoir confiance dans les capacité des médecins que nous consultons, et c'est la raison pour laquelle j'insiste ici pour que l'acte médical soit réservé aux médecins et non pas à n'importe quel « soignant » (je parle bien d'acte médical de sorte que je ne suis pas politiquement incorrect,  mais  je dis une tautologie, une évidence que disent les mots : médical, médecin).  Oui, il y a toujours eu une  volonté du peuple  de se rapprocher de l'aristocratie,  une volonté de ne pas être exclu des élites, mais la métaphore ne vaut pas pour le  cas qui nous concerne :  il ne s'agit pas ici d'une prétention de sang bleu, mais bien plutôt de travail, et le travail n'est pas une vague prétention : la capacité médicale, ce sont des années passées au chevet des malades, devant les livres, à faire des recherches bibliographiques pendant les week-end au lieu d'aller au bistrot ou se promener en forêt.
Parfois, certains journalistes qui enquêtent sur un sujet croient en savoir autant que les spécialistes qu'ils consultent… sans parler de ceux qui viennent interroger un spécialiste pour lui faire dire ce qui est écrit dans leur « scénario » ou ce qui a été décidé en conférence de rédaction (là, c'est le comble du mauvais journalisme). C'est une prétention démesurée, comme le montrera l'anecdote suivante, où il ne s'agit pas de journalisme médical, mais de journalisme scientifique, ce qui revient au même : au tout début de ma carrière d'éditeur scientifique, j'avais révisé très longuement la traduction en français d'un texte en anglais, écrit par un bon spécialiste américain, sur la physico-chimie des gels. Les gels ? Cétait l'objet de mon travail de master (on disait DEA, à l'époque), de sorte que je pensais mon texte quasi parfait. Toutefois, conformément à la règle que nous avons introduite dans la revue Pour la Science,  j'avais voulu faire relire mon travail par un  spécialiste français des gels. L'homme, qui a aimablement accepté ce travail… m'a rendu une version si annotée de rouge  que j'en rougis encore aujourd'hui de honte. Pourtant, je n'avais pas démérité, je n'avais pas bâclé mon travail... mais je n'étais pas un spécialiste, et, en conséquence, je ne pouvais pas deviner quelles notions fautives revêtaient les mots que j'avais naïvement employés.
Pour les journalistes médicaux, il en va de même. Même un journaliste qui explore bien un sujet ne  sera jamais capable de pallier le spécialiste qu'il a interrogé, et c'est la raison pour laquelle les bons journaux font relire les textes aux spécialistes. Il ne s'agit pas de vérifier les citations, l’exactitude des propos rapportés. Non, il s'agit de qualité de l'information ; il s'agit tout simplement d'éviter que le journaliste dise  des choses  très fausses… parce que l'on ne remplace pas des années d'étude par quelque jours, semaines voire mois d'enquête journalistique. D'ailleurs, encore aujourd’hui, j'ai été consulté par un journaliste qui  faisait un article sur les aliments, et j'ai eu l'occasion de constater que la notion de polysaccharides, dont il parlait presque à chaque ligne, lui  était inconnue : pour lui, c'était un simple mot. De même, il y a quelque semaines, lors de la préparation d'un article sur la cuisine note à note, avec un très grand magazine international, alors que j'avais passé des jours à discuter de la chose avec l'équipe venue d'outre atlantique, à l'expliquer, j'ai eu la surprise de voir que des notions  qui me semblaient évidentes, que j'avais expliquées plusieurs fois, restaient complètement incomprises : des mots, de simples mots. Pour la médecine, c'est pareil : il est malhonnête de prétendre que l'on peut réduire en peu de temps des compétences que les médecins obtiennent après des  années d'un travail considérable, lequel d'ailleurs ne se fait pas à raison de 35  heures par semaine.
Et je reviens finalement à la cuisine, où la question se pose de même : il existe de véritables compétences, et ce serait une prétention exorbitante que de ne pas en faire l'hypothèse. Plus généralement, on a compris que pour cuisine, médecine, sciences de la nature ou tout autre activité, la compétence, l'expertise, ne sont pas à la portée d'une enquête  rapide, de quelques semaines ou mois d’intérêt pour une question. En cuisine, le professionnel sait  parfaitement reconnaître la consistance de la sauce qui doit être servie, et cela ne se décrit ni avec des mots, ni avec des photos, cela ne se voit  pas d'un coup d’œil. En médecine, soigner des gens en bonne santé, ce n'est rien ; ce n'est pas soigner. Et  c'est surtout la capacité de dépister une maladie qui est importante, et c'est cela que l'on demande au  médecin. En science, le travail n'est pas de la vulgarisation, mais  du maniement constant d'équations, l'exercice permanent du calcul.

Finalement toute cette analyse est rassurante : elle montre que nous avons raison de passer du temps sur  nos calculs, au chevet de nos malades, devant les fourneaux, pour apprendre très lentement, pour obtenir une compétence qui n'est pas soluble dans une certaine démagogie.

samedi 29 août 2015

Je m'étonne

Jean-Baptiste Boussaingault fut un des grands chimistes agronomes français (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Boussingault). On dit même qu'il  fut le créateur de la chimie agronomique. Il eut une vie aventureuse, aux côtés de Bolivar, une vie politique (il faut député, par exemple), mais sa réputation scientifique est sans faille, au point que Louis Pasteur suivit ses cours de chimie.
Je m'étonne, donc, qu'il soit si mal connu : je trouve 23 000 pages Google, contre 110 millions pour Lady Gaga. Quelle faillite intellectuelle !

Honorons Boussaingault, faisons remonter sa page Wikipedia !

Je m'étonne

Jean-Baptiste Boussaingault fut un des grands chimistes agronomes français (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Boussingault). On dit même qu'il  fut le créateur de la chimie agronomique. Il eut une vie aventureuse, aux côtés de Bolivar, une vie politique (il faut député, par exemple), mais sa réputation scientifique est sans faille, au point que Louis Pasteur suivit ses cours de chimie.
Je m'étonne, donc, qu'il soit si mal connu : je trouve 23 000 pages Google, contre 110 millions pour Lady Gaga. Quelle faillite intellectuelle !

Honorons Boussaingault, faisons remonter sa page Wikipedia !

A propos d'un article contre la cuisine moléculaire

 Les critiques portées contre la cuisine moléculaire sont étonnantes, récurrentes, et tendancieuses.


Mais avant toute chose, qu'est-ce que la cuisine moléculaire ? 

Souvent, il y a confusion entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire, et cette confusion résulte d'une confusion sur le mot "gastronomie", que certains interprètent comme de la cuisine d'apparat, alors que le terme a été introduit pour désigner "la connaissance raisonnée de ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit". Autrement dit, les études historiques de la cuisine sont de la gastronomie historique ; les études sociologiques de la gastronomie sociologique... et les études physico-chimiques de la gastronomie moléculaire.

La cuisine moléculaire ? C'est moi qui ait introduit la terminologie (et je conviens qu'elle est mal choisie), pour désigner la technique culinaire rénovée : dès le début des années 1980, il me semblait ahurissant que l'on continue à cuisiner avec des ustensiles qui datent du  passé, alors qu'au même moment, on prend l'avion, on utilise des ordinateurs, au lieu de rouler en char à boeufs et d'écrire à la plume d'oie et à l'encre.
Rénover les techniques culinaires ? Il s'agissait simplement de rationaliser les opérations et d'avoir une réflexion technologique. Si l'on veut foisonner, il faut un instrument approprié ; si l'on veut émulsionner, l'instrument doit être différent (dans les laboratoires de physico-chimie, on utilise à cette fin des sondes à ultrasons) ; si l'on veut filtrer, broyer, chauffer, refroidir, condenser, décanter, etc., alors les catalogues de matériel de laboratoire offrent des systèmes mieux pensés, que j'avais proposé d'introduire en cuisine. C'est cela, d'abord, la cuisine moléculaire, et il n'y a pas de quoi fouetter un chat, ni publier un article tendancieux ?

Cette introduction étant faite, il y a effectivement eu des incidents dans des restaurants de cuisine moléculaire... comme il y  en a sans cesse dans les restaurants plus traditionnels. Mais il est vrai qu'une certaine mode du "cru" expose davantage les mangeurs à des risques microbiologiques. La cuisson à basse température, introduite grâce à l'usage de systèmes  précis de chauffage, procure des résultats merveilleux, à condition de bien les maîtriser, sous peine de prolifération microbienne.
Cette cuisson à basse température s'est imposée pour les résultats qu'elle permet d'obtenir, mais aussi pour des raisons économiques : à basse température, des viandes dures s'attendrissent, et, de surcroît, la masse servie est voisine de la masse achetée, alors que, pour un rôtissage, on perd jusqu'à 25 pour cent de la masse. Personnellement, j'ai toujours pris soin d'alerter mes interlocuteurs cuisiniers sur la nécessité de chauffer suffisamment, afin de ne pas risque des proliférations microbiennes dangereuses, ou l'absence d'inactivation des parasites éventuels. C'est ainsi que, pour le porc, le sanglier, le cheval, je préconise la plus grande prudence.

Cela dit, les journaliste qui attaquent la cuisine moléculaire tombent souvent dans la faute de pensée nommée généralisation, confondant l'usage de produits de la catégorie des additifs avec des incidents microbiologiques. Derrière cette confusion (volontaire ?), il y a souvent de l'idéologie, et notamment des idées très fausses à propos de la "chimie". On doit répéter que le caramel est un additif.... qu'utilisent tous les pâtissiers, artisans ou pas. Ou encore que l'additif E460 n'est autre que le "vert d'épinard" produit depuis des siècles par les cuisiniers pour verdir leurs préparations. L'acide citrique ? Il y en a plein le jus de citron. L'acide ascorbique ? Une vitamine que l'on élimine dans les urines quand elle est en excès, et avec laquelle Linus Pauling prétendait soigner presque tout.
Surtout nombre de critiques de la cuisine moléculaire tombent dans le mythe du "bon naturel", oubliant que la ciguë est naturelle est parfaitement mortelle, par exemple.
Bref, j'hésite toujours, face à de tels articles : s'agit-il d'ignorance ? d'idéologie ? de peur  ? de la malhonnêteté qu'il y a à faire du scandale pour vendre les journaux ?

Récemment, un article qui faisait état des prétendus risques de la cuisine moléculaire reproduit étonamment ce qui a été publié vers 1996, avec les mêmes arguments, et aucune nouveauté. Les faits rapportés sont tendancieux. Par exemple, les journalistes qui ont produit ce torchon signalent des incidents chez le chef anglais Heston Blumenthal (que je n'ai pas à défendre : il est assez grand), mais, en réalité,  l'enquête des services vétérinaires avait finalement établi que tout était venu des huîtres ! L'article confond donc tout, de la cuisson basse température avec les additifs, oubliant que le braisage est une cuisson à basse température, et  que le caramel est un additif. Et en oubliant qu'une salade de carottes, c'est cuisiner à froid, donc rien de nouveau sous le soleil, de ce point de vue. En revanche, les professionnels doivent faire attention, et c'est la raison pour laquelle l'Education nationale promeut très justement la méthode HACCP.

En réalité, c'est l'ignorance qui fait le risque : ainsi, je m'inquiète de voir la peau des pommes de terre servie avec les tubercules, alors qu'une étude récente a montré que le seuil de toxicité en glycoalcaloïdes est atteint au Pakistan, pour la cuisine de rue (ces alcaloïdes résistent très bien aux températures de friture par exemple). Ainsi je m'inquiète de voir des infusions d'estragon dans l'alcool (le méthylchavicol est soluble dans l'éthanol, et très toxique), ou des macérations  de grappes de tomates dans l'huile (ce qui extrait un composé toxique), sans parler des plantes dont on ne sait pas bien la toxicité.
Ces pratiques "traditionnelles" ne justifient pas, évidemment, les mauvaises pratiques de cuisine moléculaire, mais c'est moins le principe que son application qui est en cause : un steak trop salé, cela ne condamne pas le steak grillé en général, mais un steak trop salé en particulier.

Oui, les nouvelles techniques sont dérivées d'analyses scientifiques, et il est vrai que la cuisine moléculaire découle de la gastronomie moléculaire. Oui, le passage de la science à la technique conduit à des risques nouveaux : la découverte de l'atome, et la bombe atomique ; la découverte de l'électricité et la chaise électrique ; la découverte des micro-organismes et des attaques à l'anthrax ; la découverte du feu et les incendies... Je maintiens que les responsables d'un acte condamnable sont ceux qui ont fait cet acte, et non les scientifiques qui ont fait la découverte. Pierre et Marie Curie ne sont pas responsables d'Hiroshima !

A propos d'un article contre la cuisine moléculaire

 Les critiques portées contre la cuisine moléculaire sont étonnantes, récurrentes, et tendancieuses.


Mais avant toute chose, qu'est-ce que la cuisine moléculaire ? 

Souvent, il y a confusion entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire, et cette confusion résulte d'une confusion sur le mot "gastronomie", que certains interprètent comme de la cuisine d'apparat, alors que le terme a été introduit pour désigner "la connaissance raisonnée de ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit". Autrement dit, les études historiques de la cuisine sont de la gastronomie historique ; les études sociologiques de la gastronomie sociologique... et les études physico-chimiques de la gastronomie moléculaire.

La cuisine moléculaire ? C'est moi qui ait introduit la terminologie (et je conviens qu'elle est mal choisie), pour désigner la technique culinaire rénovée : dès le début des années 1980, il me semblait ahurissant que l'on continue à cuisiner avec des ustensiles qui datent du  passé, alors qu'au même moment, on prend l'avion, on utilise des ordinateurs, au lieu de rouler en char à boeufs et d'écrire à la plume d'oie et à l'encre.
Rénover les techniques culinaires ? Il s'agissait simplement de rationaliser les opérations et d'avoir une réflexion technologique. Si l'on veut foisonner, il faut un instrument approprié ; si l'on veut émulsionner, l'instrument doit être différent (dans les laboratoires de physico-chimie, on utilise à cette fin des sondes à ultrasons) ; si l'on veut filtrer, broyer, chauffer, refroidir, condenser, décanter, etc., alors les catalogues de matériel de laboratoire offrent des systèmes mieux pensés, que j'avais proposé d'introduire en cuisine. C'est cela, d'abord, la cuisine moléculaire, et il n'y a pas de quoi fouetter un chat, ni publier un article tendancieux ?

Cette introduction étant faite, il y a effectivement eu des incidents dans des restaurants de cuisine moléculaire... comme il y  en a sans cesse dans les restaurants plus traditionnels. Mais il est vrai qu'une certaine mode du "cru" expose davantage les mangeurs à des risques microbiologiques. La cuisson à basse température, introduite grâce à l'usage de systèmes  précis de chauffage, procure des résultats merveilleux, à condition de bien les maîtriser, sous peine de prolifération microbienne.
Cette cuisson à basse température s'est imposée pour les résultats qu'elle permet d'obtenir, mais aussi pour des raisons économiques : à basse température, des viandes dures s'attendrissent, et, de surcroît, la masse servie est voisine de la masse achetée, alors que, pour un rôtissage, on perd jusqu'à 25 pour cent de la masse. Personnellement, j'ai toujours pris soin d'alerter mes interlocuteurs cuisiniers sur la nécessité de chauffer suffisamment, afin de ne pas risque des proliférations microbiennes dangereuses, ou l'absence d'inactivation des parasites éventuels. C'est ainsi que, pour le porc, le sanglier, le cheval, je préconise la plus grande prudence.

Cela dit, les journaliste qui attaquent la cuisine moléculaire tombent souvent dans la faute de pensée nommée généralisation, confondant l'usage de produits de la catégorie des additifs avec des incidents microbiologiques. Derrière cette confusion (volontaire ?), il y a souvent de l'idéologie, et notamment des idées très fausses à propos de la "chimie". On doit répéter que le caramel est un additif.... qu'utilisent tous les pâtissiers, artisans ou pas. Ou encore que l'additif E460 n'est autre que le "vert d'épinard" produit depuis des siècles par les cuisiniers pour verdir leurs préparations. L'acide citrique ? Il y en a plein le jus de citron. L'acide ascorbique ? Une vitamine que l'on élimine dans les urines quand elle est en excès, et avec laquelle Linus Pauling prétendait soigner presque tout.
Surtout nombre de critiques de la cuisine moléculaire tombent dans le mythe du "bon naturel", oubliant que la ciguë est naturelle est parfaitement mortelle, par exemple.
Bref, j'hésite toujours, face à de tels articles : s'agit-il d'ignorance ? d'idéologie ? de peur  ? de la malhonnêteté qu'il y a à faire du scandale pour vendre les journaux ?

Récemment, un article qui faisait état des prétendus risques de la cuisine moléculaire reproduit étonamment ce qui a été publié vers 1996, avec les mêmes arguments, et aucune nouveauté. Les faits rapportés sont tendancieux. Par exemple, les journalistes qui ont produit ce torchon signalent des incidents chez le chef anglais Heston Blumenthal (que je n'ai pas à défendre : il est assez grand), mais, en réalité,  l'enquête des services vétérinaires avait finalement établi que tout était venu des huîtres ! L'article confond donc tout, de la cuisson basse température avec les additifs, oubliant que le braisage est une cuisson à basse température, et  que le caramel est un additif. Et en oubliant qu'une salade de carottes, c'est cuisiner à froid, donc rien de nouveau sous le soleil, de ce point de vue. En revanche, les professionnels doivent faire attention, et c'est la raison pour laquelle l'Education nationale promeut très justement la méthode HACCP.

En réalité, c'est l'ignorance qui fait le risque : ainsi, je m'inquiète de voir la peau des pommes de terre servie avec les tubercules, alors qu'une étude récente a montré que le seuil de toxicité en glycoalcaloïdes est atteint au Pakistan, pour la cuisine de rue (ces alcaloïdes résistent très bien aux températures de friture par exemple). Ainsi je m'inquiète de voir des infusions d'estragon dans l'alcool (le méthylchavicol est soluble dans l'éthanol, et très toxique), ou des macérations  de grappes de tomates dans l'huile (ce qui extrait un composé toxique), sans parler des plantes dont on ne sait pas bien la toxicité.
Ces pratiques "traditionnelles" ne justifient pas, évidemment, les mauvaises pratiques de cuisine moléculaire, mais c'est moins le principe que son application qui est en cause : un steak trop salé, cela ne condamne pas le steak grillé en général, mais un steak trop salé en particulier.

Oui, les nouvelles techniques sont dérivées d'analyses scientifiques, et il est vrai que la cuisine moléculaire découle de la gastronomie moléculaire. Oui, le passage de la science à la technique conduit à des risques nouveaux : la découverte de l'atome, et la bombe atomique ; la découverte de l'électricité et la chaise électrique ; la découverte des micro-organismes et des attaques à l'anthrax ; la découverte du feu et les incendies... Je maintiens que les responsables d'un acte condamnable sont ceux qui ont fait cet acte, et non les scientifiques qui ont fait la découverte. Pierre et Marie Curie ne sont pas responsables d'Hiroshima !

Parenthèses et perles collantes

On ne m'attend pas sur le terrain littéraire, mais c'est pourtant une de mes vieilles passions que la littérature.  Pas le roman balzacien, ni ses pauvres avatars modernes (bien que je répugne à nommer avatars de Balzac les derniers Goncourt ou autres, dont les fautes de langues passent inaperçues à leurs auteurs qui ne travaillent pas assez, et proposent l'étalage de leurs égos comme idée artistique). Non, pas ces publications de gare, que je me répugne à nommer de la littérature, ,puisqu'il s'agit seulement d'occuper quelques heures par des histoires que l'on raconte aux enfants. On lira ou relira le Pour un nouveau roman, de Robbe-Grillet, d'une merveilleuse lucidité, sans compromission ni mauvaise foi.

 Bref, on ne m'attend pas sur le terrain littéraire, mais c'est une de mes vieilles passions, et, sans la moindre prétention (Flaubert écrivait sept phrases par jour, et Rabelais était bien supérieur), j'ai un faible pour les analyses littéraires de bon aloi, telle l'oeuvre de Vladimir Propp, qui a bien montré, aux débuts d'un structuralisme qu'il est aujourd'hui de bon ton de critiquer (pourquoi, au fait ?) que les contes populaires russes étaient construits comme des systèmes de parenthèses emboitées. C'est ainsi, en conséquence, que j'ai construit nombre de mes conférences, à défaut d'en faire des articles et des livres. J'avais d'ailleurs de la joie à refermer des parenthèses que j'avais ouvertes, même si mon auditoire se perdait parfois dans l'ouverture successive d'histoires emboitées, ce qui a été parfois pris pour des digressions.
Cette narration n'est toutefois ni la plus évidente, donc, ni la seule possible....

La suite sur
http://www.agroparistech.fr/Parentheses-et-perles-collantes.html

Parenthèses et perles collantes

On ne m'attend pas sur le terrain littéraire, mais c'est pourtant une de mes vieilles passions que la littérature.  Pas le roman balzacien, ni ses pauvres avatars modernes (bien que je répugne à nommer avatars de Balzac les derniers Goncourt ou autres, dont les fautes de langues passent inaperçues à leurs auteurs qui ne travaillent pas assez, et proposent l'étalage de leurs égos comme idée artistique). Non, pas ces publications de gare, que je me répugne à nommer de la littérature, ,puisqu'il s'agit seulement d'occuper quelques heures par des histoires que l'on raconte aux enfants. On lira ou relira le Pour un nouveau roman, de Robbe-Grillet, d'une merveilleuse lucidité, sans compromission ni mauvaise foi.

 Bref, on ne m'attend pas sur le terrain littéraire, mais c'est une de mes vieilles passions, et, sans la moindre prétention (Flaubert écrivait sept phrases par jour, et Rabelais était bien supérieur), j'ai un faible pour les analyses littéraires de bon aloi, telle l'oeuvre de Vladimir Propp, qui a bien montré, aux débuts d'un structuralisme qu'il est aujourd'hui de bon ton de critiquer (pourquoi, au fait ?) que les contes populaires russes étaient construits comme des systèmes de parenthèses emboitées. C'est ainsi, en conséquence, que j'ai construit nombre de mes conférences, à défaut d'en faire des articles et des livres. J'avais d'ailleurs de la joie à refermer des parenthèses que j'avais ouvertes, même si mon auditoire se perdait parfois dans l'ouverture successive d'histoires emboitées, ce qui a été parfois pris pour des digressions.
Cette narration n'est toutefois ni la plus évidente, donc, ni la seule possible....

La suite sur
http://www.agroparistech.fr/Parentheses-et-perles-collantes.html

lundi 24 août 2015

Science et cuisine

Il n'y a pas si longtemps, je discutais la question de "science & cuisine", mais en vue de bien comprendre ce que pouvait être cette science que des amis rapprochaient de la cuisine. J'avais conclu  qu'il s'agissait d'un savoir, un savoir technique ou technologique, mais qui n'avait rien à voir avec les sciences de la nature, sciences quantitatives qui, on ne le répétera pas assez, procèdent par
- observation d'un phénomène, identification de ce dernier
- mesures, caractérisations quantitatives du phénomène
- réunion des données quantitatives (les résultats des mesures) en lois également quantitatives (équations !)
- recherche des mécanismes pouvant être quantitativement compatibles avec les lois quantitatives trouvées
- recherche de prévisions quantitatives testables expérimentalement
- tests expérimentaux, quantitatifs, de ces prévisions théoriques quantitatives
- et ainsi de suite.

On l'a compris : je pilonne, et le mot "quantitatif" est bien sûr en quantité peut-être excessive, dans la description précédente... Mais il faut mettre parfois les points sur les i, et la science qu'est la gastronomie moléculaire ne se résume pas à de la cuisine précise, ce fantasme de quelques grands anciens qui ont pour nom Carême ou Escoffier.  Amusant, d'ailleurs, que certaines activités veuillent ainsi se rapprocher des sciences de la nature, alors que leurs qualités sont autres. La cuisine, par exemple, ne devrait-elle pas s'enorgueillir de ce qu'elle est une activité artistique, donc très éloignée des sciences de la nature  ?
Je me souviens d'un cuisinier, il y a quelques années, qui voulait faire une thèse sous ma direction  : mais comment aurait-il pu intégrer notre laboratoire, où nous ne faisons qu'équations ? Il était parfaitement compétent  en cuisine, plus compétent que moi évidemment, mais ce n'est pas une injure d'observer qu'il était parfaitement incompétent en sciences de la nature, où règnent les équations, cette activité où seuls ont leur place les "géomètres", ceux qui calculent comme chantent les rossignols.

Bref, l'expression "science & cuisine" doit éveiller l'attention, quand elle passe sous nos yeux.

Tout cela étant dit, ai-je assez vanté le travail merveilleux que font quelques amis de notre groupe de recherche sous le nom d'Ateliers Science & Cuisine ?
En substance, il s'agit d'activités pour l'Education nationale : une sorte de prolongement des Ateliers expérimentaux du goût, mais pour le Second Degré (collèges et lycées). N'hésitez pas, alors que la rentrée approche, à visiter le site où nous présentons toutes ces activités en détail : http://www.agroparistech.fr/-Les-Ateliers-science-Cuisine-.html
Et n'hésitez pas non plus à faire connaître ces activités : nos collégiens et lycées méritent bien cela !

Science et cuisine

Il n'y a pas si longtemps, je discutais la question de "science & cuisine", mais en vue de bien comprendre ce que pouvait être cette science que des amis rapprochaient de la cuisine. J'avais conclu  qu'il s'agissait d'un savoir, un savoir technique ou technologique, mais qui n'avait rien à voir avec les sciences de la nature, sciences quantitatives qui, on ne le répétera pas assez, procèdent par
- observation d'un phénomène, identification de ce dernier
- mesures, caractérisations quantitatives du phénomène
- réunion des données quantitatives (les résultats des mesures) en lois également quantitatives (équations !)
- recherche des mécanismes pouvant être quantitativement compatibles avec les lois quantitatives trouvées
- recherche de prévisions quantitatives testables expérimentalement
- tests expérimentaux, quantitatifs, de ces prévisions théoriques quantitatives
- et ainsi de suite.

On l'a compris : je pilonne, et le mot "quantitatif" est bien sûr en quantité peut-être excessive, dans la description précédente... Mais il faut mettre parfois les points sur les i, et la science qu'est la gastronomie moléculaire ne se résume pas à de la cuisine précise, ce fantasme de quelques grands anciens qui ont pour nom Carême ou Escoffier.  Amusant, d'ailleurs, que certaines activités veuillent ainsi se rapprocher des sciences de la nature, alors que leurs qualités sont autres. La cuisine, par exemple, ne devrait-elle pas s'enorgueillir de ce qu'elle est une activité artistique, donc très éloignée des sciences de la nature  ?
Je me souviens d'un cuisinier, il y a quelques années, qui voulait faire une thèse sous ma direction  : mais comment aurait-il pu intégrer notre laboratoire, où nous ne faisons qu'équations ? Il était parfaitement compétent  en cuisine, plus compétent que moi évidemment, mais ce n'est pas une injure d'observer qu'il était parfaitement incompétent en sciences de la nature, où règnent les équations, cette activité où seuls ont leur place les "géomètres", ceux qui calculent comme chantent les rossignols.

Bref, l'expression "science & cuisine" doit éveiller l'attention, quand elle passe sous nos yeux.

Tout cela étant dit, ai-je assez vanté le travail merveilleux que font quelques amis de notre groupe de recherche sous le nom d'Ateliers Science & Cuisine ?
En substance, il s'agit d'activités pour l'Education nationale : une sorte de prolongement des Ateliers expérimentaux du goût, mais pour le Second Degré (collèges et lycées). N'hésitez pas, alors que la rentrée approche, à visiter le site où nous présentons toutes ces activités en détail : http://www.agroparistech.fr/-Les-Ateliers-science-Cuisine-.html
Et n'hésitez pas non plus à faire connaître ces activités : nos collégiens et lycées méritent bien cela !

samedi 22 août 2015

Comment le soliloque conduit à de nouvelles idées

Le soliloque ? C'est, pour le dictionnaire, le fait de parler à voix haute, quand on est un enfant qui fait une tâche difficile. J'interprête que l'enfant focalise l'ensemble de sa pensée sur la difficulté, et je déduis que les mots sont importants pour la pensée, ce que n'aurait pas ni l'abbé de Condillac.
Mais la "méthode du soliloque" est aussi une de mes trouvailles (je ne prétends pas que d'autres n'aient pas quelque chose d'analogue, mais je n'en ai pas connaissance), qui permet  à la fois de penser, d'écrire, de parler.

De quoi s'agit-il ? Je me suis inspiré de Denis Diderot (qui n'a jamais produit, à ma connaissance toujours, de méthode analogue à celle que je discute ici), qui, dit-on, était inmanquable : quand on entrait dans un café où Diderot se trouvait, on le repérait immédiatement, parce qu'il gesticulait, haranguait son entourage avec feu... Dans l'Encyclopédie, il est nécessairement plus calme, mais le feu est alors intellectuel. Et, surtout, sa correspondance nous le montre vif argent. Comment a-t-il pu écrire autant ? Sur tant de sujet ? Certes, il s'est mis en condition de le faire, mais j'imagine aussi qu'il devait avoir une méthode intime, et, puisque je ne connais pas cette méthode, je l'ai inventée... et c'est cela que j'ai nommé la méthode du soliloque.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de reconnaître que notre esprit est encombré de mille idées variées, et que, pour penser, il nous faut nous focaliser sur une idée seulement. Ce qui me fait penser que, quand les enseignants disent à des élèves ou étudiants "concentrez-vous", l'injonction est bien étrange, car comment faire pour  se concentrer ? La méthode du soliloque est une réponse.
J'y reviens, donc : notre esprit est plein d'idées disparates qui sont en concurrence (les impôts, le plombier, un rendez vous à organiser, penser à ses clefs...) et cela nous gêne pour penser. Si nous parlons (à voix haute, dans un dictaphone) ou si nous écrivons, alors un seul mot sort à la fois, et si nous avons ce mot sous les yeux (parce que nous écrivons ou parce qu'un logiciel de reconnaissance vocale nous le transcrit), alors nous pouvons fixer plus  facilement notre attention.

Voilà pour la première moitié de la méthode. La seconde moitié, c'est de considérer chaque mot qui est déjà émis, et de l'analyser, de tous les points de vue qui sont en notre possession... et c'est là où la "culture" est essentielle. Analysant, d'autres mots sont émis, qui seront analysés à leur tour, et se constituera ainsi un discours que nous pourrons ultérieurement ordonner.

Bien sûr, cette méthode foisonnante fait risque le bourgeonnement baroque excessif, mais à nous, ensuite, d'ordonner, de construire a posteriori.
Je passe sur des tas de détails de la méthode, car je n'en fais pas ici un cours, mais je m'arrête sur une observation : n'est-il pas merveilleux que, ainsi, la pensée sécrète la pensée ?
Pour celles et ceux qui sont intéressés par cette question, il y aura à considérer les discussions sur le langage... et c'est ainsi que, parti de Condillac, on y revient !

Sapere aude

Dans son célèbre essai Qu'est-ce que les Lumières ?, en 1784, Emmanuel Kant donne la définition suivante :  

« Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. »

Sapere aude

Dans son célèbre essai Qu'est-ce que les Lumières ?, en 1784, Emmanuel Kant donne la définition suivante :  

« Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. »

vendredi 21 août 2015

Bâtir une question

Comment répondre à des questions  ?
Si notre objectif est de bâtir un savoir comme on construit un bouquet, alors il est indécent de répondre à la question de façon animale. Quelle est votre couleur préférée ? Bleu. C'est l'animal en moi qui parle, et je me dois aux êtres humains à qui je m'adresse de leur parler en être humain, pas en animal. Je ne peux donc pas répondre "bleu".
D'autant que :
 - cela n'a aucun intérêt : je perds mon temps et je le fais perdre à mes interlocuteurs
 - c'est faux : il existe une infinité de nuances de bleu différentes, et, en répondant, bleu, je fais une réponse soit désinvolte, soit négligente, donc impolie.

Il faut donc vraiment que je réponde mieux.  Comment ?

Analysons la question: on me demande ma couleur préférée, mais pourquoi ? Dans une vision irradiante de l'individu,  je dois me dire que ma réponse doit avoir un intérêt. Je dois bâtir ma réponse, et je dois donc également supposer, par égard à mes interlocuteurs, qu'ils ont une intention derrière la question. Laquelle ?
Parfois, mes amis veulent avoir une vision  plus intime de moi, ce qui est une façon louable de construire de la socialité. Mais est-il bien raisonnable de confondre l'animal tapi en nous avec l'intime ? Je n'arrive pas à le croire, et la question est donc d'identifier un intime utile, en quelque sorte.
Mon intime personnel (si l'on peut dire) tient tout entier dans ma devise, affichée sur tous mes murs (de sorte que cet intime ne l'est pas beaucoup, ou, dit autrement, que je suis très impudique) : Mer isch was mer màcht, nous sommes ce que nous faisons.
Aimer le bleu n'est qu'un état, pas le résultat d'un travail. Alors ? Alors cette discussion méconnaît aussi la connotation des couleurs, et le fait que les goûts sont souvent appris, et n'existent souvent que  par juxtaposition et contingence. Le chimiste Michel Eugène Chevreul, quand il a énoncé sa loi du contraste simultané des couleurs, ne disait pas autrement, pour la question des juxtapositions. Pour les contingences, on gagnera à savoir que le phénomène d'alliesthésie négative : nous aimons de moins en moins un aliment que nous mangeons.

Parfois, aussi, les questions sont des occasions de lien social, des prétextes. Autant, alors, apprendre à rayonner "à partir" de faits anodins, et donner à nos amis la substance que nous avons été chercher pour eux. Le bleu est une caractérisation faible, et la science, notamment, en donne des précisions, et c'est tout un cours que nous pourrons faire.  Serons-nous alors barbant, pédant ?
A nous de nous efforcer de ne pas l'être ; à nous de bâtir un discours charmant... mais je m'aperçois que je suis bien moralisateur, et je me reprends aussitôt : à moi de faire ainsi. Pour vous, comment ferez-vous ?

samedi 15 août 2015

L'homéopathie efficace chez les animaux ? Apparemment pas !

La discussion a propos de l'homéopathie  suscite souvent la réponse, par les partisans de cette méthode, que l'homéopathie serait efficace chez les animaux... mais est-ce vrai ?
Dans le numéro 313 de Science  & Pseudo-sciences,  Jacques Bolard rapporte les résultats d'une méta analyse  récente : la plupart des études qui ont été faites étaient mauvaises, et les deux qui restent  ne montrent pas d'effet.
Bref, cessons d'accepter l'argument d'une efficacité sur les animaux, car il n'est pas fondé.

Récompense

L'enseignement conduit à des rencontres. Parfois on est récompensé par une impression que l'on a fait  durablement.
Ce matin, reçu une carte postale d'un étudiant parti dans le vaste monde, qui m'écrit :

"I wish you many oments of joy and sharing your passion"

Cela figure sur  une carte postale où est imprimé :


Jacques Brel : « Le seul fait de rêver est déjà très important. Je vous souhaite des rêves à n'en plus finir, et l'envie furieuse d'en réaliser quelques uns. Je vous souhaitee d'aimer ce qu'il faut aimer et d'oublier ce qu'il faut oublier. Je vous souhaite des silences. Je vous souhaite des chants d'oiseaux au réveil, des rires d'enfants. Je vous souhaite de résister à l'enlisement, à l'indifférence, aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite surtout d'être vous. »



Quel bonheur ! 

mardi 11 août 2015

Un témoignage terrible

Cela me revient, mais je crois qu'il n'est pas inutile de faire connaître les faits terribles: l'histoire (vraie) date de la "crise de la dioxine dans les poulets belges", un de ces épisodes qui agitent l'alimentation occidentale périodiquement.

A l'époque, j'avais été invité sur une grande chaîne nationale de télévision, pour discuter des "dangers de la chimie". Les journalistes, que je connaissais, m'avaient averti : il s'agirait d'un débat qui m'opposerait à des personnes très remontées contre la chimie. Allons, pourquoi pas : puisque je n'ai rien à gagner dans l'affaire, j'accepte le plus souvent de rendre service à la collectivité en disant des faits justes, contre les idéologues et les malhonnêtes de tous poils.
D'autant que, en l'occurrence, dire "la dioxine" est un non sens chimique : les dioxines sont des composés de plusieurs types, et seulement certains membres  de cette famille de composés sont toxiques (à une dose qu'il faut préciser). De surcroît, les poulets qui faisaient alors l'actualité (pourquoi, d'ailleurs ?) avaient été contaminés par des dioxines provenant d'usines d'incinération (comme quand nous faisons brûler un tas d'herbes au fond du jardin), et non d'usines chimiques.

Bref, je me retrouvais sur le plateau d'enregistrement, face à un groupe d'individus étranges, très remontés contre cette chimie qui n'était pas en cause. Et, en cours d'émission, j'ai compris que le public qui nous regardait voyait en réalité :
- un groupe d'individus un peu originaux, qui faisaient miroiter des choses étranges et fausses (les pouces qui auraient été verts en vertus de dons tombés du  ciel,  l'influence -prétendue bien sûr- de la musique sur la croissance des plantes, d'étranges manipulations de l'eau de pluie, lors de la pleine lune, qui auraient fait croître à des tailles inouïe les fleurs qu'on aurait arrosées avec, la mémoire de l'eau, de sais-je...), avec un aplomb terrible, jouant malhonnêtement de l'argument d'autorité, par exemple, et ne citant des sources que très inaccessibles, ce qui doit bien sûr faire penser à ce beau  dicton "A beau mentir qui vient de loin" ;
 - un groupe de scientifiques, dont j'étais, qui essayait désespérément d'expliquer des faits expérimentaux avérés, testés, mesurés... mais qui manquaient de temps (à la télévision, on a le temps de sujet-verbe-complément) pour donner les rudiments scientifiques nécessaires à la compréhension des faits expérimentaux, ces faits réels, tangibles, vérifiables par tous, dont la science ne cesse de partir.

Bref, le public se trouvait en face de deux discours aussi incompréhensibles l'un que l'autre, mais  nos adversaires tenaient un discours chatoyant, tandis que les scientifiques tenaient un discours rigoureux... et barbant. Devinez quel choix  le public aurait dû faire  ?
En réalité, ce jour-là, il a sans doute majoritairement choisi le camp des sciences... parce que le journaliste qui animait les débats était un ami, qui avait voulu  me faire "gagner". A quoi cela tient-il !

En revanche, je n'ai jamais oublié la leçon : il est bien inutile de dire des faits justes en étant incompréhensibles et barbant, d'autant que les sciences ont mille attraits, en ce qu'elle se fondent sur les faits expérimentaux ! Cela va du soleil, clarté blanche, qui devient rouge au couchant, au blanc d'oeuf, jaune quand il est cru, qui blanchit quand on le fouette, en passant par le fait que l'huile et l'eau ne se mélangent pas, sauf quand on y ajoute  du savon...
Les sciences ne sont qu'étonnement ! Et il n'est pas nécessaire de mentir pour les faire paraître belles.
Expliquer les équations ? Cela viendra après, et non pas dans une émission de télévision. 

Quant aux débats, il serait naïf d'oublier qu'il ne s'agit pas de dire le vrai, mais de débattre, et cela fait des millénaires que l'on sait que c'est le plus beau parleur qui gagne généralement. Le fond et la forme...
Et si la science décidait de soigner les deux, afin d'aider nos communautés à prendre les bonnes décisions  ?

Je tiens mes références à votre disposition

Alors que chacun peut publier sur internet à peu près n'importe quoi, se pose la question de savoir quel crédit accorder à des propos ainsi publiés. Le fait qu'un site soit "plébiscité" (sélectionné par le peuple) ne dit rien de sa qualité, et l'on connaît milles sites internet pourris ou minables qui sont pourtant largement visités. D'ailleurs, la recette est simple : si l'on publie des "actualités", si l'on est un peu populiste ou démagogue, alors on aura des chances d'être lu. La recette de la malhonnêteté est connue depuis longtemps : le philosophe grec Platon, il y a plus de 2000 ans, dit déjà combien l'art oratoire peut convaincre, alors même que les idées propagées sont fausses ; et l'auteur grec Aristophane nous décrit un état de la Cité qui ressemble étrangement à celui d'aujourd'hui. Rien de nouveau sous le soleil.
Mais là n'est pas l'objet de mon billet. Je veux oublier les minables, pour me consacrer à la diffusion de faits justes, d'idées intéressantes, de valeurs loyales... Mes billets vont toujours dans le sans de la vérité, et pas de l'idéologie ni de la tromperie, quelles que soient mes "opinions" (d'ailleurs, je préfère les idées aux opinions, parce que je n'ai pas de temps à perdre en discussions d'opinions discutables par essence).
Je produis donc des billets qui donnent des faits... mais je suis conscient que mes amis sont en droit de se demander si ce que j'avance est juste. En quoi mes blogs différeraient-ils d'autres qui seraient plus tendancieux ?
Une solution pourrait être de donner des références scientifiques, mais elle ne serait pas parfaitement satisfaisante, car bien des sites citent des références "pourries". Faire une référence n'est pas une garantie : les scientifiques le savent bien, eux  qui croisent les références, font des études aussi exhaustives possibles des sources, tout en analysant ces dernières (par exemple, les parties intitulées "Matériels et méthodes" des publications scientifiques en disent long sur la qualité des travaux). Les bons scientifiques ne confondent pas les corrélations et les causalités, par exemple, et ils évitent comme la peste les adjectifs et les adverbes, les remplaçant par la réponse à la question "combien ?". Ils refusent absolument l'argument d'autorité, et ils veulent des monstrations de tout ce qui est avancé.
Scientifique moi-même, je fais donc ce travail, mais je n'ai pas pris la décision d'encombrer mes textes avec les références que j'ai consultées. Pour autant, je tiens à la disposition de tous mes  amis (et aussi mes ennemis si j'en ai... bien que je sois de ceux qui considèrent que les chiens aboient et que la caravane passe) toutes ces références, et aussi les textes complets, quand j'ai le droit de les partager. Naguère, j'avais un blog où, une fois par semaine, je faisais l'éloge d'un bel article, mais, parce qu'il y avait plus urgent (notamment à propos de l'apprentissage par les étudiants), j'ai mis cela de côté. Pour autant, je continue de tenir à la disposition de qui veut les références des articles qui établissent que "bon pour la santé" est une impossibilité, que 99,99 pour cent des pesticides ne sont pas produits par l'industrie chimique mais par les plantes elles-mêmes, que la peau des pommes de terre nous expose à des poisons, lesquels résistent aux températures des bains de friture, etc.
 Bref, n'hésitez pas : je me ferai un plaisir de donner mes références, le cas échéant.

lundi 10 août 2015

Réforme à l'Ecole

Certains veulent que l'Ecole soit réformée, en vue d'aider les élèves les plus fragiles, parce que les bons s'en tireraient toujours, et que l'efficacité du système serait due à un entraînement des moins bons par les bons. On a largement entendu le discours. D'autres opposent qu'il ne faut pas "niveler par le bas", que l'Ecole doit avoir de l'ambition pour les citoyens. Là encore, on a bien entendu le raisonnement.
Dans cette discussion, les noms d'oiseaux viennent vite, et les "progressistes" pour certains sont des "idéalistes inconscients" pour les autres, tandis que les "réalistes" pour un bord, sont  "conservateurs" ou "réactionnaires" pour l'autre bord. On passera sur cette division manichéenne, donc simpliste et bête. Ce qui est dommageable, surtout, c'est que le débat actuel ne vise pas la construction d'un système d'enseignement vraiment meilleur, mais plutôt la mise en oeuvre d'une idéologie.

Pour ce qui concerne l'Ecole, regardons la loi du 8 juillet 2013 dite de "refondation de l’école" : elle se fixe l’objectif de "diviser par deux la proportion des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification et [d'] amener tous les élèves à maîtriser le socle commun de connaissances, de compétences et de culture […] ;  conduire plus de 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat et 50 % d'une classe d'âge à un diplôme de l'enseignement supérieur".
Diviser par deux la proportion d'élèves qui finissent sans qualification ? C'est évidemment louable. Amener tous les élèves à maîtriser le socle commun de connaissances, compétences et culture ? C'est également très bien... à condition de bien définir ce socle commun : là est un grave point de débat. Conduire toute une tranche d'âge au baccalauréat ? Bien sûr, tout le monde est d'accord... à condition de bien savoir ce qu'est le baccalauréat : si c'est seulement de savoir lire, on y arrivera. Si c'est de savoir résoudre une équation aux dérivées partielles, on aura plus de difficultés. Autrement dit,  les déclarations grandiloquentes sont diaboliques dans le détail. C'est lui qui doit être discuté.

Oui, dans un monde de plus en plus technologique, où les machines se sont imposées,  l'"ouvrier" qui entrait en masse dans les usines et les mines a de moins en moins de place. Oui,  le pays gagne à être composé de citoyens éclairés, capables de s'adapter rapidement à des changements techniques (le fabricant de machines à écrire n'a plus sa place ; l'informaticien trouve la sienne). Oui, l'Ecole n'a pas pour mission de faire de la "chair à canon", mais doit se donner comme objectif de former des citoyens éclairés, responsables, soucieux du bien collectif, et non des individus égoïstes que gave une certaine presse (on n'est pas sorti du panem et circenses ; pardon pour le latin, objet de discussions dans le débat sur l'Ecole) et que flatte démagogiquement un certain politique.
Tout cela étant dit, il y a la question du diplôme, baccalauréat ou autre. Pour faire avancer le débat, il est bon de rappeler (principe de réalité) que  notre pays n'est pas isolé du monde, et que nos entreprises (grosses, moyennes, petites, artisanat...) sont dans un monde très large, où ceux qui produiraient encore des machines à vapeur péricliteraient. L'innovation est la clé, et l'avancée technologique est essentielle, quel que soit le champ d'activités : qu'il s'agisse de produits agricoles ou d'avions, nous devons produire des objets techniquement avancés ; qu'il s'agisse de médecine, d'enseignement, de culture, nous devons faire du mieux que nous pouvons, le mieux étant évalué  à une échelle internationale. Nous pouvons refuser les organismes génétiquement modifiés, nationalement, mais nous devrons in fine comparer nos rendements avec ceux d'autres pays qui les acceptent... parce que nos végétaux sont comparés à d'autres, sur les marchés internationaux ; oui, nous pouvons décider de travailler d'une certaine façon, mais nous devrons finalement comparer les prix des produits fabriqués à ceux d'entreprises présentes dans d'autres pays où le travail se fait autrement. On ne peut à la fois vouloir un "village global", en termes humanitaires, et un "marché" isolé en termes économiques.
Pour nos diplômes, baccalauréat ou enseignement supérieur, il en va de même : nos étudiants sont comparables aux étudiants d'autres pays, et il faut s'étonner que le débat sur l'Ecole discute si peu ce point, ainsi que le numérique, qui, pour l'enseignement supérieur international, est en plein bouleversement, avec l'apparition des MOOC, ces cours que chacun peut trouver en ligne, en n'importe quel point du monde. Notre Ecole n'est pas isolée du monde, il faut le redire.

Nous avons donc deux points fixés : le point de départ, avec l'enfant qui ne sait ni lire, ni écrire, ni compter (pour simplifier : la vie est faite de bien d'autres compétences, tel que vivre en société, avoir une morale, etc.), et le point d'arrivée, qui est la seconde année du Master, à l'Université.
Entre ces deux points, il y a diverses étapes, divers diplômes... qui sont moins utiles en tant que diplômes qu'en tant que compétences pour vivre dans le monde actuel. Là est l'essentiel : ne pas confondre diplôme et compétences ! Bien loin sont les arguments selon lesquels l'Ecole serait actuellement conçue pour les bons élèves, écrémerait année après année ceux qui ne peuvent pas suivre, sans beaucoup se soucier des plus en difficultés. Et c'est en vertu de cette observation que certains en viennent à proposer qu'"il faut s'attacher  aux élèves les plus en difficultés et aux décrocheurs, et non pas donner plus d’école à ceux qui sont déjà au niveau".
Je suis (hélas ?) de ceux pour qui les clivages politiques passent toujours derrière l'analyse des faits. Commençons par rappeler un principe qui fonde notre société française : l'Ecole est pour tous. Et elle ne doit donc pas être "en priorité" pour les plus faibles, ni d'ailleurs pour les plus forts. Ensuite, on n'attaquera jamais assez cette idée comtienne idiote selon laquelle il y aurait une hiérarchie de savoirs, avec les mathématiques au sommet, puis la physique, puis la chimie, puis la biologie, et ainsi de suite. Idée idiote et pernicieuse, puisqu'elle conduit à comparer des activités qui n'ont rien de commun (les pommes sont-elles meilleures que les poires ?), et à dévaloriser des savoirs... qui sont en réalité principaux, puisque indispensables à la bonne marche d'un pays. On ne dira jamais assez qu'il n'y a pas de hiérarchie entre technique, technologie et sciences de la nature ! Un bon technicien est mieux qu'un scientifique médiocre, et vice versa (pardon d'utiliser du latin, objet actuel de litiges).
Le baccalauréat (par exemple), dans  cette affaire ? Pourquoi vouloir à toute force conduire au baccalauréat des élèves qui voudraient se lancer dans la plomberie ? La question est celle de l'âge à partir duquel on peut travailler. Entre les enfants employés dans  des usines avant dix ans et des individus ne commençant à travailler qu'à la majorité, il y a un intervalle terrible qui doit être considéré... avec un espace de liberté donné au citoyen ! Notre pays crève de règles, de lois... Et si, au lieu de discuter des questions techniques (le français, l'histoire, la géographie, les mathématiques, les langues vivantes ou mortes...), nous discutions d'abord les questions de fond, à l'Ecole ? Il est étonnant de constater que les amphithéâtres des universités sont emplis d'étudiants qui ne savent pas ce qu'ils feront plus tard ! On a compris qu'ils misent sur l'éducation supérieure pour avoir du choix, mais ne serait-il pas meilleur, pour notre collectivité, que cette question soit prise plus tôt ? Ne devrions-nous pas, très tôt, montrer les métiers, non pas de façon abstraite, mais dans le quotidien ?
D'autre part, il est remarquable d'observer (on constate que je donne ici des faits) que les élèves et étudiants ne savent jamais ce qui est requis, dans les diplômes, et qu'ils se contentent de "suivre" les études où ils sont engagés. Ne serait-il pas bon que les "compétences" requises soient clairement définies, dans des contrats d'enseignement ? Pourquoi, par exemple, ne pas remettre des listes de compétences, explicites, afin que chacun ait sous les yeux un bilan réactualisable de ce qu'il ou elle sait vraiment ? Qu'il ou elle puisse se situer par rapport à des diplômes ?
Et puis, il y a la question de l' "enseignement". Parler d'enseignement, c'est mettre d'abord en avant l'enseignant, au  lieu de mettre l'apprenant. On comprend bien que les partis politiques y aient intérêt  (les enseignants sont des électeurs, contrairement aux élèves), mais on comprend aussi que le vrai débat est mort-né si l'on ne place pas la question de l'apprentissage d'abord. La question n'est pas que les enseignants enseignent, mais que les élèves et étudiants apprennent !

Il y a égalité et équité

Trouvé dans Nietzsche (Crépuscule des idées) :

"La doctrine de l'égalité ? Mais c'est qu'il n 'y a pas de poison plus toxique : c'est qu'elle semble prêchée par la justice même, alors qu'elle est à la fin de toute justice... "Aux égaux, traitement égal ; aux inégaux traitement inégal" :  telle serait  la vraie devise de la justice. Et ce qui en découle : ne jamais égaliser ce qui est inégal."

jeudi 6 août 2015

Réponse à un correspondant

 Ce matin, je reçois ce message :
Décidément, le journal xxxxx s'intéresse à la santé. Je ne sais si vous avez vu l'article sur le thème de la cuisine moléculaire. Il est sévère quant aux risques, et aux incidents "d'empoisonnement" réels survenus en nombre chez les "chefs" célèbres.
En fin d'article, H. Thys est cité, d'une façon tout à fait neutre, comme le précurseur scientifique sur les travaux duquel cette forme de cuisine est assise.
Il me semble qu'il y ait là une image d'un problème réel : le passage de la science à la technique et sa diffusion, puis de cette diffusion sans compétence au marketing et à la communication.
Est aussi soulevé l'hyper-spécialisation du jugement sur les  techniques ; ici, on cuisine "à froid" , mais on ne veille pas au développement des bactéries qui se multiplient en toute liberté, et les médias sont aveuglés.
Cordialement.
CB

Comme d'habitude, je réponds publiquement, puisque je n'ai rien à vendre, rien à cacher... sauf le nom du journal où figure l'article désigné : l'article étant un torchon, le journal qui l'a publié n'est pas d'une honnetêté parfaite, de sorte que je me refuse à faire de la publicité... tout comme je ne cite pas les journalistes auteurs de l'article, parce que je ne parle pas aux roquets.
Phrase à phrase, maintenant, voici la réponse à mon correspondant :

 1. Oui, le journal xxx s'intéresse à la santé. D'ailleurs, tous les journaux s'intéressent à la santé. Le palmarès des hopitaux, le scandale des honoraires des médecins, les déserts médicaux, le coût des mutuelles... C'est de l'ordre du marronnier.

2. Oui, j'ai vu l'article sur la cuisine moléculaire... et ce qui est amusant, c'est qu'il ressemble comme deux gouttes d'eau à un article des mêmes journalistes il y a deux ans, et que, comme ces articles, il est plein d'erreurs. Par exemple, il ne dit pas que, pour ce qui concerne Heston Blumenthal, l'enquête des services vétérinaires avait finalement établi que tout était venu des huîtres ! L'article confond donc tout, de la cuisson basse température avec les additifs, oubliant que le braisage est une cuisson à basse température, et  que le caramel est un additif. Bref, un article minable, par des journalistes pas complètement honnêtes (rien que la "généralisation" est une faute).
Cela étant, cela fait longtemps que j'ai signalé aux chefs qu'il était dangereux de cuire à des températures trop basses (par exemple 65 °C), et je ne cesse de signaler des risques de tous ordres, les pires étant sans doute les métabolites secondaires des végétaux. Et cela, ce n'est pas de la cuisine moléculaire ! Je m'inquiète, par exemple, de voir la peau des pommes de terre servie avec les tubercules, alors qu'une étude récente a montré que le seuil de toxicité en glycoalcaloïdes est atteint au Pakistan, pour la cuisine de rue (ces alcaloïdes résistent très bien aux températures de friture par exemple). Par exemple, je m'inquiète de voir des infusions d'estragon dans l'alcool (le méthyl chavicol est soluble dans l'éthanol, et très toxique), ou des macérations  de grappes de tomates dans l'huile (ce qui extrait un composé toxique), sans parler des plantes dont on ne sait pas bien la toxicité.
Ces pratiques "traditionnelles" ne justifient pas, évidemment, les mauvaises pratiques de cuisine moléculaire, mais c'est moins le principe que son application qui est en cause : un steak trop salé, cela ne condamne pas le steak grillé en général, mais un steak trop salé en particulier.
Donc, pour terminer : "incidents d'empoisonnement réels", c'est discutable ! Sans parler du fait que l'on ne mets pas ces incidents en face de ceux qui ont lieu soit à domicile (personne n'en fait un article), soit dans des restaurants moins célèbres.

3. Mon nom n'est pas H. Thys, mais H. This. Et oui, je suis  bien à l'origine de la cuisine moléculaire, cuisine dont je rappelle la définition "cuisiner avec des ustensiles modernes".

4. "Il me semble qu'il y ait là une image d'un problème réel" : une image d'un problème, ou bien un  problème ?

5. le passage de la science à la technique : oui, c'est toujours là une question terrible. La découverte de l'atome, et la bombe atomique ; la découverte de l'électricité et la chaise électrique ; la découverte des micro-organismes et des attaques à l'anthrax ; la découverte du feu et les incendies... Je maintiens que les responsables d'un acte condamnable sont ceux qui ont fait cet acte, et non les scientifiques qui ont fait la découverte. Pierre et Marie Curie ne sont pas responsables d'Hiroshima !

6. Pour la partie diffusion, marketing, communication, c'est un trop gros morceau, et cette partie de la lettre est trop floue pour que je réponde quelque chose de raisonnable, en peu de mots.

7. "l'hyperspécialisation du jugement sur les techniques" : je ne sais pas ce que cela signifie, donc je ne peux pas répondre.

8. on "cuisine à froid, mais on ne veille pas au développement des bactéries : à noter qu'une salade de carottes, c'est cuisiner à froid, donc rien de nouveau sous le soleil, de ce point de vue. En revanche, les professionnels doivent faire attention, et c'est la raison pour laquelle l'Education nationale promeut la méthode HACCP.

9. les médias sont aveuglés : que cela signifie-t-il ?

Voilà, j'espère avoir répondu correctement, mais si je ne suis pas clair, merci de me le dire, pour que j'ajoute des explications.

mercredi 5 août 2015

Les applications techniques

Je n'ai guère de temps pour aller relire tout ce que j'ai écrit, mais je crains que l'expression "applications technologiques" ne soit apparue fautivement sous ma plume. C'est la raison pour laquelle je présente ici des excuses publiques, et j'insiste un peu pour donner une proposition d'expression correcte.
Les sciences de la nature sont les sciences de la nature. Ces dernières produisent des connaissances nouvelles, et l'activité nommée technologie en cherche des applications. Signalons d'ailleurs que la pédagogie aussi, puisque l'on cherche à enseigner des choses justes, et que, donc, les dernières révélations de la science sont celles qui doivent être retenues.

Mais  revenons à la technologie et la technique. La technologie est l'étude de la technique, et la technique est le faire. De ce fait, les sciences de la nature ont moins des applications technologiques  que des applications techniques. Elles n'ont d'applications technologiques que dans la mesure où elles contribuent à améliorer les technologies, et non seulement les techniques

Bref,  les sciences peuvent avoir des applications technologiques ou techniques, mais le plus souvent, quand on considère les applications de la sciences, il s'agit bien d'applications techniques, et c'est ainsi que je propose de bien choisir ses mots sous peine de ne pas être bien certain de ce que l'on dit, et de voir laisser les autres interpréter nos propos incohérents.

Pardon pour mes erreurs. Dans la plupart des cas, parlons d'applications techniques des sciences !

Juge et partie

Il en va des préceptes comme des proverbes : tout et son contraire. A "tel père tel fils" répond "A père avare fils prodigue", par exemple.

 Juge et partie : ce serait très mal ? Les déclarations de ce type méritent analyse. Surtout, ne peut-on imaginer un individu droit, intègre, qui, mis dans la position d'être juge alors qu'il est partie, exerce loyalement la position de juge ?

En sciences de la nature, en tout cas, nous sommes sans cesse dans cette double position. En tant que rapporteur d'article, en tant qu'évaluateur de projets, en tant que membre de commission de spécialistes... Le cercle est si petit qu'il est inévitable que nous soyons dans cette position, et il faut donc considérer que l'institution a  statué : les scientifiques sont (en moyenne) de si  "belles personnes" qu'on peut  les mettre en position d'être juge et partie. Bien sûr, il y a  cette proportion de gens moins droits que les autres, mais elle est de toute façon inévitable.

Alors, juge et partie. A nous de mériter la confiance que l'institution nous fait.

Le naturel ?

Une certaine industrie alimentaire vend de façon contestable des produits "naturels", et une certaine réglementation démagogique accepte cette entorse à la pensée.

Contestable ? Entorse ? Oui, car est "naturel", en français, ce qui n'a pas fait l'objet d'une transformation par l'être humain. Nos aliments ne sont pas naturels, car ils ont été cuisinés. Et très peu de nos ingrédients alimentaires sont naturels, car même le sel, tiré de la mer ou des mines, a été extrait, purifié, raffiné. On ignore souvent que le sel est amendé avec de l'iode, par exemple, ou que nos fruits et légumes, qui semblent pousser tout seuls, ont en réalité été sélectionnés depuis des générations. Les arbres ont été greffés, la sélection a opéré, et nos pommes modernes n'ont plus rien des pommes sauvages, ni les carottes des carottes sauvages.
Bref, nous ne mangeons pas de produits naturels, et c'est une étrange idée que de le croire. Mais c'est un fait que même des individus qui savent lire, écrire et compter, parlent de produits naturels.
Récemment, lors de l'enregistrement d'une émission de télévision, il m'est venu qu'il est facile de montrer à nos interlocuteurs leurs contradictions. Cela s'est passé alors que je discutais avec une journaliste qui avait prononcé le mot "naturel". Naturel ? Je lui demandai d'abord si le sucre était naturel, et elle tomba dans le piège, puisqu'elle répondit que oui. Les protéines du lait ? Oui, l'acide tartrique, lequel est au fond des bouteilles de vin blanc ? Oui. L'huile ? Oui... Alors le "faux fromage" qu'elle voulait "dénoncer" était naturel, puisqu'il était fait de ces matières (j'abrège la liste et la démonstration).
Par la même technique, à peu près tous nos aliments sont naturels, sauf quand certains ingrédients ont été synthétisés, telle la vanilline des "vanilles artificielles".

Mais nous sommes bien d'accord : ce n'est pas charitable d'agir comme je le fais ! Et il n'est pas juste de dire que nos aliments sont naturels : en réalité, ils sont tous parfaitement artificiels, parce qu'ils ont été préparés. Et des cuisiniers qui parleraient d'une cuisine naturelle seraient dans l'erreur, même si le Michelin leur a donné  des étoiles !

La publicité que je fais aux actions que je crois utile est gratuite

Alors qu'une certaine  presse réactionnaire (seulement certains journalistes ; ceux qui sont honnêtes ne se lancent pas dans des attaques de ce genre) semble commencer à réagir, face à la cuisine note à note (pourquoi ? vendre du papier ? de l'idéologie ?), il me semble important de dire -parce que je suis en mesure de le faire, parce que c'est vrai- que j'ai déjà souvent annoncé publiquement que je ferai gratuitement la publicité de ceux qui permettent aux cuisiniers de se procurer des produits, en vue de cuisiner note à note.

Je l'ai annoncé, je le fais, je le ferai.
En effet, pour cette cuisine, les cuisiniers ont besoin de composés
- qui font les consistances
- qui font les couleurs
- qui font les odeurs
- qui font les sensations trigéminales
- qui font les propriétés nutritionnelles...

C'est ainsi que, pour les Concours internationaux de cuisine note à note, les "partenaires" industriels n'ont versé aucune somme ni à moi-même, ni à mon laboratoire. Ils ont seulement fourni les produits que nous avons envoyé gratuitement aux concurrents, et des prix.

Cela étant, je déplore encore de ne pas être aujourd'hui en mesure de faire la publicité -gratuite : vous voyez que j'insiste- pour des personnes ou des sociétés qui vendraient des composés odorants purs en solution (les composés purs peuvent s'aquérir, mais le monde culinaire a besoin de solution prêtes à l'emploi) : de telles sociétés n'existent pas encore, hélas.

Nous sommes bien d'accord : certains des composés que je promeus ont aujourd'hui le statut d'additifs ou d'arômes, mais on devra surtout considérer que je cherche à supprimer ces catégories : quand on n'utilise que des composés pour faire un mets, la notion d'additif s'évanouit. De même, quand on utilise des composés odorants pour faire l'odeur d'un mets, on n'utilise pas un "arôme", mot d'ailleurs employé actuellement très fautivement, puisque l'arôme est l'odeur d'un aromate (j'ai proposé que les mélanges de composés odorants à usage alimentaire soient plus justement nommés "compositions" ou "extraits").

J'entends donc quelques journalistes ou quelques individus dire que je suis "vendu" à l'industrie des arômes ou des additifs... et je suis très heureux de dire par anticipation que cela est faux : l'enjeu est si important qu'il est hors de question que je m'enrichisse personnellement dans cette aventure. Certains ont dit ou écrit, par exemple, que j'étais conseiller d'un gros groupe  d'arômes... mais ils ont menti : je n'ai aucune relation avec la société en question.

J'oeuvre gratuitement, parce que je crois que la cuisine française a tout à gagner à se lancer dans des innovations, sans perdre sa force historique, traditionnelle ; je crois que la gourmandise vaut des études de la cuisine note à note par des cuisiniers de talents ; je crois que nos successeurs doivent explorer des voies nouvelles, en vue de se nourrir, quand la population du monde aura augmenté.

Et puis, d'ailleurs, puisqu'il est question de cuisiniers, j'ajoute que j'ai également décidé de faire la publicité pour les cuisiniers-pionniers qui se lancent dans la cuisine note à note. Et cela sans aller parasiter leur restaurants, parce que... j'ai du travail au laboratoire.

Bref, c'est pour  les citoyens que j'oeuvre, d'une façon que j'espère utile. Je n'oppose pas l'innovation à la tradition, parce que je crois que nous avons besoin des deux, mais j'aimerais que la France ne soit pas en retard sur d'autres pays, comme elle l'a été pour la cuisine moléculaire, proposée pourtant en France.

Et je déplore l'obscurantisme ! Je propose à tous de se souvenir que l'on avait annoncé que les trains feraient tourner le lait des vaches, ou que le plus lourd que l'air ne pourrait jamais voler. Bien sûr, la technique ne vaut que par l'usage qu'on en fait, et technique sans conscience n'est que ruine de l'âme, mais ne pourrions-nous pas, aussi, réfléchir à des usages utiles à tous : des aliments qui ne soient pas allergènes, la lutte contre le gaspillage alimentaire ou énergétique, une régularisation des cours des denrées alimentaires (des cours qui fluctuent nuisent toujours aux producteurs, en l'occurrence agriculteurs et éleveurs)...

Vive la cuisine note à note : voilà le cri de celui qui n'a rien à gagner dans l'affaire, ni argent, ni notoriété.
Ce qui me conduit à vous poser la question : dans ces conditions, pourquoi pensez-vous que je promeuve cette cuisine ?